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Rochow

Frédéric-Eberhardt de Rochow a mérité d'être appelé « le Pestalozzi du Brandebourg ». Né à Berlin en 1734, il était fils du ministre d'Etat Frédéric-Guillaume de Rochow. Destiné à la carrière des armes, il devint officier de la garde royale, et se signala dans les premières campagnes de la guerre de Sept ans ; mais, grièvement blessé à la main droite dans un duel, il dut prendre sa retraite en 1758. Il s'établit alors sur ses terres, à Reckahn près de Brandebourg, devint membre du chapitre (Domstift) de Halberstadt, et se maria. Il consacra dès ce moment toute son activité à améliorer la situation des paysans de son domaine, s'occupa d'agriculture et d'éducation. Il a raconté lui-même comment, après plusieurs années d'études et de réflexions, était née en lui tout à coup l'idée de se faire l'initiateur d'une réforme des écoles destinées aux enfants de la campagne. « Un jour, dit-il, c'était le 14 février 1772, j'étais assis devant ma table de travail, et je dessinais un lion enserré dans les mailles d'un filet. « Voilà, pensais-je, l'image de ce noble don, que Dieu a fait à tous les hommes, la raison, et qui se trouve emprisonné dans un réseau si inextricable de préjugés et d'erreurs, qu'il lui est aussi impossible qu'à ce lion de faire usage de sa force. » Continuant alors mon dessin, je représentai une souris, qui se met à ronger les mailles du filet. Et soudain une pensée me traversa l'esprit comme un éclair : « Si tu pouvais être cette souris! » Sa résolution fut prise sur-le-champ, et, sur la même feuille de papier où il avait dessiné le lion captif, il écrivit séance tenante la table des chapitres d'un livre destiné aux instituteurs de la campagne. Ce livre parut bientôt après, au printemps de 1772 ; il était intitulé : Essai d'un livre d'école pour les enfants des paysans ou pour les écoles de village (Versuch eines Schulbuchs fur Kinder der Landleute oder zum Gebrauch in Dorfschulen ; Berlin, Nicolaï). Rochow s'adressait non aux élèves, mais aux maîtres ; dans une série de seize chapitres, il traitait successivement les sujets suivants : 1° l’attention et le désir d'apprendre ; 2° la cause et l'effet: 3° les motifs d'action ; 4° la vérité, la certitude, la vraisemblance, l'erreur ; la foi, l'incrédulité, la crédulité, la superstition ; 5° de l'âme humaine ; 6° de la religion ; 7° la morale d'après la Bible ; 8° de la société et de l'autorité, des lois et des soldats ; 9° des rapports ; 10°de la politesse dans les relations et dans le langage, et de la façon d'écrire des lettres ; 11° de l'art des nombres, comme exercice de l'intelligence ; 12° de la mesure des surfaces et des solides, et un peu de mécanique, précédé d'un tableau des poids et mesures ; 13° de l'évaluation des dimensions, et des erreurs des sens ; 14° des choses naturelles, pour accroître les connaissances utiles ; 15° des moyens de conserver la santé, et de quelques indications simples pour rétablir la santé qu'on a perdue ; 16° de l'agriculture. Dans une préface, il parlait de la triste situation des instituteurs ruraux, qui n'avaient pour vivre que l'incertaine et insuffisante rétribution de leurs élèves, et demandait qu'ils reçussent un traitement fixe, qui fût de 100 thalers au moins ; il recommandait aussi de rendre les écoles entièrement gratuites, afin que les parents n'eussent aucun prétexte pour n'y pas envoyer leurs enfants.

L'année suivante (1773), Rochow put commencer à mettre en pratique dans ses propres domaines les idées qu'il venait de lancer dans le public. Le vieil instituteur de Reckahn étant mort, il le remplaça par un jeune homme nommé Bruns, qu'il avait formé lui-même, et qui pendant vingt années fut son principal auxiliaire ; un peu plus tard, il installa aussi des instituteurs nouveaux dans les deux autres villages qui dépendaient de lui, Gettin et Krahne. Ses efforts attirèrent bien vite l'attention de Zedlitz, l'intelligent ministre de Frédéric II, qui entra en correspondance avec lui, l'encouragea de tout son pouvoir, et prit l'habitude de le consulter chaque fois qu'il préparait quelque mesure relative à l'instruction publique. Rochow, malgré ses fonctions ecclésiastiques, appartenait au parti de l'Aufklärung, qui était alors en Allemagne l'équivalent du parti encyclopédiste en France ; son christianisme ressemble beaucoup à celui de Rousseau. Dans sa correspondance avec Zedlitz, il se prononce contre l'école confessionnelle. « Il faudrait, écrit-il, que tout ce qui est luthérien, réformé, ou catholique, fût exclus de l'école : ce serait à l'ecclésiastique à parler de ces choses dans la préparation à la confirmation ; l'école ne devrait enseigner que la connaissance naturelle de Dieu et la morale chrétienne universelle. » Il voudrait aussi l'instruction obligatoire : « Quelles sont, se demande-t-il, les peines dont il conviendrait de frapper les parents qui, malgré la gratuité, n'enverraient pas leurs enfants à l'école? Pour moi, mon principe est : Les enfants appartiennent à l'Etat, l'Etat veut qu'ils soient élevés et qu'ils apprennent à lire, à écrire, à compter, et à penser juste. Si les années qui auraient dû être passées à l'école sont perdues, on ne peut plus les regagner plus tard. » Rochow se mit en relations avec Basedow, dont il devint l'un des amis les plus fermes et les plus zélés : il fut de ceux qui se rendirent en 1776 à Dessau pour assister au célèbre examen des élèves du Philanthropinum, auquel Basedow avait convoqué toute l'Allemagne (Voir Philanthropinisme).

Rochow fit suivre son livre à l'usage des maîtres d'un livre écrit pour les élèves, l'Ami des enfants (der Kinderfreund), dont la première partie parut en 1776 et la seconde l'année suivante. Ce nouvel ouvrage eut le plus grand succès : il en fut fait de nombreuses éditions en Allemagne, et on le traduisit en français, en danois et en polonais.

Les autres écrits de Rochow sont : un Manuel de la forme catéchétique à l'usage des maîtres qui veulent et qui peuvent éclairer leurs élèves (Handbuch der katechetischen Form für Lehrer, die aufklären wollen und dürfen, 1783) ; un Catéchisme de la saine raison (Katechismus der gesunden Vernunft, 1786), qui contient l'explication d'un certain nombre de mots et d'idées ; un Essai sur les écoles de pauvres et sur l'abolition de la mendicité (Versuch über Armenanstalten und Abschaffung der Bettelei) ; et, enfin, l'Histoire de mes écoles (Geschichte meiner Schulen, 1795). Lorsque éclata la Révolution française, il applaudit, comme tous les Allemands éclairés, aux efforts des hommes de 1789 ; et on a de lui une traduction des discours de Mirabeau sur l'éducation (1792).

Rochow est mort en 1805, à l'âge de soixante et onze ans.

James Guillaume