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Platon

Le philosophe grec Platon (cinquième siècle avant l'ère chrétienne) a tracé dans deux de ses ouvrages, les Lois et la République, un plan complet d'éducation. Sa doctrine sur l'education est dérivée de ses théories sur la nature humaine, sur l'Etat et sur la vertu ; celles-ci à leur tour dérivent de sa doctrine générale sur la nature des choses. Pour comprendre l'idée directrice de son système d'éducation, il faut, au préalable, en connaître les sources.

Pour Platon, les choses sensibles, c'est-à-dire le monde terrestre, ne sont pas la réalité véritable ; ce n'est qu'une apparence, une ombre, une copie des choses intelligibles, seules vraies, seules réelles ; le monde sensible est aperçu par les sens ; le monde intelligible est perçu par la raison, et l'oeuvre de la philosophie consiste à dégager la raison des apparences sensibles pour la tourner vers les réalités intelligibles, que Platon appelle les idées. La célèbre allégorie de la caverne marque nettement cette distinction de l'apparence et de la réalité, et donne une saisissante image de la condition humaine avant et après l'oeuvre de la philosophie.

Imaginez un souterrain, et, dans ce souterrain, des hommes enchaînés depuis leur naissance, de façon à ne pouvoir changer de place, ni même tourner la tête. Dans cet état, ils ne verront que les objets situés devant eux. Derrière eux brûle un feu ; entre eux et le foyer, un chemin escarpé, bordé d'un mur semblable à ces cloisons derrière lesquelles des charlatans dissimulent aux spectateurs les ressorts des merveilles qu'ils montrent ; derrière et au-dessus de ce mur on promène des objets de toute espèce, figures d'hommes et d'animaux en bois ou en pierre. Que verront les captifs? Rien que des ombres que projette devant eux sur la paroi de la caverne le feu qui les éclaire, ombres d'eux-mêmes, ombres des objets promenés derrière le mur. Ces ombres et leurs mouvements ne seront-ils pas pour eux toute la réalité?

— Qu'on détache maintenant un de ces captifs, qu'on le force à se lever, à tourner la tête, à marcher et à regarder du côté de la lumière. Une lois habitue à cet éclat nouveau pour lui, il distinguera les objets réels d'avec les ombres auxquelles il attribuait une realité menteuse. — C'est là une image de la condition humaine : la caverne, c'est le monde terrestre où nous vivons ; les ombres de la caverne, ce sont les apparences d'une réalité que les sens ne saisissent pas ; le captif qui se tourne des ombres vers les objets réels, c'est l'âme qui passe, grâce à la philosophie, des apparences mobiles des sons aux Idées, c'est-à-dire aux réalités fixes de la raison.

La méthode à suivie pour opérer cette conversion, et dégager les idées des sensations, et des idées elles-mêmes celle qui les domine toutes de sa perfection absolue, l'idée du bien, Platon l'appelle la dialectique. Elle consiste essentiellement à purifier l'âme des erreurs issues des sens, à chercher en toutes choses l'élément idéal qui en est la réalité vraie, à ramener les apparences sensibles à l'idée qui les explique, par exemple tous les triangles sensibles et imparfaits au triangle idéal et parfait, enfin à s'élever des idées les moins générales à des idées de plus en plus générales, jusqu'à l'idée à la fois la plus générale et la plus parfaite de toutes, l'idée du bien et de Dieu, cause et raison de toutes choses.

Ceci dit, qu'est-ce que l'homme? L'homme tient à la fois au monde sensible et au monde intelligible. Platon distingue en lui trois parties ou plutôt trois puissances différentes : le désir, le coeur et la raison. Le désir, ensemble des appétits charnels et sensibles, préside aux fonctions de nutrition et de reproduction, et réside dans la partie inférieure du tronc, au-dessous du diaphragme ; le coeur, comme son nom l'indique, a pour siège la partie supérieure du tronc ; c'est l'instinct noble et généreux, mais incapable de se donner par lui-même une direction ; au-dessus, dans la tête, siège la raison, la raison qui peut connaître la vérité, diriger vers elle le coeur et ses forces actives, et maitriser par là les passions inférieures. Dans son poétique langage, Platon a comparé l'homme a un attelage, composé d'un cocher, symbole de la raison, d'un cheval généreux et docile, image du coeur, et d'un autre cheval fougueux et indompté, image des appétits et des passions.

C'est sur le type de l'homme que Platon construit l'Etat. Comme dans chaque individu les trois puissances que nous venons de décrire n'ont pas même force et même intensité, comme chez les uns la raison domine, chez les autres le coeur, chez d'autres enfin la passion, il est impossible que, dans l'Etat, tous les citoyens aient une seule et même fonction. Il y aura dans l'Etat trois ordres principaux de fonctions, et par suite trois classes de citoyens : les magistrats, qui seront la tête, la pensée, la raison de l'Etat ; les guerriers, qui en seront le coeur, et auront pour fonction de le défendre ; enfin les artisans, correspondant à la troisième puissance de l'âme humaine, et qui, par leurs travaux, feront vivre l'Etat, comme les appétits assurent la vie de l'individu et celle de l'espèce.

Chaque puissance spéciale dans l'âme humaine, chaque classe distincte de citoyens dans l'Etat, a sa vertu propre, qui n'est autre chose que la réalisation pleine et entière de la fonction de cette puissance ou de cette classe. Ainsi, la fonction de la pensée est de connaître la vérité ; elle doit tendre à cette fin, et, quand elle l'a atteinte, elle a réalisé sa vertu, qui est la prudence ou la science, deux mots synonymes, deux choses identiques aux yeux des anciens. De même, la vertu des magistrats est la prudence. Ne sont-ils pas la raison de l'Etat? N'ont-ils pas pour fonction essentielle de savoir ce qui convient et ce qui ne convient pas à la cité tout entière? Dans l'individu, la vertu du coeur est le courage, vertu à la fois passive et active, puisqu'elle reçoit et exécute les ordres de la raison. Dans l'Etat, le courage est la vertu propre des guerriers ; ils doivent obéir aux ordres des magistrats, et ne reculer devant aucun péril pour exécuter leurs ordres dans l'intérêt de la cité. Dans l'individu, la tempérance consiste à ne pas se laisser aller aux élans de la passion ; elle est donc la vertu propre du désir. De même, dans l'Etat, la tempérance commandée à chaque citoyen en tant qu'homme sera la vertu propre de celle classe de citoyens qui correspond à la partie inférieure de l'âme. Enfin, du concours de ces trois vertus, résultera dans l'homme et dans l'Etat une quatrième vertu, la justice, qui n'est pas simplement aux yeux de Platon le respect du droit d'autrui, mais une vertu plus large qui met chaque chose à sa place. Si, dans l'individu, la raison sait, si le coeur obéit avec docilité et courage, si la passion se soumet et ne va pas au delà des fonctions auxquelles elle concourt, l'individu sera juste ; en lui chaque chose sera à sa place, suivant son importance et sa dignité ; la passion n'usurpera pas le rôle directeur de la raison ; le coeur ne sera pas rebelle. De même, dans l'Etat, si les magistrats savent, si les guerriers sont courageux, si les artisans sont tempérants, l'Etat sera juste. Là encore, chaque chose sera à sa place ; la subordination nécessaire des classes, résultant de la dignité variable des fonctions, sera respectée. La justice est donc une résultante des autres vertus.

Nous venons de voir que la vertu des magistrats rêvés par Platon pour l'État dont il trace l'idéal est la prudence (ou science) ; il en résulte que les magistrats doivent être tous des philosophes. Platon en effet ne distingue pas, comme nous le faisons de nos jours, les sciences proprement dites de la philosophie. A ses yeux, il n'y a qu'un savoir, la connaissance des idées éternelles et nécessaires, par opposition aux apparences fugitives des sens. Platon enlève donc aux prêtres la fonction directrice de l'Etat, pour la donner aux philosophes. Ceci devait être noté dès maintenant, car ce sera la clef de toute une partie de son système sur l'éducation.

Abordons maintenant ce système en lui-même. D'après ce qui précède, il est aisé de prévoir qu'aux yeux de Platon, l'individu doit être entièrement subordonné à l'Etat. Considéré en lui-même, l'individu a sa valeur propre ; mais par cela seul qu'il vit en société, celle valeur devient une des composantes de la valeur sociale. Aussi l'enseignement et l'éducation doivent-ils être la préoccupation dominante du législateur. Ce n'est pas pour eux-mêmes, c'est pour l'Etat dont ils feront partie qu'il faut former les enfants et les jeunes gens. Le système d'éducation que nous allons exposer est, dans toute la force du terme, une oeuvre de législation pédagogique. Il est vrai que dans un Etat constitué, comme nous l'avons vu plus haut, avec des chefs en possession du savoir le plus pur et le plus complet, uniquement guidés par la pensée du bien, l'éducation, qui vise à la perfection de l'Etat, ne peut y parvenir que par la perfection de l'individu ; mais c'est là une conséquence, et la culture de l'enfant, si elle aboutit en fait à son bien, a pour but le bien de l'Etat.

D'après cela, on peut s'étonner que Platon n'ait pas eu souci de l'éducation de toute une classe nombreuse de citoyens, les artisans ; l'enseignement qu'il prescrit est essentiellement libéral, au sens où nous prenons ce mot ; rien de technique, rien de professionnel, rien de mercenaire dans la république platonicienne ; l'enseignement professionnel est libre ; le législateur ne s'est réservé que l'éducation des futurs guerriers et des futurs magistrats ; sans doute Platon estimait que l'instruction professionnelle, y compris la médecine, pouvait être laissée, sans dommage et sans danger pour l'Etat, à la libre initiative des individus, que là les changements et les variétés importaient peu, tandis que le bien de l'Etat exigeait de tous ceux qui sont appelés à le diriger et à le défendre des vertus communes.

Le système platonicien d'éducation est un système à deux degrés, à deux cycles, comme nous dirions aujourd'hui. Le premier commence à la naissance de l'enfant, avant même sa naissance, et se termine à vingt ans ; c'est le degré élémentaire ; il produit les futurs guerriers. Le second commence à vingt ans, et dure jusqu'à trente-cinq, et même jusqu’à cinquante ; c'est le degré supérieur ; il est réservé à ceux que leurs aptitudes désignent pour les magistratures de l'Etat.

Etant posé en principe que le but de la bonne éducation est, comme le dit Platon, « de donner au corps et à l'âme toute la beauté et toute la perfection dont ils sont capables », elle ne doit pas attendre que l'enfant ait vu le jour pour s'exercer sur lui. L'embryon est déjà sensible à certaines impressions ; son âme et son corps peuvent en recevoir des empreintes durables ; aussi les femmes enceintes auront-elles souci des fruits qu'elles portent ; elles feront de fréquentes promenades ; elles éviteront de s'abandonner à des joies ou à des chagrins excessifs ; elles s'efforceront de se conserver dans un état de tranquillité et de douceur.

L'enfant né, mère et nourrice veilleront avec le plus grand soin sur ses mouvements, dans la crainte qu'il ne se contourne quelque membre ; elles le berceront, car le rythme du berceau apaise les frayeurs de la première enfance, et donne à l'âme paix et repos. Toutefois Platon ne fait pas de ces prescriptions des règles législatives ; ce sont des conseils et non des lois.

Quand l'enfant a trois ans, le législateur s'en empare, et désormais il va le conduire impérativement au but.

Le degré élémentaire de l'éducation, commun à tous les enfants, garçons et tilles, peut se diviser en deux périodes : la première, de trois à dix ans, pendant laquelle l'enfant est soumis à une sorte d'entraînement physique, esthétique et moral, sans rien apprendre de ce que nous considérons aujourd'hui comme les éléments du savoir ; la seconde de treize à seize ans, pendant laquelle aux exercices de la première période s'ajoutent la lecture, l'écriture, et les éléments du calcul, de la géométrie et de l'astronomie.

L'éducation s'adresse à la fois au corps et à l'âme: elle vise à la perfection de l'un et de l’autre. Comme à trois ans on ne peut discerner encore ceux des enfants que leurs aptitudes scientifiques pousseront jusqu'aux magistratures de l'Etat, il faut les considérer tous comme de futurs guerriers, et s'appliquer déjà à développer en eux les vertus de la classe militaire ; pour cela, développer leurs forces corporelles, exercer leurs membres, leur inspirer le courage, la confiance en soi-même, le sang-froid, la discipline, la docilité aux ordres des chefs, la sobriété, la patience de la fatigue, le mépris du danger. C'est là que tendent les exercices gymnastiques appropriés aux forces croissantes de l'enfant et qui le feront passer graduellement des mouvements et des évolutions propres au jeune âge, aux luttes qui rappellent les combats de la guerre et y préparent. En même temps, et à partir de trois ans, les âmes seront l'objet de soins particuliers. Il ne s'agit pas encore de les donner à la science ; il faut les former par une action extérieure ; la musique, et avec elle les danses décentes, les chants et les poésies seront les instruments de cette première éducation de l'âme. Tout est réglé par autorité publique. Les jeux de l'enfance ne sont pas chose que le législateur puisse dédaigner comme indifférente ou inférieure, ils forment des habitudes, et la stabilité de l'Etat est intéressée à ce que les citoyens aient dès l'enfance des habitudes communes.

De trois à six ans, les enfants seront conduits par les nourrices dans les lieux consacrés aux dieux ; à six ans, ils iront au gymnase, et là ils apprendront à lutter entre eux, à monter à cheval, à lancer le javelot ; on s'appliquera à leur apprendre à se servir également des deux mains, car « si l'on avait cent bras, il faudrait savoir lancer cent javelots ». Ils apprendront la danse, et « celle qui rend par ses mouvements les paroles de la muse », et conserve toujours un caractère de noblesse et de grandeur, et « celle qui contribue à donner aux membres l'agilité, la souplesse et la beauté » ; ils chanteront les oeuvres des poètes, non pas de tous les poètes, mais de ceux-là seulement qui ne s'écartent pas dans leurs vers de ce qui est bon, beau et honnête, et dont les oeuvres auront été approuvées par les magistrats.

A cette éducation physique, morale et esthétique à la fois, s'ajoute, dans la deuxième période du premier degré, ce que nous appellerons l'enseignement proprement dit. A dix ans, l'enfant apprend à lire et à écrire ; il doit le savoir faire à treize ; de treize à seize, il est initié à la littérature nationale, au calcul, à l'art de mesurer les surfaces, et à cette partie élémentaire de la science astronomique qui correspond assez bien à ce. que nous appelons aujourd'hui la cosmographie. Il importe de ne pas se méprendre sur les caractères de cette première culture scientifique ; il ne s'agit pas de l'arithmétique, de la géométrie et de l'astronomie au sens scientifique de ces mots, — ces sciences, comme nous le verrons plus loin, sont réservées pour le deuxième degré, — mais bien plutôt de l'art de compter et de calculer, de mesurer la longueur, la surface et la profondeur, et de reconnaître pratiquement les révolutions et l'ordre mutuel des astres. Ce sont là des connaissances indispensables à tout homme et surtout au futur guerrier, qui devra savoir dénombrer ses soldats, construire et mesurer un camp, et souvent guider sa marche d'après les astres ; mais, pour les acquérir, il n'est pas besoin de science proprement dite ; des procédés pratiques suffisent, et, chose intéressante à noter ici, les procédés d'enseignement que recommande Platon ne seraient pas désavoués par nos pédagogues modernes : « On commencera par les exercer, en jouant, aux petits calculs inventés pour les enfants, et qui consistent, soit à partager également, tantôt entre plus, tantôt entre moins de leurs camarades, un certain nombre de pommes ou de couronnes ; soit à leur distribuer successivement, et par la voie du sort, dans leurs exercices de lutte et de pugilat, les rôles de lutteur pair ou impair ; soit à mêler ensemble des petites fioles d'or, d'argent, d'airain et d'autres matières semblables, en sorte qu'on les oblige, en les amusant, de recourir à la science des nombres ».

De seize à vingt ans, l'adolescent complète son éducation guerrière par la chasse et par la vue des combats.

Garçons et filles, avons-nous dit plus haut, reçoivent la même éducation. De trois à six ans, ils sont élevés en commun ; à partir de six ans, les deux sexes sont séparés, mais ils suivent des exercices semblables : c'est là un point d'autant plus intéressant à noter que, dans ce premier degré de l'enseignement, le but à atteindre est la formation de guerriers solides et valeureux. Voici par quelles raisons Platon essaie de justifier, dans les Lois, l'identité de l'éducation des deux sexes : « S'il arrivait que des ennemis du dehors, soit grecs, soit barbares, vinssent à fondre sur l'Etat avec de grandes forces, et missent tout le monde dans la nécessité de combattre pour ses propres foyers, ne serait-ce pas un grand vice dans le gouvernement, si les femmes y étaient si mal élevées qu'elles ne fussent point disposées à mourir et à s'exposer aux plus grands dangers pour le salut de la patrie, comme nous voyons les oiseaux combattre pour leurs petits contre les animaux les plus féroces ; et qu'à la moindre alarme, elles courussent se réfugier dans les temples pour y embrasser les autels et les statues des dieux, imprimant par là à l'espèce humaine cette tache de la faire regarder comme plus lâche qu'aucune autre espèce d'animaux. » En un mot, pourquoi la femme de l'Athénien ne combattrait-elle pas, puisque la femelle de l'animal combat?

L'éducation du premier degré forme des guerriers. Parmi les jeunes gens de vingt ans qui ont été soumis à l'entraînement que nous avons décrit, les chefs de l'Etat choisissent les meilleurs, ceux dont l'âme a manifesté les penchants les plus nobles, et les aptitudes les plus sérieuses pour la philosophie. Cette élite seule recevra l'éducation du second degré ; c'est d'elle que sortiront les futurs magistrats de la cité.

L'enseignement du premier degré avait été religieux ; c'est dans les lieux consacrés aux dieux que les petits enfants se réunissent ; ce sont des hymnes en l’honneur des dieux que chantent les adolescents. L'enseignement du second degré sera exclusivement scientifique : l'idée de Dieu n'en sera pas bannie, mais ce sera le Dieu de la philosophie ; le Dieu conçu par l'esprit humain comme la raison suprême de l'univers, et non pas ces dieux auxquels les hommes ont élevé des autels, et que servent des prêtres. La pensée de Platon est d'enlever à la religion et aux prêtres la direction de la cité, pour la donner à la science et aux philosophes. Le futur magistrat n'entendra plus, à partir de vingt ans, aucune des fables chantées par les poètes ; il s'appliquera tout entier à la connaissance de la vérité.

La vérité, nous l'avons vu, c'est l'ensemble des idées, le monde intelligible, dont le monde sensible est seulement l'ombre et la copie. Ce monde, il est donné au seul philosophe de le contempler par l'oeil de la raison. C'est donc à l'étude de la philosophie que doivent se former les futurs magistrats. Mais la dialectique, ou méthode philosophique qui tourne les regards de l'âme de la contemplation des choses sensibles à celle des choses intelligibles, exige une préparation. La philosophie ne s'aborde pas de plain pied ; il faut s'y préparer par l'étude d'objets dépourvus de tout élément sensible, et qui cependant ne sont pas encore le pur intelligible. Aussi pendant dix ans, de vingt à trente, Platon soumet-il celui dont il veut faire un philosophe et un magistrat à une culture exclusivement scientifique.

Cinq sciences, toutes les cinq abstraites et mathématiques, sont enseignées pendant cette période, la science des nombres, la géométrie plane, la géométrie à trois dimensions, l'astronomie, et enfin la musique.

Ce cours d'études scientifiques n'est pas la répétition des exercices mathématiques auxquels se sont livrés les jeunes gens au premier degré de leur éducation ; ces exercices, nous l'avons vu, avaient un caractère pratique ; leur but était d'apprendre au futur soldat à calculer, à mesurer les lunes, les surfaces et les solides, à se guider d'après la marche des astres. L'enseignement scientifique du deuxième degré est essentiellement théorique ; son but est d'initier le futur philosophe à la connaissance des rapports généraux qui unissent les différentes espèces de grandeurs. Tel est en effet le propre de chacune des sciences préparatoires à la philosophie, dont Platon prescrit l’étude.

La première est la science des nombres ; elle est capable d'élever l'âme à la pure intelligence, et de l'amener à la contemplation de ce qui est. Les nombres en effet sont parmi les choses qui invitent l'entendement à la réflexion. Aucun sens ne nous donne une connaissance complète de l'unité et des autres nombres, puisque chacun d'eux nous montre chaque nombre à la fois un et multiple. L'âme est donc forcée de demander à l'entendement ce qu'est l'unité et le nombre.

Une autre science universelle est la géométrie à deux dimensions ; elle a pour objet la connaissance non des formes passagères, mais des rapports permanents qu'elles ont entre elles ; par suite, elle attire l'âme vers la vérité, et forme l'esprit philosophique, en forçant l'âme à porter en haut ses regards, au lieu de les abaisser vers les choses sensibles.

Après la géométrie plane, vient ce que Platon nomme la géométrie à trois dimensions, science, dit-il, encore peu avancée, et qui devait être « la science de rendre commensurables, en les rapportant à des surfaces, des nombres qui sans cela n'auraient pas de commune mesure ».

A cette science succédera l'astronomie, non pas l'astronomie descriptive, mais l'astronomie mathématique, celle qui étudie les rapports numériques des astres.

Les études scientifiques se terminent par la musique, entendue comme science des rapports qu'ont entre eux les sons musicaux, musique mathématique. et par conséquent bien différente de celle à laquelle sont initiés les enfants au premier degré de l'éducation.

Mais tout cela n'est que le prélude. « L'air qu'il faut entendre, c'est la dialectique, cette science toute spirituelle, qui, s'interdisant absolument l'usage des sens, s'élève par la raison seule à l'essence des choses. » L'élève de Platon y serait initié de trente à trente-cinq ans ; puis, pendant quinze ans, il descendra de nouveau dans la caverne, passera par les emplois militaires, et, s'il demeure ferme au milieu des épreuves de la vie, à cinquante ans il sera admis au gouvernement de l'Etat.

Tel est. rapidement esquissé, le système platonicien de l'éducation. On voit que l'individu y est entièrement subordonné à l'Etat ; par suite, les initiatives particulières sont supprimées. L'enfant, l'adolescent, l'homme soumis à ce régime ne sont pas considérés en eux-mêmes et pour eux-mêmes, mais uniquement dans leurs rapports avec la société. L'individu bénéficie sans doute d'une culture dont il n'est pas lui-même le but, mais la doctrine s'éloigne trop de la réalité pour que ce programme d'éducation, qui prend l'homme à sa naissance et le tient en lisière presque jusqu'au seuil de la vieillesse, puisse être tenu pour autre chose que pour l'idéal d'un noble et chimérique esprit.

Louis Liard