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Responsabilité civile

 La responsabilité civile des directeurs d'école, professeurs, maîtres et maîtresses, désignés, sous le nom générique d'instituteurs, vis-à-vis des familles, résulte des articles 1382, 1383, 1384 du Code civil qui sont ainsi conçus :

« ART. 1382. — Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

«ART. 1383. — Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence.

« ART. 1384. — On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses qu'on a sous sa garde.

« Le père, et la mère après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

« Les maîtres et commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.

« Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance.

« La responsabilité ci-dessus a lieu à moins que les pères et mères, instituteurs et artisans, ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. »

Les articles 1382 et 1383 posent le principe général de la responsabilité encourue par quiconque cause un dommage à autrui par son fait personnel.

L'article 1384 apporte une dérogation à ce principe en étendant la responsabilité de diverses personnes, entre autres celle des instituteurs, déclarés responsables du dommage causé par les élèves placés sous leur surveillance.

Le Code crée de plus une présomption de faute à l'égard des instituteurs puisqu'ils ne peuvent échapper à la responsabilité qu'en prouvant qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité (article 1384 dernier paragraphe).

Comme il ne saurait être question, dans l'immense majorité des cas, de fournir une preuve matérielle de l'impossibilité où le maître s'est trouvé d'empêcher l'accident dont il est, en principe, responsable ; l'article 1384 laisse, en somme, aux tribunaux le soin de décider si la conduite de l'instituteur peut ou non être incriminée.

Or la jurisprudence s'est montrée, en pareille matière, particulièrement rigoureuse. Certains jugements rendus, de 1892 à 1899, jugements d'une excessive sévérité, parurent démontrer que la garantie contenue dans la disposition finale de l'article 1384 était purement illusoire. Emu des doléances légitimes présentées par les associations et les congrès des instituteurs, le Parlement reconnut la nécessité de modifier la législation existante, et la loi du 20 juillet 1899 ajouta la disposition additionnelle suivante à l'article 1384 : « Toutefois la responsabilité civile de l'Etat est substituée à celle des membres de l'enseignement public ».

L'article 2 de la même loi stipule que « l'action en responsabilité contre l'Etat sera portée devant le tribunal civil ou le juge de paix du lieu où le dommage aura été causé et dirigée contre le préfet du département ».

Pour apprécier dans quelle mesure le Parlement avait voulu changer le statut des maîtres au point de vue de la responsabilité, il est nécessaire de se reporter aux explications contenues dans les rapports présentés à la Chambre et au Sénat. « Il s'agit d'une substitution, et non d'une suppression de responsabilité, disait M. Savary dans son rapport à la Chambre. Dans la proposition de votre Commission, les membres de l'enseignement public restent toujours, en cas de négligence, d'imprudence ou de faute personnelle, soumis à l'action des articles 1382 et 1383. Ils ne se trouveront déchargés que de la responsabilité civile inscrite à l'article 1384, et, même dans ce cas, ils auront toujours à répondre de leurs actes devant l'autorité universitaire. »

D'autre part, M. Thézard, rapporteur au Sénat, s'exprimait ainsi : « Quelle doit être la personnalité responsable, puisqu'il semble impossible de laisser sans recours et sans réparation les victimes des accidents ? Cette personnalité ne peut être que l'Etat. Les maîtres ne sont que des préposés, responsables sans doute de, leur faute personnelle, mais que nulle raison ne permet de rendre responsables de la faute d'autrui. Cette manière de voir, loin d'être exceptionnelle, se confirme, au contraire, par l'étude de la jurisprudence et de la pratique. L'Etat, dans les administrations autres que l'instruction publique, est considéré comme responsable du fait des personnes qu'il emploie, des accidents ou des avaries causés par son matériel. La responsabilité civile imposée aux maîtres de l'enseignement public est donc plutôt une anomalie, et la proposition qui confère cette responsabilité à l'Etat n'est qu'une application du droit commun. »

En outre, au cours de la discussion devant le Sénat, M. Thézard apportait encore plus de précision dans ses déclarations : « Il n'est pas question, disait-il, de toucher aux articles 1382 et 1383 du Code civil, mais uniquement à l'article 1384 et à la responsabilité du fait d'autrui qui est seule prévue dans cet article 1384. Quelle est la portée de notre réforme? C'est simplement de dire que le maître ne sera plus responsable du fait de ses élèves ni du fait du sous-maître qu'il n'a pas nommé, tant qu'il n'y aura pas, de sa part, faute personnelle et prouvée. Ce dont nous l'exonérons, c'est de cette présomption légale en vertu de laquelle il serait responsable du fait d'élèves qu'il n'a pas choisis. Il n'en est pas de même toutes les fois que, de sa part, il y aura faute personnelle, défaut de surveillance caractérisé. Si l'on peut prouver que l'instituteur n'a pas exercé la surveillance qu'il était de son devoir d'exercer, il sera responsable ; seulement, il ne se trouvera plus sous le coup de la présomption légale ; il faudra prouver la faute. Voilà tout ce que nous demandons. »

Malheureusement le texte de la loi votée en 1899 ne répond pas à ces intentions si clairement exprimées. Il laisse subsister sans modification le dernier paragraphe de l'article 1384, et par suite la présomption légale dont les auteurs de la nouvelle loi voulaient exonérer les instituteurs ne cesse pas en réalité de peser sur eux. D'autre part M. Thézard avait combattu, comme inutile, un amendement ayant pour objet de décider qu'en aucun cas l'instituteur ne pourrait être mis en cause par la partie lésée. Le rapporteur estimait que la partie lésée « n'aura pas l’idée extraordinaire, ayant en face d'elle l'Etat comme responsable, d'assigner par surcroît et à tort l'instituteur ». Or l'expérience a prouvé que cette idée pouvait et devait au contraire fort bien venir aux parents d'élèves victimes d'accident, et même qu'ils avaient intérêt à actionner à la fois l'Etat et l'instituteur afin d'éviter toute fin de non-recevoir de quelque côté qu'elle vînt. Des instituteurs ont donc eu, après la promulgation de la loi du 10 juillet 1899, à subir les tracas et les frais qu'entraîne inévitablement une citation en justice.

Remarquons en outre que l'Etat, condamné à des dommages-intérêts, a le droit de se retourner contre l'instituteur et de lui demander de l'indemniser de la condamnation prononcée contre lui.

Toutefois, en pareil cas. l'Etat ne peut obtenir une condamnation contre l'instituteur qu'à la condition de prouver que ce dernier a commis une faute. La jurisprudence de la Cour de cassation est en ce sens.

Enfin, au cours de la discussion devant le Sénat, le ministre de l'instruction publique avait prononcé ces paroles qui ne laissent pas que de restreindre singulièrement la portée de la disposition additionnelle de l'article 1384 : « La responsabilité civile de l'Etat sera substituée à la responsabilité civile des instituteurs ; mais je voudrais qu'il fût entendu que la responsabilité de l'Etat ne sera engagée que dans le cas où la loi scolaire place les enfants sous la surveillance des maîtres ». On s'explique mal que la protection de l'Etat soit retirée aux maîtres les plus dévoués, dans les cas où, soit de leur propre initiative, soit pour obéir aux suggestions de leurs chefs, ils 6'occupent de leurs élèves en dehors des heures de présence obligatoire à l'école. Les patronages, les cours d'adolescents, toutes les oeuvres complémentaires de l'école ne pourraient que souffrir d'une pareille interprétation.

Pour ces diverses raisons, la loi du 20 juillet 1899 ne peut être considérée comme ayant apporté une solution définitive aux difficultés que fait naître l'application de l'article 1384 du Code civil. Aussi la question a-t-elle été reprise dans plusieurs propositions de loi qui n'ont pas jusqu'à ce jour été discutées par le Parlement.