bannière

r

Radonvilliers

Claude-François Lysarde, abbé de Radonvilliers, né à Paris en 1709, appartint d'abord à l'ordre des Jésuites, qu'il quitta pour s'attacher à l'archevêque de Bourges. Il fut nommé ensuite sous-précepteur des enfants de France, devint membre de l'Académie française, et reçut dans ses dernières années le titre de conseiller d'Etat. C'est surtout comme grammairien que l'abbé de Radonvilliers a joui de son temps d'une certaine célébrité. Son traité De la manière d'apprendre les langues, publié en 1768, sans nom d'auteur (Paris, 1 vol. in-12), offre des idées assez remarquables et qui se rapprochent de celles de Dumarsais. L'auteur combat la méthode habituelle, qui consiste à étudier une langue au moyen d'une grammaire et d'un dictionnaire. « Qu'est-ce, dit-il, que le langage parmi les hommes? Un art pratique. Or, ces sortes d'arts s'apprennent par l'exercice, et non par le raisonnement. Placez une plume entre les doigts d'un enfant, conduisez sa main : après quelque temps il saura écrire, quoiqu'il ignore la théorie de l'écriture. Exercez les oreilles et la langue d'un enfant: bientôt il comprendra ce que vous lui dites, et il saura vous répondre sans connaître les règles du langage. A proprement parler, les arts pratiques n'ont point de règles. Ce qu'on appelle de ce nom n'est que le recueil des observations faites sur la manière dont on a d'abord exercé ces arts par le seul instinct de la nature. De là vient que l'habileté ne consiste pas à savoir des règles prétendues, mais à les observer sans réflexion, soit qu'on les sache, soit qu'on les ignore. » Il propose donc d'enseigner le latin et le grec en faisant lire à l'élève un auteur au moyen de traductions interlinéaires, donnant d'abord le mot à mot selon la syntaxe latine ou grecque, puis une version conforme à la syntaxe française. Cette méthode « épargne aux enfants les dégoûts, les tourments, les larmes que leur coûte le rudiment ; un autre avantage considérable, c'est que dans le cours de huit à neuf ans qu'on donne à leur éducation, ils auront le temps de lire plusieurs fois les meilleurs écrivains de l'antiquité ; au lieu qu'en les obligeant à comparer toujours le latin avec la grammaire, à chercher dans les dictionnaires, à composer eux-mêmes en latin lorsqu'ils ne l'entendent pas, à peine a-t-on le temps de leur faire lire en entier les auteurs les plus courts, et quelques morceaux choisis des autres ». Un autre avantage, c'est que « par cette méthode on pourra à tout âge apprendre une nouvelle langue. Il est peu d'hommes raisonnables qui osassent entreprendre d'étudier Clénart, ou la Méthode grecque de Port-Royal ou le Jardin des racines ; mais il n'en est point qui ne puisse lire Xénophon. Or, la lecture de Xénophon suffit pour apprendre le grec, du moins jusqu'à un certain point. Il ne s'agit que de se procurer une version très littérale des vingt premières pages, dans laquelle on voie exactement le sens de chacun des mots, et de comparer cette version au texte grec, de façon qu'on parvienne sur le grec seul à expliquer exactement ces vingt premières pages, en donnant à chacun des mots sa vraie signification. Il n'en faut pas davantage pour entendre le reste de l'auteur. » Pour l'étude d'une langue moderne, le travail serait moins pénible encore, ces langues étant presque toutes moins éloignées du français que le grec ou le latin. « Il est aisé à un homme qui a quelque littérature de rapprocher du français l'italien et l'espagnol. Quelques pages d'une version mot à mot suffiront ; il en faudra un peu davantage pour l'anglais et beaucoup davantage pour l'allemand. De là, on passe à la lecture d'un ouvrage que l'on compare avec la traduction. Tantôt on lira d'abord la traduction et l'on travaillera ensuite à retrouver la même pensée dans le texte, tantôt on commencera par le texte et l'on travaillera à l'expliquer à l'aide de la traduction. Sans autre travail, on se trouve bientôt en état d'entendre les langues modernes. » On trouvera à l'article Lecture, p. 1001, un autre passage de ce même ouvrage, relatif à l'enseignement de la lecture : l'abbé de Radonvilliers s'y prononce en faveur de la méthode dite des mots entiers, qui supprime la syllabation.

Les OEuvres diverses de l'abbé de Radonvilliers ont été publiées en 1807 par Noël en trois volumes. Outre le traité De la manière d'apprendre les langues, on y trouve, entre autres choses, divers opuscules composés pour l'éducation des Enfants de France, quelques poésies et des traductions.

James Guillaume