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Pédanterie

On se sert parfois du mot pédanterie pour désigner une affectation de sévérité, d'exigence, d'exactitude poussée jusqu'à la minutie, en des choses peu importantes. C'est en ce sens qu'on dira, par exemple : « Il y aurait de la pédanterie à relever de si légères fautes » (Acad.). — Plus ordinairement, pédanterie signifie affectation d'une supériorité intellectuelle. En ce sens, la pédanterie est encore susceptible de diverses formes. Ainsi, d'après La Bruyère, ne vouloir être ni conseillé ni corrigé sur son ouvrage est du pédantisme. Il y a une sorte de pédanterie assez commune qui prétend surtout à la profondeur : elle se manifeste par l'obscurité recherchée du style, par le ton bref et sentencieux des paroles, par le silence même. Mais, sous sa forme la plus ordinaire, la pédanterie consiste à faire étalage de son savoir.

Ainsi entendue, la pédanterie est une espèce de vanité. Comme toute vanité, elle se distingue de l'orgueil en général, et, en particulier, de l'orgueil du savoir, en ce qu'elle se préoccupe uniquement de l'effet produit, tandis que l'orgueil se contente de son propre suffrage et souvent même dédaigne celui des autres. L'orgueil du savoir est un défaut, sans doute ; mais il peut du moins se concilier avec un juste sentiment de la dignité du savoir, lequel, en effet, pour avoir son prix, a seulement besoin d'être et non de paraître. Le pédant semble ne faire cas du savoir qu'autant qu'il peut l'étaler ; par là, il se montre absolument étranger à l'idée de la valeur vraie du savoir et de son légitime usage.

De toutes les vanités, celle qu'on juge le plus sévèrement c'est la pédanterie. Elle est plus désobligeante qu'aucune autre : car le pédant, étalant avec insistance ce qu'il sait, a l'air de penser et de dire que d'autres ne le savent pas et semble vouloir le leur apprendre ; or, personne n'aime une leçon qu'il n'avait pas demandée. De plus, si toute vanité indique un manque de tact, de goût, de modestie, — en un mot, prouve de la sottise, — ce défaut paraît, dans le cas de pédanterie, avoir une gravité particulière. Un fat qui fait parade de son cheval ou de son habit est ridicule : mais on est pour lui plus facilement indulgent, car peut-être n'en sait-il pas davantage ; on peut supposer que c'est chez lui péché d'ignorance, et qu'une culture intellectuelle plus soignée aurait corrigé l'erreur de son jugement. Mais, chez le pédant, le savoir est demeuré sans effet sur la sottise. En s'étalant, ce savoir la fait donc ressortir davantage et porte à l'a juger irrémédiable. Aussi dit-on justement que « un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant ».

Quelles sont les causes de la pédanterie? On croit parfois que certaines professions ou certaines connais-naissances vouent nécessairement à la pédanterie. Bien n'est plus faux. Le professeur qui enseigne à ses élèves ce qu'il est chargé de leur apprendre ne fait pas plus acte de pédant que le maître maçon qui dresse son apprenti ; et, d'autre part, si la pente que crée la profession est un péril, il est pourtant aisé au professeur, avec un peu de surveillance sur lui-même, de s'abstenir, en dehors de sa classe, de professer. Quoi qu'on en ait dit, il n'y a pas de métier de pédant, et il y a au contraire des pédants dans tous les métiers. « On abuse quelquefois beaucoup, dit la Logique de Port-Royal (préface), de ce reproche de pédanterie, et souvent on y tombe en l'attribuant aux autres. La pédanterie est un vice d'esprit et non de profession, et il y a des pédants de toute robe, de toutes conditions et de tous états. » Aucun ordre de connaissances ne constitue non plus par lui-même la pédanterie. Il y a sans doute des connaissances sans grande portée et de pure érudition ou curiosité. Encore est-il que la pédanterie consiste à en faire montre et non à les posséder. Ajoutons que ceci n'est pas plutôt vrai pour l'un que pour l'autre sexe. Aucun savoir n'est interdit aux femmes non plus qu'aux hommes, tant qu'il ne leur fait pas négliger ce qu'il leur est le plus indispensable de savoir. Que chacun dirige donc ses études suivant ses aptitudes et ses préférences. Quel que soit le savoir préféré, on n'encourt point le reproche de pédanterie, tant qu'on le recherche pour lui-même et par goût, comme un aliment ou un plaisir de l'intelligence, non comme un ornement pour la vanité.

C'est donc dans la nature même des esprits et surtout dans l'éducation reçue qu'il faut chercher l'origine de la pédanterie. Toute pédanterie est vanité ; toute vanité vient de sottise. Mais la sottise même, atténuée et avertie par l'éducation, pourra se préserver de la vanité. Il est bien difficile au contraire qu'un bon esprit y échappe, si dès la plus tendre enfance parents et maîtres ont comme pris à tâche de cultiver et d'exalter en lui la vanité. Que de parents provoquent leurs enfants à faire montre de ce qu'ils savent ou croient savoir! « Que peut penser un enfant de lui-même, dit J.-J. Rousseau (Nouvelle Héloïse, Ve partie, lettre III), quand il voit autour de lui tout un cercle de gens sensés l'écouter, l'agacer, attendre avec un lâche empressement les oracles qui sortent de sa bouche, et se récrier à chaque impertinence qu'il dit ? » Les maîtres, de leur côté, contribuent souvent à surexciter l'amour-propre de l'enfant par des éloges immodérés ou des distinctions dont ils exagèrent la signification et la portée.

Signaler ces causes de la pédanterie, c'est indiquer les moyens de la prévenir ou de la corriger, autant du moins que la chose dépend de l'éducateur. Un enfant qui glisse sur cette pente serait vite ramené à la réserve qui lui convient, si ses mots impertinents, au lieu d'être accueillis par des encouragements et des éloges, ne rencontraient que l'inattention et le dédain. De la réserve, on l'amènerait peut-être à la modestie, si ces manifestations d'amour-propre servaient d'occasion pour lui démontrer à propos qu'un enfant ne sait rien et qu'il a tout à gagner à écouter, à s'instruire et à réfléchir. L'instituteur, de son côté, ne permettra pas à l'enfant vaniteux de s'exagérer les résultats de son travail et la valeur de ses succès. S'il y a lieu à des éloges, il louera plutôt son application et son bon vouloir que son savoir et son intelligence. Et s'il est urgent de rabattre des prétentions excessives, il saura trouver l'occasion de lui démontrer devant ses camarades l'insignifiance de ce qu'il a appris et la faiblesse de ses capacités.— A ces moyens en quelque sorte répressifs, d'autres peuvent s'ajouter qui auront une action plus profonde. Le pédant ignore la vraie fin du savoir, qui est de perfectionner notre nature spirituelle. Que l'éducateur prenne donc pour but de tous ses efforts, non l'acquisition même des connaissances, mais, selon le voeu de Port-Royal, la culture de l'esprit, du jugement et du goût par le moyen des connaissances acquises. Ce qui importe n'est pas tant la quantité que la qualité et le fruit du savoir. Il s'agit moins de meubler la mémoire que de former le jugement ; moins de produire de petits savants que de faire de bons esprits. Il faut donc choisir parmi les matières possibles de l'enseignement, et insister de préférence sur celles qui ont l'action la plus efficace sur les facultés. Et ce n'est pas assez que ce qu'on enseigne soit su. Ce qui s'arrête à la mémoire demeure en quelque sorte étranger. Il faut que les leçons reçues pénètrent plus avant, et par une profonde assimilation se transforment peu à peu en bonnes habitudes intellectuelles. — Signalons enfin un dernier correctif de la pédanterie : c'est l'étude même. Tel, qui d'abord ne lit et n'étudie que pour parler de ce qu'il aura lu et appris, peut se laisser gagner au charme de l'étude et finir par aimer le savoir en lui-même et pour lui-même, comme un honnête homme aime la vertu. Ajoutons que l'étude prolongée, en nous apprenant des choses nouvelles, nous apprend simultanément, et de plus en plus, la médiocrité de notre savoir eu égard à l'immense étendue de notre ignorance. Si peu de savoir écarte souvent de la modestie, beaucoup de savoir y ramène. Ainsi, selon la remarque de Montaigne, les épis de blé se dressent fièrement tout le temps qu'ils sont vides, et se courbent humblement vers la terre aussitôt qu'ils sont pleins.

Élie Rabier