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Romme

Gilbert Romme, membre de l'Assemblée législative et de la Convention, naquit à Riom, en Auvergne, en 1750. Son frère aîné, Charles Romme, mathématicien et astronome distingué, fut professeur à l'école navale de Rochefort. Le jeune Gilbert s'adonna aussi à l'étude des mathématiques, et, vers l'âge de trente ans, se rendit à Saint-Pétersbourg, où il devint précepteur du fils du comte Strogonof. Peu de temps avant la convocation des Etats généraux de 1789, il revint en France, accompagné de son jeune élève, âgé alors de dix-sept ans et qui devait achever son éducation à Paris. Tous deux adoptèrent avec enthousiasme les principes de la Révolution : assidus aux séances de l'Assemblée constituante, d'abord à Versailles, puis à Paris, on les voyait en toute occasion au premier rang des amis de la liberté. Mais l'impératrice Catherine fut bientôt informée de la manière dont l'élève de Romme employait son temps en France : elle ordonna au comte Strogonof de rappeler son fils, et défendit à Romme de jamais franchir la frontière de Russie.

La première circonstance où Romme joua un rôle public fut la célèbre séance du 19 juin 1790, dans laquelle la Constituante vota l'abolition des titres de noblesse : il y figura comme l'orateur d'une députa-lion qui vint présenter à l'Assemblée une table de bronze sur laquelle était gravé le serment du Jeu de Paume. Bientôt après il retourna en Auvergne, à Gémeaux, pour y cultiver son petit patrimoine. Là, au milieu des paysans, il s'appliqua à répandre les connaissances utiles, tout en faisant couvre de propagande patriotique et révolutionnaire. En 1791, préludant aux futures fêtes républicaines, « il fit célébrer l'ouverture de la moisson par les officiers municipaux de sa commune, et, ce jour là, enjoignit au prêtre d'entonner le premier Domine salvam ac perpetuam fac legem » (G. Avenel). Dans l'automne de cette même année, il fut élu député du Puy-de-Dôme à la Législative. Il fit partie du Comité d'instruction publique de cette assemblée, avec Condorcet, Prieur (de la Côte-d'Or), Carnol, Arbogast, etc. ; il en fut président du 2 mai au 1er juin 1792. Le plan que Condorcet présenta au nom de ce Comité dans les séances des 20 et 21 avril 1792 ne fut pas discuté, à cause des événements, et la Législative se contenta de le léguer à la Convention. Romme, bien qu'il se soit séparé plus tard de Condorcet dans les luttes politiques qui divisèrent les républicains, paraît avoir été complètement d'accord avec lui sur la question d'instruction publique : ce fut. en effet, le plan auquel Condorcet avait attaché son nom que Romme chercha à faire prévaloir à la Convention, dans le premier débat de décembre 1792, et qu'il réussit plus tard à faire adopter — pour quelques jours seulement — en octobre 1793.

A la Convention, où il représenta, comme à la Législative, le département du Puy-de-Dôme, Romme alla siéger sur les bancs des Montagnards. L'austérité puritaine de son caractère, l'inflexible rigidité de ses principes démocratiques, l'éloignèrent du parti de la Gironde. Mais si la droiture et la fermeté d'une âme indomptable firent de lui l'un de ces « patriotes rectilignes » ne reculant jamais devant l'accomplissement de ce qu'ils crurent être le devoir, on ne peut lui reprocher aucune étroitesse d'esprit : nourri de la tradition encyclopédique familier avec toutes les sciences, il ne fut point un sectaire, et il incarna en lui, à un plus haut degré peut-être qu'aucun de ses collègues, les aspirations humaines et généreuses de la Révolution.

Nommé membre du Comité d'instruction publique de la Convention le 13 octobre 1792, on le voit, dès le 13 novembre, présenter à l'assemblée un rapport sur un conflit qui s'était élevé entre l'évêque de Luçon et la municipalité de cette ville au sujet de la disposition des revenus du collège. Le 14, il écrit au ministre Roland pour l'inviter, au nom du Comité, à réformer le régime des maisons de Saint-Cyr et de l'Enfant-Jésus, où dominait « le même esprit d'aristocratie qu'avant la Révolution », en faisant disparaître « tout ce qui pouvait rappeler l'idée d'une association religieuse ». Le 25 novembre, il fait un rapport sur l'Académie de France à Rome. « Le Comité, dit-il, pense que le même coup devra frapper toutes les académies de France, mais. vous ne devez abattre que lorsque vous pourrez réédifier, afin que les sciences et les arts n'en reçoivent pas une secousse funeste. »Toutefois, sans plus attendre, il importe, ajoute-t-il, de supprimer les fonctions du directeur de l'Académie de France à Rome. « La place est en ce moment vacante ; et nous la croyons inutile, nuisible même à l'esprit de l'institution. Par une suite d'un régime barbare, et que vous devez vous empresser de détruire, les jeunes artistes envoyés à Rome sont mal logés, mal nourris, impitoyablement délaissés, tandis que le directeur vit somptueusement dans le palais qu'il habite. » Le décret fut voté, avec cette disposition additionnelle : « La Convention nationale suspend dès maintenant toute nomination, tout remplacement dans les académies de France ».

En décembre, le Comité fit connaître à la Convention le plan général qu'il proposait pour l'organisation de l'instruction publique. Après que Lanthenas eut présenté, le 23 novembre, un rapport et un projet de décret sur les écoles primaires, qui fut discuté du 12 au 18 décembre, Romme reçut la mission d'exposer et de défendre, dans un rapport d'ensemble, les bases mêmes du plan du Comité, qui avaient été violemment attaquées par plusieurs orateurs. Son rapport (Rapport sur l'instruction publique considérée dans son ensemble, suivi d'un projet de décret sur les principales bases du plan général, présenté à la Convention générale, au nom du Comité d'instruction publique, par G. Homme, député du département du Puy-de-Dôme, imprimé par ordre de la Convention nationale) fut lu dans la séance du 20 décembre. Nous avons donné, ' à l'article Convention, p. 377, l'analyse de cet important document.

Le projet de décret qui suivait le rapport était ainsi conçu :

« ARTICLE PREMIER. — L'instruction publique sera divisée en quatre degrés, sous les dénominations : 1° d'écoles primaires ; 2° d'écoles secondaires ; 3° d'instituts ; 4° de lycées.

« ART. 2. — On enseignera dans les écoles primaires les connaissances rigoureusement nécessaires à tous les citoyens.

« ART. 3. — On se préparera, dans les écoles secondaires, aux connaissances nécessaires pour remplir les fonctions publiques les plus rapprochées de tous les citoyens, et pour exercer les professions et emplois les plus ordinaires de la société.

« ART. 4. — Les instituts présenteront les connaissances nécessaires pour remplir les fonctions publiques, ainsi que les éléments des sciences, arts et belles-lettres.

« ART. 5. — L'ensemble et les parties les plus relevées des connaissances humaines seront enseignés dans les lycées.

« ART. 6. — L'instruction publique sera établie dans tous ses degrés par le pouvoir législatif.

« ART. 7. — L'enseignement sera gratuit dans tous les degrés de l'instruction publique.

« ART. 8. — L'instruction publique sera soumise à la surveillance des corps constitués, pour tout ce qui tient à l'ordre public et à, l'administration des propriétés nationales. L'enseignement sera soumis à une surveillance distincte dont le mode sera présenté avec l'organisation générale. »

Ce projet de décret ne fut pas discuté, le débat sur l'instruction publique ayant été ajourné à cause du procès du roi.

Quatre mois plus tard, lorsque la Convention aborda une autre grande question, celle de la constitution, Romme ouvrit le débat, le 17 avril, en présentant, au nom d'une commission de six membres nommée le 4 avril (Jean De Bry, Mercier, Valazé, Barère, Lanjuinais et Romme), une analyse des divers projets de constitution qui avaient été adressés à l'assemblée par des citoyens ou des étrangers.

C'est à l'initiative de Romme que la République dut l'adoption du télégraphe aérien imaginé par Claude Chappe. Le projet que Chappe avait présenté à l'Assemblée législative le 22 mars 1792 avait été renvoyé au Comité d'instruction publique. Le 17 août l'Assemblée avait décrété que ce Comité examinerait les moyens proposés pour correspondre rapidement à de grandes distances et lui ferait un prompt rapport. Malheureusement, les appareils que Chappe avait installés pour faire des expériences en présence des commissaires du Comité furent détruits par des habitants de Belleville. Le 15 octobre, sur une pétition de Chappe, la Convention renvoya l'affaire à son Comité d'instruction publique. Cinq mois se passèrent. Enfin, le 12 mars 1793, Homme attira de nouveau l'attention sur le projet de Chappe, et le 1er avril, sur son rapport, la Convention vota un crédit de 6000 livres pour les premières expériences.

Peu de temps après, Romme fut envoyé en mission à l'armée de Cherbourg, avec Prieur de la Côte-d'Or. Après les évènements du 31 mai, Romme et Prieur furent mis en arrestation par le général Wimpffen, sur l'ordre des autorités girondines de Caen. De sa prison, Romme écrivit à la Convention une lettre contenant ces mots : « Notre arrestation peut prendre un très grand caractère, et prévenir le fédéralisme qui vous menace surtout si, comme nous vous le demandons, vous la confirmez, si vous nous constituez otages pour la sûreté des représentants détenus à Paris ». Cette lettre fut lue dans la séance du 14 juin ; et comme Gossuin insinuait qu'on avait peut-être forcé la main au signataire, Couthon (et non Cambon, comme le dit Louis Blanc) s'écria : « Vous vous trompez : Romme serait libre au milieu de toutes les bouches à feu de l'Europe ».

Pendant la captivité de Romme, qui dura deux mois, la Convention discuta (26 juin. 1er, 2 et 3 juillet) un projet d'éducation nationale présenté par le Comité d'instruction publique renouvelé (projet Sieyès-Daunou). Tout différent du plan proposé en décembre 1792 par l'ancien Comité, ce projet ne créait que des écoles primaires, et s'en remettait à l'initiative privée pour les degrés supérieurs de l'enseignement. Il fut écarté comme insuffisant, et la Convention donna à six commissaires le mandat de préparer, sous huit jours, un projet de décret sur l'éducation et l'instruction publiques. On sait que cette Commission des Six, dont Robespierre fit partie, prit pour base de son travail l'ouvrage posthume de Michel Lepeletier. Lepeletier remplaçait les écoles primaires par des maisons d'éducation commune ; mais, au-dessus de ce premier degré d'enseignement, il maintenait les trois degrés supérieurs prévus par le plan de Condorcet et de Romme, écoles secondaires, instituts et lycées. La Commission amenda sur ce point le projet Lepeletier : au lieu de trois degrés d'instruction supplémentaire, elle n'en admit plus que deux, les instituts et les lycées (séance du 29 juillet). Le 1er août, elle présenta, par l'organe de Léonard Bourdon, un projet de décret organisant spécialement les maisons d'éducation commune.

Ce projet de décret fut discuté le 13 août. Romme, rendu à la liberté, était présent, et prit part au débat. Autant qu'on peut juger de son discours par le compte-rendu très sommaire du Moniteur, il développa de nouveau les idées qu'il avait exposées dans son rapport du 20 décembre 1792 ; il insista sur la division de l'instruction publique en deux parties, celle qui est nécessaire à tous, et l'instruction spéciale qui, nécessaire à la société, ne peut être donnée qu'à quelques-uns. Il demanda le renvoi de la question au Comité. L'assemblée, sans admettre les termes mêmes du projet de décret de la Commission, vota une proposition de Danton disant qu'il y aurait des établissements nationaux où les enfants seraient élevés et instruits en commun, mais que l'envoi des enfants dans ces établissements resterait simplement facultatif.

Un mois plus tard, à la suite d'une pétition du département de Paris demandant l'organisation immédiate de trois degrés supérieurs d'enseignement, Romme fut adjoint (16 septembre), avec Guyton-Morveau, Michel-Edme Petit et Arbogast, à la Commission des Six, transformée ainsi en Commission des Dix. Cette Commission choisit Romme pour rapporteur.

Mais avant de poursuivre, nous devons parler d'une oeuvre capitale dont Romme fut le principal auteur, et qui. suivant l'ordre chronologique, doit être mentionnée à cette place. Le Comité d'instruction publique, dessaisi de la question d'éducation depuis le mois de juillet par la nomination de la Commission des Six, avait reporté son activité sur d'autres travaux. Il s'occupait, entre autres, depuis une année déjà, de la réforme du calendrier, pour laquelle il avait réclamé le concours de savants tels que Lagrange, Monge, Lalande, Dupuis, etc. Romme, qui n'avait pas cessé de faire partie du Comité d'instruction publique, avait été chargé, en sa qualité de mathématicien, de présider à la confection de l'annuaire nouveau. Ce fut lui qui, le 20 septembre 1793, présenta, au nom du Comité, le rapport relatif à cet important objet. L'impression en fut ordonnée, et la discussion ajournée. Elle s'ouvrit le 5 octobre. Dans cette séance, la Convention adopta les bases du plan du Comité : ère républicaine datant du 22 septembre 1792 ; division de l'année en douze mois de trente jours, avec cinq jours complémentaires ; division du mois en trois décades ; mais elle rejeta les noms que le Comité avait proposés pour les mois et pour les jours de la décade. Les noms de chaque mois, dans le plan primitif du Comité, devaient rappeler une époque de la Révolution ; c'étaient, en commençant à partir de l'équinoxe d'automne : République, Unité, Fraternité, Liberté, Justice, Egalité, Régénération, Réuniom, Jeu de Paume, Bastille, Peuple, Montagne. Les jours de la décade se seraient appelés jour du Niveau, du Bonnet, de la Cocarde, de la Pique, de la Charrue, du Compas, du Faisceau, du Canon, du Chêne, du Repos. La Convention ayant, sur les observations de Duhem, refusé d'accepter cette nomenclature, décréta la simple dénomination ordinale : en conséquence, dès le lendemain, le procès-verbal de l'assemblée fut daté « du quinzième jour du premier mois de l'an deuxième de la République ». Mais on trouva bien vite que cette manière d'indiquer une date présentait des inconvénients ; la question fut renvoyée à un nouvel examen, et le 3e jour du deuxième mois (24 octobre) furent adoptés, sur un rapport de Fabre d'Eglantine, les noms harmonieux et poétiques des mois républicains, et ceux des jours de la période décadaire, de « primidi » à « décadi ». Le décret du 24 octobre et celui du 5 du même mois furent fondus en un seul et rectifiés dans quelques-unes de leurs dispositions par le décret du 4 frimaire an II (24 novembre 1793), qui établit définitivement l'annuaire républicain. A ce décret fut annexée une Instruction sur l'ère de la République et sur la division de l'année ; cette Instruction avait été rédigée par Romme.

L'innovation qui, dans l'annuaire républicain, devait susciter le plus d'opposition, c'était la substitution de la décade à la semaine ; mais c'était précisément celle à laquelle les réformateurs tenaient le plus. « A quoi sert ce calendrier? » avait demandé avec humeur l'évêque Grégoire au rapporteur du Comité. « A supprimer le dimanche », répondit Romme. Il faut ajouter que l'observation du repos du décadi n'était rendue obligatoire que pour les fonctionnaires publics. « La loi, disait l'Instruction du 4 frimaire, laisse à chaque individu à distribuer lui-même ses jours de travail et de repos, à raison de ses besoins, de ses forces, et selon la nature du travail qui l'occupe ; mais comme il importe que les fonctionnaires, les agents publics, ne quittent leur poste que le moins possible, la loi ne tolère de vacances pour eux qu'au dernier jour de chaque décade. »

Ajoutons que dans les premiers mois de l'an II, Romme rédigea, avec le concours de divers collaborateurs, un Annuaire du cultivateur destiné à faire connaître aux habitants des campagnes la nouvelle division du temps et à répandre des notions utiles. Cet ouvrage fut présenté par lui le 30 pluviôse an II à la Convention, qui en décréta l'impression. Il forme un volume in-8° de 240 pages, intitulé : « Annuaire du cultivateur pour la troisième année de la République, présenté le 30 pluviôse de l'an II à la Convention nationale, qui en a décrété l'impression et l'envoi pour servir aux écoles de la République, par G. Romme, représentant du peuple ; à Paris, chez F. Buisson, libraire, rue Hautefeuille, n° 20, l'an IIIe de la République ». Une note ajoute : « Les citoyens qui ont concouru à ce travail, en communiquant les vérités utiles qu'ils doivent à leur expérience et à. leurs méditations, sont : Cels, Vilmorin, Thouin, Parmentier, Dubois, Desfontaines, Lamarck, Préaudaux, Lefèvre, Boutier, Chabert, Flandrin, Gilbert, Daubenton, Richard et Molard». L'Annuaire de Romme méritait l'honneur que lui fit la Convention en en ordonnant l'envoi aux écoles. « C'est vraiment, a dit M. Jules Claretie (Les derniers Montagnards, p. 120), un beau et utile ouvrage, bien supérieur à tous ces almanachs qu'on publie aujourd'hui. On sent que Romme ne s'est pas contenté de la théorie seule, qu'il a étudié et pratiqué : ses recettes agricoles, son dictionnaire botanique, la liste des animaux qu'il faut élever, acclimater, et les moyens de les élever, sont autant de claires et excellentes leçons que la République avait raison de populariser. Les renseignements fournis par Romme, logiquement rangés par dates, mériteraient d'être réimprimés encore à présent, et seraient vraiment utiles à nos agriculteurs. »

Revenons à la Commission des Dix et à son plan d'instruction publique. Ce fut le 1er octobre 1793, quinze jours après celui où la Commission avait été réorganisée, que Romme donna lecture en son nom d'un Projet de décret sur les écoles nationales. Il est fondé sur le principe formulé déjà par Romme, de la distinction entre l'instruction nécessaire à l'individu et l'instruction nécessaire à la société : « L'instruction nationale, prise dans son ensemble, dit le projet, se divise en deux grandes parties : la première est relative aux besoins de chaque citoyen : la seconde est relative aux besoins de la société entière». Les écoles nationales seront divisées en premières écoles de l'enfance, secondes écoles de l'enfance, et écoles de l'adolescence (nous avons donné à l'article Convention, p. 394, le tableau des objets qui devaient être enseignés dans les trois degrés des écoles nationales) ; il y aura en outre un certain nombre d'écoles supérieures spéciales.

Le 30 du premier mois (21 octobre), la Convention vota, toujours sur le rapport de Romme, un décret relatif à l'organisation et à la distribution des premières écoles de l'enfance ; elle le compléta, le 5 brumaire, par des articles additionnels ; le 7 brumaire, par un décret sur le placement des premières écoles, sur la première nomination des instituteurs et institutrices et sur leur traitement ; et le 9 brumaire, par de nouveaux articles additionnels et un décret sur là surveillance des écoles nationales.

Cette législation de brumaire an II, qui est, selon nous, la plus remarquable des diverses organisations de l'enseignement national successivement décrétées par la Convention, ne devait pas être appliquée. On lui reprochait, sur les bancs du Centre et d'une partie de la Montagne, de s'être inspirée des idées de Condorcet. Sur la proposition de Coupé (de l'Oise), le Comité de salut public fut invité (14 brumaire) à nommer une commission de six membres, chargée de réviser le décret sur l'organisation des premières écoles ; mais le Comité d'instruction obtint (19 brumaire) d'être chargé aussi de cette révision, Dès le 27 brumaire, la révision faite par le Comité d'instruction, simple travail de coordination, était achevée. Avant que la discussion eût pu en avoir lieu à la Convention, un membre du Comité, Bouquier, proposa à celui-ci (11 frimaire) un plan nouveau : le Comité décida que les deux plans, c'est-à-dire le décret révisé par le Comité, d'une part, et le plan de Bouquier, d'autre part, seraient présentés concurremment à la Convention. Romme redevint dans cette circonstance, pour défendre son oeuvre, le rapporteur du Comité (séance de la Convention du 18 frimaire), et fit les plus grands efforts pour obtenir le maintien des dispositions votées en brumaire : mais la majorité se prononça contre lui, et donna la priorité au plan de Bouquier, qui devint le décret du 29 frimaire an II.

Deux mois après l'adoption du décret du 29 frimaire, Romme reçut une mission qui le tint éloigné de Paris pendant sept mois, des premiers jours de ventôse jusqu'à la fin de fructidor an II. Il ne prit donc aucune part aux évènements de thermidor. Lorsqu'il rentra à la Convention, il y trouva la réaction déjà toute-puissante. Romme n'avait pas été l'un des amis de Robespierre, mais il ne put voir sans douleur et sans colère la nouvelle politique inaugurée par les thermidoriens. Pour lui, resté fidèle à ses convictions, il n'abandonna pas la Montagne ; aussi, malgré les services qu'il avait rendus, encourut-il la défaveur de la majorité. Son nom ne figure plus désormais sur la liste des membres du Comité d'instruction publique.

Lorsque Lakanal, devenu président du Comité, proposa en brumaire an III un nouveau projet d'organisation des écoles primaires, renouvelé de celui du 26 juin 1793, Romme présenta quelques observations sur les dangers qu'offrirait la création d'écoles particulières, et sur les mesures de surveillance qu'il serait utile de prendre à cet égard (Voir Convention, p. 408). Mais, quoique Lakanal eût déclaré lui-même que « les observations de Romme étaient d'un très grand poids », la Convention passa à l'ordre du jour.

Romme ne prit aucune part à la discussion sur la création des écoles centrales (ventôse an III). Il savait qu'on ne l'eût plus écouté.

Lors d'une discussion sur l'Ecole normale (27 germinal an III), il porta un jugement sévère sur cet établissement, où il ne voyait que « le charlatanisme organisé ».

Dans ce même mois de germinal an III, il appela l'attention du Comité d'instruction publique, dont il n'était plus membre, sur la nécessité, signalée par les astronomes, de faire une correction à l'annuaire républicain. On avait reconnu que si l'on s'en tenait, pour la détermination des années sextiles (c'est-à-dire des années qui auraient un sixième jour complémentaire), à la position de l'équinoxe d'automne, l'année sextile ne reviendrait pas tous les quatre ans comme on l'avait cru d'abord, et que son retour présentait des irrégularités : en conséquence Romme et les astronomes proposaient d'adopter, pour le placement du jour intercalaire, une période fixe de quatre ans, avec des corrections séculaires ; et, pour la commodité de l'usage, ils demandaient que, sans tenir compte de la position de l'équinoxe, la première année sextile fût l'an IV de la République, et non pas l'an III comme l'indiquait l'instruction qui accompagnait le décret du 4 frimaire an II. Le Comité arrêta (20 germinal) que Romme lui ferait un rapport. Le rapport, suivi d'un projet de décret, fut présenté le 19 floréal au Comité, qui en ordonna l'impression et la distribution à la Convention. Ces deux pièces furent en effet imprimées et distribuées ; mais Romme ne put achever son oeuvre en faisant voter la correction qu'il projetait : une mort tragique allait l'en empêcher.

Une fois seulement encore il devait remonter à la tribune de la Convention, et les paroles qu'il prononça ce jour-là lui coûtèrent la vie. C'était le 1er prairial. Lorsque le peuple affamé, et rendu furieux par l'audace croissante des ennemis de la République, envahit la salle de la Convention, Romme osa proposer la mise en liberté des patriotes incarcérés et l'adoption de mesures propres à assurer du pain au peuple. Il fut, pour ce fait, décrété d'accusation comme complice de l'insurrection, et traduit devant une commission militaire avec ses collègues Soubrany, Goujon, Bourbotte, Duquesnoy, Du Roy. La Commission, instrument docile des vengeances de la contre-révolution, condamna à mort ces « derniers Montagnards ». Sans attendre d'être livrés au bourreau, ils se frappèrent de leurs propres mains à la sortie du tribunal (29 prairial an III). « C'étaient, a dit Edgar Quinet, les dernières âmes héroïques qui faisaient à leur cause le sacrifice de leur vie. Leurs morts, acceptées sans colère, furent peut-être les plus belles dans un temps si fertile en ce genre de beauté. » Romme avait quarante-cinq ans.

James Guillaume