bannière

r

Relèvement des peines disciplinaires

 Saisi par le ministre de l'instruction publique de la question de savoir s'il y a lieu à l'application du droit de grâce en matière disciplinaire, le Conseil d'Etat s'était prononcé pour la négative dans un avis en date du 4 août 1892.

Comme d'autre part aucune disposition règlementaire ne prévoyait la révision par les conseils disciplinaires de décisions prononcées par eux, et que les peines disciplinaires n'avaient jamais été effacées par les lois d'amnistie, il en résultait que certaines déchéances, telles que l'interdiction du droit d'enseigner, l'exclusion des facultés ou écoles de l'Etat, avaient un caractère d'irrévocabilité absolue.

Qu'il y eût là un excès de sévérité et une véritable anomalie, le Conseil d'Etat avait cru devoir le déclarer en termes formels. On lit, en effet, dans les considérants de l'avis du 4 août 1892, « qu'il est contraire à l'équité, aussi bien qu'à l'esprit général des réformes récemment introduites dans l'ensemble de la législation, de ne fournir aucun moyen de se faire réintégrer dans les droits dont ils ont été privés, à ceux qui n'ont été frappés que par les rigueurs de la discipline ; que, spécialement, en matière d'enseignement, il paraît légitime de remédier aux graves inconvénients résultant de cette situation au moyen d'une loi qui attribuerait au Conseil supérieur de l'instruction publique l'examen et le jugement des demandes en relèvement des incapacités particulières résultant des condamnations disciplinaires ».

S'inspirant de ce voeu de la haute assemblée, le ministre de l'instruction publique soumit au Conseil d'Etat un projet, de loi relatif au relèvement des déchéances et incapacités résultant de condamnations disciplinaires. Mais ce projet, bien qu'adopté par le Conseil d'Etat le 22 décembre 1892, ne fut jamais soumis aux délibérations du Parlement.

Ce ne fut que seize ans plus tard que la question fut reprise devant la Chambre des députés par MM. Aynard, Ferdinand Buisson et Lefas. Leur proposition, qui ne pouvait que rencontrer une adhésion unanime, est devenue la loi du 17 juillet 1908.

Pour apprécier la portée de ces nouvelles dispositions légales, il convient d'observer qu'elles n'ont nullement pour objet d'effacer, sous certaines conditions, toutes les peines disciplinaires qui peuvent atteindre les membres de l'enseignement public ou privé.

Sont seules susceptibles de relèvement les mesures disciplinaires qui entraînent des déchéances ou incapacités, et qui, n'étant pas prononcées par l'autorité administrative, ne peuvent être de sa part l'objet d'une décision gracieuse.

La loi du 17 juillet 1908 s'applique en conséquence exclusivement aux peines suivantes : 1° l'interdiction du droit d'enseigner ; 2° la suspension du droit de diriger un établissement libre ; 3° la révocation ou la suspension infligée par les conseils disciplinaires ; 4° l'exclusion des facultés ou écoles.

Voici le texte de la loi du 17 juillet 1908 :

« ARTICLE PREMIER. — Les membres de l'enseignement public ou libre peuvent être relevés des déchéances ou incapacités résultant des décisions qui ont prononcé contre eux l'interdiction du droit d'enseigner ou la suspension du droit de diriger un établissement d'enseignement libre.

« Le bénéfice de cette disposition est étendu :

« 1° Aux professeurs titulaires de l'enseignement public supérieur ou secondaire, pour les déchéances ou incapacités résultant de leur révocation ou de leur suspension par les conseils disciplinaires ;

« 2° Aux étudiants et aux candidats aux examens qui ont été exclus des facultés ou écoles de la République.

« ART. 2. — Les demandes en relèvement formées en vertu de l'article 1er ne peuvent être présentées qu'après un délai minimum écoulé depuis la notification des décisions définitives.

« Le délai sera de deux ans pour une suspension, une interdiction ou une exclusion temporaires.

« Il sera de cinq ans pour une interdiction ou exclusion ayant un caractère perpétuel.

« Lorsque la demande aura été rejetée, après examen au fond, elle ne pourra être présentée de nouveau qu'après un délai égal au premier délai exigé.

« ART. 3. — Si l'intéresse peut établir qu'il a été frappé à raison de faits compris ensuite dans une loi d'amnistie, ou de faits judiciaires annulés par suite d'un arrêt de révision, la nécessité d'un délai antérieur à son premier pourvoi sera supprimée, mais non celle des délais nécessaires aux pourvois subséquents, si la demande est rejetée.

« ART. 4. — La demande sera adressée au ministre de l'instruction publique, qui en saisit le Conseil supérieur, en y joignant l'avis des Conseils académiques ou départementaux ou des Conseils de l'université qui ont connu en premier ressort des affaires disciplinaires.

« Le Conseil supérieur de l'instruction publique statue après avoir entendu l'intéressé ou son conseil ; la décision prononçant le relèvement doit être prise aux deux tiers des suffrages.

« Un règlement d'administration publique déterminera les formes à suivre pour l'instruction et le jugement des demandes en relèvement, ainsi que les autres mesures nécessaires à l'exécution de la présente loi. »

Le règlement prévu à l'article 4 est intervenu le 24 février 1909. La procédure en vue du relèvement des peines disciplinaires y est réglée de la façon suivante :

Les demandes en relèvement adressées au ministre de l'instruction publique, par application de la loi du 17 juillet 1908, sont inscrites à la date de leur réception au ministère de l'instruction publique, sur un registre tenu à cet effet, avec mention des pièces jointes à l'appui.

Elles contiennent, outre les renseignements fournis par l'intéressé et à peine de nullité, l'indication des communes où le postulant a résidé depuis la décision prise contre lui, avec la durée de sa résidence dans chacune d'elles, ainsi que l'indication de son domicile actuel. (Art. 1er.)

Si la demande est formée par une personne appartenant ou ayant appartenu à l'enseignement supérieur ou secondaire, le ministre en transmet, dans un délai de quinze jours, à dater de l'enregistrement, la copie au recteur de l'académie dans Te ressort de laquelle cette personne est actuellement domiciliée.

Si la demande a été formée par une personne appartenant ou ayant appartenu à l'enseignement primaire, le ministre en transmet dans le même délai la copie au préfet dans le département duquel cette personne est actuellement domiciliée. Le préfet fait parvenir cette pièce à l'inspecteur d'académie dans le délai de huit jours. (Art. 2.)

Par les soins du recteur ou de l'inspecteur d'académie, suivant les cas, une enquête est ouverte, dans un délai de quinze jours, sur la conduite et les moyens d'existence du postulant dans les diverses communes où il a résidé.

Si une ou plusieurs de ces communes sont situées hors de leur ressort, ces fonctionnaires invitent le recteur ou l'inspecteur d'académie dans le ressort desquels cette commune ou ces communes sont comprises à procéder à l'enquête.

Le recteur ou l'inspecteur d'académie par les soins duquel se fait l'enquête, peut s'adresser, pour obtenir les renseignements qui lui paraîtraient utiles, aux maires et aux autres autorités administratives, qui doivent leur transmettre ces renseignements dans le plus bref délai.

Dès que l'enquête est terminée, le recteur ou le préfet, suivant les cas, saisit le Conseil de l'université, le Conseil académique ou le Conseil départemental : ceux-ci donnent, dans leur plus prochaine session, leur avis motivé, qui est transmis, dans les cinq jours, au ministère de l'instruction publique. (Art. 3.)

Le ministre de l'instruction publique saisit de la demande le Conseil supérieur de l'instruction publique dans sa plus prochaine session.

Il transmet, à cet effet, le dossier de l'enquête, accompagné du dossier de la décision disciplinaire avec toutes les pièces, au secrétaire du Conseil supérieur, sept jours au moins avant l'ouverture de la session. (Art. 4.)

La Commission des affaires contentieuses et disciplinaires du Conseil supérieur instruit l'affaire. Si elle trouve les renseignements insuffisants, elle peut proposer et le Conseil peut décider le renvoi de l'affaire à la session suivante, pour plus ample information. Cette décision est prise à la majorité absolue, la voix du président étant prépondérante en cas de partage.

Un rapport écrit est présenté, au nom de la commission, par un de ses membres. Il est mis, sans déplacement, avec toutes les pièces du dossier, à la disposition de l'intéressé, de son conseil, et des membres du Conseil supérieur : l'affaire ne peut être mise à l'ordre du jour que deux jours francs après la communication qui précède.

La commission et le Conseil supérieur suivent les mêmes formes que pour l'instruction et le jugement des affaires disciplinaires. (Art. 5.)

La décision qui prononce le relèvement porte seulement, et sans considérants, que le Conseil supérieur de l'instruction publique relève l'intéressé de telle peine disciplinaire prévue par la loi du 17 juillet 1908 et prononcée antérieurement contre lui, ainsi que des incapacités et déchéances qui avaient pu en résulter. (Même décret, art. 6.)

La décision du Conseil supérieur est notifiée par les soins du ministre à l'intéressé et, si le relèvement est accordé, elle est insérée au Bulletin officiel du ministère de l'instruction publique.