bannière

r

Récompenses

 Les règlements scolaires s'étendent volontiers sur l'article Punitions ; ils sont courts sur l'article Récompenses. Quelques-uns même restent muets comme le code. Pourquoi cette différence ? Pas plus que les punitions, les récompenses ne sauraient être abandonnées à la fantaisie ni à l'arbitraire. Il y en a de bonnes et de mauvaises. Voyons à quels signes se reconnaissent les premières.

Les récompenses doivent être justes : inutile d'insister sur ce premier et essentiel caractère. Une récompense imméritée n'est guère moins compromettante qu'un châtiment injuste. Quand la conscience de l'écolier ne ratifie pas une peine, il y a révolte ; quand elle ne ratifie pas une récompense, il y a mépris. Si l'auteur de la récompense pèche par ignorance, défaut de réflexion ou de sagacité, il se déconsidère ; s'il pèche par calcul, intérêt personnel, ou seulement par une certaine apparence de céder à ces sentiments, il frise l'odieux.

Il faut de la proportion dans les récompenses: médiocres pour un mérite ordinaire, elles croîtront avec l'importance des actes ; elles changeront de nature ou de valeur selon l'âge, le temps, quelquefois le lieu. Ainsi on ne récompensera pas de la même manière dans l'école enfantine et dans l'école maternelle, dans la grande et dans la petite classe de l'école primaire ; dans une école entrée depuis longtemps dans les voies régulières, ou dans une école en formation, à plus forte raison dans une école qui aurait pâti d'une crise d'indiscipline et de désordre. Ainsi encore l'assiduité en temps de fêtes et de tentations buissonnières sera rémunérée plus généreusement qu'en temps ordinaire, puisque le péril est plus grand.

A la proportion se rattache la fixité, la stabilité ; que le maître s'interdise ces mouvements irréfléchis qui emportent au delà du but. Par contre, qu'il se défende de ces accès de froideur qui laissent en deçà. « Rien de trop, rien de manque », disait Pascal en matière de style. La formule est applicable à notre sujet. Le trop en matière de récompense déconcerte l'enfant, et lui cause des surprises désastreuses pour son moral. Le manque le déçoit et le décourage. Tâchons de si bien peser nos actes qu'ils ne craignent ni surcroît ni déchet.

Surtout, récompensons avec discrétion. On ne peut dire jusqu'à quel point l'abus est ici corrupteur. Loin de regimber, comme dans le cas des punitions, la conscience s'accommode et se fait complice, elle Passe à l'ennemi. Rien ne brise plus vite le ressort de émulation intérieure ; rien ne rend plus exigeant envers le maître, plus lâche envers soi-même. Montaigne dit de ces « loyers d'honneur » qu'il n'est « pour les anéantir que d'en faire largesse ». Pascal renchérit sur Montaigne. « L'admiration gâte tout dès l'enfance: « Oh, que cela est bien dit! Qu'il a bien » fait ! Qu'il est sage ! » Mme de Maintenon, dans ses entretiens avec les dames de Saint-Cyr, ne cesse de leur signaler ce danger ; elle blâme « ces récompenses continuelles dès qu'on a fait la moindre partie de son devoir ». « C'est une de nos fautes de les trop louer », dit-elle ailleurs. Or l'éloge n'est qu'une forme de la récompense. « Je n'approuve pas les empressements que vous avez toutes pour les louer et pour que je les loue ; c'est par cette conduite qu'on les a gâtées, et qu'elles croient qu'on leur en doit de reste, quand elles font leur devoir. Dites-leur donc simplement que l'ouvrage va bien, et rien de plus. » Elle a raison, la prudente éducatrice: laissez à la conscience le temps de porter témoignagne, et à l'écolier celui d'en jouir. Il y a dans la recompense un point de maturité qu'un habile maître doit saisir. Il n'y faut ni précipitation ni lenteur.

Joignez à cela l'égalité, c'est-à-dire les mêmes mérites pesés dans la même balance, payés de la même monnaie. Il est très démocratique sans le savoir, ce petit monde enfantin, très en éveil sur les privilèges et les préférences, et ce serait le cas de répéter le mot de La Bruyère: « Ils sont déjà des hommes ». Que la plus entière égalité préside à la supputation des actes ; que les récompenses ne mettent pas une distance trop grande entre l'élite et le peuple. « Il faut se garder des distinctions qui élèvent trop les uns et découragent trop les autres. » C'est encore la sensée et peu suspecte Mme de Maintenon qui donne ce conseil. Ailleurs elle met en garde contre les distinctions qui « donnent de la jalousie » : tant la route du bien est difficile à tenir, tant cette chose si simple, si bonne en soi et si attrayante, « récompenser », recèle de difficultés et de périls.

Les formes des récompenses sont multiples. Depuis le simple éloge jusqu'au livret de caisse d'épargne qui constitue rentier, la chaîne est longue, et chaque jour en augmente les anneaux. Avouons tout d'abord notre préférence pour les récompenses qui tirent leur valeur non de l'objet, mais d'une idée morale qui s'y rattache. On tremble que les récompenses pécuniaires n'inspirent un calcul, un mouvement de convoitise propre à dénaturer l'émulation, sentiment qu'il faut maintenir pur, généreux, désintéressé. Ces grosses sommes inscrites au palmarès par des municipalités libérales demandent un correctif. On peut — et c'est le mode adopté dans plusieurs villes — en faire le prix non d'un acte isolé, mais d'une série d'actes, d'une somme d'efforts, d'un bon vouloir soutenu pendant une période notable de l'année, sinon pendant l'année entière. De cette façon, la mobilité même de sa nature préserve l'enfant de la préoccupation du lucre, et l'idée du gain n'altère pas la pureté de sa victoire. Et qui empêche de l'ennoblir encore par le don, que, dans sa pensée, il en fait aux siens? Membre d'une famille pauvre à laquelle depuis si longtemps il coûte sans rapporter, quel sujet de contentement pour lui, s'il pouvait par son travail contribuer à l'allégement des charges communes, au bien-être de tous ! Mais il s'agit ici de sentiments infiniment délicats qui veulent être touchés plutôt que maniés: l'esprit de dévouement ne se suggère pas.

La louange doit rester la première forme de récompense. Nous la voudrions toujours efficace, toujours goûtée et sentie. C'est bon signe lorsque dans une école une parole du maître tient lieu de rémunération, quand on n'attend, quand on ne souhaite rien à la suite. Il y a des mérites d'une nature particulière, — non des moindres, puisqu'ils tiennent aux qualités morales, — que paient amplement une parole affectueuse, un témoignage d'estime simplement mais chaudement exprimé. C'est de cette façon, j'imagine, qu'on récompensait à Saint-Cyr ce que son illustre fondatrice appelle « les délicatesses de l'honneur, de la probité, du secret, de la générosité, de l'humanité ». C'est le privilège de ces rares vertus dont le siège est dans le coeur d'échapper à toute autre sanction qu'à celle que le coeur prononce. Les récompenses positives languissent à côté, et c'est à tort qu'on les leur souhaiterait: elles s'en passent parce qu'elles les dépassent.

Un écolier reçut un jour, par erreur, un contingent d'exemptions double de ce qu'il avait gagné. Il court remettre l'excédent aux mains du proviseur. Celui-ci le félicite, et puis, comme l'écolier semblait attendre quelque chose de plus, il lui demande ce qui le retient: « Je croyais, répondit ingénument l'élève, que vous me feriez cadeau du surplus ». Le proviseur s'en garda bien. L'écolier avoua plus tard que cette scène avait fait impression sur lui, et jeté dans sa conscience une lumière dont le monde moral fut comme éclairé à ses yeux.

Laissez donc à l'éloge sa haute valeur éducative et donnez-lui un rang à part dans l'échelle rémunérative.

Le bon point, comme on dit à l'école, l'exemption, comme on dit au collège, sont la première forme tangible de la récompense. Nous apercevons entre eux cette subtile différence: l'exemption — son nom l'indique — est essentiellement une monnaie de rachat. Elle est née et elle devait naître dans ces agglomérations d'internes où les occasions de faillir sont multiples. Le bon point, né dans un milieu plus débonnaire, n'implique aucune arrière-pensée. Bien qu'il ait aussi la vertu de réparation, il ne prévoit pas les malheurs de si loin.

Les bons points sont abstraits ou concrets. Abstraits, ils figurent sous forme de chiffres dans la comptabilité du maître. Comme des chrysalides dans leur cocon, ils n'en sortent que sous une forme plus parfaite. De ces bons points invisibles et impalpables, l'influence est faible sur les jeunes enfants. Préférons donc pour eux les bons points illustrés, les bons points-images, comme on les appelle. Le bon point-image est la propriété de l'enfant, c'est son pécule. Il y tient comme il tiendra plus tard à ses espèces sonnantes, mais avec des vues plus relevées. Ces images (rien n'empêche de les faire intéressantes et artistiques) lui rappelleront les meilleurs moments de la classe, ses prouesses d'écolier attentif et laborieux. Il les emporte au logis, il les montre aux siens, en témoignage de sa sagesse et de son zèle, et voici que chacun d'eux s'intéresse aux choses de l'école ; — résultat non médiocre obtenu par un simple carré de papier.

Parce que les bons points sont de peu de valeur, certains les prodiguent comme les dragées un jour de baptême. D'autres, le carnet à la main, suivent pas à pas les élèves et notent en bien comme en mal leurs moindres démarches. J'aime peu ces bons points de Damoclès suspendus sans relâche sur des têtes vertueuses. Il faut laisser respirer la sagesse, comme Mme de Maintenon conseillait de laisser respirer l'étourderie ; ne pas tenir les yeux trop grands ouverts sur les menus mérites, comme elle voulait qu'on les fermât sur les menues fautes, sauf à payer en bloc les uns et les autres.

Certaines formes, certains signes de récompense, ont passé de mode, les croix par exemple. Nous les regrettons. On leur reproche un excès d'ambition et leur ruban trop glorieux, trop imitateur. Eh bien, faites comme dans les classes élémentaires de certains lycées, substituez au ruban une chaînette de métal, et voilà l'honorifique joyau rendu à sa modestie inoffensive.

Le banc d'honneur, qui avait du bon, n'a pas survécu aux révolutions survenues dans le mobilier scolaire : paix à sa mémoire. Le tableau d'honneur vit et mérite de vivre. Il a le grand avantage d'être une récompense tout idéale et toute morale. Il faut quelque élévation d'esprit pour la bien sentir. De plus, comme l'inscription au tableau rémunère non une action isolée, un succès éphémère, quelquefois fortuit, mais une somme d'actes et d'efforts, elle est comme la résultante des forces intellectuelles et morales de l'élève ; elle marque le niveau du bien dans la classe. Le cadre en est largement ouvert à tous. Les vertus y trouvent leur place conjointement avec les talents, et les talents n'y peuvent entrer ou n'y devraient entrer qu'escortés des vertus. C'est donc un moyen éducatif par excellence.

Dans les pensionnats, il est bon qu'une copie du tableau d'honneur figure au parloir. Il sert de renseignement et de leçon aux familles. Mais l'original appartient de droit à la classe. Il est à souhaiter que les visiteurs qualifiés de l'école, inspecteurs, délégués, magistrats communaux, y prêtent attention : c'est une dette à payer aux titulaires.

Nous arrivons aux livres de prix. C'est la plus brillante et la plus goûtée des récompenses scolaires. Si l'on a soin de choisir des ouvrages attrayants et instructifs, de les approprier à l'âge, au degré d'instruction, aux caractères des enfants, au genre de succès qu'il s'agit de rémunérer, le livre de prix devient facilement cet « ami de toutes les heures» après lequel nous soupirons tous. On le garde avec amour ; c'est le premier fonds et le plus précieux d'une future bibliothèque.

Quant aux distributions de prix, elles deviendraient indifférentes aux élèves (ce qu'à Dieu ne plaise!) qu'elles ne cesseraient d'être chères aux familles. C'est véritablement la fête des mères, et ce fait seul les rendrait respectables. Les supprimer serait bannir de l'école un des rares moments où maîtres, élèves, familles sentent à l'unisson. De ces émotions intenses et partagées, l'effet n'est jamais perdu. C'est — toute proportion gardée — le secret de cette puissance d'action des fêtes nationales ou religieuses. On dit que nos élèves y deviennent moins sensibles ; j'en doute. Il serait bon toutefois de leur citer l'exemple de Villars, qui, tout couvert des lauriers de Denain, se rappelait encore un prix remporté en rhétorique, et comparait sa joie d'alors à celle de sa première bataille gagnée.

Non, les distributions de prix ne sont pas coupables, le principe en est bon, mais l'abus leur fait tort. De faiblesse en faiblesse, de concession en concession, on en est venu à multiplier les prix au point de les avilir. Grâce à d'ingénieux procédés, on extrait quatre ou cinq prix d'une seule matière, comme un meunier peu fidèle tire d'une seule moulure deux sacs. C'est ce qui fait ces distributions dérisoires au cours desquelles on voit les fronts les moins dignes porter leur contingent de lauriers et promener par les chemins la forêt ambulante de Macbeth.

L'administration française ne passe pas pour haïr une honnête règlementation : quand donc fermera-t-elle les écluses ? quand se décidera-t-elle à trancher dans le vif? quand imposera-t-elle aux écoles primaires ce barême des récompenses que les plus sages réclament et dont l'enseignement secondaire se trouve si bien ?

Un mot encore d'une espèce particulière de récompense, celle qu'on peut appeler collective. Quand toute une classe sans exception s'est distinguée par sa conduite et son travail, certains maîtres la rémunèrent en bloc. Le procédé est bon. Il exerce et développe dans le sens du bien ce sentiment de solidarité que l'enfant n'applique pas toujours d'une manière heureuse. Il ne laisse personne en dehors de son action, il intéresse le plus humble au succès final. La récompense collective consiste d'ordinaire en une lecture attrayante, une récréation supplémentaire, une promenade. Quelle qu'elle soit, gardons-nous de la prodiguer : son haut prix tient à sa rareté.

Nous venons d'étudier les récompenses dans leur constitution actuelle, prenant les faits tels qu'ils se présentent dans la pratique la plus répandue. La question changerait de face s'il s'agissait de discuter le principe même des récompenses.

Aux yeux d'une certaine école de moralistes, — école digne de tous nos respects, — les récompenses sont suspectes, sinon condamnées. On leur reproche d'affaiblir le ressort de la conscience, — de substituer au culte du bien pour le bien le culte de l'intérêt, — d'inspirer de l'orgueil aux uns, du découragement aux autres, — de se tromper trop aisément d'adresse, — de favoriser l'esprit au détriment du coeur, etc.

De ces critiques, quelques-unes ont reçu leur réponse (Voir Emulation) ; pour le surplus, nous invoquerons le témoignage d'un poète et d'un sage. Virgile, dans le neuvième livre de son Enéide, représente deux guerriers troyens, Nisus et Euryale, prêts à se dévouer pour le salut de tous. Enée est absent, Aléthès le remplace comme doyen d'âge (annis gravis et maturus). « Quelle récompense, leur dit-il, vous paiera dignement de tant d'héroïsme ? La première et la plus belle (pulcherrima primùm) vous viendra des dieux et de votre conscience (Di moresque dabunt vestri). Pour le reste, le pieux Enée et le jeune Ascagne auront à coeur de s'en acquitter envers vous (Tùm caetera reddent aclutùm pius AEneas atque integer aevi A scanius). »

Ainsi, en première ligne, — au-dessus de tout, et comme hors de pair, — l'idée morale, le respect religieux de la conscience, le sentiment du devoir ; en seconde ligne, et comme réconfort utile à des héros (à plus forte raison à des enfants), des présents palpables, et pour tout dire, des récompenses, tel est le programme du sage Aléthès. Nous le croyons bon, ni chimérique ni vulgaire, approprié à la faible nature humaine, par conséquent pratique, par conséquent digne d'être proposé aux maîtres de l'enfance.

[HIPPOLYTE DURAND.]

Administration. — Les règlements ne prévoient de récompenses qu'en faveur des enfants qui fréquentent les écoles maternelles. Ces récompenses consistent en bons points, images ou jouets. A la fin de chaque mois, les bons points sont échangés contre des images ou des jouets (Règlement scolaire modèle du 18 janvier 1887, art. 9.)

Cependant l'usage des bons points existe aussi dans les écoles primaires élémentaires.

Quant aux distributions de prix, elles sont interdites dans les écoles maternelles (Règlement scolaire modèle, art. 9), et facultatives dans les écoles primaires élémentaires et primaires supérieures : Voir Prix (Distribution de).