bannière

p

Peirce

Cyrus Peirce, pédagogue américain, directeur de la première école normale établie aux Etats-Unis, prit une part importante à l'oeuvre de réforme qui renouvela les écoles primaires de son pays dans le second quart du dix-neuvième siècle. Cette réforme procédait, d'une part, des tendances morales et philanthropiques qui distinguaient à cette époque la société de la Nouvelle-Angleterre, d'autre part des idées de Pestalozzi, accueillies avec faveur en Amérique, et fondant sur l'intuition directe des réalités le développement des facultés de l'enfant. Une clarté parfaite dans renseignement, menant l'élève du connu à l'inconnu, sans obscurité ni lacunes ; une subordination sévère du savoir au but moral de la vie : tels étaient en effet les principes dont s'inspiraient les pédagogues du Nouveau-Monde et spécialement Cyrus Peirce.

Né en 1790 dans un petit village du Massachusetts, il parvint, malgré la pauvreté de sa famille, à donner satisfaction à son goût pour les études, et, après avoir pris ses grades à l'université de Harvard, il ouvrit une école libre de jeunes filles dans l'île de Nantucket (Massachusetts). Il se voua dès lors (1810) à l'enseignement, sans songer à s'éloigner du théâtre de ses premiers travaux. Il quitta pourtant deux fois son école, d'abord pour compléter ses études en suivant des cours de théologie ; ensuite pour éclaircir le doute qui s'était emparé de son esprit sur la légitimité des châtiments corporels qu'il était d'usage d'infliger aux élevés. Pasteur quelque temps d'une paroisse rurale, ses réflexions l'amenèrent à condamner absolument un moyen de discipline sans rapport avec le développement moral de l'enfant. Il y renonça pour son compte, et son exemple fut d'un bon effet autour de lui. Son école était des plus prospères. Chargé plus tard d'organiser les écoles publiques de Nantucket, au lieu de leur laisser à toutes le plein exercice, il les échelonna en quatre degrés s'élevant du primaire au supérieur et pouvant prendre chacun plus facilement son plein développement. Directeur de l'école supérieure et surintendant des autres, il pénétra ses collègues de son esprit et exerça indirectement sur toute la population de l'ile une influence morale des plus heureuses.

En 1839, Horace Mann lui fit confier par le Bureau d'éducation du Massachusetts la direction de l'école normale de jeunes filles qui allait s'ouvrir à Lexington, et qui devait servir de modèle à deux autres écoles de même nature dont la création était décidée en principe.

Peirce institua dans la sienne deux séries de cours et d'exercices, les uns tendant à donner à l'enseignement primaire la forme la plus claire et la plus efficace ; les autres, à munir l'institutrice des connaissances générales dont elle a besoin. L'ardeur, la conscience, le talent hors ligne que Peirce apportait à ses leçons en assura le succès. Ses élèves furent bientôt réputées les institutrices les plus capables qu'on eût vues dans les écoles : elles semblaient acquérir dans un séjour de deux ans auprès de lui les qualités morales et pédagogiques de celui qu'elles appelaient Père Peirce. Pour préparer ses leçons, il travaillait une partie de la nuit et ne dormait que quatre heures. Pour obtenir dans l'école un service matériel irréprochable, le seul dont il pût se contenter, il se chargeait lui-même en hiver d'allumer les calorifères, de balayer la neige, de puiser l'eau pour la journée. Il contracta ainsi la maladie qui l'obligea en 1849 à renoncer à la direction de l'école et qui l'emporta en 1860. Un tel homme ne pouvait songer à écrire ; il avait trop à agir : quelques lettres, quelques mémoires ou conférences sur l'éducation, sur l'enseignement de la lecture, sur l'insuffisance de l'instruction pour garantir l'honnêteté et prévenir le crime, voilà tout ce qui reste de lui. Mais son mérite était si grand et les services qu'il rendait à l'éducation si éclatants qu'Horace Mann osa dire un jour : « La réputation de Peirce, d'abord insulaire, puis continentale, sera désormais coextensive avec la civilisation ».

Mathieu-Jules Gaufrès