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Punitions

 L Les punitions corporelles. — Le soufflet paternel est le commencement de la pédagogie. Ce procédé primitif reçut de bonne heure un perfectionnement par l'emploi de la verge, qui demeura pendant des siècles l'attribut de l'éducation, comme le sceptre (variété de la verge) est l'attribut du pouvoir monarchique, le faisceau de verges celui de la souveraineté collective. L'idée d'améliorer apparaît généralement associée à l'idée de châtier (castum agere), et, soit dans la vie civile, surtout sous le régime du gouvernement paternel, soit dans la famille, où le père jouit d'un pouvoir plus ou moins despotique, le mode le plus usuel de châtiment a toujours été l’application d'un certain nombre de coups de verge ou de soufflets. Cette corrélation entre la pénalité criminelle et la discipline pédagogique s'observe dans toute la suite de l'histoire, la seconde copiant longtemps la première, celle-ci tendant de nos jours à reproduire les réformes accomplies dans la seconde. La concomitance de ces deux faits, abstraction faite de leur réciproque influence, s'explique par l'étroite connexion dans laquelle ils sont l'un et l'autre avec cet ensemble de coutumes, moeurs, croyances, aspirations idéales, doctrines théologiques, philosophiques, connaissances scientifiques, conditions économiques, auquel la forme politique donne l'unité et qui constitue la civilisation d'un peuple. Ce côté général de la question une fois indiqué, nous nous hâtons de rentrer dans les limites plus modestes de notre sujet.

Devenue une prérogative du maître d'école, la correction corporelle a pris en outre le caractère d'un procédé didactique : dans l'antiquité, au moyen âge et jusque dans la période moderne, les fautes de grammaire ont valu peut-être plus de coups aux écoliers que leurs solécismes de conduite. A partir du dix-septième siècle, la correction corporelle est soigneusement réglementée soit par les statuts des corporations enseignantes, soit (surtout en Allemagne) par l'intervention de l'autorité civile. Vers la fin du dix-huitième siècle elle tend à disparaître des établissements d'instruction secondaire, qui se recrutent dans les rangs de la noblesse et de la bourgeoisie, et en général elle perd de sa valeur dans l'opinion comme moyen didactique. Au point de vue moral même, elle n'est plus considérée comme une expiation, la réparation matérielle par la douleur physique de l'ordre moral troublé par une faute passée, mais comme un moyen de correction, d'amélioration pour l'avenir. De nos jours, en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis, partout où elle est appliquée non par abus, mais par système, on lui attribue surtout ou exclusivement une efficacité éducative. La Révolution, en France, dans ce domaine comme dans tant d'autres, ouvre une période nouvelle et bannit les châtiments physiques, sinon de l'usage, du moins des règlements scolaires.

Laissant de côté les excès individuels et les abus locaux, nous nous attacherons, dans l'historique des punitions corporelles, à relever les prescriptions réglementaires ou les coutumes ayant eu force de loi ; puis nous résumerons, à titre de document, les principaux arguments invoqués de nos jours par les apologistes de la verge.

I. HISTORIQUE. — Antiquité. — « Il est certain, dit A. Pain en parlant des punitions corporelles, que c'est le châtiment favori de toutes les époques et de toutes les races de l'humanité. » Point n'est besoin de rechercher bien loin les causes de l'universalité de ce procédé empirique : le père ou le maître réunissant, vis-à-vis de l'enfant ignorant et faible, la sagesse et la force, est porté naturellement à mettre l'une au service de l'autre, dans la répression des fautes, et la facilité de l'exécution fait qu'il justifie au besoin la seconde par la première. Aussi longtemps que l'éducation a consisté tout entière dans la correction extérieure, les sages ont recommandé au peuple l'emploi vigoureux de la verge. « Pourquoi, demandait un disciple à Mencius, un homme supérieur n'instruit-il pas lui-même ses enfants? » Le sage chinois répondit : « Parce qu'il ne peut employer la force (sans blesser les sentiments de tendresse d'un fils pour son père). Les anciens confiaient leurs fils à d'autres pour les instruire et faire leur éducation. Entre le père et le fils il ne convient pas d'user de corrections pour faire le bien, etc. » Cette tâche ingrate est confiée au pédagogue. (Meng-Tseu, 1. II, chap. I, 18). Les lois de Manou renferment des prescriptions qui rappellent à la fois la pédagogie de l'Allemagne dans ce qu'elle a de meilleur, et sa pénalité scolaire qui semble copiée sur celle des Hindous : « Toute instruction, disent-elles, qui a le bien pour objet doit être communiquée sans maltraiter les disciples, et le maître qui désire être juste doit employer des paroles douces et agréables. » (L. II, 139.) Mais plus loin : « Que le Dwidja (l'homme pur) ne lève jamais son bâton sur un autre par colère et n'en frappe personne, à l'exception de son fils ou de son élève ; il peut les châtier pour leur instruction. » (L. IV, 164.) C'est même le devoir de tout homme digne du titre de Brahmane (L. XI, 35). Enfin : « Une femme, un fils, un domestique, un élève, un frère du même lit, mais plus jeune, peuvent être châtiés, lorsqu'ils commettent quelque faute, — avec une corde ou une tige de bambou, — mais toujours sur la partie postérieure du corps, et jamais sur les parties nobles ; celui qui frappe d'une autre manière est passible de la même peine qu'un voleur. » (L. VIII, 299 et 300. Comparez plus loin les punitions corporelles en Allemagne.)

Nous avons un intérêt plus direct à relever les prescriptions énoncées à ce sujet dans les livres sacrés de la synagogue juive devenus partie intégrante de la bible chrétienne. L'Ancien Testament est certainement de tous les livres sacrés de l'Orient celui où il est fait le plus mention des châtiments, et le mot verge lui-même y est répété, au propre ou au figuré, près de cinquante fois. Les passages tels que Proverbes XXIII, 24 : « Qui bene amat, bene castigat», ou Prov, XXIII, 14: « Frappé de la verge, ton fils n'en mourra pas », sont restés classiques, dans toute la force du terme, et ont été pendant des siècles les maximes fondamentales de la pédagogie. Remarquons en passant que, pour ce qui concerne les Juifs, ces proverbes, oracles du sens commun, recueillis et publiés après le retour de la captivité, dans des temps de troubles et de désordres, attestent simplement l'immense importance que les docteurs, conducteurs du peuple, attachaient à l'éducation comme moyen de reconstituer et de conserver la nationalité juive.

Peu de pays ont été aussi féconds en pédagogie que la Grèce, mais il ne paraît pas que les législateurs aient eu les vues d'ensemble qu'on admire dans Platon ou Aristote. Le gymnase était le seul établissement d'instruction publique que subventionnait la cité ; l'enseignement de la musique, de la grammaire, des belles-lettres était donné par des maîtres privés, le plus souvent de pauvres hères faméliques, dans les familles par des esclaves. Les pédagogues qui s'inspiraient de la philosophie platonicienne ne devaient point avoir en horreur les corrections physiques ; elles étaient aussi formellement approuvées par un des chefs du stoïcisme, Chrysippe. Une peinture murale retrouvée à Pompéi et dont Gaston Boissier a donné la description (Revue des Deux Mondes, 15 mars 1884) nous représente une scène de la vie scolaire qui s'est renouvelée bien souvent non seulement dans l'empire romain, mais aussi dans les divers pays de la chrétienté : « A l'autre extrémité du tableau on fouette un écolier récalcitrant. Le malheureux est dépouillé de tous ses vêtements, il ne porte plus qu'une mince ceinture au milieu du corps. Un de ses camarades l'a hissé sur son des et le tient par les deux mains ; un autre lui a pris les pieds, tandis qu'un troisième personnage lève les verges pour frapper. » Ajoutons, pour être juste, que l'élève rendait parfois au quadruple les coups que lui avait donnés son pédagogue, généralement un esclave : « Aujourd'hui, avant qu'un marmot ait sept ans, dit Plaute (les Bacchis), si on a le malheur de le toucher du doigt, il casse la tête de son maître avec sa tablette. Va-t-on se plaindre au père : « Ah ! ça, misérable vieux, » dit-il à l'esclave, « ne « t'avise pas de frapper mon fils parce qu'il a montré « du coeur ! » — Et le précepteur s'en va, la tête enveloppée d'un linge, huilée comme une lanterne. Est-ce de la sorte que le maître peut avoir de l'autorité sur son élève, s'il est battu tout le premier? » On le voit, pour Plaute c'est une simple question de préséance.

Deux hémistiches d'Horace ont été pour la gloire d'Orbilius un monument plus durable que la statue que les compatriotes de ce grammairien, ancien soldat, lui avaient élevée à Bénévent (Suétone, De illust. gramm., 9), et nous montrent que les jeunes Romains de douze à quinze ans n'étaient pas mieux traités par le grammaticus que les élèves du ludimagister :

……Memini quae [carmina] plagosum mihi parvo Orbilium dictare……

(Epîtres, lib. II, I, v. 70 et 71.)

L'usage était général, et Quintilien, qui le constate, est le seul qui fasse entendre une réclamation, — timide, mais dont il faut néanmoins lui savoir gré, car son opinion sera fréquemment invoquée comme une autorité par les humanistes du seizième siècle, et plus tard encore par tous les adversaires des tortures scolaires.

Les chrétiens, qui devaient faire du fouet un instrument de piété, se conformèrent sur ce point à l'usage universel que consacrait le fameux passage des Proverbes. Dieu est souvent représenté comme un père qui châtie de verges ses enfants (Ep. aux Hébr., XII, 2) ; saint Paul, écrivant à ses fidèles de Corinthe comme à des enfants rebelles, leur dit : « Aimez-vous mieux que j'aille avec la verge? « (I Cor., IV, 21.) « Menace ton fils de coups, s'il n'observe ce commandement, » s'écrie saint Chrysostome (Homil. adv. Ant. et passim). Saint Augustin tient le même langage : « Et flagellis eum ad disciplinant corrigis » (Enarrat. in psalm.), bien qu'il eût fait comme écolier la rude expérience des conections manuelles et qu'il eût souvent prié Dieu, tout petit, parvus non parvo affectu, de lui épargner les soufflets à l'école (Conf., I, 74).

Moyen âge. — Rudes étaient les moeurs des populations qui sur les ruines du monde antique se formaient lentement à la vie civilisée, dans les Gaules, la Germanie, en Espagne et en Italie Aussi l'éducation était-elle dure et cruelle comme la législation. Il y avait un intérêt social impérieux à soumettre aux nouvelles conditions d'existence les natures les plus rebelles, et cette tâche incombait à la fois au bourreau et au maître d'école. Ceux qui ont dit, de nos jours : « Ouvrir une école, c'est fermer une prison », n'ont fait que donner une formule précise et un peu absolue à une vérité dont le moyen âge avait eu un vague sentiment. La verge, instrument de supplice, était aussi un instrument de salut ; dans certains endroits les enfants étaient tenus de la baiser avec révérence, et jusqu'au milieu du dix-septième siècle l'usage s'était conservé dans un village de la Hesse de faire prononcer aux élèves cette invocation à la verge, qui ne laisse pas d'être touchante dans sa naïveté : « O du liebe Ruth' — Mach' du mich gut, — Mach' du mich fromm, — Dass ich nicht zum Henker komm' ! (O toi, verge chérie, rends-moi bon, rends-moi sage, pour que le bourreau ne me prenne pas.) »

Le dogme théologique de la corruption de la chair et la conception de la douleur comme d'une expiation réparatrice contribuèrent aussi à rendre la discipline impitoyable. Pour les moines, qui furent les premiers maîtres de notre civilisation occidentale, toute manifestation un peu vive de ces mille instincts encore mal définis que la chaleur de la vie fait poindre et germer chez le jeune enfant, était le signe du terrible mat héréditaire dont il fallait extirper la racine par le fer et par le feu, de peur que l'enfant ne fût perdu pour l'éternité. C'est, en effet, dans les écoles des monastères, où un certain nombre d'enfants étaient entretenus et instruits, que la mortification de la chair, comme moyen pédagogique, fut non seulement en usage, mais l'objet de prescriptions formelles. Les Règles de saint Benoît (543), de saint Pachome, de saint Isidore, de saint Fructueux, évêque de Braga (656), etc., renferment toutes la recommandation d'employer les coups, en particulier la verge, le fouet, — saint Benoît ajoute : les jeûnes prolongés, — à l'égard des enfants indociles. Pour certaines raisons faciles à deviner, la correction manuelle fut interdite dans la plupart des monastères, et le bâton, la verge flexible, le fouet, le martinet de brins d'osier, de bouleau, de coudrier, devinrent l'intermédiaire réglementaire entre la main du maître et la peau des élèves. Les Coutumes de Cluny (recueillies au onzième siècle) nous montrent que ceux-ci étaient littéralement menés à la baguette. Le maître qui surveille le lever et le coucher doit tenir la chandelle de la main gauche et la verge de la main droite ; et, pour la moindre lenteur, continuo est virga super eos, « sitôt la verge s'abat sur eux ».

La verge n'était pas seulement un instrument de discipline, c'était aussi la méthode didactique par excellence L'enseignement monastique comprenait alors deux parties principales, la grammaire et la musique : l'une et l'autre firent verser bien des larmes. « Les lettres que la plupart des enfants n'apprennent qu'à force de coups. », cette phrase reparaît fréquemment dans les écrivains du temps ; et ce n'est pas sans une douce émotion que dans une lettre à son ancien élève un maître de mérite (Gozechinus) lui rappelle le temps où, lorsqu'il formait mal ses lettres, « il lui frappait ferme sur le des » (super dorsum tuum cuderim). C'était un ami de l'enfance, l'évêque Ratherius (974) qui, ayant composé une grammaire latine plus simple que celles de Priscien et de Donat, l'intitula (gentilicio loquendi more) : « Spara dorsum », parados, dans la pensée qu'elle pourrait épargner quelques coups au des de l'élève studieux (Folcuin).

A la fin du neuvième siècle, on montrait encore à Rome le fouet dont le pape Grégoire le Grand se servait, de sa propre main, lorsqu'il instruisait les enfants de choeur. « Que de coups, que de tortures, pour former un musicien! » s'écrie saint Columban (615). A Cluny, il était interdit au maître de chapelle de frapper sur la bouche des jeunes chanteurs: il pouvait seulement leur tirer les cheveux. C'est que ses soufflets n'avaient pas sans doute la même vertu que ceux de sainte Adélaïde (1004), qui donnaient pour la vie une voix claire et juste aux soeurs les moins bien douées.

C'est le des (en dehors du visage) qui est la partie du corps la plus frappée. La fessée proprement dite semble avoir été inconnue dans les écoles monastiques ; et primitivement le patient gardait sa chemise, in solâ camisiâ, rapportent les Coutumes de Cluny. A partir du onzième siècle, il n'en fut plus de même, et dans les ouvrages du quatorzième et du quinzième siècle les écoliers sont représentés complètement nus devant le maître qui les châtie. Les élèves étaient frappés journellement (Luther le fut quinze fois dans la même matinée), et ils n'étaient hors verge que vers le seizième année.

Les résultats de cette méthode contondante en éducation étaient tels qu'on peut se le représenter. « Ces enfants (les écoliers du cloître) deviennent toujours pires, » disait un jour en soupirant un certain abbé à saint Anselme (1109), « et cependant nous ne cessons de les frapper nuit et jour. — Et que deviennent-ils une fois grands? » demanda le saint. — «Idiots et brutes (hebeteset bestiales), » répondit naïvement l'abbé.

Au reste les élèves étaient exposés à des traitements encore pires dans les écoles des villes et des villages, dirigées par de pauvres hères besogneux qui devaient tenir tête pendant des heures à soixante et quatre-vingts enfants renfermés dans un local trop petit, bas et mal aéré. De bonne heure l'autorité civile dut s'occuper de mettre un frein à la fureur des verges. L'usage licite des punitions corporelles nous laisse deviner ce qu'était l'abus. Ainsi, en Souabe, le maître n'était poursuivi que lorsqu'il y avait effusion de sang, en dehors, bien entendu, des saignements de nez. Le. règlement scolaire de Worms (1260) autorisait un élève à quitter son maître sans payer le semestre dû, seulement dans les cas de lésions graves ou de fracture d'un membre (laesiones difformes quales sunt vulnera vel ossium confracturae). Vincent de Beauvais, dans son traité de l'éducation des princes, donne l'énumération suivante: Instrumenti coertionis sunt : increpationes, communicationes, virgae, ferulae et hujusmodi. Parmi les traitements de « la même sorte », il faut compter les coups de pieds, de poings, la « vellication » des cheveux et des oreilles : « Ainsi voyons-nous de présent les précepteurs et pédagogues esbransler les testes de leurs disciples, comme on faict ung pot par les anses, par vellication et érection des aureilles (qui est, selon la doctrine des saiges Egyptiens, membre consacré à Mémoire), afin de remettre leurs sens, lors par adventure esgarez en pensemens estranges, et comme effarouchez par affections abhorrentes, en bonne et philosophicque discipline » (RABELAIS, Pantagruel, liv. III, chap. XLV). C'est un novateur qui raille ainsi au seizième siècle. Le collège Montaigu, resté célèbre pour la barbarie de sa discipline, avait dû à ces rigueurs mêmes, que Rabelais et Erasme dénoncent avec indignation, la réputation d'un établissement modèle.

Temps modernes. — La Renaissance et la Réforme ont eu peu d'influence sur le régime de l'école. On constate seulement que les protestations isolées d'un Ratherius au dixième siècle, d'un Anselme au douzième, d'un Gerson, d'un Veggio au quinzième, d'un certain nombre d'hommes éclairés de ces temps barbares, devinrent plus générales au seizième siècle, lorsque l'humanisme se fut répandu en France et en Allemagne. On connaît les textes classiques de Rabelais (Gargantua, liv. Ier, chap. XXXVII ; liv. IV, chap. XXVII), de Montaigne (Essais, liv. Ier, chap. xxv ; liv. II, chap. viii), et d'Erasme (Declamatio de pueris ad virtutem ac litteras liberaliter instituendis : De conscribendis epistolis, chap. XI ; De emendando). Ces véhémentes protestations trouvèrent sans doute de l'écho auprès de beaucoup d' « honnestes gens » portés, comme le père de Montaigne, à préférer une « douceur sévère » à ces « traitements barbarifiques » ; mais d'éloquentes invectives ne suppriment pas un abus qui a pour lui la force acquise de la routine et l'autorité de l'Eglise ou des Saintes-Ecritures. Dans les établissements calvinistes, qui devancèrent l'université dans la voie des réformes et adoptèrent dès le début le plan d'études de l'humaniste Jean Sturm, les corrections corporelles furent maintenues, et en plein dix-septième siècle (1662) on administrait le fouet, au milieu de l'auditoire, non seulement aux écoliers des collèges, mais aussi aux étudiants en philosophie des académies protestantes de Saumur, Die, Montauban, etc., ainsi qu'à Genève et à Berne (Cf. D. BOUR-CHENIN, Etudes sur les académies protestantes au seizième et au dix-septième siècle). En Allemagne, après comme avant la Réforme, la verge est l'insigne magistral par excellence ; on la remet solennellement au maître en signe d'investiture. Il y a, dans certaines localités, des Fêtes de la verge, avec processions dans les rues. Au dix-huitième siècle, un maître de Souabe, Häuberle, pouvait se faire gloire, après cinquante et un ans et sept mois d'exercice, d'avoir administré 2227302 corrections corporelles des plus variées, dont on trouvera le détail dans Raumer (Geschichte der Pädagogik, t. II, p. 241). Ce héros de la pédoplégie (magister plagosus) n'a peut-être pas été dépassé, mais il eut certainement des émules. Nous trouvons à ce sujet d'amples renseignements dans les règlements scolaires du seizième et du dix-septième siècle. Le maître ayant été de tout temps en Allemagne investi du droit de punir même pour délits de droit commun commis par l'élève en dehors de l'école, et les petites écoles s'étant multipliées sous l'influence de la Réforme, les autorités civiles et ecclésiastiques furent amenées à légiférer sur la matière, et en particulier à fixer la pénalité scolaire ainsi que le matériel qui pouvait être licitement employé dans l'application des peines.

Nous relevons dans ces documents officiels les principales punitions corporelles autorisées : 1° manger par terre, et privation du manger et du boire ; 2° la vielle (Fiedel) ; 3° le cachot ; 4° universellement : le bâton, la férule, les verges. Nous ne parlerons pas du Règlement de l'orphelinat de Francfort-sur-le-Mein (1679-1829) qui prescrivait la cravache, les fers avec le pain et l'eau, le banc de flagellation, la cage aux ours limitée des cages du cardinal La Balue), etc. D'ailleurs dans la même ville les élèves du gymnase étaient, au temps de la jeunesse de Goethe, soumis à un régime plus digne d'un pénitencier que d'une maison d'éducation : férule, bâton, travaux forcés à l'hospice, et, dans le cas d'expulsion du gymnase, exclusion plus tard des emplois publics. En Hesse, on expose l'élève au pilori (1618). Les autorités semblent en proie à une véritable exaspération ; et tous ces règlements scolaires sont autant de pièces au dossier de l'empirisme.

En France, pendant la même période, les maîtres d'école continuèrent, comme par le passé, à tirer les oreilles, les cheveux, à fouetter, fustiger avec le bouleau ou le nerf de boeuf. Cependant le progrès des moeurs ne pouvait manquer d'introduire quelques adoucissements, surtout dans les établissements d'enseignement secondaire. Port-Royal, qui choisissait ses élèves avec un soin extrême, put supprimer complètement les punitions corporelles. Dans les collèges de l'Oratoire, elles étaient rares ; presque inconnues à Saint-Cyr. Ailleurs, elles continuèrent à être employées, mais avec une douceur relative. La Ratio studiorum des jésuites prescrivait aux maîtres de ne recourir à la punition que dans les cas extrêmes : c'est par l'espoir des récompenses et par la crainte du déshonneur plutôt que par les coups qu'ils doivent diriger leurs élèves. De plus, la peine était réglementée (ce qui est toujours une certaine garantie), et devait être administrée par un correcteur spécial, attaché à l'établissement. Telles étaient les prescriptions réglementaires ; mais il est notoire que là où les punitions corporelles sont autorisées, pour un coup permis il y en a dix de reçus. A mesure que la Compagnie de Jésus devint plus puissante, son personnel enseignant, recruté avec moins de soin, usa d'autant plus des coups qu'il était moins capable d'enseigner avec méthode. Ces Orbilius, comme on a appelé les maîtres fouetteurs en souvenir du maître d'Horace (d'où le nom d'orbilianisme donné à ce procédé d'enseignement par les coups), se plaisaient, dans certaines régions, à administrer eux-mêmes le fouet à leurs élèves petits et grands. Ailleurs, c'était un ouvrier, un porteur d'eau, un cordonnier du voisinage, ou bien le portier, le cuisinier de l'établissement, qui était chargé de cette fonction. Au collège de Clermont (Louis-le-Grand), le correcteur recevait 12 sols pour chaque exécution faite en classe. Le privilège du huis-clos se payait jusqu'à 3 livres. Une longue expérience avait fait préférer à Berger, correcteur de ce collège, le bouleau flexible au martinet. Mais c'est cet instrument, composé d'un manche et de sept ou huit cordelettes à noeuds, qui est représente dans le frontispice d'un pamphlet du dix-huitième siècle, que M. Compayré a analysé dans sa brochure intitulée L'Orbilianisme. Dans le collège de Rodez, où se passe la scène, le fouet était administré par un écolier choisi parmi les plus vigoureux, et qui payait sa pension sur le des ou mieux sur le bas du des de ses camarades. Cet usage, imité des anciens, se retrouve également dans quelques collèges allemands de l'époque. Le nombre des coups variait de 60 à 80 ; il s'élevait parfois à 300. En moyenne, la peine était appliquée huit ou dix fois par jour. Le collège Montaigu devait conserver jusqu'à la fin sa sinistre réputation ; en 1760, un élève de dix-huit ou dix-neuf ans tua en se débattant un porteur d'eau que le principal avait fait appeler pour servir d'assesseur au correcteur en litre (Plaidoyr pour J.-J. Pilleron, écolier au collège de Montaigu, par Me Loyseau de Mauléon, avocat).

Des adoucissements au régime de la verge analogues à ceux dont les jésuites avaient d'abord donné l'exemple furent introduits dans les écoles chrétiennes fondées par l'abbé de La Salle à la fin du dix-septième siècle. « Pour l'amour de Dieu, lit-on dans la Conduite des écoles, n'usez pas de coups de main. » C'est un conseil, non un précepte. Les statuts des Frères des écoles chrétiennes, visés en 1810 par le grand-maître de l'Université, renferment huit articles rangés sous le titre : « De la manière dont les frères doivent se comporter dans les corrections », qui présentent avec les prescriptions similaires des règlements allemands des analogies frappantes. Les frères devront éviter de punir « lorsqu'ils se sentiront émus » ; avoir un très grand soin « de ne point toucher ni frapper aucun écolier de la main, du poing, du pied ou de la baguette. », de ne les frapper point « sur le visage, sur la tête ni sur le dos. Ils se donneront bien de garde de leur tirer les oreilles, le nez ou les cheveux, de leur jeter la férule ou quelque autre chose pour la leur faire apporter. Ils ne corrigeront pas les écoliers pendant le catéchisme, ni pendant les prières, à moins qu'ils ne puissent absolument différer la correction. » Toutes ces interdictions si précises supposent autant de pratiques alors en usage. La seule punition autorisée est la férule ; mais il parait que depuis 1810, les chapitres généraux et les supérieurs ont ultérieurement interdit toute punition afflictive, et notamment l'usage de la férule. Nous ignorons du reste la date précise de cette prohibition, et certains faits trop nombreux sembleraient indiquer que beaucoup de frères n'en ont jamais eu connaissance.

En résumé, à la fin du dix-septième siècle, les punitions corporelles, bien que leur emploi soit encore général, et accuse même dans quelques endroits une certaine recrudescence, ne sont plus considérées, par les pédagogues du moins, que comme un moyen de correction auquel on ne doit recourir qu'à la dernière extrémité, et dans la pratique leur application est restreinte par les règlements. Ces atténuations du mal ne pouvaient avoir d'autre effet que de le conserver en le rendant tolérable. Seule, l'affirmation d'un principe nouveau amènera une réforme radicale dans l'école. Rollin, nourri de Quintilien et de Port-Royal, proteste contre un système « qui avilit et ne corrige pas » ; mais en présence d'un usage aussi général, consacré par l'autorité de l'Ecriture sainte, il se borne à comparer le fouet aux poisons dont la médecine ne se sert qu'à la dernière extrémité. C'est, d'après Locke, un topique excellent contre l'obstination et le mensonge, opinion très contestable, mais à laquelle il est inutile de nous arrêter, le philosophe anglais n'ayant en vue que l'éducation domestique. Le piétiste Francke, de Halle, qui comme théologien s'élevait contre la doctrine scolastique d'une satisfaction légale acquise par une souffrance matérielle, était conduit à insister en pédagogie sur l'élément psychologique et moral, d'accord en cela avec le rationalisme (Aufklärung) qui assignait pour but à l'éducation de développer l'homme idéal dans l'enfant, de dégager le type humain de l'animalité. Toute punition, selon lui, doit être un moyen d'amélioration, et cependant, bien qu'il se rende compte qu'on ne mène pas les enfants à la vertu à coups de bâton, il n'ose pas bannir absolument les punitions corporelles de ses établissements. Le mérite de J.-J. Rousseau est d'avoir nettement rompu avec la tradition en posant le dogme nouveau (d'ailleurs très contestable sous cette forme absolue) de la bonté native de l'homme. La confiance inébranlable d'un Pestalozzi dans la bonté de la nature humaine, la sollicitude ingénieuse d'un Froebel pour la jeune enfance, la didactique nouvelle d'un Basedow, font entrer dans la pratique le meilleur des théories de l'auteur de l'Emile et réalisent enfin les voeux trop longtemps superflus des premiers humanistes, ceux de Fénelon, de l'abbé Fleury, de l'abbé de Saint-Pierre, de Rollin lui-même. C'est de cet esprit nouveau que s'inspire le premier Règlement rédigé pour les exercices intérieurs des collèges, le règlement de Louis-le-Grand (1769), dont les 240 articles ne renferment aucune mention des peines corporelles (Cf. GREARD, L'esprit de discipline dans l'éducation). Les maîtres, y lit-on, « n'useront de sévérité qu'après avoir épuisé tous les moyens qui peuvent faire impression sur une âme honnête et sensible ». C'est déjà le langage de la Révolution. Depuis la Révolution. — On chercherait en vain une prescription relative à la discipline scolaire dans les actes des Assemblées révolutionnaires : un projet détruisant l'autre rendait superflue toute réglementation de détail. Mais tous ces projets présentent ce caractère commun qu'ils donnent pour objets à l'école de faire « des hommes plus heureux et des citoyens plus utiles » (rapport de Talleyrand-Périgord, 1791) ; c'est, avec le langage emphatique dont Rousseau avait donné le modèle, une seconde renaissance de l'antiquité païenne, non plus idéale comme au seizième siècle, mais en acte, — en actes législatifs tout au moins. Le règlement pour la police interne des écoles primaires, adopté par le Comité d'instruction publique le 24 germinal an III, dit à l'art. 5 : « Toute punition corporelle est bannie des écoles primaires ». L'enfant est désormais considéré à un double point de vue, comme une personne et comme un organe. Non seulement ses droits naturels le rendent respectable et sacré, mais aussi la société dont il est membre est intéressée à ce qu'il « développe le plus heureusement possible ses facultés physiques et morales » (Arrêté du Directoire concernant la surveillance des écoles particulières, etc., du 17 pluviôse an VI, art. 3 ; cf. le Projet de décret de Michel Lepeletier, art. 4).

Sous le premier Empire, le grand-maître de l'Université, Fontanes, en visant les statuts des Frères des écoles chrétiennes dont il a été parlé plus haut (4 août 1810), autorisait indirectement l'emploi de la férule dans les écoles élémentaires, et entr'ouvrait par suite la porte à tous les abus de la pédoplégie. Par contre les punitions corporelles étaient définitivement bannies des écoles secondaires. Le statut du 19 septembre 1809, reprenant avec plus de précision les prescriptions du règlement de Louis-le-Grand de 1769, n'autorise que les punitions suivantes : 1° les arrêts (isolement du coupable dans la cour de récréation) ; 2° la table de pénitence ; 3° une tâche extraordinaire pendant la récréation ; 4° la privation de l'uniforme, remplacé par un habit d'étoffe grossière et d'une forme particulière ; 5° la prison (articles 92, 93, 94). Quant aux coups, le maître qui s'en rendrait coupable serait justiciable des tribunaux universitaires ; le Code civil (liv. III, tit. IV, articles 1382-1384) ajoute qu'il peut être responsable civilement. Les punitions telles que la table de pénitence, la privation de l'uniforme et la prison, ont disparu de bonne heure ; et le règlement du 7 avril 1854 a finalement écarté toutes les formes de souffrance matérielle et réduit les peines à des privations de satisfaction graduées (Cf. GREARD, L'esprit de discipline dans l'éducation).

Dès que l'enseignement élémentaire eut été organisé en France (loi du 28 juin 1833), les mêmes réformes furent introduites, ou du moins formellement prescrites, dans la discipline des écoles primaires. Le Statut sur les écoles primaires élémentaires communales (25 avril 1834) dit, titre II, art. 29 : « Les élèves ne pourront jamais être frappés ». Parmi les punitions autorisées, la seule qui ait le caractère d'une peine afflictive, « la mise à genoux pendant une partie de la classe ou de la récréation », ne reparaît pas dans le Règlement relatif à l'admission des enfants dans les écoles privées (1er mars 1842). Citons enfin cette prescription excellente de l'Arrêté relatif à la tenue des salles d'asile, du 24 avril 1838. « Les enfants ne doivent jamais être frappés. La dame inspectrice veille avec le plus grand soin à ce qu'il ne soit jamais infligé de punitions trop longues ou trop rudes. » A la suite de la promulgation de la loi du 28 mars 1882 établissant l'obligation et la laïcité de l'enseignement primaire, la même prohibition des punitions corporelles a été formellement renouvelée (Règlement scolaire modèle du 18 juillet 1882).

En Allemagne, les punitions corporelles ont disparu des gymnases et autres établissements d'enseignement secondaire, mais on cite encore Salomon en faveur de leur maintien dans les écoles populaires. Ce progrès partiel est dû à l'influence du rationalisme (Aufklärung), à l'exhaussement des classes moyennes qui a été un des effets de la Révolution française en Europe, et plus spécialement au remplacement des candidats en théologie, qui formaient le personnel enseignant jusqu'en 1810, par des professeurs dûment qualifiés. Les partisans de la suppression des punitions corporelles ont toujours eu à lutter contre les représentants des diverses confessions religieuses (Cf. Sam. Heinicke, par Joh. Eck, 1884 ; Freimund, Ueber körperliche Züchtigung, 1875), et tous leurs efforts n'ont abouti qu'à faire introduire dans la pratique des tempéraments qui rappellent les prescriptions des lois de Manou. Le point de vue des arrêtés et circulaires relatifs à cet objet est celui de Rollin et de l'abbé de La Salle. Nous allons en résumer les principales prescriptions d'après l'ouvrage de M. Topf, Das Strafrecht der deutschen Volksschulen (1884).

1° Ainsi que nous l'avons déjà dit, la punition corporelle n'est plus employée que comme moyen d'éducation ou pour la répression des délits commis hors de l'école, qui en France relèvent de la police correctionnelle. Les principaux cas spécifiés sont : l'indiscipline, l'entêtement, l'habitude du mensonge, la paresse incorrigible, la cruauté envers les animaux ou les faibles, l'immoralité grossière, un vol d'une certaine importance, le bris d'arbres avec récidives, etc. — 2° Les règlements renferment également des prescriptions relatives à l'âge et au sexe de l'élève passible de la verge. Les filles ne doivent être frappées que par exception et avec les plus grands ménagements pour leur « délicatesse féminine ». A Berlin les punitions corporelles sont formellement interdites dans les écoles de filles. En général les enfants des deux sexes au-dessous de huit ou neuf ans, ou ceux qui sont de constitution faible (Bade), sont exempts de ce genre de punitions. — 3° Les soufflets, coups de pieds, de poing, etc., sont interdits. Les coups doivent être administrés au moyen d'une canne de la grosseur du petit doigt, d'un jonc flexible, d'un martinet, ou autres variétés de la verge, suivant les usages locaux. Dans le grand-duché de Bade et en Wurtemberg, où les moeurs scolaires sont plus douces que dans le nord de l'Allemagne, les coups de férule dans le plat de la main sont la seule correction corporelle abandonnée à l'arbitraire du maître. Il est partout recommandé de tenir, en temps ordinaire, l'instrument renfermé dans une armoire. — 4° La détermination de Impartie du corps légalement affectée varie en raison du sexe et parfois de l'âge des enfants. Pour les garçons, c'est « le siège et ses environs » ; pour les filles, le dos, exclusivement (en Allemagne et en Autriche, la plupart des écoles de filles sont tenues par des instituteurs). Les règlements recommandent de ne pas découvrir le corps pour appliquer la peine corporelle, et les faits prouvent que cette prescription n'est point inutile. — 5° Le nombre réglementaire de coups varie de cinq à dix. En général la correction ne peut pas être renouvelée deux fois dans la même matinée ou après-midi. Dans quelques endroits, une « juste mesure » est simplement recommandée. La correction doit être administrée à la fin de la leçon ou de la classe ; l'élève sort de son banc et se place sur l'estrade. A Munich, où l'on use aussi du cachot, les coups sont appliqués par le factotum (Pedel) de l'école. Dans les cas graves l'autorité supérieure peut faire infliger une correction plus sévère. Le maître doit pendant l'opération observer une attitude digne, et éviter également la colère, la moquerie ou un air d'indifférence affectée. Mention est faite de l'exécution sur le livre de classe. — 6° Les coups, même dans ces limites réglementaires, sont appliqués assez vigoureusement pour qu'on ait jugé humain d'en dispenser les élèves faibles ou trop jeunes. Des bleus, des boursouflures de la peau sont les suites ordinaires. Dans la principauté de Lippe, lorsque les mauvais traitements exercés par les maîtres ont entraîné une maladie d'une durée de plus de trois mois, l'affaire est portée devant la justice criminelle ; une peine de simple police est infligée lorsque la santé de l'enfant n'a subi que des troubles sans conséquences graves. Dans les autres cas où la santé de l’enfant n'a pas été mise en péril (meurtrissures, boursouflures, paralysie passagère de la partie frappée), le maître est passible de peines disciplinaires de la part de ses chefs, Un arrêt de la haute cour de Prusse porte expressément que la présence de meurtrissures et de boursouflures sur le corps de l'élève qui a été châtié ne prouve point que le maître ait excédé son droit de correction.

La législation scolaire d'Autriche tend depuis Marie-Thérèse et Joseph II, comme celles du grand-duché de Bade, du Wurtemberg, de la Saxe, à restreindre l'application des punitions corporelles, mais autorise formellement l'emploi de la verge flexible.

En Italie, sous la domination autrichienne, la verge et la férule faisaient partie du matériel scolaire, et le Svizzero de l'établissement remplissait les fonctions du Pedel des écoles de Munich. Les règlements actuels interdisent les punitions corporelles.

C'est encore la faute à Salomon si, en Angleterre et aux Etats-Unis, la tradition s'est maintenue d'appliquer la verge ou plus souvent le fouet (flogging), les révérends et les pédagogues d'outre-mer s'étant, fur ce point, attachés moins à la lettre qu'a l'esprit des Saintes-Ecritures. On rappelle volontiers que les hommes célèbres, comme Mélanchthon, Johnson, Goldsmith, ont déclaré qu'ils n'auraient rien fait s'ils n'avaient été fouettés dans leur jeunesse, et vers 1883, d'après le Schoolmaster de Londres, un juge citait son propre exemple dans les considérants du jugement qui acquittait un maître prévenu d'avoir rossé un enfant. Le fouet est une coutume nationale, approuvée par la très grande majorité des pères de famille et, ce qui paraît plus étrange, généralement consentie par ceux qui en sont les victimes. Il y a une cinquantaine d'années la suppression du flogging ayant été discutée, ce furent les élèves qui en demandèrent le maintien. M. Bain nous semble donner l'explication de ce paradoxe pédagogique par cette remarque qu' « au point de vue de la simple souffrance, le fouet serait préféré par bien des élèves à l'ennui intolérable de la retenue et des pensums » (Science de l'Education, p. 86 de la trad. fr.). A quoi il faut ajouter que l'opinion qui attache, chez nous, aux châtiments corporels une idée de dégradation, ne fait que de naître en Angleterre. Cette particularité de l'éducation anglaise est trop connue pour que nous ayons besoin de nous y arrêter plus longtemps (Cf. GHEARD, L'esprit de discipline, etc., où l'on trouvera de nombreuses indications bibliographiques). Nous nous bornerons ici à relater un fait, qui est surtout instructif à cause des commentaires auxquels il a donné lieu. Au mois de juillet 1877, un enfant de treize ans, élève de Christ Hospital (école secondaire de Londres, qui date du temps de la Réforme), poussé au désespoir par les mauvais traitements de son moniteur, se pendit dans sa chambre. Ce suicide causa une vive sensation ; le Parlement s'en émut, et une enquête fut ordonnée, à la suite de laquelle la commission remit un rapport au ministre de l'intérieur. Nous empruntons à ce document quelques détails caractéristiques. Les internes de Christ Hospital, au nombre de 700, sont placés sous la surveillance de moniteurs de quatorze à quinze ans, choisis (comme au collège des jésuites de Rodez) parmi les élèves les mieux notés et qui par leur âge, leur taille et leurs qualités, paraissent les plus aptes à ces fonctions. Le règlement leur interdit de frapper, mais la commission les excuse de le faire, l'usage ayant sanctionné cette pratique. Du reste il est de tradition dans toutes les écoles anglaises que les plus grands et les plus forts exercent une véritable tyrannie à l'égard des plus jeunes, et le rapport se plaît à constater que cet abus a beaucoup diminué et se trouve réduit à son minimum. A Christ Hospital, comme à Winchester (Aut disce, aut discede ; manet sors tertia, caedi), comme à Eton, le châtiment le plus grave, après l'expulsion, est le fouet. On l'applique au moyen d'une verge de bouleau ; le nombre des coups varie de six à douze suivant la gravité de la faute. La commission donne son approbation à cette pratique qu'elle ne trouve pas sévère, les grandes écoles d'Angleterre usant de verges bien autrement formidables que celles de Christ Hospital. Outre les coups de verge de bouleau, tous les maîtres de l'école sont autorisés à se servir de la cane (baguette de bambou) pour les méfaits légers, et à frapper, en pareil cas, dans la main, sur le des de la main, ou sur l'extrémité des doigts. Le rapport constate que les maîtres frappent de la cane les élèves paresseux à peu près tous les jours non seulement sur la main, mais sur les bras, sur le des et ailleurs, en cherchant à rendre leurs coups aussi douloureux que possible, et sans en faire la mention réglementaire dans le « livre noir » ; il conclut en demandant que l'exercice des punitions corporelles soit soumis à une surveillance plus exacte de la part du directeur. L'obligation d'inscrire chaque correction corporelle dans un registre spécial et de n'appliquer la peine qu'à la fin de la leçon a été prescrite par le School Board de Londres dans les établissements qu'il surveille ; on voit par l'exemple ci-dessus quelle est la valeur pratique de cette mesure.

Aux Etats-Unis la législation est la même qu'en Angleterre en ce qui concerne les punitions corporelles ; et les School Boards des divers Etats s'efforcent de la même manière d'en restreindre et modérer l'application. Ainsi le bureau d'éducation de Boston (1881) a réservé au directeur seul le droit d'infliger les corrections. L'exécution ne peut avoir lieu qu'à la classe suivante ; mention sera faite sur un registre de la faute commise, de la procédure suivie, de l'effet produit par la correction sur la conduite et le caractère de l'élève. Ailleurs l'autorité supérieure et les familles doivent en recevoir avis le jour même. Les rapports officiels de fin de mois et de terme doivent mentionner le nombre des corrections physiques qui auront été appliquées. Mais comme on a" soin d'avertir les instituteurs (New Bedford, Boston, Cleveland) que leur valeur professionnelle est appréciée en raison inverse du nombre de coups qu'ils distribuent, il est douteux qu'ils tiennent très exactement ce nouveau genre de comptabilité. Les modes de correction autorisés sont les coups de rotin sur la main (Boston), le fouet (Rhode-Island et Cleveland), dans beaucoup d'endroits la baguette. Un éminent pédagogue de Pensylvanie, M. Wickersham, voulant montrer combien les punitions sont arbitraires dans les écoles de son pays, trace le tableau suivant qui est celui de toute école où la pédoplégie règne sans contrainte : « Il n'est pas rare qu'un enfant soit fouetté pour avoir cassé un carreau, n'avoir pas su sa leçon ou être arrivé en retard. Menaces, injures, coups, corrections, punitions corporelles qui sont en même temps des offenses à la personne, comme de tirer les cheveux, de frapper sur la tête, de claquer les mains, tout cela s'emploie pour punir toute sorte de fautes, sans distinction du principe même de ces fautes. Un élève ne sait pas sa leçon : on lui donne de la règle sur les doigts. Un autre bavarde trop haut : il va se tenir debout sur un pied. Les maîtres fouettent, menacent, grondent au hasard ; ils choisissent le mode de punition sans autre règle que leur caprice ou que leur tempérament. » (School Economy, p. 261.) Décidément rien n'est aussi uniforme que l'empirisme, rien n'est plus monotone aussi. Ajoutons avant de terminer cet exposé, dont les principaux éléments sont empruntés au Rapport sur l'instruction primaire à l'Exposition universelle de Philadelphie, par M. F. Buisson (1876), que dans un certain nombre d'Etats les punitions corporelles ont été abolies, dans le New Jersey (1867), à Chicago, dans l'Etat de New York (1870). Dans ce dernier Etat le maintien de la discipline est devenu si difficile aux instituteurs que nombre d'entre eux en ont demandé le rétablissement, et en 1879 le surintendant d'Etat sollicitait le retour à l'état de choses antérieur, en faveur du principal de chaque école seulement, pour la ville de New York. Même dans les Etats où les châtiments physiques sont autorisés, un certain nombre d'écoles y ont renoncé de leur propre chef ; c'est ainsi que, d'après le rapport de 1874, il n'en avait été infligé aucun dans 69 écoles de Washington.

II. THEORIE. — En France, la question des punitions corporelles a été vidée dans la pratique par leur interdiction absolue, non à la suite de longs débats pédagogiques, mais comme une application dans la discipline scolaire des principes généraux sur lesquels s'est reconstituée la société moderne ; et si cette réforme se heurte encore à bien des résistances cachées qui ont leurs causes dans la routine, les mauvaises méthodes, l'inexpérience ou l'incapacité professionnelle, c'est à la vigilance de l'administration et des familles d'y mettre fin. A l'étranger, les partisans d'un emploi « judicieux » de la verge ont pu invoquer l'autorité d'hommes tels que Neumaier, Bock, en Allemagne ; Horace Mann, Arnold, Philbrick dans les pays de langue anglaise ; mais nous ne saurions aborder l'examen de leurs arguments sans sortir du cadre de cet article. Nous nous bornerons à esquisser l'état de la question en ajoutant à cet exposé de courtes observations.

1° Les punitions corporelles ont disparu ou tendent à disparaître des maisons d'enseignement secondaire ; 2° elles sont condamnées comme moyen didactique ; 3° elles n'ont plus (sauf dans les grandes écoles d'Angleterre) le caractère d'une expiation ; elles ont pour objet exclusif la répression de certaines fautes morales et l'amélioration de l'enfant ; 4° elles ne peuvent plus être appliquées, sans abus, que dans les cas extrêmes ; 5° leur application est limitée par diverses circonstances (l'âge, le sexe de l'enfant ; la partie du corps licitement fustigeable, le nombre des coups, la nature et la dimension de l'instrument, le délai entre le moment de la faute et celui de l'exécution de la peine, etc., etc.). — Cette simple énumération dispense des considérations transcendantes sur la question des punitions corporelles. Les règlements qui les autorisent en les limitant ne sont qu'un compromis, commandé par des circonstances toutes locales, entre des usages traditionnels dont on reconnaît le danger et un idéal que l'on approuve (ex. : les écoles secondaires), mais que l'on croit irréalisable, malgré les expériences faites par d'excellents pédagogues dans un certain nombre d'écoles et même dans des pays entiers. Il serait superflu de relever ici les inconséquences théoriques qui abondent dans cette législation casuistique et les difficultés journalières que soulève son application dans l'école (Cf. Notes pour servir à une histoire des châtiments corporels à l'école, Revue pédagogique, 15 juillet 1885) ; peu à peu le progrès des idées et des moeurs fera son oeuvre, et ce ne sont pas les arguments des théoriciens du bâton qui en arrêteront la marche. Voici en effet les principaux de ces arguments : 1° Les textes de l'Ecriture sainte (Neumaier ; rapport de M. Hyde au School Board de Boston, 1880) ; 2° le droit de l'instituteur en tant que délégué du père de famille ; 3° la nécessité de la punition corporelle comme moyen de répression ; 4° son efficacité comme moyen d'amélioration.

Quelques-uns de ces arguments ont une valeur relative, comme nous le dirons plus loin ; vouloir les ériger en principes absolus est le fait opiniastres. » Cette observation de Montaigne, confirmée par la psychologie, l'ait paraître particulièrement étrange la recommandation d'une pédagogie qui veut être profonde et n'est que pédantesque. Il faut être simple dans les choses qui concernent l'enfant : en éducation, les raisons d'ordre pratique priment toutes les autres. Sans doute on peut soutenir, en thèse générale, la légitimité et l'efficacité d'une calotte, appliquée par le père ou la mère, avec mesure, tact et à propos, pour créer une association d'idées négative chez un bambin qui n'est encore qu'un petit animal ; et même l'opinion publique pourra être indulgente pour un maître qui, dans un cas d'offense grave, aura usé de ce procédé pour inculquer à un grand garçon le sentiment du respect dû à tout honnête homme. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, quand on parle de punitions corporelles. On entend par là l'application systématique, et non accidentelle, de ce genre de punitions, et plus spécialement son application dans les établissements publics. Cette distinction toute pratique entre l'éducation domestique et l'éducation scolaire est selon nous essentielle, car elle réduit à néant des arguments les plus spécieux invoqués en faveur des châtiments physiques. C'est un sophisme que de les confondre, comme on le fait en Allemagne et aux Etats-Unis ; et toutes les circulaires pleines d'onction dans lesquelles il est recommandé au maître d'école allemand de « se conduire comme un père à l'égard de ses élèves », toutes les maximes d'ailleurs excellentes formulées en style lapidaire à l'usage des instituteurs d'Indianopolis (Cf. Rapport déjà cité de M. F. Buisson), subissent le sort des plus belles choses et tombent dans la banalité et le lieu commun sans avoir produit aucun résultat appréciable. Le contraire est arrivé à Chicago, où la défense formelle d'employer des punitions corporelles dans les écoles publiques a été motivée en ces termes remarquables qui résument toute notre pensée : « Si le devoir d'infliger de telles punitions existe, ce n'est point aux maîtres qu'il appartient ». Il est vrai, comme se plaisent à le rappeler les pédagogues allemands, que la famille délègue son autorité à l'école ; mais ils oublient de considérer que les circonstances étant changées, cette autorité subit certaines modifications qu'Alexandre Bain a fort nettement indiquées : « La comparaison, dit-il, entre ces deux institutions (la famille et l'école) est surtout instructive (au point de vue de l'exercice de l'autorité). Le père subvient à tous les besoins de ses enfants, en même temps qu'il exerce sur eux une autorité qui est presque sans limites. Cette autorité est tempérée par l'affection, laquelle dépend d'un échange de rapports bienveillants, et suppose d'ailleurs un nombre limité d'enfants. Le maître n'a point à subvenir aux besoins de ses élèves ; il est payé de ses soins pour eux ; sa seule fonction est de leur donner une certaine instruction définie. Les éléments nécessaires à l'affection font défaut à son autorité, parce que le nombre de ceux sur lesquels elle s'exerce est trop considérable, et la communauté d'intérêts trop limitée ; malgré cela, l'affection n'est pas absolument exclue des rapports de maître à élève, et, dans certains cas bien marqués, elle peut jouer un rôle. » (Science de l'éducation, trad. fr., pages 76-80.) Il résulte de ces différences, dont on pourrait allonger rémunération, que l'autorité du père de famille se fonde sur un droit naturel dont l'exercice est limité par l'amour paternel (et, ajouterions-nous, par le droit de l'enfant) ; tandis que celle du maître repose sur un droit contractuel dont l'exercice est déterminé par les conditions de la mission définie qui lui est confiée. Le père se trouve investi d'un pouvoir, dans une certaine mesure, discrétionnaire, parfaitement adapté aux conditions multiples, complexes, diverses, variables et incessamment ouvertes à l'imprévu, dans lesquelles se donne — ou ne se donne pas — l'éducation domestique. Au contraire, un des plus précieux avantages de l'école publique est précisément de simplifier les conditions de l'éducation en plaçant le sujet dans un milieu de culture en partie artificiel et dont le régime intérieur tout spécial est déterminé par son propre objet. C'est donc passer d'un genre à un autre, c'est-à-dire commettre un sophisme qualifié, que de conclure du droit paternel au droit magistral. Maintenant faut-il admettre, comme certains pédagogues, que l'école ne peut réaliser son objet sans l'emploi des punitions corporelles ; autrement dit, que la verge est un moyen nécessaire de répression? Ici, remarquons-le, c'est une question de fait, et non de droit, qui est posée ; Il faut reconnaître que, par exemple dans certaines provinces de l'Allemagne du Nord, dans les écoles déguenillées (ragged schools) de Londres, aux Etats-Unis où trop souvent l'éducation première fait totalement défaut, la bonne tenue d'une classe nombreuse suppose chez le maître des qualités pédagogiques acquises et naturelles, qui honorent des hommes tels que Heinicke, Freimund, Cyrus Peirce, mais qui ne se rencontrent pas au même degré chez tous les membres d'un vaste personnel enseignant. D'une manière générale, lorsque : 1° la population d'une école est de moeurs grossières ; 2° l'organisation matérielle très défectueuse ; 3° le directeur inexpérimenté ou incapable, il est assez naturel que de prudents administrateurs hésitent à désarmer complètement les maîtres en leur interdisant un moyen de répression qui est à la portée des moins capables et leur permet de maintenir dans la classe tout au moins une apparence de discipline. Mais ces circonstances sont accidentelles, locales et temporaires ; il est au pouvoir d'un gouvernement de faire disparaître rapidement les deux dernières par la construction d'écoles bien adaptées aux besoins de l'enseignement et par l'éducation des maîtres dans des écoles normales. L'effet de ces réformes sera précisément de polir et d'adoucir les moeurs des générations futures: « Même lorsque les enfants ont été habitués à être battus chez leurs parents, il ne s'ensuit pas que le même système doive être employé pour eux à l'école : les parents sont souvent maladroits en fait d'éducation. Dans bien des cas, l'école deviendra un port de refuge pour les enfants maltraités chez eux, et ceux-ci sauront par leur bonne conduite se montrer reconnaissants de ce régime plus doux. » (A. Bain, trad. fr., p. 86.) C'est à l'école, comme on l'a dit aussi, de préparer l'ancêtre. Les grandes écoles aristocratiques d'Angleterre, qui ne présentent aucune des trois circonstances atténuantes que nous avons admises, ne forment qu'une exception apparente : le jour où le flogging ne sera plus de tradition nationale, c'est-à-dire lorsque son application aura, comme le désire Bain, un effet dégradant, le jeune gentleman consentira moins facilement à le subir, et les peines afflictives seront remplacées par les mobiles de la honte et de l'honneur. Remarquons à ce propos que l'éminent pédagogue écossais que nous avons fréquemment cité dans la dernière partie de cet article n'est pas, comme on l'a dit et comme on pourrait être induit à le croire par nos citations, un adversaire déclaré des punitions corporelles ; loin d'élever contre leur emploi aucune objection de principe, il « entrevoit que c'est dans les souffrances artificielles graduées, agissant directement sur les nerfs au moyen de l'électricité, que nous pouvons chercher les châtiments corporels de l'avenir qui devront remplacer le fouet et les tortures musculaires » (trad. fr., p. 47). Cette application de la pile électrique en pédagogie rappelle les adoucissements apportés à la peine de mort par le Dr Guillotin ; ajoutons-y un enregistreur fermé à clef pour faciliter le contrôle de l'inspecteur primaire, et nous aurons tous les éléments d une de ces fantaisies scientifiques dans lesquelles excelle Jules Verne. Mais si Alexandre Bain, se plaçant à un point de vue tout empirique, admet l'utilité relative (non la nécessité) du fouet comme moyen de discipline, il ne saurait cependant être compté au nombre de ses partisans. Il juge, en effet, qu'avec toutes les ressources diverses, habilement ménagées, dont dispose l'éducateur, — émulation, éloge, blâme, humiliations, retenue, pensums, — la nécessité des châtiments corporels est presque annulée. La manière dont il apprécie l'efficacité des châtiments corporels mérite, en outre, d'être notée : il s'en faut de beaucoup, d'après lui, qu'ils soient, en tant que peine physique, la punition la plus sévère qu'on puisse infliger à l'école, la souffrance musculaire qu'ils causent étant bien inférieure à la souffrance nerveuse qui résulte de l'ennui de la retenue ou du pensum, Dans les maisons où on les maintient (à l'usage des élèves rebelles aux autres moyens d'action), il faut en faire une peine morale en y rattachant l'idée d'une dégradation pour le coupable, d'une infamie qui rejaillit jusque sur ceux qui sont forcés d'en être témoins, et par conséquent les placer « tout au bout de la liste des punitions », comme la dernière des peines scolaires, après laquelle il ne reste plus que l'expulsion définitive (trad. fr., pages 85, 86, et note). Bain aurait pu condamner plus catégoriquement ce qu'il appelle ailleurs « la plus abrutissante des punitions », mais par lui-même ce commentaire pour ainsi dire purement technique de la pédoplépie nous paraît être une réfutation très solide des partisans du bâton. A peine est-il besoin après cela de relever ce qu'il y a d'absurde dans la prétention de faire de la verge un moyen d'amélioration morale. « Le fouet n'est bon que pour les esclaves et pour les ânes », disait dès 1606 le règlement de Cobourg ; et en cela encore son éminent auteur Joh. Gerhard se trompait-il, les éleveurs de bétail ayant remarqué, avant les éleveurs d'enfants, qu'on obtient davantage de l'élève par la douceur que par les coups. « Je n'ai jamais veu aultre effet aux verges sinon de rendre les âmes plus lasches ou plus malicieusement d'employer les coups dans les cas « de duplicité habituelle et d'opiniâtreté ». Sans entrer davantage dans des considérations morales et psychologiques dont la place n'est pas ici, nous nous bornerons à relever les termes d'une motion adoptée par une conférence d'instituteurs réunis à Brême en 1882 et qui est ainsi conçue : « Quoiqu'on ne puisse pas former par le bâton des hommes moralement bons, on peut cependant par là les habituer au bien ». Ainsi les partisans du bâton avouent qu'ils n'arrivent par ce moyen violent qu'à faire contracter l'habitude tout extérieure du bien, ce qui s'appelle, en bon français, l'hypocrisie, le vice de l'esclave, le mal d'Orient qui règne à l'état général, endémique, chez les peuples élevés dans la peur de l'autorité. Les jeunes gens dressés de la sorte constituent plus tard au sein de la société un élément des plus dangereux ; incapables d'une obéissance intelligente et volontaire à la loi, ils sont de fait les pires ennemis des libertés publiques ; habitués à la férule, ils sont honnêtes par crainte de la police, et ils coûtent plus en frais de gendarmerie à l'Etat que ne valent les services forcés qu'ils lui rendent. (Sur les effets des deux genres d'éducation, cf. les citations des pédagogues américains, dans le Rapport de M. F. Buisson.) Enfin, pour revenir à notre première argumentation, alors même qu'on reconnaîtrait l'efficacité éducative (sinon morale) de la punition corporelle surtout dans le tout jeune âge, ce ne serait pas une raison suffisante pour investir l'instituteur du droit de frapper, car il est de notoriété que lorsqu'une administration accorde ce droit à un personnel nombreux et par suite mélangé, il arrive inévitablement que pour un coup autorisé par le règlement, il y en a dix de donnés par abus. L'expérience montre en effet que ce sont les maîtres les moins capables qui usent jusqu'à l'excès le plus révoltant de ce moyen que les bons pédagogues de tous les pays et de tous les temps se sont toujours refusés à employer.

Nous connaissons trop la force des arguments d'autorité pour passer sous silence celui de l'Ecriture sainte. La distinction établie plus haut entre l'éducation domestique et l'éducation scolaire trouve encore ici son application : les passages bibliques en question s'adressent en effet aux pères de famille, et ne renferment aucune prescription relative au régime intérieur des établissements d'instruction publique. Au fond ce n'est point l'emploi spécial de la verge qui est recommandé aux parents ; comme le fait très judicieusement remarquer Alexandre Bain, en réponse à ceux qui invoquent le témoignage d'un certain nombre d'hommes célèbres qui ont déclaré que sans la verge ils n'auraient jamais rien fait : « Autrefois, on ne savait que gâter un enfant ou le battre ; quiconque n'avait point recours à la verge était l'ennemi de l'enfant. De nos jours, au contraire, on connaît nombre de moyens d'exciter au travail les enfants intelligents et de les former au bien. » Tour moi, je crois que si le sage Salomon, au lieu de régner en Orient il y a quelque trois mille ans, avait été membre de la Convention et avait lu J.-J. Rousseau, plein de sollicitude pour l'enfant et de respect pour sa personnalité naissante, il eût paraphrasé, en corrigeant ce qu'il a de bizarre et d'outré dans la forme, ce mot si plein du sentiment du droit et au fond presque tendre de Saint-Just : « Celui qui frappe un enfant est banni ».

[FRANCK D'ARVERT (JOEL LE SAVOUREUX).]

II. — Les punitions dans l'école française, moderne et contemporaine. — Le Statut sur les écoles primaires élémentaires communales, du 25 avril 1834, porte ce qui suit relativement aux punitions autorisées dans les écoles :

« ART. 29. — Les élèves ne pourront jamais être frappés.

« Les seules punitions dont l'emploi est autorisé sont les suivantes :

« Un ou plusieurs mauvais points ;

« La réprimande ;

« La restitution d'un ou de plusieurs billets de satisfaction ;

« La privation de tout ou partie des récréations, avec une tâche extraordinaire ; « La mise à genoux pendant une partie de la classe ou de la récréation ;

« L'obligation de porter un écriteau désignant la nature de la faute ;

« Le renvoi provisoire de l'école.

« ART. 30. — Lorsque la présence d'un élève sera reconnue dangereuse, il pourra être exclu de l'école, ou même de toutes les écoles du ressort du comité d'arrondissement.

« L'exclusion de l'école ne pourra être prononcée que par le comité local, et l'élève ainsi exclu ne pourra être admis de nouveau que sur l'avis favorable de ce même comité.

« Le comité d'arrondissement pourra seul prononcer l'exclusion de toutes les écoles de son ressort, et une nouvelle délibération dudit comité sera nécessaire pour que l'élève ainsi exclu puisse fréquenter de nouveau une de ses écoles. »

Des prescriptions analogues se retrouvent dans le règlement relatif à l'admission des enfants dans les écoles privées, du 1er mars 1842 ; il faut remarquer toutefois que la mise à genoux et l'obligation de porter un écriteau n'y figurent plus. On y lit, à l'article 8 :

« Les élèves ne pourront jamais être frappés.

« Les seules punitions permises sont les notes défavorables, la réprimande, la privation de tout ou partie des récréations avec une tâche extraordinaire, le renvoi de l'école provisoire ou définitif. »

L'arrêté relatif à la tenue des salles d'asile, du 24 avril 1838, dit à l'article 39 :

« Les surveillants et femmes de service, pénétrés de la sainteté du dépôt qui leur est confié dans la personne de ces petits enfants, doivent s'attacher, de coeur et d'âme, à remplir leur mission avec une douceur inaltérable et une patience toute chrétienne.

« Les enfants ne doivent jamais être frappés. La dame inspectrice veille avec le plus grand soin à ce qu'il ne soit jamais infligé de punitions trop longues et trop rudes. »

Sous le régime de la loi de 1850, les punitions réglementaires restent à peu près les mêmes pour l'école primaire ; pour la salle d'asile, le règlement contient une énumération dont celui du 24 avril 1837 avait cru pouvoir s'abstenir.

Le règlement-type du 17 août 1851 pour les écoles publiques dit à l'article 38 :

« Les seules punitions dont l'instituteur puisse faire usage sont :

« 1° Les mauvais points ;

« 2° Les réprimandes ;

« 3° La privation partielle ou totale des récréations ;

« 4° L'exclusion provisoire de l'école ;

« 5" Le renvoi définitif.

« Cette dernière peine sera, s'il y a lieu, prononcée par le recteur (départemental), après avis des autorités locales préposées à la surveillance de l'école. »

Le règlement des salles d'asile du 22 mai 1855 dit à l'article 7 :

« Les enfants ne doivent jamais être frappés. Ils sont toujours repris avec douceur.

« Il ne peut être infligé aux enfants que les punitions suivantes :

« Les faire lever et tenir debout pendant dix minutes au plus lorsque leurs camarades sont assis ;

« Les faire sortir du gradin-« Leur interdire leur travail en commun ;

« Leur faire tourner le des à leurs camarades. »

Pour ce qui concerne l'époque contemporaine, les dispositions en vigueur se trouvent dans les règlements modèles du 18 janvier 1887 pour les écoles maternelles et les écoles primaires élémentaires, dans le règlement du 29 décembre 1888 pour les écoles primaires supérieures, et dans le décret du 18 janvier 1887 pour les écoles normales.

On lit dans le règlement, modèle pour les écoles maternelles :

« ART. 9. — Les seules punitions permises sont les suivantes : privation, pour un temps court, du travail et des jeux en commun ; retrait des bons points. »

On lit dans le règlement modèle pour les écoles primaires élémentaires :

« ART. 19. — Les seules punitions dont l'instituteur [l'institutrice] puisse faire usage sont : les mauvais points ; la réprimande ; la privation partielle de la récréation ; la retenue après la classe, sous la surveillance de l'instituteur ; l'exclusion temporaire.

« Cette dernière peine ne pourra dépasser trois jours. Avis en sera donné immédiatement par l'instituteur [l'institutrice] aux parents de l'enfant, aux autorités locales et à l'inspecteur primaire.

« Une exclusion de plus longue durée ne pourra être prononcée que par l'inspecteur d'académie.

« ART. 20. — Il est absolument interdit d'infliger aucun châtiment corporel. »

On lit dans le règlement modèle pour les écoles primaires supérieures :

« ART. 17. — Les seules punitions dont le directeur [la directrice] puisse faire usage sont la réprimande ; la retenue après la classe sous la surveillance d'un maître [d'une maîtresse] ; l'exclusion temporaire.

« Cette dernière peine ne pourra dépasser trois jours. Avis en sera donné immédiatement par le directeur [la directrice] aux parents de l'enfant et à l'inspecteur primaire.

« Une exclusion de plus longue durée ou l'exclusion définitive ne pourra être prononcée que par l'inspecteur d'académie. »

On lit dans la section v (Du régime intérieur et de la discipline) du chapitre V (écoles normales primaires) du titre Ier du décret du 18 janvier 1887 :

« ART. 84. — Les seules punitions que les élèves-maîtres [élèves-maîtresses] peuvent encourir sont :

« 1° la privation de sortie prononcée par le directeur [la directrice] ;

« 2° L'avertissement donné par le directeur [la directrice] ;

« 3° La réprimande devant les élèves réunis, infligée, selon la gravité de la faute, par le directeur [la directrice] ou par l'inspecteur d'académie ;

« 4° L'exclusion temporaire, pour un temps qui ne peut excéder quinze jours, prononcée par le recteur, sur le rapport de l'inspecteur d'académie, après avis du conseil d'administration ;

« 5° L'exclusion définitive, prononcée par le ministre, sur la proposition du recteur.

« ART. 85. — Tout élève qui s'est rendu coupable d'une faute grave peut être remis immédiatement à sa famille par le directeur [la directrice]. Celui-ci [Celle-ci] doit alors, sans délai, en référer à l'inspecteur d'académie, qui saisit de l’affaire le conseil d administration. »