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Philippines (iles)

L'archipel des Philippines (ainsi nommé en l'honneur du roi d'Espagne Philippe II), situé à l'est de la mer de Chine, entre Célèbes et Bornéo au sud et Formose au nord, se compose d'une vingtaine d'îles grandes et petites, sans compter les îlots ; les deux plus étendues sont Luçon (capitale Manille) au nord et Mindanao au sud. La population est d'environ huit millions d'habitants, appartenant à la race malaise pure ou métissée, sauf quelques peuplades de négritos sauvages à l'intérieur de certaines îles ; de ces habitants indigènes, sept millions professent nominalement le christianisme ; un demi-million, à Mindanao et Jolo, sont musulmans. Environ 200 000 indigènes malais et métis parlent la langue espagnole.

Le gouvernement espagnol n'avait songé qu'à exploiter les Philippines, écrasant d'impôts la population et écartant systématiquement de l'administration les indigènes et les métis instruits. Aussi, dans les dernières années du dix-neuvième siècle, une insurrection avait-elle éclaté, prenant pour mot d'ordre l'indépendance de l'archipel. Lors de la guerre qui mit aux prises l'Espagne et les Etats-Unis, les Américains occupèrent les Philippines, et le traité de Paris leur en reconnut la possession (1898). Un gouverneur américain, M. Taft, assisté d'une Commission, fut chargé (1900) de réorganiser le pays, et les écoles furent placées sous l'autorité d'un fonctionnaire américain, M. Barrows, nommé surintendant général de l'éducation. L'archipel est divisé en quarante provinces ; la loi provinciale édictée par les Américains, et appliquée aux provinces « christianisées » (au nombre de trente-deux), a constitué dans chacune de celles-ci un gouvernement provincial composé de cinq fonctionnaires et présidé par un gouverneur de province ; aux élections de 1904, tous les gouverneurs élus ont été des natifs. Les provinces sont divisées en municipalités (pueblos), au nombre total de 623, qui sont presque autonomes et sont administrées par un président, un vice-président et un conseil municipal. La Commission des Philippines adopta un plan d'organisation générale des écoles : elle résolut d'ouvrir partout des écoles primaires, où l'enseignement serait donné en anglais, d'établir dans chaque province une ou deux high provincial schools, de placer dans les ports et les centres industriels principaux des écoles professionnelles, de créer à Manille une école normale centrale (Insular normal school), et d'y ajouter des cours normaux locaux (teachers' classes) et des cours normaux de vacances (vacation normal institutes). Le surintendant général regardait une instruction élémentaire largement répandue dans la masse de la population comme plus utile que la formation d'une élite cultivée : « Le plus grand danger qui menace le succès de notre entreprise de civilisation, écrivait-il, serait que, enchantés de la capacité et de l'intelligence de la jeunesse de la classe cultivée, et désireux de favoriser sa réussite dans les degrés les plus levés de l'éducation, nous en vinssions à oublier l'importance primordiale et essentielle de l'éducation du peuple ». Le gouvernement des Etats-Unis envoya mille instituteurs américains, qui furent chargés, non seulement d'ouvrir les premières écoles, mais de préparer le plus grand nombre possible d'instituteurs indigènes ; en 1903, les mille instituteurs venus d'Amérique avaient formé trois mille instituteurs philippins exerçant dans les écoles des centres, sous leur direction, comme adjoints, ou sous leur contrôle comme instituteurs dans les écoles de hameau.

M. Paul Bernard, dans un article de la Revue pédagogique (juillet 1906), a décrit en ces termes le fonctionnement des nouvelles écoles au début de leur organisation :

« Représentez-vous un pueblo ou municipalité. Généralement au centre de population (centro de poblacion) se trouve une grande école dirigée par un instituteur américain ayant sous ses ordres des adjoints philippins et même, dans les très grands centrés, UR ou plusieurs collègues américains comme lui. Voici maintenant la règle : les instituteurs indigènes (native teachers) se réunissent, soit tous les jours l'après-midi si le pueblo n'est pas très étendu, soit un ou plusieurs jours par semaine si les distances à parcourir sont considérables, autour de l'american teacher, et là de maîtres ils deviennent élèves. Dans beaucoup de hameaux (barrios), les native teachers ne font la classe que le matin, pendant quatre heures. Leurs élèves partis, ils se dirigent à pied ou à cheval vers l'école du centre, qui est pour eux une école normale locale. Dans les débuts, on se contentait de leur y enseigner l'anglais, qu'ils ne savaient pas, et ils s'en allaient le lendemain dégorger dans les barrios leur science encore toute chaude. Aujourd'hui qu'ils ont de la langue anglaise une connaissance suffisante, on a jugé plus utile d'employer l'heure ou les deux heures que dure la teachers' class à des discussions pédagogiques, à des leçons modèles, à l'élaboration du plan des leçons que les native teachers doivent exposer dans leurs propres classes le jour suivant. Ces teachers' classes, qui durent toute l'année (elles sont quelquefois suspendues pendant la saison des pluies), comptent toujours un auditoire d'une quarantaine d'instituteurs philippins. En quelques endroits, on y reçoit les élèves les plus avancés de l'école primaire, afin de les préparer soit à l'lnsular normal school, soit directement aux fonctions de teacher.

« L'Insular normal school, destinée à former d'une façon plus régulière des native teacher s, s'est ouverte à Manille le 15 juin 1903. Entretenue par le budget général, elle dispose de larges crédits ; les classes, les dortoirs, les laboratoires, les bibliothèques, les salles de dessin et de beaux-arts, sont installés avec un confort tout américain. Ce titre d'école normale pourrait éveiller dans l'esprit l'idée d'une similitude avec les établissements français de même nom. La réunion de jeunes gens des deux sexes (la co-éducation est pratiquée aux Philippines à tous les degrés de l'enseignement), le nombre des étudiants (400), la grande liberté qui leur est laissée dans le choix des cours qu'ils veulent suivre, la diversité des professions auxquelles peuvent mener les études, tout l'ait de l'lnsular normal school de Manille un organisme original qui n'a point son équivalent en France. »

Les enfants fréquentent en général l'école primaire de l'âge de sept ans à celui de onze. L'enseignement se borne, en dehors de l'étude de la langue anglaise, à des notions d'arithmétique, de géographie élémentaire avec des lectures complémentaires sur l'histoire des Philippines et de l'Amérique et sur la physiologie élémentaire de l'homme. L'école est neutre au point de vue religieux : il est défendu à l'instituteur de critiquer les doctrines d'aucune église, secte ou dénomination. La population scolaire était évaluée, en 1903, à un million et demi d'enfants.

Les high provincial schools, au nombre de 38 en 1904, ont un cours d'études de trois ou quatre années ; elles donnent un enseignement primaire européen, auquel est joint un enseignement professionnel ; le nombre des élèves varie entre cinquante et cinq cents par école ; la coéducation est la règle. Les professeurs sont des maîtres américains.

Il y a aussi un certain nombre d'écoles d'agriculture.

Une université, qui était en voie d'organisation au moment où M. Paul Bernard écrivait son étude, à laquelle nous avons emprunté la plupart des renseignements ci-dessus, doit donner l'enseignement supérieur.

L'archipel des Mariannes (à Test des Philippines), ainsi nommé du nom de la veuve du roi d'Espagne Philippe IV, appartenait également aux Espagnols avant la guerre de 1898 ; les Etats-Unis en occupent aujourd'hui l'île principale, l'ile Guam.

L'ancien gouverneur des Philippines, M. Taft, devenu président des Etats-Unis, a écrit ce qui suit en 1909 (La Grande Revue, 10 mars 1909) : « Un extrême intérêt pour les habitants des Philippines et une grande préoccupation de leur bien-être, un vif désir de leur apprendre à se servir de la liberté en leur donnant progressivement un gouvernement autonome, un grand effort pour détruire leur ignorance et leurs préjugés, tels sont les moyens par lesquels nous les amènerons à pouvoir, en fin de compte, se gouverner entièrement eux-mêmes. Je crois qu'il est possible et même nécessaire que nous demeurions aux Philippines pour le plus grand bien des habitants, dont quatre-vingt-dix sur cent sont, aujourd'hui encore, profondément ignorants, quoiqu'ils aient été élevés sous un gouvernement chrétien. A mon avis, nous ne pouvons espérer d'améliorer toute cette population par l'éducation, mais pour ce qui est de la génération nouvelle ou, si l'on vent, de la génération prochaine, nous sommes en droit d'attendre des résultats. Le peuple s'intéresse à notre oeuvre éducative. Les cultivateurs et les gens de la classe inférieure, incapables eux-mêmes de lire et d'écrire, manifestent un intense désir d'envoyer leurs enfants à l'école. C'est là un spectacle très émouvant. Ils font des efforts sincères et des sacrifices très considérables pour assurer à leurs fils l'éducation anglo-saxonne et pratique qui a été refusée jusqu'à présent à la jeunesse de ces pays lointains, mais qui s'implante en ce moment dans ces îles avec une très grande rapidité. Nos ressources sont limitées, et par conséquent nous ne pouvons aider les habitante des Philippines que dans une certaine mesure ; mais aujourd'hui il y a déjà plus d'un demi-million de leurs enfants qui lisent, écrivent, et apprennent les rudiments des sciences humaines dans les écoles. Mon sentiment personnel est que, à mesure que nous accorderons plus de self-government à ces peuples, — à qui nous avons déjà accordé une assemblée représentative, — ils s'intéresseront de plus en plus au développement de leurs propres forces et de leur propre liberté, ils s'amélioreront, se fortifieront, se développeront autant que leur nature le leur permettra, et ils pourront prendre sur eux les responsabilités qui leur incombent, en faisant de leur assemblée représentative un corps raisonnable et sérieux. Ces îles constituent un lourd fardeau pour nous, et elles nous seront encore longtemps à charge : elles continueront à nous coûter annuellement une somme de cinq à dix millions de dollars ; mais mon idée est que, puisque la sage Providence nous a rendus responsables des destinées de ces peuples, nous demeurons chargés de leur éducation et de leur développement intellectuel et moral exactement de la même façon que les riches se sentent responsables de la vie et de l'instruction des pauvres de leur communauté. »

Il nous a paru intéressant de recueillir cette appréciation, bien caractéristique, d'un homme d'Etat américain.