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Perse et Médie

 I. La Perse et la Médie anciennes. — Médie est la forme grecque du mot Mada, signifiant pays, terre, et Perse vient du nom de peuple Parça.

La Médie et la Perse occupaient la partie occidentale du vaste plateau situé entre la mer Caspienne et la mer Erythrée, le bassin du Tigre et le bassin de l'Indus. Ce plateau a reçu le nom de Erân (Iran), pays des Aryens. Toute la partie centrale en est occupée par un vaste désert sablonneux. La Médie proprement dite est à l'angle nord-ouest du plateau ; la Perse, à l'angle sud-ouest. La principale ville de la Médie fut Echatane (aujourd'hui Hamadan) ; la Perse eut pour capitales Pasargades et Persépolis.

Vers le treizième siècle avant l'ère chrétienne, les conquérants assyriens soumirent les habitants de ce qui fut plus tard la Médie et la Perse : le pays était alors habité par un peuple appartenant à une race distincte des races aryenne et sémitique, et dont la langue était apparentée au groupe des langues dites ouralo-altaïques et à l'idiome touranien parlé dans la Susiane et la Chaldée primitive . C'est ce peuple qui parait avoir donné à la contrée le nom de Mada. Vers le milieu du huitième siècle, les Aryens, venus du nord-est, commencèrent à s'établir dans la région, et à la fin du septième ils y dominaient et avaient réduit les anciens habitants à la condition d'esclaves ou de tributaires. Les envahisseurs aryens formaient deux groupes : l'un emprunta aux populations qu'il vainquit le nom de Madaï, les Mèdes, tandis que l'autre s'appelait Parça, les Perses. La religion des Mèdes et des Perses, dont ils attribuaient la fondation au prophète Zarathoustra (Zoroastre), était le mazdéisme, d'abord dans toute sa pureté, puis déformé plus lard par l'introduction d'éléments étrangers. En sa forme ancienne, celle religion proclame l'existence d'un dieu unique, Aboura-Mazda (dont le nom s'est altéré en Ormuzd), qui a tout créé ; mais sa création a soulevé contre lui des forces malfaisantes, qui sont représentées par l'esprit du mal, Angro-Maïnyous (ou Ahriman). Le mazdéisme constate donc l'existence de deux principes ennemis, le bien ou la lumière, Ormuzd, le mal ou les ténèbres, Ahriman. L'homme doit prier et travailler, surtout cultiver la terre. Le culte n'admettait ni temples ni statues : rien que des hymnes, quelques sacrifices, et l'entretien du feu sacré qui jamais ne doit s'éteindre. Chez les Mèdes, des superstitions empruntées aux populations touraniennes qui formaient la race autochtone se mêlèrent au mazdéisme primitif : les Touraniens de Médie, dont le culte était une sorte de sorcellerie, de « chamanisme », réservaient leurs prières et leurs sacrifices pour les puissances malfaisantes, et leurs prêtres avaient des rites et des pratiques barbares par lesquelles ils se flattaient de vaincre les démons et de les plier à la volonté humaine ; devenus sujets des Aryens, les Touraniens n'abandonnèrent pas leurs croyances : ils les fondirent dans celles de leurs maîtres. Sous cette influence, Ahriman devint, pour les Mèdes aryens, un dieu redoutable et nécessaire à fléchir, l'égal en puissance d'Ormuzd. Les Touraniens de Médie avaient une caste sacerdotale héréditaire: ces prêtres, qu'on appelait magouch (mages), s'imposèrent aux vainqueurs et devinrent une des six tribus constituantes de la nation.

Les Mèdes, au septième siècle, s'affranchirent de la puissance assyrienne en s'alliant aux Chaldéens ; leurs rois gouvernèrent alors à la fois les Mèdes et les Perses. Un siècle plus tard, un chef perse, Cyrus, renversa la dynastie médique, et fut roi des Perses et des Mèdes ; il conquit l'Asie-Mineure, ainsi que divers pays de l'Asie occidentale, et soumit Babylone: ainsi fut fondée l'empire perse.

Les Perses avaient dans l'antiquité un grand renom de bravoure et d'honnêteté : la première chose qu'ils enseignaient à leurs enfants était « à tirer de l'arc et à dire la vérité » (Hérodote) ; pour le reste, l'éducation se réduisait à quelques notions sur la religion et l'histoire. La Cyropédie, où l'Athénien Xénophon a prétendu retracer l'éducation qui était donnée à la jeunesse perse, n'est qu'un roman, dont l'auteur ne songe en réalité, sous couleur de raconter la jeunesse de Cyrus, qu'à recommander à ses lecteurs les institutions Spartiates, objet de son admiration. En Perse, le peuple conserva toujours ses vertus propres et son courage ; les grandes familles et la cour se corrompirent rapidement au contact des autres nations de l'Orient. C'est surtout en Médie que le luxe et la mollesse firent des progrès considérables.

Les Perses avaient emprunté à l'Assyrie son système d'écriture cunéiforme, inventé par les Touraniens de Chaldée (Voir Chaldée et Assyrie) : ils le modifièrent profondément pour l'adapter à leur langue, et en firent un véritable alphabet, très différent des syllabaires assyriens et chaldéens. Les Mèdes non aryens se bornèrent à prendre le syllabaire ninivite et à l'appliquer presque sans modification à leur idiome. On n'a d'autres monuments de la littérature de la langue perse (aryenne) et de la langue médique (touranienne) que quelques inscriptions, dont la plus longue, celle de Bisoutoun, raconte les débuts du règne de l'Achéménide Darius. La sculpture et l'architecture perses dérivent directement de la sculpture et de l'architecture assyrienne ; les monuments de Persépolis en offrent de fort beaux spécimens.

La conquête d'Alexandre, dans le dernier tiers du quatrième siècle avant l'ère chrétienne, mit pour près de deux siècles la Perse sous la domination gréco-macédonienne. Après avoir été une satrapie plus ou moins indépendante de l'empire des Séleucides, elle fut incorporée, vers le milieu du second siècle avant notre ère, à l'empire des Parthes. Ceux-ci, peuple touranien qui habitait le pays montagneux à l'est de l'extrémité méridionale de la Caspienne, s'étaient fortement hellénisés, et à la cour de leurs rois (dynastie des Arsacides), à Hécatonpyles d'abord, puis à Ctésiphon, fleurirent les lettres et les arts de la Grèce. Dès l'époque des Séleucides, les Perses avaient renoncé à l'écriture cunéiforme et adapté à leur langue — qui évoluait, et allait devenir, quelques siècles plus tard, le persan moderne — un alphabet sémitique, créant ainsi l'écriture pehlvique. En l'an 226 de l'ère chrétienne, le Perse Ardechyr ou Artaxercès détruisit l'empire parthe et restaura l'ancien empire de la dynastie achéménide, de laquelle il prétendait descendre (dynastie des Sassanides). Rome et plus tard Byzance furent les ennemis héréditaires de l'empire sassanide, qui devint très puissant : un moment on put croire que les Perses l'emporteraient avec Khosroès II (commencement du septième siècle), mais le Byzantin Héraclius releva la fortune de l'empire grec. Les Perses de cette époque, observateurs zélés de la loi de Zoroastre, ne voulurent jamais permettre au christianisme de s'implanter chez eux. La civilisation du second empire perse nous est assez peu connue ; quelques débris de palais, quelques inscriptions, quelques bas-reliefs ne suffisent pas à nous donner une idée complète de ce qu'étaient l'architecture et les arts à la cour des princes sassanides. On ne possède que des fragments de la littérature pehlvique de cette époque, qui paraît avoir été assez considérable ; Khosroès Nourchivan et Khosroès II recueillirent les traditions antiques, et firent traduire les livres de l'Inde. Mais, après la mort de Khosroès II, les Arabes entrent en scène, et la victoire de Kadéniah (636) leur donne la Perse.

II. La Perse musulmane. — Le calife Ali fit épouser à son fils Housseïn la dernière fille du roi sassanide Yezdidjerd : « Le sang du prophète et celui des souverains héréditaires de l'Iran se trouvaient ainsi réunis dans la famille d'Ali ; mais lorsque le malheureux calife eut été massacré dans la mosquée de Koufa, lorsque ses fils Housseïn et Hassan eurent été égorgés avec parents et amis dans la plaine de Kerbéla, la dynastie sassanide s'éteignit en même temps que celle de Mahomet » (Elisée Reclus). Malgré la conquête arabe, de nombreux Iraniens continuèrent à professer le mazdéisme ; et, parmi ceux qui se laissèrent convertir à l'islamisme, beaucoup ne l'adoptèrent que sous la forme où le pratiquèrent les sectateurs d'Ali, les chiites.

Nous ne ferons pas l'histoire des nombreuses dynasties qui gouvernèrent successivement la Perse, pendant et après le califat de Bagdad ; disons seulement que sous les Gaznévides vécut (dixième siècle) le grand poète Firdousi, et sous les princes mongols deux poètes plus remarquables encore, Saadi (treizième siècle) et Hafiz (quatorzième siècle). Lorsque la domination des Mongols, puis celle des Turcomans, eurent cessé, la dynastie des Sophis régna aux seizième et dix-septième siècles ; le dix-huitième siècle fut rempli par des guerres et des invasions presque continuelles, jusqu'à l'avènement de la dynastie turque des Kadjars (1794). Le culte zoroastrique était encore assez répandu au dixième siècle : chaque village avait alors son temple, ses prêtres, son livre saint ; mais, depuis cette époque, les autels du feu dressés jadis au sommet des collines ont tous été détruits, à l'exception d'un seul ; et de nos jours l'ancienne religion n'est plus pratiquée que par un petit nombre de Persans, 8000 environ, et sous une forme très différente de celle d'autrefois. Quant à l'islamisme, c'est la secte chiite, d'abord persécutée par les califes, qui a conquis graduellement toutes les populations persanes : « on peut dire que le patriotisme national a pris cette forme religieuse pour réagir contre les Arabes et les Turcs ; mais, tout en appartenant officiellement aux communautés chiites, la plupart des Persans professent en secret des idées fort différentes de celles qui leur sont enseignées par le Coran. La doctrine la plus commune est celle des Soufi. Déjà dans le quatorzième siècle, la voix du grand poète de Chiraz, Hafiz, pro clamait en vers admirables la morale humaine en dehors de toute morale mystique. La plupart des soufi seraient classés en Europe parmi les panthéistes.» (Elisée Reclus.)

L'état de l'instruction est aujourd'hui en Perse ce qu'il est en général dans les pays musulmans, avec quelques traits particuliers à la race iranienne. Nous empruntons encore à Elisée Reclus, à ce sujet, une dernière citation : « L'instruction élémentaire est plus développée en Perse que dans certaines provinces de l'Europe. A presque toutes les mosquées s'annexe une école ou médressé ; tous les enfants des villes et ceux de la plupart des villages apprennent à réciter des versets du Coran, des strophes de leurs poètes ; le goût poétique est assez développé pour que chaque Persan, dans les bazars, les boutiques, les campements des caravanes, prenne plaisir à la récitation des idylles de. Hafiz ou des vers de Firdousi ; des milliers d'entre eux sont même fort habiles à composer des vers, à rédiger des mémoires sur un point de science, sur un dogme théologique ou sur un problème d'alchimie. Dès le milieu du dix-neuvième siècle, on traduisait en persan, sous la direction de M. de Gobineau des ouvrages tels que le Discours de la Méthode. Cependant l'imprimerie, introduite à Tabriz dès le commencement du dix-neuvième siècle, est encore peu utilisée ; les manuscrits sont reproduits surtout par la lithographie ; une belle écriture étant considérée comme une des acquisitions les plus précieuses, on tient à se servir du procédé qui respecte le plus la forme élégante des lettres manuscrites. Les Persans ont aussi quelques journaux à Tabriz, Téhéran, Ispahan. »

La Perse actuelle a une superficie d'environ 1 650 000 kilomètres carrés. Sa population est d'environ neuf millions d'habitants ; le fond en est formé Par les descendants des anciens Médes et des anciens erses ; mais il y a aussi de nombreux Turcomans, des Kourdes, des Arméniens, des Juifs. Le pays est divisé en douze provinces, dont les principales sont l'Irak-Adjémi (l'ancienne Médie), avec les villes de Téhéran, d'Ispahan, de Ramadan (l'ancienne Ecbatane) ; l'Ader-baïdjan, avec Tabris ou Tauris ; le Farsistan (l'ancienne Perse propre), avec Chiras, près des ruines de Persépolis ; le Khouzistan (l'ancienne Susiane ou Elam), avec Chouster, près des ruines de Suse. Après avoir été, depuis les origines jusqu'à l'époque contemporaine, une monarchie absolue, la Perse a reçu en 1906, du chah Mouzaffer-Eddine, une constitution et un Parlement ; mais sous son successeur Mohamed-Ali une guerre civile a éclaté, et le parti du pouvoir absolu paraît avoir repris le dessus.