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Rolland d’écerville

 Le président Barthélémy Rolland d'Erceville (1734-1793) appartient à cette vaillante légion des parlementaires du dix-huitième siècle, qui, après avoir contribué à l'expulsion des jésuites, firent effort pour les remplacer et pour réorganiser les collèges de l'Université. Le Compte-rendu qu'il présenta le 13 mai 1768 aux chambres assemblées du Parlement de Paris constitue un véritable plan d'éducation. C'est une oeuvre réfléchie où l'auteur expose, avec ses idées personnelles, les résultats des expériences déjà faites depuis 1762, date de l'expulsion des jésuites. Rolland avait collaboré personnellement à l'administration du collège Louis-le-Grand. Il apportait dans ces fonctions beaucoup de sagacité et de prudence. « Grand et sage esprit, — a dit de lui M. Dubois, un des directeurs de l'Ecole normale supérieure, — patiente et forte raison, qui pendant vingt années, même durant l'exil et après la dissolution de sa compagnie, n'a pas délaissé un seul moment l'oeuvre entreprise et l'a conduite presque achevée jusqu'aux confins de la Révolution ; coeur désintéressé de toute ambition, qui, désigné par le voeu général, par le Conseil du roi, comme directeur de l'instruction publique, se retranchait obstinément d'ans la paix de sa studieuse retraite. » Ajoutons que si les haines vigoureuses sont nécessaires pour faire les grands esprits, Rolland satisfait aussi à cette condition : il avait dépensé plus de cinquante mille livres sur sa fortune personnelle pour la publication de l'ouvrage qui porta un si grand coup à la Société de Jésus, les Assertions dangereuses et pernicieuses soutenues par les jésuites.

Sans entrer dans le détail, nous indiquerons quelques-unes des réformes pratiques ou des nouveautés théoriques qui recommandent le nom de Rolland à l'attention de la postérité.

Il demandait qu'on développât et qu'on fortifiât l'enseignement de l'histoire : « Un abus m'a toujours révolté, disait-il ; les jeunes gens qui fréquentent les collèges savent le nom de tous les consuls de Rome et souvent ils ignorent celui de nos rois ; ils ne savent rien des belles actions des grands hommes qui ont illustré notre nation et dont les exemples, étant plus analogues à nos moeurs et plus rapprochés de nous, leur feraient plus d'impression ». Aussi Rolland souhaitait-il que les historiens français fussent mis entre les mains des élèves dans toutes les classes, sans exception. Pour donner à l'enseignement de l'histoire plus d'autorité et plus d'influence, il voulait qu'il fût désormais confié à un professeur spécial.

Après l'extension des études historiques, ce qui préoccupe le plus Rolland c'est l'enseignement plus large et plus régulier de la langue nationale. Il s'étonne que « la langue française ne marche pas d'un pied égal avec la langue latine».

Une autre nouveauté du plan d'études de Rolland, c'est la création d'un professeur spécial pour les sciences mathématiques, d'un autre pour les sciences physiques. Jusque-là les sciences étaient confondues dans renseignement avec l'étude générale de la philosophie.

Rolland peut donc être considéré comme un réformateur de l'enseignement secondaire. Il s'inspirait d'ailleurs dans ses projets des idées de Port-Royal et de Rollin. La réforme parlementaire de 1762 a été en quelque sorte la revanche du jansénisme.

Dans les généralités de la pédagogie, Rolland est de l'avis de ceux qui désirent le progrès, la diffusion des connaissances humaines. « L'éducation, dit-il, ne peut être trop répandue, afin qu'il n'y ait aucune classe de citoyens qui ne soit à portée d'en éprouver le bienfait. » Ce qu'il demande surtout, c'est que l'instruction donnée soit appropriée aux besoins des diverses classes de la société. « Chacun doit être à portée de recevoir l'éducation qui lui est propre. Chaque terre n'est pas susceptible du même soin et du même produit ; chaque esprit ne demande pas le même degré de culture ; tous les hommes n'ont ni les mêmes besoins, ni les mêmes talents, et c'est en proportion de ces talents et de ces besoins que doit être réglée l'éducation publique. » Citons encore, parce qu'elles sont significatives à cette date, dans la bouche d'un homme de l'ancien régime, les protestations de Rolland en faveur de l'instruction primaire : « La science de lire et d'écrire, qui est la clef de toutes les autres sciences, doit être universellement répandue. Sans cela les instructions des pasteurs sont inutiles ; la mémoire est rarement fidèle, et la lecture peut seule imprimer d'une façon durable ce qu'il est important de ne jamais oublier. Le laboureur qui a reçu une sorte d'instruction n'en est que plus attentif et plus habile. »

Appelé à se prononcer sur le caractère laïque ou ecclésiastique des professeurs, Rolland n'hésite pas : « L'expérience prouve que les religieux sont plus attachés à leur ordre qu'à leur patrie » ; et il félicite l'université d'avoir exclu les religieux de son enseignement.

Très exigeant pour les maîtres par lesquels il veut remplacer les ecclésiastiques expulsés, Rolland ne leur demande pas seulement des preuves de science ; « car on peut avoir des talents, dit-il, et n'avoir pas celui d'enseigner ». Il veut des épreuves particulières pour apprécier la capacité des professeurs. Il demande en outre la création d'un séminaire, d'une maison d'instruction pour former les maîtres de la jeunesse. Ce séminaire pédagogique, rêvé dès 1768, ressemble trait pour trait à l'Ecole normale du dix-neuvième siècle.

L'idée dominante de Rolland, dans son plan d'organisation de l'instruction publique en France, c'est l'établissement d'une autorité unique, d'un conseil de gouvernement, qui aurait dirigé l'enseignement à tous ses degrés. Quelque jugement que l'on doive porter sur la centralisation absolue qui est devenue plus tard la loi de l'instruction publique et qui a fait disparaître les libertés provinciales, il est certain que les parlementaires du dix-huitième siècle ont été les premiers à l'imaginer, à la souhaiter, sinon à la réaliser. Les parlementaires, et parmi eux, au premier rang, Rolland, sont les vrais fondateurs de l'Université ; ils l'ont conçue, et Napoléon Ier n'a eu qu'à mettre en oeuvre leur conception.

Rolland d'Erceville fut envoyé à l'échafaud en 1794, en même temps que plusieurs autres anciens parlementaires.

[GABRIEL COMPAYRE.]

Consulter, sur l'oeuvre pédagogique de Rolland d'Erceville et du parlement de Paris, l'étude sur les boursiers de Louis-le-Grand, placée par M. Paul Dupuy en tête de son livre L'Ecole normale de l'an III (Paris, Hachette, 1895).