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Pibrac

 Guy du Faur, seigneur de Pibrac, est connu de la postérité comme l'auteur, d'un recueil de quatrains moraux qui pendant un siècle jouit d'une grande réputation, et remplaça en France, entre les mains des enfants, les distiques latins de Dionysius Cato le grammairien. Né à Toulouse en 1529, d'une famille de robe, Pibrac fit de bonnes études à Bordeaux, puis à Bologne sous Alciat, fut reçu avocat à vingt ans, et devint juge mage à Toulouse. Ses talents le firent remarquer de bonne heure, et il fut appelé au Parlement de Paris. Là, en avril 1559, pour avoir parlé en faveur de la tolérance religieuse ; il fut arrêté en même temps qu'Anne du Bourg et mis à la Bastille par ordre de Henri II ; mais il n'y resta que peu de temps, le roi étant mort le 10 juillet suivant. En 1562, il fut envoyé par Charles IX au concile de Trente avec un autre magistrat, du Ferrier, pour y défendre les privilèges de l'Eglise gallicane. Orateur disert, latiniste consommé, jurisconsulte subtil, poète élégant et vigoureux à la fois, il plut à la souple Florentine qui, depuis 1560, gouverna la France. En 1564, il devint avocat général ; un peu plus tard, il entra au Conseil privé, et fut chargé par le duc d'Anjou de l'administration de ses biens. Son attitude, pendant ces funestes années où Catherine de Médicis régna sous le nom de ses fils, fut celle de la plupart des lettrés de cette époque, courtisans des Valois. Lorsque Michel de l'Hospital fut disgracié en 1568, Pibrac resta en fonctions. Au lendemain de la Saint-Barthèlemy, il écrivit une apologie du massacre (Lettre sur les affaires de France), mais ce ne fut, dit M. Jules Claretie, « que pour en diminuer l'horreur aux yeux des étrangers » : excuse médiocre. En cette même année 1573, retiré dans sa terre de Pibrac avec sa femme Jeanne de Custos, qu'il avait épousée en 1552, il avait commencé la composition d'un poème champêtre qui n'est pas sans mérite, Les Plaisirs de la vie rustique ; mais le chagrin que lui causa la mort de son fils aîné Pierre le fit renoncer à poursuivre l'oeuvre commencée. Voici les derniers vers du poème :

Ces vers le composois au lieu de ma naissance,

Plein d'honneste loisir, lors que Henry de France,

Fils et frère de Roys, et l'honneur des Valois,

De cent canons battoit les murs des Rochelois :

Et eusse poursuivi tes biens du labourage,

Mais la mort de mon fils m'en oste le courage,

Et trouble tellement de douleur mon esprit

Que j'en laisse imparfait pour jamais cest escrit.

En septembre 1573, il accompagna en Pologne Henri d'Anjou, et en revint avec ce prince l'année suivante. C'est en 1574 que parut à Paris, chez Gilles Corbin, la première édition de ses Quatrains, sous ce titre : Cinquante Quatrains, contenant préceptes et enseignemens utiles pour la vie de l'homme, composez à l'imitation de Phocylides, d'Epicharmus et autres anciens poëtes grecs, par le S. de Pib. — En 1575, un autre libraire, Fédéric Morel, publia cinquante et un nouveaux quatrains, sous ce titre : Continuation des Quatrains du Seigneur de Pybrac. Enfin en 1576 parut, également chez Fédéric Morel, une édition définitive, contenant les cent et un quatrains des deux recueils antérieurs, et vingt cinq quatrains nouveaux : le nombre total se trouva ainsi porté à cent vingt-six.

De ces quatrains célèbres, il convient d'en citer deux, caractéristiques de l'esprit de ce tiers-parti qui ne savait se décider ni pour la liberté avec les huguenots, ni pour la persécution avec les Guises. Le premier est de 1574 :

Il est permis souhaiter un bon Prince,

Mais tel qu'il est il le convient porter :

Car il vaut mieux un tyran supporter.

Que de troubler la paix de sa province.

L'autre est de 1575 :

Plus que Sylla c'est ignorer les lettres,

D'avoir induit les peuples à s'armer :

On trouvera, les voulant desarmer,

Que de subiects ils sont deuenus maistres.

Vers l'âge de cinquante ans, le docte Pibrac, devenu président à mortier, fut nommé chancelier de Marguerite de Valois, l'épouse peu fidèle de Henri de Navarre ; il la servit avec zèle ; les contemporains, et Henri de Navarre lui-même, qui l'appelait ce vieux ruffian de Pibrac, affirment qu'il fut un de ses amants ; mais en 1581 il fut disgracié par Marguerite, qui lui reprit les sceaux. Le coeur ulcéré, Pibrac se retira dans ses terres, où il mourut en 1584. Il avait pu méditer sur ce quatrain de l'édition de 1576 :

A ton Seigneur et ton Roy ne te jouë,

Et s'il t'en prie, il t'en faut excuser :

Qui des faneurs des Roys cuide abuser,

Bien tost, froissé, choit au bas de la rouë.

Au chapitre III du livre IX des Essais, Montaigne a parlé du « bon monsieur de Pibrac, que nous venons de perdre ; un esprit si gentil, les opinions si saines, les moeurs si doulces » ; et il le loue au sujet du quatrain que voici :

Ayme l'Estat, tel que tu le vois estre :

S'il est royal, aime la Royauté ;

S'il est de peu, ou bien communauté,

Ayme l'aussi : car Dieu t'y a faict naistre.

« Nous nous desplaisons volontiers de la condition presente, écrit Montaigne en approuvant Pibrac ; mais le tiens pourtant que d'aller désirer le commandement de peu, en un Estat populaire ; ou, en la monarchie, une aultre espèce de gouvernement, c'est vice et folie. »

Un an après la mort de Pibrac parurent en deux volumes les OEuvres de Michel de l'Hospital, le vertueux magistrat que Pibrac, dans un sonnet à Ronsard placé en tête du poème des Plaisirs de la vie rustique, avait appelé « ce grand Caton français » : les lettres et discours de l'ancien chancelier de France, et ses poésies latines, avaient été recueillis après sa mort (1573) par les soins de Pibrac, de J.-A. de Thou et de Scevole de Sainte-Marthe ; ce fut Michel Hurault, seigneur de Belesbat, petit-fils de l'Hospital et gendre de Pibrac, qui les publia.

Une édition moderne des poésies françaises de Pibrac a paru en 1874 chez Lemerre, par les soins du bibliographe E. Courbet, avec notice de M. Jules Claretie.