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Pastoret

Claude-Emmanuel Pastoret, comte de l'Empire (en 1810), puis marquis (à partir de 1817), jurisconsulte et homme politique français, né à Marseille en 1756, mort en 1840, fut conseiller à la Cour des aides de Paris (1781), membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres (1785), puis maître des requêtes (1788). Au début de la Révolution, il présida trois fois les assemblées électorales de Paris, et fut élu procureur général syndic du département. Devenu en 1791 député de Paris à l'Assemblée législative, il en fut le premier président et y siégea sur les bancs de la droite ; le parti feuillant le compta au nombre de ses chefs les plus influents. Nommé membre du Comité d'instruction publique (28 octobre 1791), il succéda à Condorcet dans la présidence de ce comité (8 février-5 mars 1792), et présenta des rapports sur diverses questions. Il émigra après le 10 août 1792, rentra en France après le 9 thermidor, fut élu député du Var aux Cinq-Cents (24 vendémiaire an IV) et membre de l'Institut (frimaire an IV), fut frappé de déportation par la loi du 19 fructidor an V, et passa à l'étranger. Rentré en France sous le Consulat, il devint professeur au Collège de France (1804), puis à la Faculté des lettres de Paris (1809), sénateur (1809) et comte de l'Empire (1810). Après la chute de Napoléon, il fut chargé par Louis XVIII de rédiger la Charte, devint pair de France (4 juin 1814), marquis (1817). membre de l'Académie française (1820), ministre d'Etat (1826), puis chancelier de France (1829). Il vécut dans la retraite après 1830.

On a de lui, comme député à la Législative, un Rapport sur la pétition au département de Paris pour l'établissement des écoles primaires et la suppression du tribunal de l'université, fait au nom du Comité d'instruction publique dans la séance du 24 février 1792. Dans la première édition de ce Dictionnaire, nous n'avions pu donner une analyse de ce document, qui n'existe pas à la Bibliothèque nationale ; mais il en est entré, depuis, un exemplaire à la bibliothèque du Musée pédagogique.

Le rapporteur, qui conclut à la suppression de la corporation appelée « tribunal de l'Université », s'exprime en ces termes à ce sujet : « L'université de Paris est composée, comme toutes les autres, de quatre facultés : la théologie, le droit, la médecine et les arts. Chacune d'elles a des revenus particuliers. Ceux des facultés de droit et de médecine sont peu considérables. ; mais la faculté de théologie et celle des arts ont trouvé, l'une dans l'invention heureuse des messageries (Voir Universités), l'autre dans la bienfaisante crédulité des peuples, une source plus féconde de richesses. La très grande partie en est consacrée à l'instruction publique ; et le moment d'en changer l'application, sans en changer l'objet, n'est pas encore venu. L'Assemblée constituante a conservé l'administration actuelle de tous les lieux d'enseignement jusqu'à l'organisation définitive de l'éducation nationale. Le régime de l'enseignement dans l'université de Paris subsistera donc tel qu'il est, jusqu'à cette époque qui heureusement n'est pas éloignée. Vos prédécesseurs ont fondé la constitution politique de l'empire français : vous fonderez sa constitution morale ; et l'enfance, heureuse de trouver la raison et la liberté où elle ne trouvait autrefois que les préjugés et l'esclavage, éternisera par ses vertus les droits des législateurs à la reconnaissance publique. Mais, en laissant subsister le régime actuel de l'éducation dans l'université de Paris, en conservant ses études et ses maîtres, le directoire vous dénonce la corporation formée sous le nom de tribunal, dont plusieurs membres sont étrangers à l'enseignement, et qui dévore, chaque année, une somme de soixante-douze mille livres en paiement de gages pour de grands et petits officiers qu'elle se donne, les frais de sportules ou droits de présence à des assemblées inutiles, de carrosses, de présentation de cierges, de processions, de cérémonies publiques, de dîners à la suite de cérémonies, enfin de messes pour lesquelles, par une bizarrerie remarquable, on paie non ceux qui les disent, mais ceux qui les écoutent. Là, un recteur, chef électif, et plusieurs officiers dont les quatre principaux portent le titre de procureurs des nations, se réunissent pour accorder des grades que personne ne demande plus, et pour rendre des arrêts, quoiqu'il n'existe ni justiciables, ni territoire. Il est trop évident que le terme d'une pareille institution est arrivé, et nous ne doutons point que l'université elle-même ne s'empresse de le reconnaître. »

Quant à la partie de la pétition du département de Paris dans laquelle celui-ci demandait d'être autorisé à établir dans chaque section de la capitale une école primaire provisoire, voici ce que disait Pastoret : « Tandis que soixante-douze mille livres se consument annuellement pour soudoyer l'orgueil inutile de quelques professeurs qui ont, dans leurs travaux, des titres bien plus réels à la considération publique, les écoles paroissiales languissent dans la misère. Le plus grand nombre d'entre elles n'étaient soutenues que par les charités actives de ceux qui joignaient à l'opulence l'amour sincère ou le faste heureux de la vertu : mais la plupart de ces hommes, égarés aujourd'hui, ont retiré la main bienfaisante qui versait des secours aux enfants des pauvres. Calomniateurs éternels d'une religion dont ils se disent les défenseurs, ils lui supposent l'horreur de la liberté et de l'égalité ; ils veulent faire de la noblesse un dogme pieux, et nous faire en même temps un crime de l'anéantissement de la tyrannie. Vous devez vous empresser de secourir une génération naissante que les ennemis du peuple voulaient condamner à l'ignorance pour la ramener plus aisément à la servitude. Leurs espérances à cet égard seront trompées, comme tous les voeux qu'ils forment contre la patrie. Le peuple n'aura pas en vain connu et reconquis ses droits ; la philosophie, si longtemps bannie de la France, si longtemps poursuivie par les terreurs et les remords des rois, tour à tour étouffée, outragée, punie par les satellites complaisants du despotisme épouvanté, la philosophie a retrouvé sa puissance, elle étendra son empire jusque dans l'asile du pauvre ; elle lui fera sentir que, loin d'être flétrissante, sa destinée est plus honorable encore, s'il sait être utile et laborieux, et que, chez une nation libre, il n'y a de honteux que l'indigence des vertus. Mais, en attendant que l'organisation définitive de l'instruction publique puisse la faire circuler dans toutes les ramifications de la société française, faut-il adopter la mesure que le département de Paris vous propose, celle d'établir dans chaque section une école primaire provisoire? Votre Comité ne le pense pas. Au moment d'établir un système général d'éducation, pourquoi faire des institutions nouvelles? Pourquoi isoler et placer d'avance quelques matériaux du grand édifice que vous allez construire? Il existe à Paris un grand nombre d'écoles, qui toutes ont un local marqué, qui toutes avaient des maîtres et ne les ont perdus, ou ne sont menacées de les perdre, que par l'impossibilité dans laquelle on est de payer leurs salaires : n'est-il pas beaucoup plus simple de con server provisoirement ces écoles et ces maîtres, de s'acquitter envers eux des indemnités qui leur sont dues, et de leur garantir celles qu'ils mériteront encore, que de chercher, pour chaque section, un local nouveau et peut-être de nouveaux instituteurs? »

L'Assemblée législative prononça l'ajournement du projet de décret présenté par Pastoret, et ne s'en occupa plus. C'est à la Convention qu'il était réservé de porter la hache sur les abus inutilement dénoncés aux assemblées qui l'avaient précédée et de prendre des mesures efficaces pour la réorganisation de l'enseignement élémentaire, ainsi que pour le paiement des salaires arriérés dus aux instituteurs et aux institutrices des petites écoles (décret du 4 ventôse an II). Mais on peut voir, par les traits caractéristiques que nous venons de donner de ce rapport, que les Jacobins n'étaient pas seuls à condamner un système d'éducation où l'enfance ne trouvait que « les préjugés et l'esclavage » ; qu'un royaliste constitutionnel savait flétrir l'hypocrisie des défenseurs de la religion, qui ne défendaient que leurs privilèges ; et que le Pastoret de 1792 parlait avec autant d'enthousiasme que Condorcet lui-même de cette philosophie qui « long temps bannie de la France, étouffée, outragée par les satellites du despotisme », avait « retrouvé sa puissance », et dont le triomphe, en dépit des efforts des « ennemis du peuple », qui voudraient « le condamner à l'ignorance pour le ramener plus sûrement à la servitude », devait aboutir à « l'anéantissement de la tyrannie ».

James Guillaume