bannière

r

Remusat (Mme de)

Mme de Rémusat (Claire-Elisabeth de Vergennes) naquit à Paris en 1780. Elle était petite-nièce du ministre de Louis XVI. Son père, maître des requêtes, occupait à Paris une situation importante au moment de la Révolution ; il périt sur l'échafaud en 1794. Sa mère, femme d'un esprit distingué, vécut assez retirée après la mort de son mari et s'occupa, avec beaucoup d'intelligence et de haute raison, de l'éducation de ses deux tilles. Elle avait un cercle intime d'amis de choix, philosophes et publicistes, qui agitaient dans son salon les questions les plus sérieuses et discutaient avec autant de verve et d'esprit que de bonne grâce et de parfaite courtoisie. C'est dans ce milieu, à la fois brillant et sérieux, que se forma l'esprit de Mlle de Vergennes.

Mariée à seize ans à M. de Rémusat, ancien magistrat, elle continua, pendant les années qui suivirent son mariage, sa vie paisible et recueillie. Mais les circonstances rapprochèrent les deux époux de Mme Bonaparte, et lorsque, en 1802, le pouvoir du premier consul fut assez affermi pour qu'il essayât de constituer une sorte de cour, il plaça Mme de Rémusat près de Mme Bonaparte, comme dame du palais, et il attacha M. de Rémusat à sa personne en qualité de chambellan. Après la chute de l'empire, M. de Rémusat fut nommé préfet à Toulouse, puis à Lille ; il fut destitué par le ministère Villèle. Sa femme, qui employait à écrire les rares loisirs que lui laissait son existence agitée, nous a laissé des romans qui sont peu connus, des lettres adressées à son mari, des mémoires où elle a consigné ses observations sur le règne, la cour et la personne même de Napoléon Ier, et un ouvrage de pédagogie, malheureusement inachevé, l'Essai sur l'éducation des femmes. Elle fut enlevée prématurément à sa famille en 1821.

Quand on prononce le nom de Mme de Rémusat, le souvenir de ses Mémoires se présente vivement à l'esprit. C'est le plus connu et le plus généralement apprécié des ouvrages qu'elle a laissés. Ce récit animé, vivant, sincère, éclaire, en effet, d'un jour nouveau cette cour de Bonaparte où s'agitaient tant d'intérêts mesquins, où le mouvement des idées était si lent, arrêté par le maître qui se défiait grandement de la pensée. (Cet ouvrage abonde en révélations piquantes, en observations judicieuses et fines. On sent qu'en l'écrivant l'auteur a été pressé par la vérité, par le besoin de prémunir les esprits contre les promesses du pouvoir absolu, contre sa fausse grandeur et sa prospérité apparente. Et de fait, il est impossible de ne pas devenir, en le lisant, plus sévère pour ce pouvoir funeste qui ne peut se maintenir que par l'abaissement des caractères et des esprits.

La lecture des lettres que Mme de Rémusat écrivait à son mari durant les nombreuses absences auxquelles le condamnait sa situation près de l'empereur, nous fait •entrer en relations plus intimes avec elle. On ne saurait exprimer une forte et profonde affection en termes plus touchants, et mettre une plus grande variété de tours et de pensées dans cette expression même. Il y a une grande richesse de coeur et d'esprit dans ces causeries avec un absent ; il y a aussi la marque d'une intelligence cultivée, nourrie de bonne et saine littérature, en commerce familier avec Pascal, Montesquieu, Voltaire, Plutarque et Platon, « qu'elle n'entend pas toujours ». Ses lettres nous la montrent sérieuse et exaltée à la fois, très sensée, et pourtant alarmée et hors d'elle-même devant le plus petit incident, lorsqu'il contrarie ses affections ; douée d'un pénétrant esprit d'observation et naturellement portée, à propos de tout ce qu'elle voit, aux réflexions philosophiques et morales, et peu capable néanmoins de s'intéresser fortement à ce qui dépasse le cercle étroit de la famille et des amis. « Ma vie, écrit-elle, semble en quelque sorte être toute serrée dans mon coeur. » En lisant ces pages, on ne voit pas se dessiner un caractère, on ne se sent pas en présence d'une âme supérieure aux événements et qui les domine : elle a besoin d'être heureuse pour être calme et paisible. Et pourtant, son fils, qui a été, sans contredit, un des hommes les plus distingués de notre époque, lui rapportait « les mérites et les succès de toute son existence ». Comment, dès lors, ne pas lui attribuer les fortes qualités sans lesquelles nous ne pouvons rien fonder ici-bas ?

D'ailleurs, son livre sur l'éducation des femmes, le seul de ses ouvrages que nous ayons à analyser ici, porte l'empreinte d'une haute et ferme raison, d'un bon sens pratique qui s'appuie sur les principes de morale les plus élevés.

Cet ouvrage parut, pour la première fois, en 1824 ; comme nous l'avons dit, il avait été interrompu brusquement, et l'auteur n'a pu remplir qu'une partie du plan qu'il s'était tracé. Les applications, les conseils pratiques manquent, mais il est aisé de les déduire des idées générales, qui sont liées entre elles et forment un système bien ordonné. « Je ne vois aucun motif, dit Mme de Rémusat au début de son livre, de traiter les femmes moins sérieusement que les hommes, de leur dénaturer la vérité sous la forme d'un préjugé, le devoir sous l'apparence d'une superstition, pour qu'elles acceptent le devoir et la vérité ; nul n'est fondé à leur ravir le privilège d'obéir à la loi divine révélée par la raison. »

Voilà l'idée maîtresse de tout l'ouvrage. La femme n'est pas un être purement sensitif ; elle est douée de raison ; elle a pour guide la conscience, pour mobile le désir de se perfectionner. Les moyens dont elle dispose sont la liberté et la volonté. Nous ne pouvons nier que l'éducation qu'on lui donne doit se conformer à sa nature, assurer sa dignité d'être moral par l'empire de la raison sur la liberté. Substituez donc à cette morale superficielle, toute de convention et qui régit ses actes seuls, des principes fixes, assez généraux pour diriger sa vie tout entière. Faites-lui sentir de très bonne heure la beauté et la force du mot devoir. « Qu'une mère, avant de prescrire, s'attache à faire voir que toute grande personne qu'elle est et précisément parce qu'elle est grande personne, sa vie est toute semée d'obligations. » Cette idée du devoir, associée à chacune de nos actions, peut seule donner du prix à nos actes journaliers, élever notre tâche, quelque modeste qu'elle soit, à la hauteur d'une mission.

Toutefois, la raison « raisonnante » ne suffit pas ; il faut à la femme l'enthousiasme et l'émotion d'un grand sentiment. Eclairez son intelligence, fortifiez la règle morale, oui, mais donnez aussi un aliment à son imagination et à sa sensibilité ; entretenez en elle ce foyer intérieur qui communique à son âme la chaleur et la vie, élevez-la jusqu'au sentiment religieux. Mais gardez-vous d'entendre par là une pratique froide et vide: « Pratiquer son culte sans intelligence, sans lecture, sans méditation, c'est vraiment renier son âme, éteindre la lumière intérieure, se défier de Dieu, de la parole et de la grâce ». La foi, c'est la conquête de l'intelligence qui cherche consciencieusement la vérité, c'est la forte et paisible certitude de celui qui sait pourquoi il croit. « C'est du besoin d'examiner, dit-elle en terminant son livre, que vous devez faire sortir le besoin de croire. »

On le voit, Mme de Rémusat, par le prix qu'elle attache à la raison, la confiance qu'elle témoigne à la nature humaine, par sa façon de comprendre la religion qu'elle ne sépare pas de la raison et de la morale, est la fille du dix-huitième siècle ; mais lorsqu'elle demande aux femmes de s'intéresser à la chose publique, parce que « leur destinée n'est pas indépendante de l'état politique de leur pays », elle est bien de notre époque et elle a une vue singulièrement nette de la réalité. Si nous la comparons aux femmes de talent qui ont écrit, au dix-neuvième siècle, des ouvrages d'éducation, nous la rapprocherons surtout de Mme Necker de Saussure. En dépit des différences qui les séparent, il y a entre elles une étroite parenté : elles ont même respect pour la nature humaine, même confiance dans les forces dont elle dispose, même souci de mettre dans l'éducation et dans la vie tout entière plus de lumière et de chaleur. Mais Mme Necker subordonne tout au sentiment religieux ; Mme de Rémusat s'appuie surtout sur la raison éclairée et animée ; la première vise plus profond, elle voit mieux les faiblesses et la grandeur de la nature humaine, elle est vraiment un moraliste et un éducateur, tandis que la seconde est plutôt un psychologue. Mais que d'observations fines, délicates, quelle raison aimable répandue dans les écrits de Mme de Rémusat ! C'est bien la femme dont la société moderne a besoin qu'elle aspire à former : forte sans raideur ni sécheresse, sensée et pourtant éprise d'idéal ; elle ne recherche ni l'éclat ni le succès, mais elle veut être utile et contribuer au bonheur et au bien général.

Marguerite Fontes