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Philanthropinisme, Philanthropimstes

 On désigne sous le nom de philanthropinisme, dans l'histoire de la pédagogie allemande, la doctrine de Basedow et de ses disciples. C'est en 1774 que Basedow ouvrit à Dessau, sous le nom ' bizarre de Philanthropinum, un établissement dans lequel il devait appliquer ses théories sur l'éducation, qui étaient, dans leurs traits essentiels, celles de l'Emile de Rousseau. Il les avait exposées quelques années auparavant dans un livre intitulé Methodenbuch fur Väter und Mütter, Familien und Völker ; l'année même de l'ouverture du Philanthropinum, il publia en quatre volumes son célèbre Elementarwerk, ouvrage illustré destiné aux enfants, pour l'impression duquel des souscriptions avaient été recueillies dans toute l'Allemagne, et qui fut aussitôt traduit en latin, en français et en russe. Basedow avait associé à son entreprise trois de ses amis, Wolke, Simon et Schweighäuser, qui formèrent avec lui une association fraternelle et firent voeu de consacrer leur vie à la cause de l'éducation. En 1776, les quatre associés firent paraître, sous le nom de Philanthropisches Archiv, un journal destiné à la propagande de leurs idées, et invitèrent les amis de leur cause, « philanthropes » et « cosmopolites », à assister à un examen qui démontrerait l'excellence des méthodes d'enseignement employées dans l'institut de Dessau. L'examen eut lieu, en effet, les 13, 14 et 15 mai 1776, en présence d'un nombreux public venu de toutes les parties de l'Allemagne ; et les résultats constatés augmentèrent la renommée de Basedow et du Philanthropinum. Le but de l'éducation donnée dans cet établissement était « de former des Européens, des citoyens du monde, et de les préparer à une existence aussi utile et aussi heureuse que possible ». Au point de vue religieux, l'enseignement reposait sur les principes du déisme universel. « Nous ne nous permettons, ni dans nos paroles, ni dans nos actes, dit le programme publié dans le premier numéro du Philanthropisches Archiv, rien qui ne puisse être approuvé par tout adorateur de Dieu, qu'il soit chrétien, juif, musulman ou déiste » ; l'instruction dans les dogmes particuliers de chaque religion était laissée aux soins des ministres des différents cultes. Quant aux méthodes employées pour l'acquisition des connaissances, elles reposaient sur les principes suivants: s'adresser au raisonnement et non à la seule mémoire ; rendre l'étude attrayante, supprimer la fatigue et l'ennui ; montrer aux enfants les choses, au lieu de leur faire apprendre des mots ; dans l'enseignement des langues, reléguer la grammaire à l'arrière-plan ; donner à l'éducation physique, aux exercices du corps, une place considérable ; substituer à la discipline de la crainte et des châtiments celle de l'émulation et des récompenses. Tous ces principes, aujourd'hui universellement acceptés, paraissaient alors des nouveautés très hardies : prétendre les appliquer, c'était révolutionner l'éducation. Aussi le philanthropinisme rencontra-t-il de nombreux adversaires. Les théologiens incriminaient les tendances religieuses de Basedow, et l'accusaient de vouloir détruire le christianisme ; les philologues, qui régnaient alors en maîtres dans les gymnases allemands, lui reprochaient de compromettre la solidité des études classiques, le traitaient d'esprit superficiel et de présomptueux charlatan. Il faut reconnaître que certains côtés de la pédagogie de Basedow et certains traits de son caractère personnel prêtaient à la critique ; il attachait trop d'importance à des procédés qu'il déclarait infaillibles, et qui, d'après lui, devaient procurer des économies merveilleuses de temps et de peines ; il prétendait, par exemple, enseigner le latin ou le français à un enfant en six mois ; quatre années devaient suffire à un élève du Philanthropinum pour se préparer à entrer à l'université, etc. Les exagérations attirèrent à Basedow toute sorte de railleries ; les partisans de la routine, qui se donnaient, et parfois avec une apparence de raison, pour ceux du bon sens, lui firent une guerre acharnée. Il serait injuste, cependant, de juger le Philanthropinum d'après les caricatures qu'en ont faites les ennemis de son fondateur. Il faut rappeler, au contraire, afin de faire apprécier l'importance et le sérieux du mouvement provoqué par Basedow, qu'il compta parmi ses adhérents bon nombre des hommes les plus éminents de l'Allemagne et de la Suisse : contentons-nous de nommer Kant, Lessing, Moïse Mendelssohn, Euler, le chancelier bâlois Iselin.

Peu après l'examen de mai 1776, des dissensions entre Basedow et ses collaborateurs faillirent compromettre l'existence du Philanthropinum : Simon et Schweighäuser se retirèrent, et Basedow lui-même dut céder pour un moment la direction de l'établissement à Campe. Celui-ci ne resta à Dessau qu'une année, et alla fonder en 1777 à Trittow, près de Hambourg, un institut où furent appliqués aussi les principes du philanthropinisme. Après le départ de Campe, Basedow redevint directeur du Philanthropinum jusqu'en 1779 ; mais à cette époque, de nouvelles difficultés s'étant élevées, il dut prendre une retraite définitive ; ce fut son disciple Wolke qui lui succéda, et qui resta à la tête de l'institut jusqu'en 1784. Quoique éloigné de la direction du Philanthropinum, Basedow continua à résider à Dessau ; il fit paraître en 1785 une nouvelle édition de l'Elementarwerk, et ne cessa pas jusqu'à sa mort (1790) de travailler par ses écrits à la diffusion de ses idées philosophiques et pédagogiques.

Parmi les maîtres qui enseignèrent au Philanthropinum de Dessau sous la direction de Basedow et sous celle de Wolke, il faut citer Trapp, Olivier et Salzmann. Trapp, arrivé à Dessau en 1777, n'y resta qu'un an ; il fut ensuite nommé professeur de pédagogie a Halle, puis succéda en 1783 à Campe dans la direction de l'institut de Trittow. Olivier, entré au Philanthropinum en 1781, y resta jusqu'à la fin, et s'y distingua comme maître de langue française. Salzmann, arrivé aussi en 1781, quitta Dessau en 1784 pour aller créer à Schnepfenthal, dans le duché de Saxe-Gotha, un institut qui parvint sous sa direction à un haut degré de prospérité, et où il eut pour collaborateur Gutsmuths. L'établissement de Schnepfenthal subsiste encore, et a célébré en 1884 le centième anniversaire de sa fondation.

Au Philanthropisches Archiv avaient succédé en 1777 les Pädagogische Unterhallungen, qui parurent à Dessau jusqu'en 1784. Citons encore, parmi les principaux produits de la littérature philanthropiniste, la Naturgemässe Erziehungs-Lehre de Wolke, l'Allgemeine Revision des gesammten Schul-und Erziehungswesen de Campe, le Versuch einer Pädagogik de Trapp, les deux petits livres de Salzmann, Krebsbüchlem et Ameisenbüchlein, le journal de Gustmuths, Bibliothek fur Pädagogik, etc.

Ce fut de 1781 à 1784 que le Philanthropinum de Dessau eut le plus de vogue ; en 1782, il réunissait cinquante-trois pensionnaires venus de toutes les parties de l'Europe. A partir de 1784, après le départ de Wolke et de Salzmann, il commença à décliner, et quelques années plus tard, en 1793, il dut être fermé faute d'élèves ; c'était l'époque des guerres de la coalition, et l'opinion publique allemande avait cessé d'être favorable aux novateurs.

Quelques autres établissements, créés à l'imitation de celui de Dessau, portèrent ce même nom de Philanthropinum. En 1774, le comte Charles-Ulysse de Salis, ayant transféré au château de Marschlins (Grisons) l'institut créé à Haldenstein en 1761 par l'éminent pédagogue Martin Planta (Voir Planta), en fit un Philanthropinum dont il confia, la direction au théologien allemand Bahrdt. Celui-ci compromit le succès de l'entreprise par ses excentricités, et l'institut de Marschlins dut être fermé l'année suivante. Bahrdt, retourné en Allemagne, fonda un autre Philanthropinum à Heidesheim ; mais au bout de trois ans (1779) les opinions hétérodoxes du directeur amenèrent sa destitution et la ruine de l'établissement. Un peu plus lard, un troisième Philanthropinum s'ouvrait, encore dans les Grisons, à Jenins près de Maienfeld, par les soins de J.-B. de Tscharner ; il fut ensuite transféré à Reichenau, où il eut un moment de prospérité (1796-1798) sous la direction d'un éducateur jeune et enthousiaste, Henri Zschokke. C'est dans l'institut de Reichenau que Louis-Philippe d'Orléans enseigna incognito pendant un an (1794) comme professeur d'histoire.

Le mouvement tenté par les philanthropinistes, s'il ne produisit pas les résultats considérables et immédiats que ses initiateurs s'en étaient promis, n'a cependant pas été stérile. Le philanthropinisme a préparé la voie aux réformes accomplies en Allemagne et en Suisse dans les premières années du dix-neuvième siècle ; il a donné le premier choc à l'édifice vermoulu de la pédagogie scolastique, et, quelles que soient les imperfections et les lacunes de sa doctrine et de ses méthodes pratiques, il mérite la reconnaissance pour les services qu'il a rendus. La pédagogie moderne ne fait sur la plupart des points, que continuer son oeuvre. ? Voir, pour plus de détails, les articles consacrés aux représentants les plus éminents de l'école philanthropiniste, Basedow, Wolke, Simon, Schiveighäuser, Campe, Trapp, Olivier, Salzmann, Gutsmuths, Bahrdt, Zschokke.