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Pascal (Jacqueline)

Jacqueline Pascal, soeur cadette de Biaise Pascal, naquit le 5 octobre 1625, à Clermont Ferrand, où son père, Etienne Pascal, exerçait les fonctions de président de la Cour des aides. Sa mère mourut en 1626, et son père, ayant vendu sa charge pour pouvoir se consacrer tout entier à l'éducation de ses enfants, alla s'établir à Paris en 1631. Comme son frère, la jeune Jacqueline donna, dès son enfance, des marques d'un esprit extraordinaire : à huit ans, elle faisait des vers qui étaient fort admirés ; à treize, elle adressait un recueil de ses poésies à la reine, et celle-ci prenait plaisir à la voir et à lui parler ; à quatorze, elle jouait dans une pièce devant Richelieu, et elle obtenait de lui pour son père, qui avait été forcé de s'exiler pour avoir critiqué des mesures financières prises par le cardinal, la faveur de revenir d'abord, puis de rentrer au service du roi comme intendant des tailles à Rouen. C'est dans cette ville qu'en 1640 — elle était alors dans sa quinzième année — elle obtint un prix de poésie qui lui valut les éloges publics de Corneille, devenu par elle l'ami de sa famille. En 1647, elle suivit à Paris son frère Biaise, à qui ce séjour était nécessaire pour les soins que réclamait sa santé et « qui passait à la dévotion ».

Déjà elle avait, elle aussi, lu les écrits des plus célèbres jansénistes ; elle se mit en rapport avec Port-Royal et prit M. Singlin comme directeur. En mai 1648, son père étant venu rejoindre ses enfants à Paris, elle lui demanda la permission de se faire religieuse ; mais il la lui refusa, ne voulant pas qu'elle le quittât avant sa mort, « qui peut-être ne tarderait guère ». En 1649, elle l'accompagna à Clermont, où elle demeura dix-sept mois chez sa soeur aînée, Mme Périer, menant une vie très retirée et uniquement occupée de prières et d'oeuvres de charité. Dans les derniers mois de 1650, elle revint à Paris, toujours décidée à se faire religieuse, et entretenant un commerce secret avec Port-Royal. Son père mourut le 24 septembre 1651 : libre alors de suivre la vocation qui depuis longtemps s'était déclarée en elle, le lendemain du jour où elle eut réglé avec son frère et sa soeur le partage de leur succession commune, elle se relira à Port-Royal des Champs (4 janvier 1652). Elle y lit profession, au commencement de 1653, sous le nom de soeur Sainte-Euphémie. En juin 1655, on la trouve sous-maîtresse des novices à Port-Royal et chargée, en cette qualité, de l'éducation des enfants. C'est alors qu'elle consulte son frère sur une nouvelle méthode de lecture qu'il avait inventée et dont elle se servait avec ses petites filles. Elle lui fait quelques objections et lui demande des explications. C'est encore en qualité de maîtresse des novices et aussi de sous-prieure de la communauté quelle composa, à la demande de M. Singlin à qui il fut adressé, le Règlement pour les enfants, qui a été imprimé à la suite des constitutions du monastère, en 1665. En avril 1661, un ordre de la cour enjoignit aux deux maisons de Paris et des Champs de renvoyer à leurs familles les pensionnaires qui s'y trouvaient. La persécution ne tarda pas à s'étendre aux religieuses elles-mêmes pour la signature du formulaire. Au mois de juillet de la même année, Port-Royal des Champs signa, comme avait fait la maison de Paris. La soeur Sainte-Euphémie, qui avait longtemps protesté, finit par signer aussi ; mais elle en mourut de chagrin, peut-être de remords, le 4 octobre 1661. Elle n'avait que trente-six ans.

C'est à deux titres que la soeur Sainte-Euphémie appartient à l'histoire de la pédagogie : elle discuta avec son frère les détails de la nouvelle méthode de lecture, et elle rédigea le Règlement des écoles de filles de Port-Royal.

On avait toujours supposé que la méthode de lecture qui porte le nom de Port-Royal devait être attribuée à Pascal. Mais on n'en a la preuve formelle que depuis que Victor Cousin a retrouvé et publié, en 1845, une lettre qu'écrivait à Biaise Pascal, à la date du 26 octobre 1655, du monastère de Port-Royal des Champs, sa soeur Jacqueline, qui se servait alors de cette méthode pour apprendre à lire aux petites filles et peut-être aussi à ses novices. Voici ce document (« malheureusement — dit Victor Cousin — la copie de cette lettre de Jacqueline dans notre manuscrit est très défectueuse, et plus d'une phrase n'y semble pas très intelligible ») :

« Mon très cher frère, nos mères m'ont commandé de vous écrire, afin que vous me mandiez toutes les circonstances de votre méthode pour apprendre à lire par le B., C, D., E., où il ne faut pas que les enfants sachent le nom des lettres ; car je vois bien comment on peut leur apprendre par E à lire, par exemple Jesu, en le faisant prononcer je-e ze-u ; mais je ne vois pas comment on leur peut faire comprendre que les lettres finissantes ne doivent pas ajouter d'E ; car naturellement, suivant cette méthode, ils diront Jesuse, sinon qu'on leur apprenne qu'il ne faut prononcer l'E à la fin que lorsqu'il y est effectivement ; mais je ne vois pas comment pouvoir leur apprendre à prononcer les consonnes qui suivent les voyelles, par exemple encor ; car ils diront ene, au lieu de an, comme veut souvent le français. De même pour on, ils diront one ; et, même en leur faisant manger l'E, ils ne le diront pas de bon accent, si on ne leur apprend à part la prononciation de l'O avec l'N. — Je n'en ai pas d'autres (d'objections) dans l'esprit ; mais je crois que vous les aurez prévues. Soeur Euphémie, religieuse indigne. »

Quelle fut la réponse de Pascal? On l'ignore : elle ne nous est point parvenue. Mais nous pourrions répondre pour lui à Jacqueline Pascal : qu'il ne faut pas décomposer les voyelles nasales en, on, in, un, puisqu'elles ne forment qu'un son et s'expriment par une seule émission de voix (de même que ph, ch, gn, etc., qui sont des articulations simples, quoiqu'elles s'écrivent par deux lettres) ; — que souvent les consonnes finales ne se prononcent pas ; — qu'il est, dans la langue, bien des choses dont il est impossible de rendre raison, bien des particularités qu'on ne peut ramener à des règles et que l'usage seul doit apprendre. Quoi qu'il en soit, cette lettre suffit à prouver que c'est bien de Pascal, et par le moyen de sa soeur Jacqueline, que la nouvelle méthode s'introduisit dans les écoles du monastère. Plus tard elle fut érigée en théorie par Arnauld au chapitre VI de la Grammaire générale dite de Port-Royal. .

Quant au Règlement des enfants, son auteur nous prévient qu'elle ne l'a rédigé que par obéissance et parce qu'on ne lui a pas demandé d'écrire comme il les faut conduire, mais comme elle les conduit ; qu'il est dressé, par conséquent, sur ce qui s'est passé à Port-Royal des Champs pendant plusieurs années. Elle avoue néanmoins que, pour l'extérieur, il ne serait pas toujours facile ni même utile de le mettre en usage dans toute cette exactitude, « Car il se peut faire, dit-elle, et que tous les enfants ne soient pas capables d'un si grand silence et d'une vie si tendue sans tomber dans l'abattement et dans l'ennui, ce qu'il faut éviter sur toutes choses, et que toutes les maîtresses ne puissent pas les entretenir dans une si exacte discipline, en gagnant en même temps leur affection et leur coeur, ce qui est tout à fait nécessaire pour réussir dans leur éducation. C'est donc à la prudence à tempérer toutes ces choses et à allier, selon la parole d'un pape, une force qui retienne les enfants sans les rebuter, et une douceur qui les gagne sans les amollir. »

Le règlement se divise en deux parties : règlement de la journée, règlement des enfants.

La distribution du temps n'y présente rien de bien particulier : à cet égard, tous les règlements se ressemblent, surtout ceux des maisons religieuses ; ils ne diffèrent que par l'esprit qui les anime. Voici les principaux traits qui distinguaient celui de Port-Royal.

Les élèves se levaient à quatre heures, quatre heures et demie, cinq heures et même plus tard, selon leur âge, leur force, et le besoin de sommeil qu'elles pouvaient avoir. Elles s'habillaient promptement et en silence, « pour s'accoutumer à donner le moins de temps que l’on peut pour orner un corps qui doit servir de pâture aux vers, et pour réparer les inutilités des femmes du siècle à s'habiller et à se coiffer ». Les plus grandes peignaient et habillaient les plus petites, en leur faisant répéter leurs prières. Puis venait la prière générale, qui était dite ni trop haut, ni trop bas, lentement, distinctement, et avec de bonnes pauses. Elles faisaient ensuite leurs lits, pendant que l'une d'elles « apprêtait le déjeuner et ce qui est nécessaire pour laver les mains, et du vin et de l'eau pour laver la bouche ». Pendant le déjeuner, on lisait le martyrologe, « afin qu'elles sachent de quels saints l'Eglise fait particulièrement mémoire en ce jour, et qu'elles les honorent et se mettent sous leur protection ». Ensuite, « toutes se retirent à la chambre destinée pour le travail, où elles doivent employer leur temps avec fidélité, gardant le silence très exactement ». On « tâchait d'accoutumer les enfants à ne point suivre leurs inclinations, en s'attachant à un ouvrage plutôt qu'à un autre : c'est pourquoi on leur représente que le travail qu'elles font plaira d'autant plus à Dieu qu'il leur plaira moins ». On les exhortait « à n'être point très attachées à leur ouvrage, le quittant aussitôt que la cloche sonne ». A huit heures elles assistaient à l'office : elles n'y étaient pas toutefois obligatoirement tenues ; « il faut même que toutes le demandent, selon leur dévotion, et on ne le leur accorde que comme une grâce ». Après la messe venait un exercice d'écriture, qui durait trois quarts d'heure ; ensuite elles apprenaient à chanter en notes. A onze heures, examen de conscience et prière. Puis venait le dîner, où l'on prenait grand soin de ne pas les entretenir dans la délicatesse, les exhortant à manger de tout indifféremment, et même à commencer par celle de leurs portions qu'elles aimaient le moins, « par esprit de pénitence », et où l'on prenait bien garde pourtant si elles se nourrissaient suffisant ment « pour ne pas se laisser affaiblir ». Il y avait ensuite récréation : les petites jouaient aux osselets, aux volants, etc. ; elles étaient toujours séparées d'avec les grandes, qui préféraient d'ordinaire s'entretenir ensemble, groupées autour de leur maîtresse et occupées à quelque ouvrage particulier. Elles ne devaient rien dire de ce qu'elles apprenaient au parloir ; mais la maîtresse leur faisait quelquefois part des nouvelles qu'elle savait, afin de leur ôter le désir d'en apprendre par des voies illicites. On leur ordonnait sur toutes choses de ne rien dire contre la charité, et il leur devait suffire, pour se taire, de savoir que quelques-unes d'elles aimeraient mieux qu'on parlât d'autre chose. Après la récréation, elles se rangeaient en deux rangs au milieu de leur chambre, se mettaient à genoux, et disaient le Veni Sancte Spiritus toutes ensemble ; puis toutes se mettaient sur leurs sièges, pour recevoir l'instruction, qui avait pour objet l'évangile du jour, l'explication du catéchisme et toutes les pratiques de la religion. Elles pouvaient travailler pendant cette instruction, pourvu qu'elles n'eussent rien à demander à personne. Puis elles se faisaient réciproquement répéter leur catéchisme, chacune restant à sa place, et sans quitter leur ouvrage. Venait ensuite une lecture générale, faite à haute voix par quelqu'une de celles qui savaient déjà lire raisonnablement. A trois heures et demie, collation pour les moyennes et les petites : on en exemptait les grandes qui le demandaient, « quand on croyait que leur santé ne devait pas en souffrir ». A quatre heures, les plus grandes allaient aux vêpres, « si elles avaient mérité qu'on leur fît cette grâce ». — Pendant ce même temps, on instruisait les plus petites ; « car encore qu'elles soient présentes à tout ce que l'on dit dans la chambre pour les instruire, elles n'y entendent rien, et, si on ne s'adresse à chacune d'elles en particulier, elles n'y comprennent rien ». Après les vêpres une des grandes faisait une lecture ; puis venait le souper, suivi de la récréation, qui ne durait jamais au delà de sept heures et demie ; enfin, la prière du soir et le coucher. Eté comme hiver, il fallait qu'elles fussent toutes couchées à huit heures et un quart. Les maîtresses visitaient alors chaque lit en particulier, « pour voir si elles sont couchées avec la modestie requise, et aussi pour voir si elles sont bien couvertes en hiver ». Les dimanches et les fêtes, on gardait à peu près le même ordre dans les exercices de la journée, si ce n'est qu'on n'y faisait aucun travail de mains, qu'il y avait des récapitulations de ce qui était appris par coeur, qu'on y étudiait un peu d'arithmétique, que les offices y duraient plus longtemps et que les exercices de piété y étaient plus nombreux encore que les jours ordinaires.

La seconde partie de ce règlement présente un plus grand intérêt pédagogique. Il y est traité des dispositions qui doivent animer les maîtresses et de la manière dont elles doivent se comporter, de l'union qui doit exister entre elles et particulièrement entre la maîtresse de chambre et son aide, des discours qu'on doit tenir devant toutes les élèves et de ce qu'il faut dire à chacune, des pénitences qu'on peut leur imposer dans le général et dans le particulier ; de la confession, de la communion, de la confirmation et de la prière ; puis, des lectures ; enfin, des malades et de leurs besoins corporels. Ici, les réflexions sensées abondent.

Avant tout, les maîtresses auront beaucoup de charité et de tendresse pour leurs élèves ; elles se donneront à elles sans réserve, et, à moins qu'une nécessité absolue ne les y force, elles ne les quitteront pas un instant ; elles perdront plutôt l'office que de les laisser seules. Toutefois cette garde continuelle n'exclura pas une certaine confiance qui leur fasse plutôt croire qu'on les aime et que ce n'est que pour les accompagner qu'on est avec elles: ainsi, elles désireront cette surveillance plus qu'elles ne la craindront.

On fera en sorte que les enfants remarquent une parfaite union entre la maîtresse de chambre et la soeur qui lui est donnée pour compagne ; il faut que cette dernière, elle aussi, ait une grande autorité ; aussi ne la dédira-t-on point de ce qu'elle aura fait ou ordonné, quand même ce ne serait pas bien, mais on se réservera de l'avertir dans le particulier. Les exemples ne servent pas moins à l'instruction des enfants que les paroles : aussi faut-il se surveiller pour ne leur en montrer que de bons ; « car le diable leur donne de la mémoire pour les faire ressouvenir de nos moindres défauts, et il la leur ôte pour empêcher qu'elles ne se souviennent du peu de bien que nous faisons ». Il faut se comporter de telle sorte qu'elles ne puissent pas remarquer d'inégalité dans notre humeur, en les traitant quelquefois avec trop de mollesse, et d'autres fois sévèrement : ce sont, deux défauts qui se suivent d'ordinaire. On n'aura point avec elles une trop grande familiarité ni on ne leur témoignera pas une trop grande confiance ; mais on leur montrera une vraie charité et une très grande douceur dans tout ce dont elles auront besoin et même on les préviendra. On les traitera fort civilement et on ne leur parlera qu'avec respect. Quand il sera nécessaire de les reprendre, on aura soin « de ne jamais les contrefaire ni les pousser en les rudoyant» : au contraire, on leur parlera avec une grande douceur, et on leur donnera de bonnes raisons pour les convaincre: ce qui empêchera qu'elles ne s'aigrissent et fera qu'elles recevront bien ce qu'on leur dit. On ne montrera point trop d'exigence : il est des fautes qu'il vaut mieux faire semblant de ne pas voir. Quelquefois il faut les reprendre ouvertement, en public ; il est des avertissements qu'il vaut mieux ne leur donner qu'en particulier. Comme punition, on leur faisait porter un manteau gris, on les faisait aller sans voile ou sans scapulaire au réfectoire ; on les privait d'aller à l'église pour un ou plusieurs jours, selon la grandeur de la faute ; on les y faisait se tenir à la porte ou en quelque endroit séparé des autres, « en prenant bien garde toutefois que la privation d'aller à l'église ne leur fût indifférente ». Enfin, on leur faisait demander aux soeurs, au réfectoire, de prier pour elles, exprimant la faute dans laquelle elles étaient tombées ou la vertu qui leur manquait.

Ces extraits indiquent suffisamment quel esprit animait tout ce règlement. Sans doute, tout y concourait à la piété ; on élevait les enfants bien plus pour le ciel que pour la terre. Et il eût été difficile de demander autre chose à des femmes imbues des idées de Saint-Cyran (Voir Port-Royal), qui regardaient les petites âmes qui leur étaient confiées comme des dépôts sacrés dont elles auraient à rendre compte à Dieu lui-même. Mais à côté des pratiques austères qui étaient la conséquence de la doctrine janséniste, quelle connaissance approfondie de l'enfance et de la manière dont il faut la traiter! Et comme la nature reprend ses droits dans ces mille petits soins dont la soeur Jacqueline veut qu'on entoure les plus petites : « Pour les petites enfants, il faut encore plus que toutes les autres les accoutumer et nourrir, s'il se peut, comme de petites colombes ». Quelle sollicitude inquiète elle éprouve pour tout ce qui touche à leur santé et même à leur bien-être !

On vient devoir quelle était l'éducation proprement dite au couvent de Port-Royal ; mais quelle y était l'instruction? quelles études y faisait-on? Autant qu'il est permis d'en juger par le règlement, les programmes d'enseignement y étaient fort restreints, et, ces écoles étant bien plus pour la piété que pour l'instruction, comme le dit un des solitaires, on conçoit que l'étude de la religion en ait fait à peu près tout le fond.

Il semble d'abord qu'on y lisait beaucoup. Tous les jours, à huit heures, une lecture était faite par la maîtresse ; le sujet en était pris dans l'office du jour ou, quand arrivait la fête de quelque saint remarquable, dans la vie de ce saint. Elle était expliquée, commentée, de manière qu'elle fût bien comprise, et elle devait servir d'entretien pendant toute la journée. Dans l'après midi, il y avait une autre lecture, faite, cette fois, par l'une des élèves ; mais la maîtresse était toujours présente pour l'expliquer « et parler dessus ».

Il était permis et même ordonné aux élèves de faire des questions sur ce qu'elles n'entendaient pas, pourvu que ce fût avec respect et humilité, et, quand on découvrait qu'elles n'avaient pas demandé qu'on leur expliquât certaines choses qu'elles n'avaient pas comprises, on les en blâmait. Ces lectures n'avaient jamais pour but le divertissement ni une vaine curiosité, mais bien les applications qu'elles pouvaient s'en faire à elles-mêmes ; elles allaient bien plus à les rendre bonnes chrétiennes, et à les porter à se corriger de leurs défauts, qu'à les rendre vaines et savantes.

Indépendamment de ces deux lectures générales et de celles qui avaient lieu pendant les repas, probablement aussi pendant certains travaux manuels, il y avait des lectures que les élèves faisaient en leur particulier ; mais on leur marquait ce qu'elles devaient lire, et il ne leur était pas permis de changer ni d'endroit, ni de livre ; « car il se rencontre peu de livres où il n'y ait quelque chose à faire passer », dit la soeur Sainte-Euphémie. Aussitôt la lecture finie, on reprenait le livre : « car nous ne leur laissons point d'autre livre dans le particulier que leurs Heures, la Théologie familière (de Saint-Cyran), les paroles de Notre-Seigneur, une Imitation de Jésus-Christ, et un Psautier latin et français ».Les livres dont on se servait pour leur instruction générale, et qu'on ne voulait même pas laisser entre leurs mains, étaient (outre l'Imitation, la Théologie familière et les Heures) « Grenade, la Philotée, saint Jean Climaque, la Tradition de l'Eglise, les Lettres de M. de Saint-Cyran, la Lettre d'un père Chartreux traduite depuis peu, les Méditations de sainte Thérèse sur le Pater ». C'étaient encore « quelques lettres de saint Jérôme, l'Aumône chrétienne, quelques endroits du Chemin de perfection de sainte Thérèse, les Vies des Pères du désert, et d'autres vies de saints et de saintes, capables de les édifier et de leur inspirer l'amour des vertus chrétiennes ».

Comme on ne faisait lire, dans les lectures générales, que celles qui savaient déjà lire raisonnablement, afin que toutes pussent profiter de ce qui était lu, on exerçait en particulier celles qui avaient encore besoin de se former à bien lire. Quant aux toutes petites (il y en avait qui n'étaient âgées que de quatre ans), les plus grandes, celles surtout qui avaient dessein de se faire religieuses, les prenaient à tous les moments de la journée, dans une chambre à part.

Si peu varié que fût le thème de ces lectures, puisqu'elles n'avaient trait qu'à des choses de religion et de piété, on conçoit qu'elles pouvaient suffire pourtant pour leur apprendre à bien lire, et pour leur fournir l'occasion de parler et d'exercer leur jugement.

On cultivait aussi beaucoup leur mémoire, « pour leur ouvrir l'esprit, les occuper et les empêcher de penser à mal ». Trois quarts d'heure, chaque dimanche après la messe, étaient spécialement consacrés à des récitations qui avaient pour objet : la Théologie familière, qu'elles devaient savoir tout entière, l'Exercice de la Sainte Messe, le Traité de la Confirmation, toutes les hymnes en français qui étaient dans leures Heures, et puis toutes les latines du Bréviaire. Beaucoup, parmi celles qui étaient venues jeunes au monastère, savaient le Psautier tout entier.

On écrivait trois quarts d'heure tous les jours, « d'une écriture assez grande, ferme et régulière », et avec des plumes d'acier. Les plus petites écrivaient simplement leur exemple ; celles qui étaient plus savantes copiaient quelque passage d'auteur, quand on le leur avait permis. Elles pouvaient s'écrire l'une à l'autre des lettres, des billets, des sentences, mais seulement quand elles en avaient obtenu la permission, et à condition que cette correspondance passât par les mains de leur maîtresse.

On apprenait de l'arithmétique, le dimanche seulement : les grandes, de une heure à deux ; les petites, de deux heures a deux heures et demie. La leçon était donnée à ces dernières par les plus grandes. Cette sorte d'enseignement mutuel se pratiquait aussi pour le chant, qu'on apprenait même aux plus jeunes ; et il semble qu'il donnât de bons résultats ; car une chose qu'on admirait tout particulièrement, au témoignage de Racine, c'est la manière grave et touchante dont les offices étaient chantés à Port-Royal.

Enfin les travaux manuels n'étaient pas négligés : on accoutumait les jeunes filles à aimer beaucoup l'ouvrage et à porter partout avec elles de quoi travailler, afin de ne point perdre de temps dans certaines rencontres que l'on n'aurait point prévues. Chacune d'elles devait même se réserver quelque ouvrage particulier auquel elle eût affection, et dont elle ne pouvait s'occuper que pendant les récréations. C'est ainsi qu'elles faisaient des gants d'estame (fil de laine), et que la plupart d'entre elles y avaient, paraît-il, le plus grand goût.

Ce plan d'études, qui nous paraîtrait aujourd'hui tout à fait insuffisant, satisfaisait les meilleurs esprits du dix-septième siècle. « Il n'y eut jamais d'école, dit Racine, où les vérités du christianisme fussent plus solidement enseignées. Mais on ne se contentait pas d'y élever les jeunes filles à la piété: on prenait aussi un très grand soin de leur former l'esprit et la raison, et on travaillait à les rendre également capables d'être un jour ou de parfaites religieuses ou d'excellentes mères de famille. On pourrait citer un grand nombre de filles élevées dans ce monastère, qui ont depuis édifié le monde par leur sagesse et leur vertu, et l'on sait avec quel sentiment d'admiration et de reconnaissance elles ont toujours parlé de l'éducation qu'elles y avaient reçue.» Boileau, de son côté, dans sa satire sur les femmes, semble citer comme étant hors de pair l'épouse « aux vertus dans Port-Royal instruite ». Quelque cas que nous fassions de ces témoignages illustres, nous nous proposons un autre idéal d'éducation pour nos jeunes filles. Nous voulons qu'elles sachent autre chose que cela ; nous voulons qu'elles reçoivent, comme les garçons, une éducation qui développe toutes leurs facultés et les mette à même de remplir dans la société les différents devoirs qu'elles ont à y remplir. Mais nous n'avons guère que des éloges à donner à la manière dont la soeur Sainte-Euphémie entendait la pratique de l'enseignement. Quand elle dit, par exemple, que la lecture doit toujours être instructive, bien expliquée et comprise, par suite faite avec intelligence et d'un ton naturel, elle parle d'or, et nous ne pouvons que souscrire à ces sages recommandations. Evidemment elle était une maîtresse consommée en pédagogie pratique.

En résumé, il y a bien à critiquer dans le règle ment de Port-Royal : cette discipline exacte imposée à des enfants, ce silence continu, ce renoncement à toute attache terrestre et humaine, ce refoulement de toute expansion et de toute gaieté ; et l'on ne peut songer, sans un sentiment de pitié compatissante, aux journées mornes et tristes dans lesquelles s'écoulait toute la jeunesse de ces pensionnaires. Ajoutons que le régime de leurs études, restreint à la connaissance de la religion, était loin de donner un aliment suffisant à toutes les facultés de leur esprit. Toutefois ces défauts tiennent plus à l'époque à laquelle le règlement fut composé et à l'esprit particulier qui l'inspira qu'à Jacqueline Pascal elle-même. Ce document, qui conserve une réelle valeur et offre encore aujourd'hui un intéressant sujet d'études, est reproduit en entier dans le volume que Victor Cousin a consacré à Jacqueline Pascal (Didier, Paris, 1845).

Félix Carré