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Prononciation

La prononciation consiste à donner aux voyelles, aux consonnes ou aux syllabes l'articulation et l'intonation qui leur appartiennent dans la langue que l'on parle.

C'est surtout à l'époque des Racine, des Molière, des La Fontaine que les sons purement gutturaux et nasaux se transforment et deviennent des sons pleins et sonores. La prononciation n'a pas sensiblement varié en France depuis le dix-septième siècle, époque à laquelle la langue a été fixée.

Le climat a une grande influence sur la prononciation. Les articulations sont plus rudes dans les pays du Nord, plus douces et plus modulées dans les contrées méridionales.

Une prononciation correcte tient surtout à l'observation des règles de l'accentuation. En France, c'est Paris qui donne le ton à la prononciation usuelle. Dans les provinces, de grandes divergences existent sur la manière dont on accentue les voyelles et les syllabes. Dans le Nord, on les élide ; dans l'Ouest et dans l'Est, on les allonge, et parfois démesurément ; dans le Midi on intervertit leur quantité. De la Garonne aux Pyrénées, la divergence se manifeste encore d'une façon plus tranchée. C'est dans les provinces du centre, dans la Touraine, le Blaisois et l'Orléanais, que la prononciation est la meilleure.

La conversation, la lecture à haute voix, le débit oratoire et l'art dramatique n'ont point les mêmes exigences de prononciation. La prononciation doit être légèrement abandonnée dans la conversation, sans aller cependant jusqu'à la négligence ; plus pure et plus conforme aux règles du goût dans la lecture à haute voix ; nette et claire dans le débit oratoire ; enfin plus lentement et plus fortement articulée dans le débit dramatique, où celui qui parle aura à se faire entendre de loin.

La prononciation est une affaire d'habitude. C'est dans l'enfance, où l'organe de la parole est pour ainsi dire en voie de formation, qu'on parvient le plus facilement à parler toutes les langues. Une prononciation, bonne ou mauvaise, une fois acquise, subsiste avec une remarquable persistance, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de corriger dans l'âge mûr certaines imperfections de langage contractées dans la jeunesse. Voilà pourquoi on ne saurait trop engager ceux qui ont pour mission d'instruire les enfants à développer de bonne heure chez leurs élèves les germes d'une prononciation nette et franche. Les enfants procèdent par imitation : s'ils entendent autour d'eux prononcer correctement, ils prononcent de même. Le tout est de leur donner l'exemple.

DEFAUTS DE PRONONCIATION. — Tous les défauts de prononciation peuvent se ranger en trois groupes, savoir : 1° les défauts provenant d'une conformation vicieuse des organes de la parole, comme l'altération de la voix appelée nasillement, causée par le passage trop facile ou trop difficile de l'air dans les fosses nasales ; 2° les défauts provenant d'un fonctionnement anormal causé par un trouble moral et nerveux, comme le bégaiement, le bredouillement, le balbutiement ; 3° les défauts provenant d'un fonctionnement anormal amené directement par l'imitation volontaire ou involontaire, par une nonchalance ou une vivacité excessives, comme le grasseyement, la lallation, le sessaiement, le zézaiement, le chuintement, et autres genres de blésité ou de blésement. et aussi une variété du nasillement qui est le résultat d'une mauvaise habitude acquise dans l'enfance.

Chacun de ces groupes a ses procédés curatifs, que nous allons sommairement indiquer.

Nasillement. — Ce défaut présente trois variétés. Dans la première variété, l'air passe en quantité trop considérable à travers les fosses nasales, dont l'obturation, nécessaire à la prononciation de toutes les lettres de l'alphabet excepté m et n, ne peut alors s'accomplir: cela se produit dans les cas de tissures palatines, c'est-à-dire de perforations et de divisions du palais. Il faut arriver par tâtonnement et par habitude à obturer à peu près l'orifice anormal au moyen de la langue. Pour atteindre ce résultat, le maître prononce lentement et successivement chaque lettre en s'arrêtant un peu de temps sur chacune d'elles en particulier ; l'élève écoute et cherche à imiter. Au bout de trois ou quatre semaines, toutes les lettres sont trouvées et prononcées par un moyen artificiel inspiré par la nature, qui ne fait jamais défaut quand elle est secondée avec énergie et persévérance. C'est ainsi qu'on a entendu prononcer les labiales, les linguales, les gutturales par des malheureux qui n'avaient pas de langue, pas de lèvres, pas de palais. Dans la deuxième variété, les narines sont totalement ou presque totalement imperméables, et le passage de l'air, pour les lettres dont la prononciation l'exige, ne peut s'accomplir : c'est le cas des personnes atteintes d'un fort coryza, ou qui ont des polypes, des tumeurs et autres déformations du nez : le traitement de ce dernier cas est du domaine de la chirurgie. Dans la troisième variété, résultat d'une mauvaise habitude acquise dans l'enfance, il s'agit de combattre une mauvaise habitude par une bonne ; il s'agit d'enseigner à parler en dehors au lieu de laisser parler en dedans. Cette troisième variété intéresse particulièrement l'éducateur : il faudra avoir recours, comme pour la première, à un travail d'imitation guidé par un maître expérimenté.

Balbutiement, bredouillement, bégaiement. — Ces trois défauts bien différents se corrigent par des exercices de langage lents, gradués et prolongés. L'introduction d'un corps étranger dans la bouche, comme les cailloux de Démosthène, la fourchette d'Itard, le bride-langue de Colombat, le cintre de Hervez de Chégoin, les boules de caoutchouc de Morin, la plaque de Wutzer, le cure-dents de Battes, etc., sont des moyens à rejeter.

Le balbutiement est un langage lourd, interrompu, où la syllabe est tantôt attendue, tantôt répétée avec hésitation, tantôt encore suivie d'un son analogue à celui de l'e muet. Ce défaut de prononciation, qui tient le plus souvent à une mauvaise habitude, surtout chez les enfants, doit être surveillé et peut être corrigé par des exercices appropriés.

Le bredouillement est un langage défectueux où les syllabes sont souvent précipitées, répétées et confuses, mais jamais convulsives ni spasmodiques comme dans le bégaiement, avec lequel il a quelques analogies. Les personnes atteintes de bredouillement ne sont ni plus vives ni plus spirituelles que les autres, comme on l'a avancé ; elles n'ont pas plus à dire que les autres ; seulement elles ne peuvent pas aller aussi vite, et paraissent pour cela plus affairées, plus pressées. Aussitôt qu'elles sont exercées à parler avec réflexion, avec lenteur, en contrôlant pour ainsi dire la sortie des syllabes, elles arrivent à prononcer nettement. Un enfant impressionnable est sûr de devenir un bredouilleur, et même un bègue, s'il est poussé à parler, à lire et à réciter plus vite qu'il ne le peut.

Le bégaiement est une difficulté de parler qui se manifeste, soit par la répétition convulsive de certaines syllabes, soit par une suppression plus ou moins complète de la voix. Le bégaiement est beaucoup plus fréquent chez les enfants que chez les adultes, chez les hommes que chez les femmes.

Cette infirmité a des causes prédisposantes (le tempérament, l'hérédité, l'état cérébral) et des causes occasionnelles, les unes physiques (maladies des petits enfants, insolations, brusques impressions climatiques, race, idiome), les autres morales (telles que la frayeur violente, la contrainte prolongée, quelquefois l'imitation, l'isolement, la timidité, etc.). Les variétés du bégaiement sont fort nombreuses et donnent lieu à des classifications aussi compliquées qu'inutiles. On admet cependant généralement les bégaiements inspiré, expiré et mixte, selon que l'embarras se produit pendant l'inspiration, pendant l'expiration, ou alternativement dans l'un et l'autre de ces actes.

Le bégaiement congénital ou de naissance se manifeste avec les premiers mots de l'enfant ; le bégaiement accidentel apparaît vers l'âge de trois à six ans, rarement après celui de douze. Cette infirmité disparaît quelquefois d'elle-même, de cinq à dix ans ; mais le plus souvent elle persiste, et devient pour le sujet une condition d'infériorité fort grande, aussi préjudiciable dans l'école que dans le monde. Il faut donc y porter remède au plus tôt.

« Le bégaiement très prononcé rend impropre au service militaire actif ou armé ; le bégaiement, quand il n'est pas excessif, permet de placer l'appelé dans le service auxiliaire. » Le cas d'exemption du service militaire pour cause de bégaiement coûte chaque année près de 1000 hommes à l'armée active.

Cette infirmité, plus répandue qu'on ne se l'imagine, se constate plus fréquemment au midi de la France qu'au nord. Le nord-est est le plus épargné ; le sud-est le plus maltraité. En relevant pendant une période de cinquante ans dans les procès-verbaux des conseils de révision le nombre des exemptions pour cause de bégaiement, M. Chervin en a trouvé le maximum dans les départements de la Haute-Savoie, de la Drôme, du Gard, de Vaucluse, des Basses-Alpes, des Bouches-du-Rhône, du Var, du Lot-et-Garonne, du Lot et du Cantal. Il a remarqué aussi que les villes comptent deux ou trois fois moins de bègues que les campagnes, toutes proportions gardées.

Les anciens chirurgiens ont tenté la guérison du bégaiement par diverses opérations, etc. Ces tentatives sont aujourd'hui complètement abandonnées. On est arrivé maintenant à combattre le bégaiement sans opération chirurgicale.

Pour faire l'historique des méthodes suivies en vue de corriger les défauts de prononciation, il faudrait remonter jusqu'à l'exemple de Démosthènes, qui est resté légendaire.

Dans les temps modernes, deux méthodes ont été en concurrence : l'une emploie divers procédés de redressement mécaniques, tandis que l'autre (Dupuytren, Rullier, Voisin, Arnott, Chervin, n'a foi qu'en des moyens éducatifs.

Il existe à Paris, avenue Victor Hugo, 82, depuis 1867, un Institut des bègues, subventionné par la ville de Paris. Il a été fondé par M. Chervin aîné, ancien instituteur du Rhône, avec le concours du ministre de l'instruction publique. M. Chervin, à ses débuts dans la carrière de l’enseignement, en 1844, ayant rencontré parmi ses élèves un pauvre enfant bègue, entreprit de le guérir par des exercices méthodiques de langage. Il réussit au delà de ses espérances dans cette difficile entreprise. Il renouvela ses expériences à Paris, et depuis lors, il se consacra entièrement à cette éducation des bègues avec son fils, le Dr Arthur Chervin, qui lui a succédé depuis 1878.

Le traitement des bègues par la méthode Chervin ne comporte ni remède pharmaceutique, ni opération chirurgicale, ni l'emploi d'aucun instrument dans la bouche. D'une manière générale, il consiste dans une thérapeutique spéciale basée sur l'étude pratique et détaillée des mécanismes divers qui concourent à la formation de la parole. Le traitement consiste donc dans l'application méthodique et raisonnée d'un grand nombre d'exercices de langage destinés à remédier aux difficultés matérielles et psychiques que rencontrent les bègues soit au commencement des mots ou des phrases, soit dans toute autre circonstance, soit par intermittence, soit dune manière continue.

La durée du traitement des bègues est de trois semaines. La première semaine est employée à ramener les organes à leur fonctionnement normal, la seconde à contracter un nouveau langage, la troisième à le fortifier. Pendant la durée du traitement, il est indispensable de suspendre toutes les Occupations habituelles, afin de se consacrer uniquement aux mille détails de la cure. Le succès du traitement est toujours certain pour ceux qui sont dociles, attentifs, laborieux, persévérants ; mais ces qualités sont indispensables. L'Institut reçoit des sujets_ des deux sexes et de tous les âges : depuis dix ans jusqu'à soixante. L'âge n'est jamais un obstacle au succès lorsque la volonté, le travail et la confiance ne font pas défaut. La méthode Chervin reposant tout entière sur des exercices pratiques appropriés à l'état constaté chez chaque malade, on ne peut naturellement pas l'employer par correspondance, pas même avec les personnes familiarisées avec l'art oratoire. Le traitement est suivi dans des cours individuels ou des cours collectifs, suivant les cas.

« Guérir un bègue, dit l'Académie de médecine en parlant de la méthode Chervin, c'est ramener le calme dans sa pensée et lui apprendre de nouveau à se servir de son instrument vocal ; on parvient naturellement à ce résultat chez l'enfant par la confiance qu'on lui inspire en lisant et récitant avec lui, puis en le laissant lire, réciter et parler seul. On prend, par exemple, les mots papa, maman et quelques petites phrases appropriées à sa jeune intelligence, comme : le papa gronde, la maman pardonne. On lit d'abord lentement : puis on gradue avec discernement la vitesse du débit, et. enfin, on le laisse parler seul sans le soutien du geste et du regard. Après quelques jours d'exercices, l'élève est tout étonné de voir qu'il prononce bien, sans efforts ni répétitions. C'est une habitude qu'il a prise de bien parler en imitant le ton de voix, les nuances, les temps d'arrêt, les reprises du professeur.

« On prévient le bégaiement et tous les autres défauts de la parole chez les enfants en ne leur faisant tout d'abord entendre que des mots et des phrases prononcés avec netteté et précision, et disant quelque chose à leur intelligence: puis on attendra patiemment qu'il leur vienne le besoin, le désir de parler : alors, on guidera, on aidera leurs premières tentatives, jusqu'à ce qu'elles soient couronnées de succès, et enfin on les habituera à parler lentement, posément, et avec toute la réflexion de leur âge.

« La précipitation du langage produit le bredouillement et souvent le bégaiement, comme la nonchalance conduit au balbutiement et à la blésité. »

Blésité ou blèsement. — On désigne sous ce nom un défaut de prononciation qui consiste à substituer une consonne à une autre, et le plus souvent une consonne douce à une consonne dure : dâteau pour « gâteau », tousin pour « cousin », etc. On donne encore le nom de blésité à diverses prononciations vicieuses de telle ou telle lettre ; parmi ces défauts, résultats d'une mauvaise habitude contractée par nonchalance ou par imitation, il faut citer le zézaiement, qui consiste à dire zouzou pour «joujou» ; le chuintement, où l'on prononce chon pour « son », ou, réciproquement, ceval pour « cheval » ; la lallation : Palis pour « Paris » ; le sessaiement, qui fait dire zlléro pour « zéro », sllucre pour « sucre », Jllan pour « Jean », chilien pour « chien », ou qui fait prononcer l's et le z comme le th anglais, en introduisant l'extrémité de la langue entre les dents ; et enfin le grasseyement.

On donne quelquefois le nom de grasseyement à toutes les prononciations défectueuses de la lettre r, telles que : vive pour « rive », méze pour « mère », bague pour « barre », colbeau pour « corbeau », noui pour nourrir ; mais il ne convient véritablement qu'à la substitution de l'r guttural à l'r palatal. Quand le grasseyement est très accentué, comme chez les Provençaux, il est fort désagréable, parce que les sons de la gorge sont toujours rauques, gras et d'un mauvais effet. Aussi les chanteurs, les orateurs et les comédiens qui grasseyent beaucoup sont-ils fatigants à entendre ; mais lorsqu'il est léger, comme chez les Parisiens, il a, dit-on, quelque chose de séduisant qui a porté certains petits-maîtres à se donner, pour substituer un défaut à une bonne qualité, des peines inouïes qu'ils n'auraient pas prises pour se corriger du plus grand défaut.

Ces défauts de prononciation se corrigent tous de la même manière, à savoir : étudier le mécanisme de la lettre fautive, l'écouter prononcer correctement, et s'efforcer devant un miroir de la prononcer de même. Voici la progression à suivre dans ces exercices d'articulation : Prendre la position des lèvres et de la langue ; souffler très légèrement d'abord et chercher seulement à imiter le bruit de la consonne étudiée ; souffler ensuite graduellement plus fort pour accentuer ce bruit ; souffler de la même manière, mais en faisant cette fois vibrer les cordes vocales pour produire le son e ; alors le bruit du souffle devient un bruit sonore, une consonne soutenue. Produire ensuite successivement toutes les voyelles en commençant par celles où les positions des lèvres et de la langue se rapprochent le plus des positions de la consonne cherchée, et opérer alors successivement sur chaque voyelle, comme on l'a fait précédemment avec l'e muet. Lire syllabiquement une longue série de mots où la lettre étudiée se trouve d'abord au commencement, puis dans le corps et à la fin des mots ; lire de la même manière des phrases tautogrammes appropriées à la circonstance ; lire couramment dans le premier livre venu, en soulignant légèrement la lettre exercée, par un petit ralentissement de la parole ; enfin lire couramment sans affectation sur aucune lettre. Une condition essentielle de succès, c'est que l'élève gardera un silence absolu jusqu'à ce qu'il ait trouvé la consonne, car autrement la mauvaise habitude combattrait constamment la bonne et annulerait les résultats de la leçon. Prenons pour exemple le grasseyement. Ce défaut peut se corriger par la « méthode du Conservatoire » et par la « méthode de l'Institution des bègues de Paris ». La première, imaginée par Talma et modifiée par Fournier, consiste à remplacer dans les mots la lettre r palatale par deux autres lettres palatales, pour arriver graduellement à faire vibrer le bout de la langue et enfin à prononcer l'articulation correcte r. Ainsi on a :

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Cet exercice dure six mois, un an et souvent davantage.

La deuxième méthode attaque directement la difficulté ; le professeur place le bout de sa langue près des incisives supérieures, il souffle, comme fl est dit plus haut, et sa langue, s'abaissant pour laisser passer un peu d'air et se relevant aussitôt, trois ou quatre fois de suite, forme une espèce de vibration qui est la véritable prononciation de l'r. L'élève regarde, écoute et essaie cette manoeuvre, qui lui réussit complètement au bout de deux ou trois semaines.

Arthur Chervin