Marie Carpantier naquit à la Flèche (Sarthe), le 10 septembre 1815. Quatre mois auparavant, son père, maréchal des logis de la gendarmerie, avait été tué par un parti de chouans qui guerroyait pour les Bourbons pendant les Cent-Jours. Dans de telles circonstances, la jeune Marie Carpantier devait connaître au moins la gêne. Et, en effet, pendant son enfance, elle eut à supporter plus d'une privation. Elle ne reçut d'autre instruction que celle que pouvait lui offrir une modeste école primaire ; encore la quitta-t-elle à onze ans et demi pour participer, dans la mesure de ses forces, au labeur de la famille. Mais, animée d'un vif désir d'apprendre, elle trouva dans sa riche et heureuse nature, surtout dans la puissance de volonté dont elle devait donner tant de preuves au cours de sa laborieuse carrière, les ressources nécessaires pour perfectionner ce que l'école n'avait qu'ébauché, pour développer ses connaissances et se faire elle-même sa propre éducation.
À quatorze ans, elle sentait naître en elle le sentiment et le goût de la poésie ; elle composa un certain nombre de pièces de vers qui ne manquent ni de grâce ni d'inspiration. A ce goût pour la poésie se joignait celui des arts. Peut-être eût elle cédé à ce double attrait sans une circonstance fortuite qui vint changer le cours de ses idées et exercer une influence décisive sur sa destinée : en 1835, comme elle approchait de sa vingtième année, l'autorité municipale de la Flèche lui proposa de diriger, avec le concours de sa mère, une salle d'asile qui allait être créée. Après quelques hésitations, la jeune Marie Carpantier accepta cette mission, et, pour se mettre en état de la remplir, elle alla étudier pendant quelques mois la méthode dans une salle d asile du Mans.
De retour à la Flèche, elle prit possession de son nouvel emploi et se trouva en plein dans sa vocation. Elle se prit à aimer les enfants et commença à chercher ce qui pourrait les rendre heureux en les améliorant. Elle se livrait avec tant d'ardeur à ses fonctions que sa santé en fut compromise.
Après quatre années d'exercice, elle dut donner sa démission et accepter un emploi de demoiselle de compagnie auprès d'une dame de la Flèche, dont elle ne tarda pas à se faire une amie dévouée. Elle se livra alors à son goût pour la poésie. En 1839, elle obtint au Congrès scientifique de France une médaille pour un petit volume intitulé Préludes, où domine la note mélancolique et qui, vingt ans auparavant, eût charmé les lecteurs de la Muse française. Pour le moment, ce recueil valut au moins à l'auteur des témoignages de bienveillance de la part de Mmes Tastu et Georges Sand. Mais les circonstances ramenèrent de nouveau Marie Carpantier vers la vocation qu'elle avait abandonnée ; la ville du Mans lui proposa la direction de l'établissement où, quelques années auparavant, elle avait fait son apprentissage de directrice de salle d'asile. Elle accepta et succéda ainsi à M. et Mme Pape, dans la famille desquels elle devait entrer un jour. Elle reprit ses études, ses observations, ses vues d'amélioration, et incarna sa pensée dans un premier ouvrage auquel elle donna pour titre : Conseils sur la direction des salles d'asile (1845). Elle entrait cette fois résolument dans son rôle de créatrice et de réformatrice, et elle le faisait avec la conscience de sa force et de sa valeur ; d'élève, elle devenait maîtresse et professeur ; elle s'emparait en quelque sorte de la chaire et commençait ces enseignements qu'elle devait bientôt donner avec tant d'autorité à Paris.
En effet, cette publication et la réputation qu'avait acquise la salle d'asile du Mans appelèrent l'attention sur Mlle Marie Carpantier, et lorsque, en 1847, Mme Jules Mallet et M. de Salvandy eurent fondé, rue Neuve-Saint-Paul, dans le quartier Saint-Antoine, une sorte d'école normale pour le recrutement et la préparation du personnel des salles d'asile, Mlle Carpantier se trouva désignée par l'opinion publique pour la direction de cet établissement qui, en 1848, prit momentanément le nom d'Ecole normale maternelle (sous le ministère d'Hippolyte Carnot), et auquel on donna le nom de Cours pratique des salles d'asile lorsqu'il fut transféré rue des Ursulines (sous le ministère de Fortoul). — Voir Cours pratique des salles d'asile.
Mme Pape-Carpantier (elle avait épousé, vers ce temps, un officier de gendarmerie, M. Pape) a gardé vingt-sept ans ce poste de confiance et d'honneur. Durant cette longue période, environ quinze cents élèves de Paris ou de la province, quelques-unes même venues de la Suède, de la Bohême, etc., ont entendu ses leçons et reçu ses directions. Malheureusement, on était loin alors de se faire des salles d'asile, des services qu'elles peuvent rendre, et de la place qu'elles doivent occuper dans la hiérarchie scolaire, l'idée qu'on s'en fait de nos jours. On croyait que trois mois consacrés aux études les plus élémentaires et à quelques exercices pratiques suffisaient pour préparer à la fonction. D'un autre côté, la situation faite aux aspirantes à leur sortie du cours était des plus modestes et souvent même des plus précaires. On devine facilement que, dans ces conditions, le recrutement devait se faire difficilement, et que l'action de l'éminente directrice ne pouvait s'exercer que dans des limites fort restreintes. Le Cours pratique ne produisait donc pas tous les résultats attendus. En fit-on, après un quart de siècle, retomber la faute sur Mme Pape, ou bien son établissement pécha-t-il par quelques menus détails d'administration intérieure ? On ne sait trop. Mais toujours est-il que, en 1874, sous le ministère passager de M. de Cumont, Mme Pape-Carpantier fut dépossédée de sa situation et mise en congé d'inactivité. Les amis de Mme Pape (et ils étaient nombreux) virent dans cette mesure un procès de tendance : le Cours pratique était un établissement essentiellement laïque ; on pensa qu'il portait ombrage aux partisans à outrance des congrégations religieuses, que la directrice en avait été signalée comme animée de sentiments peu orthodoxes, et que telle était la véritable cause de sa disgrâce. L'opinion publique se révolta contre la mesure qui avait frappé Mme Pape-Carpantier ; la maréchale de Mac-Mahon. qui avait pour elle une singulière estime, se fit l'écho de l'indignation générale ; des représentations furent faites au ministre, et Mme Pape-Carpantier recouvra à peu près les avantages de son ancienne situation, en reprenant le titre d'inspectrice générale des salles d'asile dont on l'avait précédemment honorée.
Cette sorte de réhabilitation adoucit sans doute pour Mme Pape-Carpantier l'amertume de la mesure qui l'avait atteinte, mais n'en répara pas les tristes effets. En quittant l'établissement où elle avait passé la plus grande partie de sa vie, elle avait dit à quelques amis : « Ne le répétez pas à mes filles, mais ces gens-là m'ont tuée ». Et en effet, à partir de cette époque, sa santé déclina ; et lorsque, à l'ébranlement qu'elle avait éprouvé, vinrent s'ajouter les fatigues qu'elle s'imposa pour prendre part soit à l'Exposition de 1878, soit aux travaux du jury où elle était seule pour représenter le haut intérêt des salles d'asile, elle se trouva à bout de forces ; une courte maladie l'enleva le 31 juillet, c'est-à-dire avant qu'elle eût reçu la médaille d'or par laquelle le jury international devait récompenser une dernière fois son long dévouement à l'éducation de la première enfance.
Au moment où Mlle Marie Carpantier apparaissait dans le monde scolaire, l'éducation populaire, l'éducation des masses cherchait sa voie. Les écoles primaires s'organisaient, les unes d'après le mode simultané, les autres d'après le mode mutuel. Les salles d'asile, sous l'influence et sous l'impulsion de personnalités alors fort en vue comme Mme Jules Mallet, M. Cochin, etc., s'élevaient à la hauteur d'une institution sociale, institution modeste, de fraîche date, mais déjà fort appréciée dans les centres ouvriers ou populeux. Bien qu'on s'en fit encore une idée étroite, puisqu'on ne les considérait que comme des refuges destinés aux enfants pauvres, elles avaient cependant pris rang parmi les écoles (ordonnance du 22 décembre 1837). On avait inventé pour elles une méthode, des procédés, des exercices ; mais il était réservé à Mlle Marie Carpantier de développer ce que tout cela contenait en germe, de féconder l'idée première, de donner l'esprit même de la méthode et d'en éclairer l'application, de faire comprendre la salle d'asile autrement que comme une agglomération d'enfants gardés, amusés s'il était possible, mis simplement à l'abri des dangers de la rue, de l'isolement ou de l'abandon. C'est ce à quoi elle a travaillé pendant trente-trois ans, soit de vive voix, soit par ses écrits, par ses écrits surtout, car c'est dans ses ouvrages, particulièrement dans ses préfaces, qu'il faut chercher sa pensée et qu'on trouve son âme tout entière. Ces ouvrages sont nombreux, rarement de longue haleine ; tous contiennent au moins des parcelles de sa doctrine, ou, si l'on aime mieux, de sa méthode. Ce qu'elle a à coeur, c'est l'éducation de la première enfance et avant tout de l'enfant du peuple. Quand elle traite ce sujet, elle est sur son véritable terrain ; dans ces humbles régions, elle a des sublimités ; peut-être vaut-elle moins quand elle veut sortir de cette sphère qui est celle de son génie, quand, par exemple, elle pense et écrit pour des enfants déjà d'un certain âge, quand elle quitte la salle d'asile pour l'école elle-même. C'est donc principalement sur ses oeuvres de pédagogie enfantine que nous devons insister dans la revue rapide qui nous reste à faire de ses écrits. On voudrait pouvoir les partager en livres de théorie et de doctrine, et en livres didactiques ou d'application. Mais on est bientôt arrêté dans cette division ; presque partout, la pratique côtoie la théorie et réciproquement. Nous suivrons donc plutôt l'ordre du temps.
Conseils pour la direction des salles d'asile (1845). — Cet ouvrage fut accueilli avec une faveur marquée : l'Académie française le couronna et le Conseil de l'Université l'honora de son approbation. L'auteur y part de ce fait que « rien n'a encore été enseigné aux maîtres sur l'éducation de l'enfant pauvre ». « On a, dit-elle, écrit, il est vrai, quelques beaux ouvrages sur l'éducation ; mais c'est sur un genre d'éducation élégante, inaccessible aux enfants du peuple et appropriée aux seuls enfants des classes distinguées. » Mlle Carpantier oubliait J.-B. de La Salle, Pestalozzi et bien d'autres dont les noms lui étaient sans doute encore inconnus. Quoi qu'il en soit, son petit livre de moins de 200 pages était un véritable traité de pédagogie, de pédagogie nouvelle parce qu'elle s'adressait à un personnel de maîtres et d'élèves dont à la vérité on ne s'était point encore occupé chez nous, nouvelle aussi par les principes qui étaient posés et que l'auteur formule ainsi : « Il y a pour un instituteur deux sujets à étudier : les enfants et lui-même ; deux choses à accomplir : leur éducation et la sienne» ; nouvelle enfin en ce qu'elle se fondait bien moins sur une méthode établie à l'avance ou sur de savantes théories, que sur la nature de l'enfant ainsi que sur des observations et une expérience personnelles.
Enseignement pratique dans les écoles maternelles ou premières leçons à donner aux petits enfants (1848). — Dans son premier ouvrage, Marie Carpantier posait des principes ; son second fut surtout un traité d'application, disons le mot, un véritable Manuel des salles d'asile, dénomination que lui donnèrent les maîtresses pour lesquelles il avait été fait. Faisons remarquer seulement que l'expression d'écoles maternelles, dans le titre de la première édition de ce livre, porte date : c'était le moment où H. Camot tentait, sur les observations mêmes de Marie Carpantier, de substituer à l'idée étroite qu'on s'était faite jusqu'alors des salles d'asile une idée plus générale, celle d'une école ouverte à tous et formant comme le premier échelon dans la hiérarchie des écoles, comme le premier degré de l'instruction primaire. On ne saurait trop relire la préface que l'auteur a placée en tête de cette première édition : c'est là que sont déterminées d'une manière sûre, et avec une sagesse qui n'a pas été dépassée, — si même elle a été atteinte, — la raison d'être et la mesure des enseignements qui conviennent au premier âge. C'est dans" ce livre aussi que, sans être autrement formulée que par les exercices et les leçons mêmes, se révèle, avec le caractère qui lui est propre, notre méthode française des salles d'asile. Ajoutons que cet ouvrage fut accueilli avec la même faveur et honoré des mêmes distinctions que celui dont il était la suite naturelle et comme le complément obligé. M. Ritt, inspecteur général de l'instruction primaire, déclara qu'il n'avait point d'analogue en France ou ailleurs. Il en eut un bientôt cependant, le Manuel des salles d'asile de la soeur Maria, de l'ordre des soeurs de Saint-Vincent de Paul, la seule émule, nous dirions presque la seule rivale que Mme Pape-Carpantier ait rencontrée dans ces temps sur le terrain encore neuf des salles d'asile.
Histoires et leçons de choses (1848). — Nous ne saurions dire si Mme Pape-Carpantier a deviné la leçon de choses, comme elle a deviné en quelque sorte la méthode, les procédés et les enseignements qui conviennent à la salle d'asile, ou bien si elle n'a fait que l'importer chez nous. Mais ce qu'on ne saurait contester, c'est qu'elle l'a nettement définie, qu'elle en trace la marche et les règles, et qu'elle en fournit d'impérissables modèles. Ses Histoires et leçons de choses lui ont coûté, dit-elle, « beaucoup de méditations et de travail. Toutes ces petites histoires et bien d'autres ont été racontées devant les enfants. Celles qui ont touché leurs coeurs, captivé leur esprit, ont été écrites ; les autres ne méritaient pas d'être conservées. » On le voit une fois de plus, aux yeux de Mme Pape-Carpantier, le grand maître en éducation, c'est l'expérience, l'observation, la connaissance de l'enfant, de ses goûts et de ses instincts ; le critérium d'un enseignement, c'est l'intérêt qu'y prennent ceux auxquels il s'adresse.
Le secret des grains de sable ou le dessin expliqué par la nature (1863), ouvrage dont le titre dans certaines éditions (Hetzel) est : Le secret des grains de sable ou géométrie de la nature. — L'illustre éducatrice a-t-elle toujours été elle-même fidèle à cette doctrine de l'expérience et de l'observation qu'elle aimait à recommander et qui l'avait placée d'emblée au premier rang des pédagogues modernes? Ne s'est-elle pas laissé, elle aussi, séduire par sa vive imagination et par l'esprit de système ? Le Secret des grains de sable donne des craintes sérieuses à cet égard. Dans cet ouvrage, l'amour du concret, le désir de matérialiser quand même l'enseignement, de donner un corps à ce qui n'en peut avoir, comme les idées morales et purement métaphysiques, sont portés à un point tel que l'auteur tombe dans une sorte de mysticisme nuageux qui semble renouvelé de certaines doctrines de Froebel. On y lit des passages tels que celui-ci : « La ligne courbe représente le cours de la vie pratique, toute de nécessités, de rapports avec nos proches, nos semblables, ou pleine de ménagements pour autrui, de concessions réciproques, de sacrifices mutuels. La ligne droite représente la vie théorique, l'idéal, l'idée, indépendante, absolue. » Ce sont là des choses étrangères à cette éducation enfantine dont Mme Pape-Carpantier a fait l'oeuvre de sa vie.
Elle rentra heureusement dans son domaine propre par les ouvrages suivants :
Jeux gymnastiques avec chants pour les enfants des salles d'asile (1864) ; — Conférences pédagogiques faites aux instituteurs réunis à la Sorbonne, ayant pour objet l'application des leçons de choses ou de la méthode naturelle aux écoles primaires (1867) ; — Zoologie des écoles et des salles d'asile (1869) ; — Histoire du blé (1873) ; — Lectures pour les enfants et les mères (1873) ; — Petites lectures variées pour les enfants des deux sexes, avec des commentaires et des notes, etc.
Peu à peu, Mme Pape-Carpantier avait étendu son horizon, et ses regards s'étaient portés au delà des salles d'asile. Dès 1848, elle avait fait partie de commissions où s'agitaient des questions générales d'enseignement. Vers la fin de son ministère, Victor Duruy lui ayant demandé de tracer un plan d'enseignement primaire, elle répondit à cette invitation par un opuscule intitulé : L'Union scolaire ou organisation économique de l'instruction primaire (1869), dans lequel elle propose, comme moyens de réorganiser notre instruction primaire et de la mettre d'accord avec elle-même et avec les besoins actuels :
« I. — La substitution de la méthode naturelle et attrayante aux procédés factices, routiniers et dépressifs jusqu'ici en usage ;
« II. — L'introduction dans l'enseignement de quelques connaissances aujourd'hui d'utilité générale, telles que l'histoire du pays, celle du travail, l'hygiène, les notions des diverses sortes d'économie, etc. ;
« III. — L'introduction de l'élément professionnel, s'étendant au commerce, aux langues vivantes, aux arts industriels, aux métiers, et marchant simultanément avec l'instruction proprement dite. »
Sans doute, ces idées n'étaient point nouvelles ; on les trouvait un peu partout et quelquefois avec des commencements d exécution. Mais Mme Pape-Carpantier eut au moins l'honneur de les formuler nettement une des premières. Du reste, pour elle, ces idées dataient de loin. Elle les avait jadis exposées à l'hôtel de ville, devant une commission présidée par Armand Marrast, et c'est d'après le plan qu'elle avait alors conçu qu'elle entreprit plus tard, avec des collaborateurs de choix, son Cours d'éducation et d'instruction pour les enfants des deux sexes, à l'usage des écoles et des familles. Ce cours est fondé sur le principe d'un enseignement concentrique, c'est-à-dire d'un enseignement qui, « embrassant dès l'abord toutes les matières accessibles à l'esprit de l'enfant, va sans cesse en se développant et en augmentant d'intensité, au fur et à mesure que s'accroissent les forces physiques, intellectuelles et morales. Il comprend deux années préparatoires (enfants de cinq à sept ans) ; une période élémentaire (enfants de huit à dix ans) ; une période moyenne (enfants de dix à douze ans) ; enfin une période complémentaire (enfants de douze ans et au-dessus). Quant à la méthode, « c'est, dit l'auteur, l'enseignement expérimental compris sous les noms divers d'enseignement par les yeux et de leçons de choses ; c'est l'instruction par les faits, en un mot, c'est la méthode naturelle ». Ce qui distingue en outre les petits traités dont se compose le cours, c'est le soin que prend Mme Pape-Carpantier de donner préalablement les directions aux maîtres et aux maîtresses dans deux Manuels, le Manuel des maîtres et le Manuel de l'institutrice. Tous deux (le manuel des maîtres surtout) débutent par des considérations d'un ordre élevé. On y trouve, résumées en quelques chapitres, les idées et les doctrines répandues ça et là dans les ouvrages précédents. Comme Rousseau et Pestalozzi, avec lesquels elle s'est trouvée en communauté d'idées avant de les connaître, Mme Pape-Carpantier s'est faite l'apôtre de la méthode naturelle, de la méthode qui prend la nature pour point de départ, ensuite pour guide et pour point d'appui ; qui s'adresse d'abord aux sens et, par leur moyen, met l'enfant en communication avec tout ce qui l'entoure : « Coopérer à l'oeuvre de la nature, l'étendre, la rectifier quand elle dévie, telle est la tâche de l'éducateur ; à tous les degrés de l'éducation, il faut respecter la nature ». Elle répugne à l'abstraction ; elle ne parle qu'en présence de l'objet ou du moins de son image ; sa maxime est : « Un signe visible pour chaque chose visible ». De là les images qui illustrent ses livres, les instruments et appareils qu'elle a inventés pour rendre partout et toujours l'enseignement concret (voir sa Notice sur l'éducation des sens, ses collections d'images, de dessins et de gravures, etc.). A ses yeux, l'éducation doit avoir pour bases non seulement l'observation, la réflexion, l'expérience, mais aussi l'attrait, l'affection, le sentiment, le respect : « L'enfant devrait vivre au sein d'impressions fraîches et douces ; les objets qui l'entourent à l'école devraient être gracieux et riants. Il n'est pas un enfant qui ne se laisse prendre à l'affection qu'on lui témoigne. Aimez chacun de ceux qui sont confiés à vos soins. Nous ne valons qu'autant que nous aimons. Tâchez qu'on vous aime, et ce sera facile si vous aimez véritablement vous-même: l'amour, c'est la flamme qui attire la flamme. Il faudra de bonne heure éveiller chez nos pupilles le sentiment de leur dignité morale et travailler à les en pénétrer, en veillant sur nos manières envers les autres. En général, on traite les enfants avec trop peu de façon ; on manque d'égards pour eux. »
Dans l'esprit de Mme Pape-Carpantier, la salle d'asile était une oeuvre d'éducation première, d'épanouissement, de développement dans tous les sens, non une oeuvre d'instruction. Elle ne demandait à ses jeunes auditeurs ni effort, ni contention d'aucune sorte, ni travaux, pas même ces prétendus travaux récréatifs mis à la mode par les disciples de Froebel : elle craignait que l'on ne fît d'eux « des petits galériens ». Elle ne leur demandait que de l'écouter et, pour les y amener, elle recourait aux récits enfantins, aux exhibitions d'objets ou d'images, à tout ce qui pouvait charmer leurs oreilles ou leurs yeux. Si elle admettait quelques exercices d'instruction sentant l'école, ce n'était que dans une mesure très restreinte et sous la réserve que ces exercices seraient courts, rudimentaires, toujours relevés par des mouvements ou des moyens d'aspect. C'est pour cela que le procédé de lecture Grosselin (voir Phonomimie), le boulier-compteur, etc., lui étaient particulièrement chers. On lui a reproché d'avoir eu un faible pour les gradins, pour un enseignement collectif poussé à l'excès, etc. Elle aimait les gradins parce qu'ils facilitaient les causeries en même temps que la surveillance : du reste, elle s'était efforcée de les rendre aussi commodes que possible en les pourvoyant de sièges à dossier. Peut-être les eût-elle abandonnés, avec les leçons générales faites à l'estrade, le claquoir, des évolutions et un mécanisme moins appréciés aujourd'hui qu'autrefois, si les ressources et les locaux eussent permis de son temps d'installer dans les salles des tables dites froebeliennes, de diminuer les effectifs, et d'opérer entre les élèves d'utiles ventilations fondées sur l'âge et le degré de développement intellectuel ; elle n'était point réfractaire aux progrès ni aux améliorations. Mais ces détails ne sont point la méthode ; ils n'en sont que les accessoires variables. Quant à la méthode elle-même, notre méthode française des salles d'asile, elle demeure dans ce qu'elle a de fondamental et de vraiment pédagogique, et avec elle l'éternel souvenir de la femme éminente qui l'a créée.