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Propreté

C'est l'un des premiers devoirs du maître ou de la maîtresse de ne jamais souffrir qu'un élève se présente à l'école en état de malpropreté. L'école, pour modeste, pour champêtre qu'elle soit, est un lieu de bonne compagnie, où nul ne peut avoir accès s'il ne se montre respectable, aussi bien dans sa tenue que dans son langage ou dans ses actions. Parmi les enfants qui la peuplent, beaucoup sans doute sont pauvres, leurs vêtements sont grossiers, ou usés et rapiécés : mais pauvreté et saleté, Dieu merci ! sont deux ; la première peut aller sans l'autre. La pauvreté sale est ignoble, elle repousse, loin de gagner la sympathie ; mais la pauvreté propre, la pauvreté qui se respecte jusque dans son apparence, combien nous la respectons à notre tour! comme cette dignité de tenue, symbole de la dignité intérieure, nous émeut !

Si pauvres donc que soient les vêtements, on exigera qu'ils soient brosses avec soin, que la boue ou la poussière en aient été enlevées. Les chaussures, ne fût-ce que d'humbles sabots, seront raclées ou essuyées avant l'entrée en classe.

Mais que serait la propreté des habits sans celle du corps? C'est cette dernière que trop souvent le maître néglige, soit parce qu'elle est plus difficile à obtenir, soit parce que la malpropreté du corps est moins visible que l'autre et semble moins blâmable. Nous n'insisterons pas ici sur les considérations d'hygiène qui font de la propreté parfaite de la peau une des conditions capitales d'une bonne santé ; nous ne répéterons pas non plus les indications de détail sur l'examen que le maître doit faire chaque jour des oreilles, du cou, des mains, de la tête des élèves. Il nous suffit de remarquer, ce que chacun sent en effet, qu'au point de vue du caractère la saleté corporelle est de plus mauvais indice encore que celle du vêtement. Celle-ci du moins se quitte, se dépouille, ne fait pas partie de nous: mais l'autre, c'est le même vice devenu intime, inséparable de la personne, et en quelque sorte d'un degré plus proche de l'âme.

Au fait, la propreté est une de ces qualités extérieures qui touchent, par plus de points qu'on ne le pense, à l'intérieur même de la personne. Du moins le mépris de la propreté semble-t-il devoir entraîner nécessairement l'absence de quelques-uns des principaux caractères d'une âme bien née, à savoir le respect d'autrui, un certain degré d'honneur et de respect de soi, le goût d'être compté parmi les gens de bonne compagnie. La saleté implique une sorte de bassesse et d'égoïsme : il faut, pour s'y complaire, ne se soucier que de soi, n'avoir nul besoin d'être estimé ni aimé d'autrui.

Voilà, peut-être, des points qu'un maître ne devra pas négliger de faire apercevoir en pleine lumière à ceux de ses élèves qu'une simple remontrance ne suffit pas à rendre propres. Cette manière de piquer l'amour-propre de l'enfant, de lui faire voir la propreté comme une distinction, la saleté comme une flétrissure, manquera rarement de faire impression. Nul n'est si enfoncé en soi-même qu'il se résigne aisé ment à dégoûter son prochain.

Élie Pécaut