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Pédagogie (histoire de la)

L'histoire de la pédagogie a eu, jusqu'en 1905, sa place marquée dans le programme officiel de nos écoles normales primaires. Cette histoire est écrite, en France, soit dans des monographies savantes et des études partielles, relatives à un homme ou à une époque caractérisée, soit dans des traités qui embrassent l'universalité des temps et des pays et qui présentent en un seul tableau l'ensemble des événements pédagogiques. Les programmes de 190b n'en font plus mention qu'en ces termes bien succincts : « Lecture des meilleures pages de la pédagogie moderne ; idée des doctrines et des moyens d'action des principaux pédagogues ». Il n'y en a pas moins toujours intérêt à rechercher quels avantages présente cette étude, quelles difficultés elle soulève, et surtout ce que doit être un cours élémentaire de l'histoire de l'éducation, quelles en sont les limites, l'intention générale et les principales lignes.

L'utilité de l'histoire de la pédagogie ne saurait être contestée. Je ne parle pas seulement de l'attrait qu'elle peut offrir ; rien n'est plus attachant, pour une simple curiosité éveillée sur le passé, que le récit des efforts qu'ont faits de tous temps les hommes avec une si grande diversité de principes et de moyens, pour élever le mieux possible leurs enfants. Assurément, l'histoire des essais de Pestalozzi, des luttes qu'il a soutenues dans ses écoles, vaut bien, comme intérêt, l'histoire des guerres de Napoléon. Mais l'histoire de la pédagogie ne doit pas être envisagée uniquement comme un spectacle agréable : elle est à vrai dire une école d'éducation, une des sources de la pédagogie définitive. Quand il s'agit de physique ou de chimie, l'histoire de ces sciences dans le passé n'est guère qu'une affaire d'érudition et de curiosité : on n'a trouvé que depuis quelques siècles à peine leur vraie méthode ; ces sciences jeunes et récentes se renouvellent sans cesse, et les découvertes d'aujourd'hui infirment et relèguent au rang des erreurs les vérités d'hier ; ces erreurs, une fois reconnues pour telles, n'offrent plus d'ailleurs aucun intérêt. Dans la science de l'éducation, au contraire, comme dans toutes les sciences philosophiques, l'histoire est l'introduction nécessaire, la préparation à la science elle-même. De tout temps on a connu au moins quelques-uns des procédés que comporte une saine méthode pédagogique : la méthode socratique, si prônée de nos jours, date de Socrate. Chez presque tous les pédagogues, il y a des vérités éparses à recueillir. L'éclectisme, c'est-à-dire la méthode qui consiste à faire un choix dans les idées en circulation, n'aurait aucun sens dans les sciences de la nature ; mais il a un rôle à jouer, et un rôle utile, dans les sciences morales, dans la pédagogie en particulier. D'ailleurs, en matière d'éducation, les erreurs elles-mêmes méritent d'être étudiées, et l'on a pu dire qu'elles constituaient autant d'expériences manquées, qui contribuent au progrès des méthodes en signalant les écueils qu'il faut éviter ; on peut affirmer qu'une analyse approfondie des paradoxes de Rousseau, des conséquences absurdes auxquelles le conduit l'abus du principe de la nature, n'est pas moins instructive que la méditation des préceptes les plus sages de Montaigne et de Port-Royal.

Mais, dira-t-on, si les pédagogues, tout au moins les grands pédagogues des siècles passés, ont tous saisi une part de la vérité, ne pourrait-on pas rattacher l'histoire de la pédagogie à l'enseignement de la pédagogie elle-même? A propos de l'éducation du jugement, on rappellerait les réflexions de Montaigne ; dans une leçon sur l'éducation physique, on ferait connaître les vues de Locke et de Rousseau ; pour expliquer les procédés intuitifs, on citerait Pestalozzi et Froebel. On ferait ainsi rentrer dans les cadres de la science même, sous forme d'exemples et pour ainsi dire d'illustrations, les parties vraiment vivantes et durables des doctrines anciennes ; on éviterait le double emploi dé deux cours successifs qui semblent condamnés à se répéter l'un l'autre, l'histoire de la pédagogie et la pédagogie proprement dite. Je conviens que cette façon de procéder aurait ses avantages surtout comme économie de temps. Mais il est évident que l'histoire de l'éducation y perdrait son caractère ; émiettée, découpée par morceaux, échelonnée au fur et à mesure des besoins de l'enseignement théorique, elle ne présenterait plus aux élèves le progrès, révolution, la marche continue des idées pédagogiques. Pour être véritablement compris, les systèmes d'éducation doivent être replacés dans le milieu qui les a vus naître. « Les doctrines pédagogiques ne sont — avons-nous dit ailleurs — ni des opinions fortuites, ni des événements sans portée. D'une part, elles ont leurs causes et leurs principes, les croyances morales, religieuses, politiques, dont elles sont l'image fidèle. D'autre part, elles contribuent à façonner les esprits, à établir les moeurs. L'éducation d'un peuple est à la fois la conséquence de tout ce qu'il croit et la source de tout ce qu'il sera. » S'il en est ainsi, les systèmes ou les pratiques d'éducation n'ont véritablement leur sens qu'étudiés sur place, pour ainsi dire, dans leur succession réelle, dans leur filiation à travers les temps. Bien comprise, une histoire de l'éducation est, sous une forme réduite, une histoire de la pensée ; elle peut remplacer avantageusement dans l'enseignement populaire l'histoire trop ardue de la philosophie et de la religion. Elle montre nettement comment la nature humaine s'est élevée peu à peu de l'instinct à la réflexion, des conceptions étroites et mesquines à des conceptions plus larges, d'une définition incomplète de la vie et de la destinée à une ample compréhension de tous les besoins et de toutes les aspirations.

Reconnaissons donc la place légitime qui revient à l'histoire de la pédagogie dans les études de tout futur éducateur. Outre le profit intellectuel, il y trouvera aussi des trésors d'instruction morale ; et l'exemple des vertus pédagogiques que lui offrent les vies de Rollin, de Pestalozzi, de Mme Pape-Carpantier, exercera une salutaire influence sur la conduite et les efforts de tous ceux qui auront pénétré par une étude attentive dans l'intimité de ces héros de l'éducation.

Il y a d'ailleurs bien des manières possibles de présenter l'Histoire de la pédagogie. On pourrait d'abord distinguer, dans deux séries parallèles d'études, les doctrines et les institutions pédagogiques. A toute époque, en effet, il y a d'une part les idées et d'autre part les faits. Platon et Aristote dissertent et spéculent, tandis que le grammairien et le cithariste continuent dans les écoles d'Athènes le cours régulier de leurs leçons traditionnelles. L'éducation, telle que la conçoit Montaigne, ne ressemble guère à celle qu'il a reçue lui-même au collège de Guyenne. Presque toujours les théories sont en avance sur la pratique, et ne pénètrent que tardivement dans les moeurs scolaires. Nous ne croyons pourtant pas qu'il y ait intérêt à séparer complètement ces deux parties de l'histoire de l'éducation : les deux études gagneront à être rapprochées pour chaque pays et pour chaque siècle.

De même on pourrait être tenté d'exposer à part l'histoire de l'éducation en général et l'histoire de l'instruction qui n'en est qu'un élément ; et, l'éducation elle-même comprenant trois parties, l'éducation physique, l'éducation intellectuelle, l'éducation morale, de distribuer en trois cours distincts les observations relatives à ces différents sujets. Mais ces divisions et subdivisions présenteraient de graves inconvénients. Elles tendraient à séparer, à isoler artificiellement des faits ou des idées qui, dans la réalité, ne se scindent pas. Il y a connexité entre les théories de Rousseau en matière d'éducation générale, et la solution qu'il donne aux questions d'instruction proprement dite. Dans un collège de jésuites, au dix-septième siècle, la pratique suivie, en fait de discipline, est intimement liée aux méthodes adoptées pour l'enseignement et l'éducation intellectuelle. Les institutions et les doctrines pédagogiques veulent être considérées dans leur ensemble, dans la connexion systématique de leurs divers éléments.

Une autre méthode d'exposition, plus défendable assurément, est celle qui consisterait à classer en un certain nombre de systèmes les opinions et les applications pédagogiques de tous les temps et de tous les pays. De même que Victor Cousin ramenait la diversité des opinions philosophiques à quatre systèmes, à quatre types, toujours prêts à reparaître, de même on pourrait rattacher les doctrines pédagogiques à quelques tendances générales et toujours vivaces. On distinguerait la tendance ascétique, celle des Pères de l'Eglise et des doctrines du moyen âge, et la tendance utilitaire, celle de Locke et de la plupart des philosophes du dix-huitième siècle ; l'optimisme de Fénelon, de Rousseau, et le pessimisme de Port-Royal, de Mme Necker de Saussure ; la prédominance du goût littéraire chez les humanistes de la Renaissance, dans les collèges de la Société de Jésus, et la prépondérance de l'esprit scientifique chez Condorcet, chez Herbert Spencer. Une réduction de ce genre aboutirait à une véritable classification des écoles de pédagogie, et aurait l'avantage de dégager nettement, dans les manifestations en apparence si variées de la pensée humaine en matière d'éducation, un petit nombre de principes essentiels, toujours les mêmes, toujours renaissants, et supérieurs aux détails, aux accidents qui parfois les dissimulent. Mais un tel travail, outre qu'il constituerait moins une histoire de la pédagogie qu'une philosophie de cette histoire, tendrait aussi à faire oublier les différences qui séparent même les doctrines les plus rapprochées, à tenir dans l'ombre, au lieu de les mettre en relief, les caractères propres à chaque pédagogue, le tour original et vivant qu'il a donné à sa pensée : enfin il ne répondrait pas au but fondamental d'une étude historique, qui est de montrer à travers les répétitions et les redites, à travers les défaillances et les retours en arrière, le progrès toujours continu et l'acheminement insensible vers les solutions les plus rationnelles et les plus idéales.

La meilleure méthode est donc celle qui consiste tout simplement à suivre l'ordre chronologique, à étudier successivement les pédagogues de l'antiquité, ceux du moyen âge, de la Renaissance et des temps modernes, à interroger tour à tour les grands professeurs ou les grands théoriciens de l'éducation, en demandant à chacun d'eux comment il a résolu pour son compte les diverses parties du problème pédagogique.

Bien entendu, dans cette histoire élémentaire de l'éducation, on laissera de côté les origines lointaines. Après un court aperçu sur les sociétés orientales, on abordera presque d'emblée les peuples classiques, les Grecs et les Romains : on n'insistera d'ailleurs pas longuement sur cette période éloignée, dont l'étude intéresse la curiosité et l'érudition pure plus qu'elle ne répond à un intérêt pratique. De même on pourra passer rapidement sur les premiers siècles du christianisme et sur le moyen âge, époque véritablement pauvre au point de vue pédagogique. On n'aura à entrer dans le détail, dans l'analyse minutieuse, qu'à partir du seizième siècle, alors que l'éducation s'étend et s'élargit en divers sens, d'abord à raison du nombre de choses qu'elle enseigne, ensuite par le plus grand nombre d individus qu'elle appelle à jouir de ses bienfaits.

Il ne peut être question à cette place d'écrire une histoire de la pédagogie : nous voudrions seulement, dans un résumé rapide et dans une vue d'ensemble, en marquer les diverses périodes, avec leurs caractères essentiels.

La pédagogie grecque et la pédagogie romaine ont poursuivi tantôt et presque exclusivement l'éducation physique, comme à Sparte, comme clans les premiers siècles de la République romaine, tantôt, comme à Athènes, et aussi à Rome une fois que Rome se fut mise à l'école de la Grèce, le développement parallèle de l'esprit et du corps, la musique et la gymnastique. Platon, Aristote ont pédagogisé dans ce sens. De plus, l'éducation antique dans son ensemble a pour idée directrice la cité : elle aspire à former le citoyen plus que l'homme. C'est seulement dans les premiers siècles du paganisme que, sur les ruines de la cité et de la patrie, dans la fusion des nationalités, s'est élevée et a grandi, avec Plutarque par exemple, l'idée de la famille et d'une éducation domestique, et avec les stoïciens l'idée de l'humanité et d'une éducation morale universelle.

Le christianisme, par ses dogmes, vint proclamer à nouveau, avec plus de netteté et d'éclat, les principes qui étaient déjà, contenus en germe dans la doctrine du stoïcisme ; il affirma l'égalité de toutes les créatures humaines, et par là, implicitement, leur droit à l'instruction ; il releva la dignité de la personne et l'affranchit du despotisme de l'État en appelant l'homme à prendre place, non plus seulement dans la cité terrestre, mais dans la cité de Dieu. Mais les idées généreuses du christianisme qui, appliquées, auraient dû modifier profondément l'éducation, ne fructifièrent pas tout de suite. En outre, l'effort du christianisme naissant dut s'employer à lutter contre le paganisme : il fallait rompre avec la société antique, et par suite on fut entraîné à décrier les lettres, les sciences, qui faisaient partie du bagage de l'antiquité. L'ignorance devint en honneur comme un signe de la rupture avec le passé, comme un élément de la sainteté nouvelle. Enfin les tendances mystiques des premiers chrétiens les détournèrent de toute conception d une pédagogie mondaine et humaine : la vie à leurs yeux devait être le renoncement à la vie, la préparation à la mort. Les Lettres de saint Jérôme sur l'éducation des filles sont un document précieux de cet état d'esprit, de cet ascétisme intellectuel et moral.

Le moyen âge ne doit figurer que pour mémoire dans les annales de la pédagogie. Dans cette époque confuse, troublée par les dissensions intestines et par les guerres étrangères, alors que les langues nationales, véhicules indispensables de l'instruction n'étaient pas encore constituées, alors que la langue populaire n était pas la même que la langue savante, dans cette mêlée d'hommes où l'idée de nation n'avait pas encore pris corps, l'éducation, telle que nous la comprenons aujourd'hui, était chose impossible.

Le moyen âge a, pour ainsi dire, disjoint et dissocié les deux éléments de l'éducation, que l'antiquité grecque au contraire prenait un soin jaloux d'unir et de fondre dans un tout harmonieux ; l'éducation du corps et l'éducation de l'esprit. Aux temps de la féodalité, les seigneurs dédaignent tout ce qui est travail intellectuel ; ils font grand cas, au contraire, des exercices du corps. D'autre part, les religieux dans leurs monastères, les clercs en général, s'ils ont peu de souci des qualités physiques, ne négligent pas absolument les études proprement dites : au milieu de leurs pratiques ascétiques et de leurs contemplations mystiques, ils trouvent le temps de recopier les textes de l'antiquité. La science, dans la mesure où elle existe, devient chose exclusivement ecclésiastique : elle est le privilège des clercs. Le peuple est tenu à l'écart de l'instruction, dont il ne sent pas le besoin. La vie intellectuelle, d'abord confinée dans les cloîtres, tend cependant peu à peu à s'étendre : elle se fixe dans les universités. Il n'est pas question alors de cette distinction des trois degrés de l'instruction : primaire, secondaire et supérieure, qui correspond à une période plus avancée de la civilisation. L'enseignement primaire n'existe pas ; l'enseignement supérieur et l'enseignement secondaire sont confondus dans l'université, qui comprend les facultés de théologie, de droit, de médecine, et la faculté des arts, où l'on enseigne les sept arts libéraux : grammaire, logique, rhétorique, musique, arithmétique, géométrie et astronomie : c'est-à-dire des sciences abstraites, l'étude des formes du langage correct, du raisonnement, du langage éloquent, l'étude des nombres, etc. Presque aucune part n'y est faite soit aux sciences réelles et concrètes, la physique, l'histoire naturelle, soit aux sciences morales, l'histoire par exemple. L'homme élevé à cette école ne pouvait devenir un homme complet, développé dans toutes ses facultés: il n'était qu'un automate dialecticien.

La pédagogie ne commence véritablement qu'avec le seizième siècle ; à peine préparée jusqu'à cette époque par quelques essais plus méritoires que fructueux, elle prend son essor avec les érudits, avec les lettrés de la Renaissance. Aucun siècle, peut-être, n'a été plus fécond que celui-là en oeuvres scolaires. Il suffirait pour s'en convaincre de jeter les yeux sur le Répertoire des ouvrages pédagogiques du seizième siècle, publié en 1886 dans la collection des Mémoires et documents scolaires du Musée pédagogique. Dans ce gros in-8°, où l'on a patiemment catalogué les livres que possèdent nos bibliothèques de France, nous trouvons les preuves du prodigieux travail des hommes de la Renaissance, et le relevé, pourtant incomplet encore, de leurs innombrables écrits à l'adresse de la jeunesse. Ce sont d'abord des grammaires, des dictionnaires, des éditions d'auteurs grecs et latins, des traductions, des traités de rhétorique, des manuels d'élégance littéraire ; ce sont aussi des livres d'histoire, de géographie, des oeuvres de morale, tantôt sous forme de catéchismes, tantôt sous forme de dialogues, de fables, de proverbes, des livres d'arithmétique, de géométrie, de cosmographie, et même, quoique en moins grand nombre, d'histoire naturelle et de physique : ce sont enfin, après les livres de classe proprement dits, des centaines de traités d'éducation générale. « Beaucoup de personnes, même instruites, di avec raison M. F. buisson, dans le Rapport au ministre qui précède le Répertoire, ne savent pas bien ce qu'a été, dès les premières heures de la Renaissance dans notre pays, le mouvement scolaire, contre-coup immédiat du mouvement littéraire. Nos humanistes n'ont pas été des délicats égoïstes et dédaigneux : leur premier mouvement au contraire est d'appeler à la lumière les jeunes générations. Chacun d'eux, tour à tour, tout ensemble, est étudiant et professeur, également ardent, également enthousiaste, dans l'un et l'autre rôle. Tous brûlent d'apprendre, et tous d'enseigner. La Renaissance des lettres est, du même coup, celle des écoles. Il n'y a pas dans l'histoire de plus beau spectacle : jamais l'esprit humain ne mit plus de candeur et n'éprouva plus de joie à faire la découverte de son bon droit, à se sentir capable de connaître le vrai, d'admirer le beau, de vouloir le bien : jamais il ne crut plus facile, plus simple, plus naturel de transmettre par l'enseignement la vertu, la science, l'art, tout le patrimoine de l'humanité. »

Le mouvement de la Renaissance, en effet, n'a pas été seulement un réveil de l'esprit littéraire, de l'élégance du langage. Il a été, avec Erasme, avec Rabelais, avec Montaigne, un effort tenté pour introduire une grande nouveauté: une éducation qui tirerait tout de son propre fonds, c'est-à-dire de la nature humaine. Et cet effort n'aboutit pas seulement à quelques aperçus théoriques perdus dans le Gargantua ou dans les Essais : il se manifeste pratiquement dans des institutions réelles, comme le collège de Strasbourg, dirigé (depuis 1538) par le célèbre Sturm, comme le Collège de France fondé en 1530.

Mais cette reprise de l'humanité par elle-même, ce retour marqué vers la nature ou vers l'art antique, ce mouvement qui faisait dire à Etienne Dolet en 1530: « Les lettres sont maintenant en honneur plus qu'elles n'ont jamais été ; l'étude de tous les arts est florissante », tout cela ne dura pas : et, à la fin du siècle, Etienne Pasquier pouvait s'écrier avec amertume : « Je vois bien quelques flammèches, mais non cette splendeur d'études qui reluisait pendant ma jeunesse ». Pourquoi cela n'avait-il pas duré? Parce que les querelles religieuses avaient pris le premier rang dans les préoccupations des hommes, parce qu'à une éducation libérale, éclose sous le souffle de la Grèce ressuscitée, s'était substituée de nouveau, durant la seconde moitié du seizième siècle, et dans l'ardeur des guerres religieuses, soit l'éducation protestante, soit l'éducation catholique, de toutes manières, quoique avec des tendances très diverses, une éducation ecclésiastique et confessionnelle. N'oublions pas, en effet, que les héros de l'éducation humaine, naturelle et rationnelle, du seizième siècle, en ont été les martyrs, que la Renaissance n'a pas été le moins du monde la réapparition triomphante et heureuse, dans la paix des consciences et dans l'accueil aisé d'une sympathie immédiatement acquise, des traditions de l'antiquité : tout au contraire, elle a été une lutte, un combat pied à pied contre la routine et les préjugés du moyen âge ; un ensemencement laborieux, "à travers la tempête, de germes que l'Inquisition, .la Compagnie de Jésus ont étouffés pour un temps, et qui n'ont définitivement fructifié qu'au dix-huitième et au dix-neuvième siècle. Etienne Dolet mourait sur un bûcher de la place Maubert, dix ans après qu'il avait salué, dans ses Commentaires sur la langue latine, la fin de la barbarie ; Ramus était assassiné dans la nuit de la Saint-Barthélemy, pour avoir toute sa vie battu en brèche l'esprit d'autorité et la vieille routine scolaire.

Du moins, la victoire de l'esprit religieux, à raison de la rivalité créée par l'antagonisme de l'orthodoxie catholique et de la réforme protestante, eut nécessairement pour conséquence un progrès relatif des études et de la pédagogie. D'une part, la Réforme introduisait dans la religion le principe de la recherche personnelle, de la lecture directe des Livres saints ; elle s'engageait, par suite, à développer l'instruction, à répandre partout la lumière, chez l'artisan, chez l'ouvrier, autant que chez le noble ou le bourgeois : de là les efforts de Luther pour multiplier les écoles populaires, ouvertes à tous (1525), et les déclarations des Etats généraux d'Orléans (1560) en faveur de l'éducation du peuple « dans toutes villes et villages ». D'autre part, le succès de la Réforme elle-même et aussi l'éclat de la Renaissance profane provoquèrent de nouveaux efforts de la part du catholicisme, qui essaya, non sans succès, de détourner à son profit et de diriger à sa guise le mouvement si nouveau des esprits vers l'instruction : de là, vers le milieu du seizième siècle, la fondation de la Société de Jésus, dont le but principal était de s'emparer de l'éducation de la jeunesse et d'accaparer les lettres profanes elles-mêmes, pour les employer au maintien et à la propagation de la foi catholique.

Le dix-septième siècle, dans son ensemble, n'a été, au point de vue de l'éducation, que le développement et le triomphe de cette tactique pieuse, inaugurée dès le seizième siècle, avec une habileté qui ne s'est jamais démentie et que le succès a longtemps couronnée, par les disciples de Loyola. La caractéristique de la pédagogie du dix-septième siècle, en France, c'est la prédominance de l'esprit religieux. Ce sont alors des évêques qui dirigent les grandes éducations princières : Bossuet élève le Dauphin (1670-1679), Fénelon élève le duc de Bourgogne (1689-1695) : c'est à des corporations religieuses, très variées, d'ailleurs, dans, leurs tendances, les oratoriens, les jésuites, les jansénistes, que la majorité de la nation confie les destinées de l'enseignement secondaire. Les universités, malgré quelques velléités d'esprit nouveau, malgré quelques tendances à accueillir la philosophie cartésienne, restent jusqu'à la fin du siècle sous la domination de l'Eglise. La fondation de l'institut des Frères des écoles chrétiennes (1684) n'est encore qu'une manifestation de l'esprit catholique : La Salle tente pour l'enseignement primaire quelque chose d'analogue à ce que Loyola a fait cent ans auparavant pour l'enseignement secondaire. Même à l'étranger, les apôtres les plus fervents de l'éducation populaire, par exemple Coménius (l592-l671), obéissent avant tout à des inspirations religieuses.

Il faut cependant noter, dès le dix-septième siècle, deux faits nouveaux et importants : d'une part, l'esprit philosophique, avec Bacon (1561-1626), avec Descartes (1596-1650), avec Locke (1632-1704), s'introduit dans les questions d'éducation, pour en éclairer les principes et en rectifier les moyens ; d'autre part, on commence à s'inquiéter de l'éducation des femmes ; la fondation et l'organisation de Saint-Cyr par Mme de Maintenon (1686), le traité de Fénelon sur l'Education des filles (1687), témoignent d'une préoccupation étrangère à Montaigne et qui s'était à peine fait jour dans les écrits d'Erasme et de Vivès au seizième siècle.

On n'enseigne et on ne peut enseigner évidemment que ce que l'on sait. La pédagogie d'un siècle donné correspond précisément à ce que comprennent les connaissances de ce siècle. Au seizième siècle, on n'enseigne guère que les langues mortes, parce que le français et les langues vivantes ne sont pas encore constitués dans leur forme définitive, parce que les littératures modernes n'ont pas encore produit leurs chefs-d'oeuvre. Au dix-septième siècle, dans la dernière moitié tout au moins, le joug du latinisme tend à devenir moins lourd ; même l'université de Paris s'émancipe, et Rollin (1661-1741), continuant la tradition des jansénistes, fait une place aux éludes de langue française. De même les sciences, dont il ne pouvait être question dans l'enseignement, tant qu'elles existaient à peine en théorie, commencent à franchir le seuil des collèges et à s'installer dans les programmes ; Rollin consacre un chapitre du traité des éludes à la « physique des enfants ».

Mais la véritable rénovation des études et des méthodes, c'est au dix-huitième siècle seulement qu'on la doit : peut-être encore en théorie plus qu'en pratique, moins sous forme d'applications que de conceptions, mais, du moins, de conceptions durables et qui étaient destinées à transformer peu à peu les faits scolaires. D'une part, c'est Rousseau qui, dans l'Emile (1762), pose, non sans excès et sans écarts, les principes généraux de l'éducation moderne: la conformité à la nature, la condamnation des procédés mécaniques et artificiels, la prédominance des choses sur les mots, des études concrètes sur les éludes purement verbales. C'est Diderot qui revendique, avant Condorcet, les droits des études scientifiques. D'autre part, ce sont les parlementaires, La Chalotais, Rolland, qui protestent contre les usurpations des jésuites, et, après avoir provoqué leur expulsion, essaient de les remplacer, de substituer un enseignement national et laïque à l'éducation monastique et ultramontaine de l'ancien régime. Puis c'est la Révolution française avec ses grandes vues d'instruction générale et universelle, établissant dans les beaux Rapports de Talleyrand et de Condorcet l'enseignement à tous ses degrés, formulant les principes que nous proclamons aujourd'hui et les solutions que nous essayons de mettre en pratique. Enfin, à côté des politiques de l'éducation, c'est-à-dire de ceux qui ont eu pour principal objet d'organiser l'instruction par des mesures administratives, la (in du dix-huitième siècle a vu à l'oeuvre des pédagogues d'action, des hommes du métier qui, comme Pestalozzi (1746-1827), ont régénéré les méthodes de l'enseignement populaire.

Il ne saurait entrer dans le plan de cet article de présenter, même en abrégé, une esquisse des théories et des institutions qui ont marqué le dix-neuvième siècle. Disons seulement que l'importance de l'éducation a été de plus en plus reconnue, que les idées pédagogiques tendent de plus en plus à devenir des laits, que la pédagogie s'est organisée définitivement comme une science et un art indépendants. En Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Autriche, en Italie, en Amérique, comme en France, de toutes parts des efforts ont été faits pour introduire enfin dans l'art de l'éducation une consistance raisonnée et une rigueur scientifique. La théorie de l'éducation s'inspire des vérités qu'elle emprunte à la science de la nature humaine, à la psychologie et à la physiologie, dont elle cherche à déduire les conséquences. De son côté, la pratique scolaire fait effort pour se rapprocher de la théorie, pour se conformer, non plus à la tradition et à la routine, mais à la raison et à l'idéal. Les divers degrés de l'instruction se caractérisent avec plus de netteté, et, en même temps, par l'extension forcée des programmes, par la nécessité de diversifier la nature de l'enseignement selon la multiplicité même des fins à atteindre, ils se subdivisent : les écoles primaires supérieures apparaissent à côté des écoles primaires proprement dites, l'enseignement secondaire spécial se développe parallèlement à l'enseignement secondaire classique. Des tendances différentes continuent, d'ailleurs, à se faire jour. Les théologiens ne cessent pas de collaborer à l'oeuvre de l'éducation. L'évêque Dupanloup écrit des livres brillants sur ce sujet, tandis que la Société de Jésus et les Frères des écoles chrétiennes continuent à élever une partie des jeunes générations. Les femmes s'intéressent avec une ardeur nouvelle aux choses de l'éducation ; comme institutrices, elles participent de plus en plus à l'enseignement, et, d'autre part, fournissent des écrivains distingués : Mme Necker de Saussure, Mme Guizot, etc, qui théorisent sur la pédagogie. Les philosophes, notamment en Angleterre Herbert Spencer, Alexandre Bain, prennent leur part du travail commun.

Enfin, et c'est là peut-être la vraie caractéristique de la pédagogie du dix-neuvième siècle, les hommes d'Etat mettent au premier rang de leurs devoirs l'amélioration de l'instruction publique. L'enseignement à tous ses degrés devient une affaire d'Etat, un service public. La fondation de l'Université française, c'est-à-dire de l'Etat enseignant, est, pour notre pays au moins, le plus grand événement pédagogique de ce siècle. Sans supprimer l'initiative privée, l'Etat, c'est-à-dire la majorité de la nation, s'arroge le droit de diriger selon ses principes propres l'éducation de la jeunesse.

Telle est dans ses grandes lignes l'histoire de la pédagogie, c'est-à-dire de tout ce qui, dans le domaine des idées comme dans le domaine des faits, se rapporte à l'éducation, du moins à l'éducation voulue, préméditée. Il y a, en effet, une éducation involontaire, qui provient des circonstances physiques et morales au milieu desquelles les hommes se trouvent placés à leur naissance, et qui, à vrai dire, ne rentre pas dans le cadre des études que doit se tracer un historien de la pédagogie. C'est déjà un champ assez vaste à explorer que l'ensemble de toutes les conceptions générales proposées par les philosophes de l'éducation, et de tous les établissements scolaires établis par les organisateurs de l'instruction.

Gabriel Compayré