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Owen

 Robert Owen, le grand philanthrope et socialiste anglais, appartient à la pédagogie par sa remarquable création de l'école de New Lanark. Né en 1771, et d'abord simple commis dans une maison de commerce de Londres, il épousa la fille de M. Dale, industriel écossais, et se trouva placé, vers l'âge de trente ans, à la tête de la manufacture que son beau-père avait fondée a New Lanark, sur les bords de la Clyde, en Ecosse. Il réussit, en quelques années, à transformer radicalement les habitudes de la population ouvrière au milieu de laquelle il vivait ; le vol, la débauche, l'ivrognerie, la paresse, disparurent de New Lanark, qui n'offrit plus que le spectacle d'une grande famille où régnaient le travail et la concorde, Owen, dans ses tentatives de réforme sociale, partait d'une doctrine philosophique particulière : selon lui, pour améliorer les hommes, il suffisait de modifier le milieu où ils vivaient ; sans contrainte, sans châtiments, le bien devait germer naturellement dans une organisation sociale fondée sur la raison, la bienveillance et la justice. Il appliqua ses principes à l'éducation de l'enfance, et l'école qu'il ouvrit à New Lanark acquit bientôt, par les résultats qu'elle donna, une juste célébrité. Nous empruntons à Louis Reybaud la description suivante, qui ne pourra pas être soupçonnée d'exagération, puisque Reybaud compte au nombre des adversaires les plus résolus des idées professées par Owen :

« Depuis longtemps, Owen était dominé par cette idée que les châtiments et les récompenses qui règlent nos rapports en ce monde et sont notre perspective dans l'autre, entraient pour beaucoup dans les misères qui nous rongent et les jalousies qui nous divisent ; qu'en exaltant les uns et en abaissant les autres, elles créaient ici-bas l'inégalité des rangs, les schismes des familles et l'infériorité des races, situations arbitraires, fausses à son avis, et sources de toutes les oppressions qui règnent d'individu à individu, de caste à caste, de fortune à fortune, de mérite à mérite, de caractère à caractère. Il voulait donc essayer sur des enfants si une méthode dépourvue à la fois d'encouragements et de reproches, de couronnes et de férules, amènerait des résultats assez concluants pour qu'on pût s'en faire une arme et un point d'appui contre es expédients contraires. Ce fut dans cet esprit qu'il organisa son institution de New Lanark. L'école réussit au delà de toutes les attentes. Il ne semble pas que, pour n'être pas récompensés, les élèves de New Lanark se soient montrés moins ardents à l'étude, ni moins retenus pour n'être point punis. Comme local, l'école était un beau bâtiment, avec des salles pour quatre cents élèves et une grande galerie intérieure où douze cents personnes pouvaient s'asseoir. De vastes cours, des jardins, des vergers, puis la campagne environnante, étaient ouverts aux enfants, sans qu'aucune clôture leur indiquât les limites qu'il leur était interdit de franchir. Quoique toute liberté fût laissée à leurs ébats, il s'était établi parmi eux une sorte de discipline et de surveillance mutuelle qui maintenaient dans leurs rangs l'ordre, la justice et l'union. Une méchanceté était punie par le délaissement, peiné affreuse pour le jeune âge ; un abus de la force était réprimé par l'emploi de la force collective. A de certaines heures de la journée, des groupes se formaient dans les salles pour y exécuter des choeurs et des évolutions militaires au son du fifre montagnard. Rien ne saurait rendre l'effet produit par ces voix fraîches et pures quand elles entonnaient leur chant national : When first this humble roof I knew (Quand pour la première fois je connus cet humble toit). Robert Owen avait en outre un enseignement approprié à l'intelligence de ses élèves ; il voulait qu'à la démonstration se joignît l'observation, et que l'enfant eût sous les yeux l'objet dont on lui enseignait les propriétés. Le champ d'études de l'histoire naturelle était la campagne ; une mappemonde gigantesque venait à l'appui des leçons de géographie, des tableaux synchroniques gravaient dans la mémoire les notions d'histoire ; un vaste tableau rendait visibles à tous les yeux les problèmes du calcul. Conséquent avec son système, Owen ne se mêlait pas de l'enseignement religieux ; il en laissait le soin aux familles. Son unique souci était d'empêcher qu'aucune secte ne prît dans l'institution des formes dominantes ; toutes y étaient protégées à titre égal, et l'on pouvait voir à New Lanark, vivant côte à côte et en bonne intelligence, des quakers, des anabaptistes, des anglicans, des catholiques, des presbytériens et des indépendants. Ce fut ainsi que New Lanark réussit moins en raison de sa méthode que par l'influence d'un homme animé d'un sentiment bienveillant. »

La classe des petits enfants avait été confiée à Joseph Buchanan, simple ouvrier tisserand, qui plus tard, appelé à Londres, devint le premier créateur des infant schools anglaises. — Voir Maternelles (Ecoles), p. 1248.

L'attention de toute l'Europe avait été attirée par le succès de l'expérience tentée à New Lanark ; de toutes parts les curieux affluaient, et l'empereur de Russie vint en personne visiter l'établissement d'Owen. Celui ci, persuadé que ce qu'il avait réalisé dans un village écossais pouvait être accompli partout, conçut le projet d'une réforme générale de la société humaine, qu'il exposa dans un écrit intitulé : Vues nouvelles sur la société, ou Essai sur ta formation du caractère de l'homme (New view of society, or Essay on the formation of human character), Londres, 1812. En 1818, il présenta aux souverains réunis en congrès à Aix-la-Chapelle une adresse où il les adjurait d'accomplir dans leurs Etats un certain nombre de réformes en faveur des classes laborieuses ; mais sa voix, comme il fallait s'y attendre, ne fut pas écoutée. Devenu possesseur d'une fortune considérable, il la consacra tout entière à la propagande de ses idées, et soutint de ses deniers et de son crédit tous ceux qui voulaient travailler à l'éducation populaire et à l'amélioration du sort des pauvres gens. C'est ainsi qu'il donna mille livres sterling à Joseph Lancaster et cinq cents au Dr Bell pour leurs écoles ; il avait offert à ce dernier cinq cents livres de plus, pourvu qu'il admît des enfants de tous les cultes. Il visita et encouragea sur le continent tous les établissements qui avaient pour but l'éducation des classes populaires, entre autres ceux de Pestalozzi et de Fellenberg. Mais il avait trouvé en Angleterre des adversaires déterminés dans le clergé et dans une partie de l'aristocratie ; il se résolut à quitter sa patrie et à chercher pour la réalisation de ses idées un terrain plus favorable. Une tentative qu'il fit, de 1824 à 1827, pour fonder aux Etats-Unis une colonie où seraient appliqués ses principes d'organisation sociale, ne réussit pas. Revenu en Europe, il continua sans relâche à prêter son concours à toutes les oeuvres philanthropiques. Dans les dernières années de sa vie, il se trouvait isolé au milieu des partis nouveaux qui s'étaient formés ; le public avait cessé de prêter attention à sa personne et à sa doctrine, et il s'éteignit dans l'obscurité à Newton, en 1858, à l'âge de quatre-vingt-sept ans.

On a publié d'Owen, en français, les ouvrages suivants : Mémoire adressé aux souverains alliés, assemblés à Aix-la Chapelle, dans l'intérêt des classes ouvrières, Paris, 1818 ; Institutions pour améliorer le caractère moral du peuple, ou Adresse aux habitants de New Lanark, traduit de l'anglais sur la 3° édition par M. le comte de L. (Lasteyrie), Paris, Colas, 1819. Le philanthrope M.-A. Jullien de Paris, qui visita New Lanark en 1822, fit paraître dans la Revue encyclopédique d'avril 1823 une Notice sur la colonie industrielle de New Lanark, en Ecosse, fondée par M. Robert Owen. M. Desfontaines a traduit en 1825 un opuscule de M. Robert Dale Owen, fils du fondateur de New Lanark, où celui-ci expose les théories de son père ; cet ouvrage est intitulé Esquisse du système d'éducation suivi dans les écoles de New Lanark, Paris, 1 vol. in-18, 1825 ; le traducteur l'a fait précéder de la reproduction de la Notice de M.-A. Jullien.