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Réalisme et humanisme

 Le mot réalisme a des acceptions diverses. Dans l'histoire de la pédagogie, on s'en sert pour l'opposer à humanisme ; c'est de ce sens particulier que nous voulons parler ici.

L'enseignement, tel que l'avaient organisé les humanistes du seizième siècle, était un enseignement purement verbal et philologique. On ne lisait les auteurs anciens que pour y apprendre le latin et le grec ; on se figurait que la connaissance des langues anciennes était l'alpha et l'oméga du savoir humain. Bacon le premier réagit contre cet aveuglement ; il voulut substituer la science des choses à celle des mots, il demanda qu'on étudiât la nature au lieu d'étudier les livres. Ce réalisme trouva bientôt des champions plus ou moins hardis, plus ou moins éclairés, dans Ratichius, dans Coménius, dans Reyher, dans Locke. Chose remarquable, c'est le fondateur des institutions piétistes de Halle, Francke, qui devait se faire en Allemagne le défenseur le plus décidé du réalisme en éducation : il fit, dans son collège latin et dans son Paedagogium, une large part à ces connaissances dites « réelles » (Realien), que les humanistes, dans leur gymnases, persistaient à vouloir ignorer : la géographie, l'histoire naturelle/la physique, la chimie, l'astronomie, et même les notions pratiques relatives aux arts et métiers. C'est le piétisme allemand qui fonda les premières Realschulen. Bientôt, il est vrai, des éducateurs se rattachant à une école philosophique bien différente, à celle de l'Encyclopédie, entrèrent à leur tour en lice pour défendre la même cause : ce furent, en Allemagne, les philanthropinistes ; en France, Condorcet et les savants de la Révolution, les fondateurs des écoles centrales. A la fin du dix-huitième siècle, la tendance réaliste semblait victorieuse sur toute la ligne, tant en France qu'en Allemagne ; et Pestalozzi, le grand rénovateur de l'école élémentaire, plaçait l'intuition sensible à la base même de tout enseignement. Mais l'humanisme n'était point vaincu : en Allemagne, il avait réussi à garder, dans les gymnases, sa position prépondérante ; en France, il opéra un retour offensif lorsque les lycées furent substitués aux écoles centrales. Toutefois, le prodigieux développement des sciences à partir des premières années du dix-neuvième siècle devait nécessairement amener une transformation de l'ancienne éducation classique : bon gré, mal gré, il fallut faire aux sciences une part toujours plus large dans les programmes de l'enseignement secondaire ; il fallut même créer, en France, un enseignement secondaire dit spécial, dont le programme fut à peu près celui des Realschulen allemandes.

La lutte entre le « réalisme » et « l'humanisme », entre les sciences et les lettres, n'est point terminée : elle se continue sous nos yeux. Quelle part convient-il de faire aux sciences dans l'éducation de la jeunesse, et quelle part aux lettres? Les esprits les plus éminents sont divisés sur ce point. Nous n'essaierons point de traiter ici en quelques lignes une question aussi considérable. Il fut un temps où les lettres régnaient en souveraines exclusives dans les programmes d'enseignement ; il serait désastreux qu'un jour vînt où les sciences essaieraient à leur tour de proscrire les lettres. L'esprit humain n'arrive à son entier développement que sous la double influence de la méthode scientifique et de la culture littéraire.