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Pension pensionnat institution

Le but de l'école est simple : créée pour enseigner, elle ne s'adresse d'abord qu'à des élèves externes. Mais bien des familles, même du voisinage, ne peuvent garder auprès d'elles des enfants dont elles ne sont pas aptes à surveiller les études, surtout au degré secondaire ; d'autres ne se trouvent pas à proximité, et de là vient bientôt la nécessité d'adjoindre à l'établissement qui donne l'instruction un second établissement qui offre aux élèves le logis, l'entretien, la surveillance, une certaine direction d'études. Le pensionnat est donc le corollaire de l'école. C'est ainsi que, au moyen âge, l'université de Paris à peine fondée, des amis charitables du savoir s'appliquèrent à créer, à doter des collèges de boursiers. L'université s'empressa d'adopter et de considérer comme siens ces premiers collèges, qui ne tardèrent pas à se multiplier sans pouvoir suffire aux besoins croissants des élèves de la province ou de l'étranger.

C'est alors que l'initiative privée ouvrit, sous le nom de pédagogies, des collèges supplémentaires pour recevoir les élèves non boursiers qui vivaient trop librement autour des collèges officiels. Pour attirer et conserver leur public, les « pédagogies » prirent soin de lui répéter les leçons des professeurs ; celles qui jouirent d'une suffisante prospérité allèrent jusqu'à établir chez elles des cours rivaux qui devaient suffire à leurs élèves. Dans cette première période de l'histoire des pensionnats, période qui s'étend des origines à la Dévolution française, l'enseignement libre fut donc tantôt une concurrence, tantôt un simple supplément à l'enseignement public. Il rendit d'ailleurs deux sortes de services : il contribua à établir un peu d'ordre et de discipline dans la bohème scolaire du quartier latin, et il chercha à perfectionner les méthodes d'études en vigueur. Il ne faut d'ailleurs s'exagérer ni l'ordre tout relatif qui pouvait régner alors, ni le succès des tentatives de réforme. Elles n'étaient brillantes que dans les prospectus ; ainsi, au dix-septième siècle, ce Du Roure, « logé au palais rue Nouvelle de Lamoignon », qui prétendait enseigner « en un temps fort bref la grammaire, la philosophie, les mathématiques, la théologie, la jurisprudence, la médecine et beaucoup d'autres choses qui sont en son tableau ».

L'université de Paris n'aimait guère les collèges libres, sur lesquels son monopole lui donnait d'ailleurs tout pouvoir. Quand elle avait des raisons de redouter leur concurrence, elle leur, interdisait l'enseignement à domicile et les obligeait à lui envoyer leurs élèves ; elle ne leur permettait de les instruire eux-mêmes que jusqu'à l'âge de neuf ans (Statut de Henri IV), s'ils ne préféraient lui payer une redevance annuelle de 50 livres.

Au moment de la Révolution française, les institutions libres eurent l'occasion de rendre aux études un service inappréciable. Après la disparition de l'ancien régime des collèges et des facultés, les pensionnats restèrent seuls chargés de l'enseignement secondaire dans le pays, jusqu'à l'établissement des écoles centrales ; un bon nombre maintinrent leurs leçons durant toute la période révolutionnaire, ce qui n'était pas un mince mérite ; tels furent, à Paris, rétablissement des Savouré, dans la même famille depuis 1720 ; la pension Hallays-Dabot, à l'Estrapade ; la pension Vautier, à l'ancien collège de la Marche.

Les écoles centrales, créées par la Convention en 1795, ne recevant en général que des externes, laissèrent le champ libre aux pensionnats ; et, comme le nombre de ces derniers était loin de suffire aux besoins, il s'en fonda de nouveaux et de très importants qui trouvèrent pour s'établir les facilités exceptionnelles de vastes locaux à très bas prix et de l'absence de toute concurrence congréganiste ou d'Etat. C'est à cette date que remontent l'es institutions Massin, Favart, Landry, Muron et d'autres non moins connues. Plusieurs de ces établissements n'évitèrent pas les inconvénients des fortunes trop rapides, négligèrent la discipline ou les études, et encoururent les sévérités de l'administration. Mais la situation allait changer. Lorsqu’en 1802 les écoles centrales furent remplacées par les lycées et que le premier consul s'avisa de remplir ceux-ci d'internes, c'est aux dépens des institutions que les nouveaux établissements furent peuplés, et la perte pour elles ne fut pas seulement matérielle : leur liberté ne survécut pas à leur prospérité. Soumises au régime de l'autorisation préalable, astreintes à suivre le programme des lycées, elles eurent pour inspecteurs les préfets et les sous-préfets ; le nombre de leurs maîtres fut fixé comme celui de leurs élèves, et ce ne fut là encore que le prélude de la servitude à laquelle l'Empire allait les soumettre.

Constituée par la loi de 1806 et par les décrets organiques de 1808, l'Université impériale fut investie d'un monopole qui mit dans sa main l'enseignement libre. Les institutions et les pensions-furent aussi directement placées sous l'autorité du grand-maître que les lycées et les collèges. Dès lors elles ne peuvent donner l'enseignement au-dessus de la quatrième que s'il n'y a pas d établissement public dans la ville ; elles paient une redevance du vingtième sur le prix de pension de chaque élève, sans compter une autre redevance personnelle au chef d'institution de 150 fr. à Paris et de 100 francs en province ; le certificat d'études universitaires est exigé pour l'obtention des grades ; le prospectus de chaque établissement est soumis à l'approbation du recteur et du Conseil académique ; enfin l'autorisation de tenir un pensionnat est renouvelable tous les dix ans : en voila assez pour expliquer les mauvais souvenirs qu'a laissés dans l'enseignement libre le régime du monopole.

Ses membres ne se contentèrent pas de protester, d'en appeler aux principes d'équité et de liberté : ils s'unirent pour défendre leurs droits ; ils formèrent successivement deux sociétés, l'une dite d'Education nationale (1831), s'étendant à tout le pays ; l'autre (1843), sous le nom de Société des chefs d'institution, héritière de la première et ne s'étendant plus qu'aux trois départements de la Seine, de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne ; il est vrai que les chefs d'institution des autres départements pouvaient se rattacher à elle comme membres correspondants. Leurs efforts et le progrès des idées libérales triomphèrent du monopole et firent tomber une à une les entraves que la réglementation impériale avait imposées aux institutions. Vers la fin de la monarchie de Juillet, la liberté était à peu près reconquise et la prospérité des institutions revenue. On comptait, en France, plus de 800 pensionnats ; il y en avait à Paris de très importants. Il suffit de rappeler ceux qui entouraient le lycée Charlemagne, les institutions Massin, Favart, Jauffret, Verdot, où tant d'hommes distingués ont fait leurs éludes. Dans cette seconde période de son histoire, l'enseignement libre a continué à rendre des services: il a suppléé à l'insuffisance numérique des établissements publics ; il a stimulé les études et leur a fait produire des résultats brillants ; son libéralisme obligé a été d'un bon exemple dans le pays ; il a pris l'initiative de créations utiles : Sainte-Barbe adonné, pour sa part, l'exemple de l'établissement d'un petit collège à la campagne et de la création d'une école préparatoire à celles du gouvernement ; l'enseignement secondaire spécial est né dans les établissements libres de la banlieue et des départements avant d'être organisé par l'Etat ; la discipline a été adoucie ; le régime intérieur amélioré. Mais la loi du 15 mars 1850, qui parut donner satisfaction aux voeux de l'enseignement libre, inaugura pour lui une troisième période qui a été celle de sa décadence, et dont le trait principal est le développement des établissements congréganistes.

Quelques congrégations reconnues avaient déjà fondé des pensionnats qui s'étaient ajoutés aux petits séminaires sans porter une atteinte sensible au caractère laïc de l'enseignement national. Il n'en fut plus ainsi désormais. Secondées par l'influence du clergé, par les tendances politiques du second Empire, par d'incroyables facilités financières, par une grande réputation d'habileté et de sainteté, d'autres congrégations se mirent à l'oeuvre et eurent bientôt créé de nombreux établissements destinés à recevoir un nouveau contingent d'élèves. Ces élèves ne pouvaient être pris qu'aux pensionnats libres, les internats du gouvernement étant en situation de se défendre. De 1865 à 1876 seulement, 12 000 élèves passèrent des maisons laïques aux maisons religieuses ; la proportion n'avait pas été moindre dans la période décennale qui avait précédé ; elle s'est ralentie depuis, par les causes que l'on sait. Quant au nombre des établissements laïques, il s'est abaissé successivement de 825 à 657 et à 471 : il était en 1885 de moins de 400.

L'adoucissement de nos moeurs est de plus en plus favorable à l'externat et contraire au régime de la pension. La discipline répugne à notre mollesse. Les maîtres ont aussi peu de goût à l'exercer que les élèves à le subir ; or, sans discipline, il n'y a pas d'internat. D'autre part, où loger désormais, dans les grandes villes où le terrain est d'un prix si élevé, des établissements qui ont besoin d'espace? Toutes les causes semblent donc se réunir pour rendre précaire l'existence des pensionnats. Quel sera leur avenir? Il paraît probable que les pensionnats, réduits à un petit nombre, seront de deux sortes : quelques grands établissements fondés par des sociétés, comme Sainte-Barbe ; et les maisons de petit nombre, n'ayant pas besoin d'un grand local ni d'une organisation complexe, réunissant autour d'un homme compétent et soigneux certaines catégories d'élèves. Sous la première forme, l'initiative privée peut introduire dans le domaine public, ainsi qu'elle l'a fait souvent, les progrès dont elle a eu l'idée, et en faire honneur à des établissements qui en gardent l'esprit et la renommée ; sous l'autre forme, qui rapproche davantage le pensionnat de la famille et des conditions normales de l'éducation, l'enseignement libre peut recueillir les enfants auxquels ne convient pas le régime administratif des établissements de l'Etat, les jeunes, les maladifs, les arriérés dont il faut sauver les études ou hâter la marche, les étrangers venus en France pour en apprendre la langue, beaucoup d'élèves enfin qui ont besoin de soins exceptionnels physiques et moraux. Quelque regrettable que soit à beaucoup d'égards le déclin numérique des pensionnats, c'est à ces limites qu'ils se verront sans doute réduits.

Les pensionnats de jeunes filles sont dans une situation analogue, mais leur histoire est moins longue. Il n'y a pas eu d'université féminine pour en susciter la création au moyen âge, et, sous l'ancien régime, l'Eglise n'a guère vu disputer à ses couvents le droit d'élever les jeunes filles. On connaît assez les célèbres maisons de Port-Royal, de Saint-Cyr. Le dix-huitième siècle ne réagit qu'en théorie et par de simples projets contre cette éducation religieuse. C'est la Révolution qui a ouvert la porte à l'éducation laïque des filles. Aussitôt après la Terreur, Mme Campan fonde à Saint-Germain un pensionnat qui sert de modèle à un grand nombre d'autres. Comme il n'y avait alors ni religieuses ni couvents, et que l'enseignement officiel des jeunes filles ne devait être représenté que par la maison de la Légion d'honneur et ses succursales, le nombre des pensionnats put être considérable. Mais ni l'éducation ni les études n'y étaient bien sérieuses, et quand les couvents se rouvrirent, de 1805 à 1811, ils recouvrèrent bientôt leur ancienne population d'élèves. Il y eut cependant sous la Restauration de grands pensionnats laïques, parmi lesquels on peut citer ceux de Mme de Maisonneuve et de Mlle Sauvan. Mais c'est le règne de Louis-Philippe qui fut l'âge d'or de ces maisons. En 1837, un arrêté du Conseil royal de l'instruction publique classait ces établissements en deux degrés, les institutions et les pensions, et fixait les garanties à exiger de leurs directrices. Le goût des examens commença dès lors à se répandre, et les maisons d'éducation eurent une vogue d'une dizaine d'années. En 1848, on en comptait 253 dans le département de la Seine, parmi lesquelles celles de Mmes Bascans, Dericquehem, Rey, Bachellery, etc., sans parler de 28 couvents, dont plusieurs, ceux des Oiseaux, du Sacré-Coeur, de Picpus, etc., avaient une certaine réputation pour le soin qu'ils donnaient à leur enseignement. Mais en ramenant à un degré unique les titres des maîtresses d'institution et de pension, en combattant et rendant inutile le brevet supérieur, la loi de 1850 porta un coup funeste à l'enseignement libre des jeunes filles. Les pensionnats cessèrent de donner les garanties nécessaires, et bientôt le goût prévalut pour les cours publics où les jeunes filles se rendaient à certains jours sans cesser de jouir de la vie de famille. MM. Lévi Alvarès, Lourmand, les élèves de l'abbé Gaultier, Réaumme, Mennechet, etc., les avaient déjà mis à la mode. Dirigés par des hommes ou par dés femmes, ils ont préparé avec succès aux examens publics et rendu possible la création des lycées de jeunes filles, dont le développement, sous la forme préférée de l'externat, ne peut manquer de ramener à des proportions de plus en plus modestes le nombre et l'importance des anciens pensionnais. Ceux-ci répondaient à un autre état de l'opinion et des moeurs. On tient aujourd'hui avec raison à laisser les jeunes filles sous l'aile maternelle en donnant à leurs études la double garantie d'un enseignement public et d'examens publics.

Mathieu-Jules Gaufrès