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Pluche (l’abbé)

L'abbé Pluche, l'auteur du Spectacle de la nature, a rendu un service incontestable en vulgarisant, au dix-huitième siècle, les premières notions des sciences naturelles. Né à Reims en 1688, il se voua de bonne heure à l'enseignement public. Il était à vingt-deux ans professeur d'humanités au collège de sa ville natale, et parvint rapidement à la chaire de rhétorique. Ordonné prêtre, il obtint de l'évêque de Laon la place de principal du collège de cette ville, mais fut forcé d'abandonner ses fonctions pour avoir refusé d'accepter la bulle Unigenitus. Sur la recommandation de Rollin, il fut alors appelé à Rouen pour diriger l'éducation du fils de l'intendant de Normandie, Gasville ; pendant son séjour dans cette ville, il donna des leçons de physique au fils de Lord Stafford. Revenu à Paris, il vécut quelque temps en donnant des leçons d'histoire et de géographie, puis renonça à l'enseignement pour se consacrer entièrement à la composition d'un ouvrage commencé à l'époque où il instruisait le jeune Stafford, et qu'il lui destinait d'ailleurs, le Spectacle de la nature. On doit encore à l'abbé Pluche La Mécanique des langues et l'art de les enseigner (1735), livre où il s'élève contre les thèmes prématurés, l'emploi du latin moderne et la multiplicité des règles. L'abbé Pluche, qui s'est aussi occupé de méthodes de lecture, préconise le système « d'appellation et de non-épellation » de Port-Royal, et recommande l'usage de l'écran, sorte de carton percé d'un trou à travers lequel on fait paraître au fur et à mesure, puis ensemble, les différents éléments qu'on veut faire étudier à l'enfant.

Le Spectacle de la nature, qui fut publié à Paris, en 1732 (8 tomes en 9 volumes in-12), renferme des notions de physique et d'histoire naturelle, la description des principaux procédés des arts mécaniques, et des dissertations sur quelques questions de morale. Le tome IV contient, entre autres sujets, une centaine de pages sur l'éducation. C'est cette partie de l'ouvrage que nous nous proposons d'examiner.

Disons d'abord que ce travail et surtout un recueil d'observations sur la manière dont étaient élevés les enfants à l'époque où le livre fut écrit, et de conseils aux parents. Si nous ajoutons que l'auteur était janséniste, on sera prévenu à la fois de l'austérité et de l'esprit religieux qui y dominent. Au début, on y trouve, à l'adresse des mères, la recommandation d'allaiter elles-mêmes leurs enfants, de leur donner le bon exemple, afin que les premières impressions de l'enfant le dirigent vers le bien. A mesure qu'il grandit, on doit l'habituer à aimer « les hommes qui, vivant autour de nous ou même fort loin de nous, travaillent efficacement à nous rendre heureux » ; ne pas invoquer immédiatement les motifs religieux pour exhorter à cette amitié ; surveiller et exercer les bonnes dispositions, « principalement la douceur et la charité » ; cultiver la raison, entretenir l'activité et fortifier le jugement, « surtout par des récits et des promenades » ; éviter de raconter des histoires effrayantes qui ébranlent quelquefois si profondément le cerveau ; veiller enfin à ce qu'en se développant, l'enfant acquière une démarche aisée et souple, un ton gracieux et une bonne prononciation, qualités physiques auxquelles l'auteur paraît attacher une importance exceptionnelle.

La suite des conseils de l'abbé Pluche sur l'éducation des enfants est présentée sous la forme de deux lettres adressées à l'auteur par un père de famille.

La première, qui traite de l'éducation des filles, reproche aux parents de ne s'occuper que du maintien à garder en société, sans donner un fonds suffisant de connaissances, ou de n'habituer qu'au travail manuel sans égards pour l'intelligence. La vraie éducation, pour la jeune fille, doit consister « à la mettre en état de se conduire et de pouvoir un jour gouverner les autres ». Le moyen le plus sûr et le plus prompt de lui donner cette éducation est l'étude de l'histoire, qu'on lui enseignera d'abord par des récits à sa portée et qu'elle apprendra ensuite seule dans les livres. « Une jeune demoiselle peut apprendre ainsi une infinité de faits qui portent avec eux leur moralité et leur instruction, et elle acquerra très aisément la science qu'il suffit, en retenant la seule histoire de l'Evangile et de rétablissement de l'Eglise. » On lui formera une bibliothèque composée des deux livres précédents auxquels on ajoutera « le Catéchisme du diocèse, le Catéchisme de l'abbé Fleury, l'Histoire de l'Ancien Testament et les Moeurs des chrétiens ». Après « ce premier nécessaire auquel tout doit être subordonné », on s'occupera de lui apprendre à compter promptement et à écrire facilement, soit un récit d'histoire qu'elle aura entendu, soit une lettre à des parents ou à des fournisseurs sur des objets usuels de la vie domestique. On aura bien soin d'exiger un style simple et de ne louer « que les bonnes idées et non les finesses et les tours spirituels ». On persuadera à la jeune fille qu'il est aisé d'écrire « en n'applaudissant qu'aux passages qui n'ont coûté ni embarras, ni méditations, et en paraissant s'occuper fort peu de ce qui est brillant ». La première éducation de la jeune fille ayant été ainsi dirigée, on cherchera à étendre davantage ses connaissances, si elle montre d'heureuses dispositions. L'étude la plus propre « à la rendre solide sans rien diminuer de sa gaité » est encore celle de l'histoire, plus étendue et mieux détaillée, étude qui lui fasse voir une suite intéressante et bien liée de tous les événements mémorables et de toutes les révolutions qui sont arrivées de siècle en siècle jusqu'à nos jours, en unissant à ces faits l'inspection des lieux où ils se sont passés. On pourra lui faire aborder ensuite la mythologie, mais lorsqu'on sera sûr « qu'elle a acquis une juste idée de la religion, et pour lui montrer les objets pitoyables sur lesquels roulait la religion païenne », en ayant soin aussi « de bien dépêcher une étude si misérable ». Après l'avoir exercée encore à certains travaux manuels tels que la broderie, la tapisserie, la lingerie, etc., on pourra considérer son éducation comme terminée et l'on songera à la marier.

La seconde lettre traite de l'éducation des garçons. L'abbé Pluche critique sévèrement l'éducation qu'on donnait à ceux de son temps, « éducation qui, n'ayant pour but que l'agrément extérieur, empoisonne la société ». On envoie son fils au collège pour suivre la mode, dit-il fort justement, et l'on considère le temps qu'il y passe, non les progrès qu'il y devrait faire. Il étudie un mauvais latin qu'il ne sait même jamais, il monte à cheval, apprend à danser et sort du collège dépourvu de bon sens et de jugement, mais bouffi d'orgueil. Il convient, dit l'auteur, « de le former le plus tôt possible à la politesse et aux bonnes manières », et de lui apprendre ensuite à lire en l'amusant, au moyen d'un instrument quelconque, le bureau typographique de Dumas, par exemple. On peut même, ajoute-t-il, l'amener en peu de temps par ce procédé « à lire l'hébreu, le grec, le gothique et les écritures des différents siècles ». Lorsqu'il sera en état de lire seul les histoires composant sa petite bibliothèque (la même que pour la petite fille), qu'il pourra les raconter et dire ses impressions, on abordera l'étude de l'écriture, pour le début de laquelle l'auteur recommande le procédé du calque. Viendront ensuite l'étude du calcul, ayant pour objets les besoins ordinaires de la vie domestique, les exercices de construction avec « de petits morceaux de bois taillés en briques », et enfin les belles-lettres, « si le père remarque en son fils quelque finesse d'esprit ou quelque disposition à cette élude». Nous ne suivrons pas l'auteur dans sa dissertation sur l'étude des langues mortes et de la philosophie, qui n'offre pour nous qu'un médiocre intérêt.

L'abbé Pluche est mort à la Varenne-Saint-Maur en 1761.

Simon Maire