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Pompée

Pierre-Philibert Pompée, né à Besançon le 6 janvier 1809, fut le premier directeur de l'école municipale Turgot et le fondateur de l'école professionnelle d'Ivry. Son père, Gilles-François Pompée, avait l'un des premiers introduit l'enseignement mutuel en France ; il dirigea une école libre à Besançon, à Vesoul, et enfin à Paris, rue Thévenot, dans un ancien hôtel habité autrefois par Joséphine Beauharnais. A défaut de fortune, il laissait en mourant à son fils un ouvrage qui avait eu trois éditions, le Manuel du jeune orthographiste (1re édition, 1819 ; 2e édition, 1824 ; 3e édition, 1829, sous le titre de Cours d'orthographe radicale, dite d'usage, ouvrage neuf, propre à enseigner notre orthographe sans le secours du latin), et de nombreux manuscrits : un Dictionnaire des familles de mots ou filiation des mots de notre langue avec l'esprit de chacun d'eux (l'auteur voulait enseigner le français par le français lui-même et remplacer l'élude des langues mortes par le système des familles de mots) ; un cours de langue allemande, un travail sur la conjugaison et les déclinaisons de la langue allemande, et un cours de thèmes et de versions allemandes. Tous ces matériaux furent utilisés plus tard par le fils du grammairien.

C'est en 1823 que Philibert Pompée quitta le collège de Vesoul, où il venait de passer deux années, pour suivre son père à Paris. Il entra comme apprenti dans les ateliers de M. Eberhart, imprimeur du Collège de France, et à l'âge de dix-sept ans il recevait son livret de compositeur. Mais les encouragements que lui avaient donnés divers professeurs avec lesquels il s'était trouvé en relation chez M. Eberhart l'engagèrent à se vouer à la carrière de l'enseignement ; il entra dans l'école de son père en qualité de sous-maître, obtint au bout d'un an le diplôme de bachelier ès lettres, et bientôt après le brevet d'instituteur de deuxième degré. Il se ht admettre au cours normal de M. Sarazin, et venait d'obtenir une attestation de premier ordre, quand il perdit son père en 1829.

La municipalité du cinquième arrondissement (aujourd'hui le dixième) fondait vers cette époque une école d'enseignement mutuel. Gilles Pompée, quoique malade, en avait sollicité la direction : l'intérêt qu'il inspirait se reporta sur son fils. Présenté par le maire, Philibert Pompée reçut bientôt sa nomination de directeur. Il n'avait alors que vingt ans, et cependant ses conseils furent suivis pour la construction et l'organisation de l'école, qui s'ouvrit au lendemain de la révolution de Juillet. On ne pouvait souhaiter de meilleures conditions. L'enseignement mutuel, patronné à ses débuts par la Société pour l'instruction élémentaire, adopté par le parti libéral, venait de traverser une période de crise. Malgré ses imperfections, cette méthode constituait un véritable progrès, puisqu'elle permettait de suppléer au nombre insuffisant des maîtres et de donner une expansion plus rapide à l'enseignement populaire. Pompée mit au service de cette cause tout son dévouement et toute son activité. Non content d'organiser l'école de la rue des Vinaigriers d'après les plans qu'il rapportait du cours normal, il y introduisit l'enseignement du chant avec la méthode Wilhem, et celui du dessin avec la méthode Francoeur. En 1831, il fit adopter par la Société pour l'instruction élémentaire un projet de Société de prévoyance des instituteurs et institutrices de la Seine, dont il avait trouvé les éléments dans les manuscrits de son père. Plus tard il fut admis comme professeur de grammaire générale à l'Association polytechnique et devint l'ami de Perdonnet, président de l'association.

Son zèle infatigable, son esprit d'initiative et surtout ses premiers travaux le désignèrent dès lors pour un rôle plus important. Le 20 décembre 1833, il fut choisi par le ministre comme membre du Comité central d'instruction primaire formé à Paris en vertu de l'ordonnance du 5 novembre de la même année.

Guizot venait de créer l'enseignement primaire supérieur : l'article 10 de la loi du 28 juin 1833 portait que les communes chefs-lieux de département et celles dont la population excède six mille âmes devaient avoir une école primaire supérieure. Il appartenait à la ville de Paris de fonder une école modèle. Le Comité central mit la question à l'étude, et le 27 février 1836 un rapport résumant ses travaux concluait à la fondation, aux frais de la ville, d'une école primaire supérieure: l'auteur du rapport était Philibert Pompée. Il avait obtenu quelque temps auparavant son brevet supérieur et pouvait dès lors ambitionner la direction du nouvel établissement. Mais c'est surtout par des travaux personnels qu'il voulut préparer sa candidature : il publia sous le titre d'Album des écoles primaires un cours de dessin linéaire qui fut adopté par le Comité central, et un peu plus tard un Rapport historique sur les écoles primaires de la ville de Paris. Le 23 mars 1839, il reçut sa nomination officielle de directeur de l'école primaire supérieure, qui devait être installée rue Neuve-Saint-Laurent, dans le quartier du Temple. C'est cette école qui prit en 1847 le nom d'école Colbert, et en 1848 celui d'école Turgot, qu'elle porte encore aujourd'hui.

En attendant l'ouverture de la nouvelle école, il va étudier en Suisse la méthode de Pestalozzi ; et de son séjour dans la patrie du grand réformateur il rapporte non seulement des connaissances nouvelles, de nombreux documents, mais surtout la foi de l'éducateur.

A peine de retour, Pompée se hâta d'organiser son école d'après les règles de l'hygiène et de l'éducation modernes. La salle de dessin qu'il y installa est particulièrement remarquable ; on y trouve déjà un hémicycle disposé en gradins pour le dessin d'après les plâtres ou d'après nature, ainsi qu'un système de tables à tiroir des plus ingénieux. A la suite de cette salle une pièce est aménagée pour le modelage. Au premier étage, une salle de lecture, et une salle de collections : collections de zoologie, de végétaux, de minéraux et de leurs produits industriels, produits chimiques rangés par ordre de fabrication, instruments de physique. Cette organisation répondait bien à l'esprit de l'enseignement primaire supérieur, qui se préoccupe avant tout de l'utilité pratique, de l'application. La même méthode se retrouve dans les programmes de l'enseignement. Les résultats répondirent aux efforts du directeur, qui reçut comme récompense, huit ans après l'ouverture de l'école, la croix de la Légion d'honneur. Il avait obtenu en 1845 le prix offert par l'Académie du Gard au meilleur travail sur la question de l'éducation en France. En 1847, l'Académie des sciences morales mettait au concours la question suivante : « Examen critique du système d'instruction et d'éducation de Pestalozzi, considéré principalement dans ses rapports avec le bien-être et la moralité des classes pauvres ». Pompée résolut de concourir. Aux documents qu'il avait recueillis en Suisse vinrent s'ajouter ceux que lui fournit un des anciens collaborateurs de Pestalozzi, Joseph Schmid, qui habitait Paris. Le mémoire de Philibert Pompée fut couronné conjointement avec celui de J.-J. Rapet ; il a été publié en 1850 chez l'éditeur Perrottin sous le titre d'Etude sur la vie et les travaux de J.-H. Pestalozzi Une seconde édition de cette biographie a paru en 1878 ; on y a joint la partie pédagogique du mémoire de 1847, l’étude sur la méthode pestalozzienne. Cette seconde édition a pour titre : Etude sur la vie et les travaux pédagogiques de J.-H. Pestalozzi, par P.-P. Pompée, premier directeur de l'école municipale Turgot, ouvrage couronné par l'Académie des sciences morales et politiques, et suivi d'une notice biographique sur Pierre-Philibert Pompée, par Léon Château ; Paris, Delagrave.

Après la révolution de 1848, nommé membre de la Haute commission des études scientifiques et littéraires par le ministre Carnot, Pompée fit partie de la sous-commission chargée de préparer une loi nouvelle en harmonie avec les principes républicains. Mais la réaction ne tarda pas à prendre le dessus, et après le coup d'Etat de 1851 elle devint toute-puissante. D'abord suspect, puis persécuté pour son libéralisme, Pompée vil que la lutte était impossible : afin d'éviter une révocation, il adressa le 16 décembre 1852 sa démission au préfet de la Seine, Berger.

Le 16 février 1853, Pompée ouvrait à Ivry une école professionnelle libre, installée dans une propriété dont les dépendances occupent un espace de 16 000 mètres carrés, avec de vastes cours de récréation, un parc très ombragé et un jardin botanique d'une contenance de 10 ares. Partout de l'air, de la lumière et d'excellentes conditions hygiéniques. La salle de dessin est, comme à l'école Turgot, installée avec un soin particulier. Les collections d'histoire naturelle sont des plus variées. On y remarque surtout de nombreux spécimens de matières textiles à l'état naturel et à l'état manufacturé, ainsi qu'une belle collection de bois de travail.

Pompée profitait de ses vacances pour voyager : il avait ainsi successivement visité les Alpes, l'Auvergne, la Bretagne, la Suisse, la Belgique : il en rapportait de nouvelles collections, de même que des notes sur les établissements d'instruction.

Après une période de dix années, l'école d'Ivry était devenue prospère ; elle fut signalée au public par les articles de Charles Sauvestre dans l'Opinion nationale. En 1862, Rouland fit visiter l'école de Pompée par deux inspecteurs généraux, MM. Rendu et Dubief, qui firent au ministre un rapport des plus favorables. L'année suivante, Pompée publia chez Pagnerre ses Etudes sur l'éducation professionnelle en France (in-18), ouvrage qui comprend deux parties : la première, intitulée : De l'éducation professionnel le en France, est le mémoire couronné en 1835 ; la seconde, qui a pour titre: Réforme de l'enseignement et plans d'études, embrasse la période écoulée de 1846 à 1862. La même année il avait organisé à Ivry une section de l'Association polytechnique.

En 1865, Duruy préparait son projet de loi sur la création de l'enseignement secondaire spécial ; il vint visiter l'école d'Ivry avec une commission de députes. A partir de cette visite, des relations suivies s'établirent entre le ministre libéral et l'ancien directeur de l'école Turgot. Un an après, Pompée fut nommé membre du Conseil supérieur du nouvel enseignement.

Lors de l'Exposition universelle de 1867, il fut désigné pour faire partie du jury international des récompenses, comme membre de la classe 90. Les collections et les travaux exposés par ses élèves furent particulièrement remarqués, ainsi que sa méthode d'enseignement géographique prenant l'école pour point de départ. Il fit plusieurs conférences aux instituteurs appelés à Paris par le ministre pour visiter l'Exposition, et fut chargé de la rédaction d'une partie des rapports relatifs à l'exposition de l'instruction publique : les sujets qui lui furent confiés sont l'introduction, les crèches et les asiles, l'instruction primaire, les écoles d'adultes, les cours polytechniques secondaires, l'enseignement technique et les collections. Son travail, qui est encore aujourd'hui consulté avec fruit, remplit, avec les rapports de ses collègues, le treizième volume de la collection des rapports du jury. A la suite de ce grand et méritoire labeur, il reçut la croix d'officier de la Légion d'honneur.

En 1869 il commença à écrire, pour l'Histoire générale de la ville de Paris, que publiait la préfecture de la Seine, l'Histoire de l'instruction primaire dans la ville de Paris. Ce travail, qui devait, dans la pensée de l'auteur, être aussi complet que possible, est malheureusement resté inachevé.

Pompée venait d'être nommé conseiller municipal et maire d'Ivry, lorsque l'invasion prussienne l'obligea à se réfugier à Paris et à y transporter le matériel de son école. Après le second siège de Paris, il s'appliqua à réparer dans sa commune les malheurs de la guerre et fut élu membre du Conseil général de la Seine. Il faisait déjà partie du Conseil départemental de l'instruction publique et de la commission de surveillance de l'école normale d'Auteuil, Il se multipliait pour suffire à des charges si nombreuses et si lourdes ; mais la cruelle maladie qui le minait depuis longtemps, la goutte, devait avoir raison de la vigueur de son esprit et de son inaltérable dévouement ; elle l'emporta le 9 février 1872, à l'âge de soixante-deux ans.

C'est à la notice biographique consacrée en 1878 à P.-P. Pompée par son gendre et son successeur, M. Léon Château, que nous avons emprunté le fond de cet article.

Eugène Blanchet