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Orthographe

L'écriture étant le signe de la parole, l'idéal orthographique pour une langue serait d'avoir un signe pour chaque son et pour chaque articulation : c'est ce qu'on appelle l'orthographe phonétique. Cet idéal, quelques langues l'ont réalisé plus ou moins complètement, soit, comme l'espagnol, à l'aide de l'alphabet latin augmenté de certains signes, soit, comme le russe, à l'aide d'un alphabet spécial.

En français, il peut arriver qu'un même signe représente des sons différents, comme Va dans masse, grasse, bataille, mail. Dans d'autres mots au contraire, un même son est figuré par plusieurs signes, ainsi le son i nasal dans vin, pain, sein, thym.

A cette première difficulté orthographique, les écrivains et les imprimeurs de l'époque de la Renaissance ajoutèrent une complication bien plus considérable en introduisant dans les mots tirés du grec les graphies ph, th, rh, ch pour représenter les lettres grecques Q, 0, p, X. Ces consonnes n'ont cependant pas, dans les mots français tirés du grec, une prononciation différente de f, t, r, k. En outre, l'impulsion donnée à cette époque à l'étude des langues anciennes porta les écrivains à surcharger l'orthographe de lettres étymologiques qui ne se prononçaient pas : on écrivit donc escholier en souvenir de scholam, escripture en mémoire de scripturam. Ainsi se créa une différence de plus en plus marquée entre l'orthographe et la prononciation.

Lorsqu'en 1635 Richelieu fonda l'Académie française, il lui donna comme mission de « fixer la langue » et de lui donner des règles certaines. Ce n'est qu'en 1673 qu'elle s'occupa de fixer l'orthographe, qui avait déjà subi, depuis un siècle, beaucoup de simplifications : dans la première édition de son dictionnaire, elle conserva, outre un grand nombre de lettres étymologiques (charactère, advocat, sçavoir), une foule de formes contradictoires (abbattre et aborder, eschancrer et énerver). Peu à peu cependant les éditions successives du dictionnaire diminuèrent l'écart entre la langue écrite et la langue parlée ; mais les réformes allaient encore trop lentement au gré des écrivains, et certains d'entre eux, Voltaire notamment, n'hésitèrent pas à devancer dans leurs écrits les décisions académiques.

C'est surtout au dix-neuvième siècle, après la fondation de l'Université, que l'orthographe académique acquiert force de loi. Dans les écoles primaires, dans les établissements secondaires, l'étude de l'orthographe prend alors une place importante ; les examens qui donnent accès aux carrières les plus diverses adoptent comme épreuve principale de français une dictée, qui est souvent élevée au rang d'épreuve éliminatoire. Nous avons dit, à l'article Dictée, l'abus qu'on a fait de cet exercice : nous n'y insisterons pas davantage. Mais il nous faut parler ici du vif mouvement de réaction qui s'est produit depuis une vingtaine d'années contre ce qu'on a appelé, non sans raison, le fétichisme orthographique.

Ce qu'on reproche à l'orthographe, c'est, à cause de ses bizarreries et de ses complications, de gaspiller une bonne partie du temps déjà si restreint que l'enfant passe à l'école primaire en l'employant à étudier une foule d'anomalies, de contradictions, de subtilités dont nos grands écrivains eux-mêmes ne se sont guère embarrassés, ainsi qu'en témoignent leurs manuscrits. Ce temps serait bien mieux employé, ajoute-t-on, à la lecture expliquée ou à d'autres exercices vraiment éducatifs. Un autre reproche souvent formulé consiste dans la difficulté que les étrangers éprouvent à apprendre notre langue. Ainsi l'orthographe nuirait à l'expansion de la langue française, partant à la propagation de l'influence française dans le monde.

Assurément ce sont là de bien graves reproches. Aussi ne faut-il pas s'étonner si, à la suite du grand développement donné a l'instruction primaire depuis 1880, une véritable armée de réformateurs a surgi pour demander aux pouvoirs publics de rendre plus simple et plus accessible aux enfants de nos écoles la connaissance de l'orthographe. Parmi les chefs de cette armée, nous pourrons citer des linguistes comme MM. Clédat, Brunot, Paul Meyer, des professeurs de lycées comme MM. Renard, Clairin, Bernès, des philanthropes comme M. Jean Barès, qui a consacré une grande partie de sa fortune à soutenir l'idée de la réforme de l'orthographe.

La première tentative de réforme date de 1891. A cette époque, M. F. Buisson, directeur de l'enseignement primaire, chargea M. Clédat, doyen de la Faculté des lettres de Lyon, de préparer un projet d'arrêté autorisant un certain nombre de simplifications. Par suite de l'opposition du Conseil supérieur, la réforme ne fut pas imposée, mais une circulaire de M. Léon Bourgeois, ministre de l'instruction publique, invita les correcteurs à se montrer moins sévères que par le passé pour les fautes qui peuvent être fondées sur une raison logique ou étymologique. Voici l'analyse de cette circulaire, datée du 27 avril 1898 :

Il est nécessaire d'acquérir une connaissance aussi parfaite que possible de la langue. Mais toute la langue n'est pas dans la grammaire, ni toute la grammaire dans l'orthographe.

On accorde souvent, surtout dans les examens, trop d'importance aux singularités et aux subtilités de l'orthographe. A plusieurs reprises, le Conseil supérieur a manifesté le désir de rompre avec le fétichisme orthographique et avec la tarification mécanique des fautes ; il a supprimé, dans tous les règlements parus depuis dix ans, le caractère éliminatoire de la dictée ; les pédagogues s'accordent à dire que les fautes doivent être pesées plutôt que comptées, et ils demandent qu'on s'attache moins, dans la correction des épreuves, aux règles compliquées et controversées, aux bizarreries de forme, qu'à l'intelligence du sens et à la correction générale de la langue:

Le ministre recommande donc aux présidents et aux membres des commissions d'examen d'assurer à l'enseignement de l'orthographe une direction moins étroite. Ce qui fait maintenir encore dans beaucoup d'écoles un nombre invraisemblable d'heures exclusivement consacrées aux exercices grammaticaux les plus minutieux, c'est la crainte, fondée ou non, des rigueurs qu'aura l'examinateur dans son appréciation de la dictée. La circulaire ne peut prétendre à dresser la liste des variantes orthographiques qui peuvent être admises : les commissions seules peuvent être juges de la gravité que peuvent avoir les infractions à l'orthographe dans l'épreuve qu'elles auront à juger. Il importe qu'elles tiennent compte de l'âge des élèves et du degré élémentaire des épreuves : celles-ci ne peuvent et ne doivent avoir pour but que de montrer si l'enfant écrit couramment et correctement sa langue.

Pour fixer les idées, la circulaire signale trois groupes de points sur lesquels la tolérance doit particulièrement s'exercer :

1° Il faut renoncer à une rigueur absolue toutes les fois qu'il y a doute ou partage d'opinion, que l'usage n'est pas encore fixé, que la pratique courante varie, que les auteurs diffèrent d'avis, que l'Académie elle-même enregistre les hésitations de l'opinion. Ainsi l'Académie, qui écrivait avant 1878 consonnance, phthisie, rhythme, college, excédant, tout-à-fait, écrit maintenant consonance, phtisie, rythme, collège, excédent, tout à fait. Deux des recueils qui font autorité pour notre langue écrivent, sans que personne s'en offusque, les enfans, les momens. Le pluriel de certains mots étrangers se marque, suivant les auteurs, de différentes manières : on dit des solos, des solo et des soli. L'Académie autorise agendas, alinéas, et ne parait pas admettre duplicatas. De son aveu même on écrit : clef ou clé, sopha ou sofa, des entre-sol ou des entresols, dévouement ou dévoûment, gaieté ou gaîté, la ciguë ou la cigüe, il paye ou il paie, payement ou paiement ou même paîment. Dans ces cas, et dans tous les cas semblables, on ne peut pas demander à l'élève d'être plus sûr que les maîtres eux-mêmes.

2° La circulaire réclame la même indulgence pour l'enfant quand la logique lui donne raison contre l'usage, et quand la faute qu'il commet prouve qu'il respecte mieux que ne l'a fait l'orthographe reçue les lois naturelles de l'analogie, par exemple s'il écrit contreindre comme étreindre et restreindre, canto-nier comme timonier et comme cantonal, entrouvrir comme entrelacer, contrecoup comme contretemps, dizième comme dizaine ou bien dixaine comme dixième, charriot comme charrette. C'est la logique qui conduit l'enfant à conserver les traits d'union dans chemin-de-fer et porte-manteaux, comme dans arc-en-ciel et porte-monnaie ; la logique l'empêche encore d'admettre imbécile et imbécillité, siffler et persifler. L'analogie lui fera écrire assoir sans e, malgré séance, puisqu'on écrit déchoir sans e, malgré déchéance.

Est-ce l'enfant qui a tort d'hésiter quand la langue elle-même semble se contredire et qu'après prétention, contention, attention, intention, obtention, on lui enjoint d'écrire extension ? Que répondre à l'élève qui veut écrire déciller à cause de cils, une demie lieue comme une lieue et demie, forsené et non pas forcené puisque le mot signifie hors de sens et n'a aucun rapport avec forcée ?Y a-t-il un maître qui ait pu donner une bonne raison pour justifier la différence entre apercevoir et apparaître, entre alourdir et allonger, entre abatage et abatteur, entre abatis et abattoir, entre agrégation et agglomération.

Au lieu d'inculquer dans l'esprit de l'élève l'idée d'une règle absolue et inviolable, ne vaut-il pas mieux lui laisser voir que c'est là au contraire une matière en voie de transformation? N'y a-t-il pas toute vraisemblance que d'ici à une génération ou deux la plupart de ces bizarreries auront disparu pour faire place à des modifications analogues à celles qu'ont opérées sous nos yeux, depuis moins d'un siècle, les éditions successives du Dictionnaire de l'Académie?

3° Enfin la circulaire rappelle que l'autorité de certaines règles de syntaxe est contestée par la philologie moderne :

« Que d'heures absolument inutiles pour l'éducation de l'esprit ont été consacrées dans les écoles primaires elles-mêmes à approfondir les règles de tout et de même, de vingt et de cent, de un et de demi, à discuter sur les exceptions et les sous-exceptions sans nombre de la prétendue orthographe des noms composés, qui n'est que l'histoire d'une variation perpétuelle !

« La presse a plus d'une fois signalé l'inanité des débats sans fin auxquels donnent lieu dans la dictée certaines locutions comme des habits d'homme ou d'hommes, la gelée de groseille ou de groseilles, de pomme ou de pommes, des moines en bonnet carré ou en bonnets carrés.

« A supposer que l'on trouve de bonnes raisons pour justifier telle ou telle de ces finesses orthographiques, n'est-il pas flagrant que l'immense majorité des enfants ont mieux à faire que d'y consumer leur temps?. Ce souci de l'orthographe à outrance n'éveille chez eux ni le sentiment du beau, ni l'amour de la lecture, ni même le véritable sens critique. Il ne pourrait faire prendre que des habitudes d ergotage. A tant éplucher les mots, ils risquent de perdre de vue la pensée, et ils ne sauront jamais ce que c'est qu'écrire si leur premier mouvement n'est pas de chercher dans le discours, sous l'enveloppe des mots, la pensée qui en est l'âme. »

L'application de cette circulaire apporta quelque atténuation aux rigueurs des corrections orthographiques. Néanmoins les recommandations formulées n'avaient point le caractère impératif et légal que les réformistes auraient voulu leur voir revêtir. En outre leurs projets étaient beaucoup plus vastes que les concessions modérées de la circulaire Bourgeois. Pour faire donner à ce commencement de réforme la consécration officielle qui lui manquait, Gréard soumit à l'Académie, en 1893, un projet de simplification portant sur la suppression des consonnes doubles dans beaucoup de mots et de certaines lettres étymologiques, ainsi que sur l'emploi de la lettre s comme marque uniforme du pluriel dans les noms et dans les adjectifs ; mais l'Académie ne se soucia pas d'innover : la note Gréard resta lettre morte.

En présence du peu de succès de leurs tentatives, les réformistes usèrent d'une autre tactique. En décembre 1899, le Conseil supérieur de l'instruction publique fut saisi d'un voeu rédigé par deux professeurs de l'enseignement secondaire, MM. Clairin et Bernès, tendant à nommer une commission chargée de simplifier la syntaxe française. L'année suivante, cette commission déposa son rapport, dont les conclusions furent rendues exécutoires par un arrêté du 31 juillet 1900. L'article 1er portait que dans les examens et concours dépendant du ministère de l'instruction publique, il ne serait plus compté de fautes aux candidats pour avoir usé des tolérances inscrites dans la liste annexée à l'arrêté. De plus, l'article 2 stipulait que dans les établissements d'enseignement public de tout ordre, les usages et prescriptions contraires aux indications énoncées dans cette liste ne seraient plus enseignés comme règles.

A la suite de la publication de cet arrêté, l'Académie protesta, estimant qu'on empiétait sur son domaine, et obtint la suppression des tolérances relatives au mot témoin, aux noms composés, à l'accord du participe avec avoir. Un nouvel arrêté ministériel, en date du 26 février 1901, réformant celui du 31 juillet 1900, fit droit aux demandes de l'Académie et l'article 2 du premier arrêté fut supprimé : il défendait, nous l'avons dit, d'enseigner des règles contraires aux tolérances édictées.

Nous donnons ci-dessous la liste qui avait été annexée à l'arrêté du 31 juillet 1900, en indiquant les modifications qui y ont été apportées par l'arrêté du 26 février 1901 :

« LISTE ANNEXÉE A L'ARRÊTÉ DU 31 JUILLET 1900.

N. B. Les passages placés entre crochets [ ] ont été supprimés par l'arrêté du 26 février 1901. Lorsque le texte n'a été que partiellement modifié, ' le nouveau texte figure à la suite du deuxième crochet.

SUBSTANTIF

Nombre des substantifs. — [Témoin. — Placé en tête d'une proposition, ce mot pourra rester invariable ou prendre la marque du pluriel, si le substantif qui le suit est au pluriel. Ex. : témoin ou témoins les victoires qu'il a remportées. La même liberté sera accordée pour le mot témoin dans la locution prendre à témoin. Ex. : je vous prends tous à témoin ou à témoins.]

Pluriel ou singulier. — Dans toutes les constructions où le sens permet de comprendre le substantif complément aussi bien au singulier qu'au pluriel, on tolérera l'emploi de l'un ou l'autre nombre. Ex. : des habits de femme ou de femmes ; — des confitures de groseille ou de groseilles ; des prêtres en bonnet carré ou en bonnets carrés ; ils ont ôté leur chapeau ou leurs chapeaux.

SUBSTANTIFS DES DEUX GENRES

1. Aigle. — L'usage actuel donne à ce substantif le genre masculin. [Les auteurs les plus classiques l'ont aussi employé au féminin. On tolérera le féminin comme le masculin. Ex. : un aigle ou une aigle.] Sauf dans le cas où il désigne des enseignes : les aigles romaines.

2.Amour, orgue. — L'usage actuel donne à ces deux mots le genre masculin au singulier. Au pluriel, on tolérera indifféremment le genre masculin ou le genre féminin. Ex. : les grandes orgues ; un des plus beaux orgues ; de folles amours, des amours tardifs.

3. Délice et délices sont, en réalité, deux mots différents. Le premier est d'un usage rare et un peu recherché. Il est inutile de s'en occuper dans l'enseignement élémentaire et dans les exercices.

4. Automne, enfant. — Ces deux mots étant des deux genres, il est inutile de s'en occuper particulièrement. Il en est de même de tous les substantifs qui sont indifféremment des deux genres.

5. Gens. — On tolérera, dans toutes les constructions, l'accord de l'adjectif au féminin avec ce substantif. Ex. : instruits ou instruites par l'expérience, les vieilles gens sont soupçonneux ou soupçonneuses.

6. Hymne. — Il n'y a pas de raison suffisante pour donner à ce mot deux sens différents suivant, qu'il est employé au masculin ou au féminin. On tolérera les deux genres aussi bien pour les chants nationaux que pour les chants religieux. Ex. : un bel hymne ou une belle hymne.

7. (OEuvre. — Si, dans quelques expressions, ce mot est employé au masculin, cet usage est fondé sur une différence de sens bien subtile. On tolérera l'emploi du mot au féminin dans tous les sens. Ex. : une grande oeuvre, la grande oeuvre.)

8. Orge. — On tolérera l'emploi de ce mot au féminin sans exception : orge carrée, orge mondée, orge, perlée.

9. Pâques. — On tolérera l'emploi de ce mot au féminin aussi bien pour désigner une date que la fête religieuse. Ex. : à Pâques prochain ou à Pâques prochaines.

10. [Période. — Même au sens spécial où on exige actuellement le genre masculin, on tolérera l'emploi de ce mot au féminin. Ex. : arriver à la plus haute période ou au plus haut période.]

PLURIEL DES SUBSTANTIFS

Pluriel des noms propres. — La plus grande obscurité régnant dans les règles et les exceptions enseignées dans les grammaires, on tolérera dans tous les cas que les noms propres, précédés de l'article pluriel, prennent la marque du pluriel : les Corneilles comme les Gracques ; des Virgiles (exemplaires), comme des Virgiles (éditions). Il en sera de même pour les noms propres de per sonnes désignant les oeuvres de ces personnes. Ex. : des Meissoniers.

Pluriel des noms empruntés à d'autres langues. — Lorsque ces mots sont tout à fait entrés dans la langue française, on tolérera que le pluriel soit formé suivant la règle générale. Ex. : des exéats comme des déficits.

NOMS COMPOSÉS

Noms composés. — Les mêmes noms composés se rencontrent aujourd'hui tantôt avec un trait d'union, tantôt sans trait d'union. Il est inutile de fatiguer les enfants à apprendre des contradictions que rien ne justifie. L'absence de trait d'union dans l'expression pomme de terre n'empêche pas cette expression de former un véritable mot composé aussi bien que chef-d'oeuvre, par exemple.

[Chacun restera libre de se conformer aux règles actuelles ; mais on tolérera la simplification des règles relatives aux noms composés d'après les principes suivants :

1° Noms composés d'un verbe suivi d'un substantif. — On pourra les écrire en un seul mot formant le pluriel d'après la règle générale. Ex. : un essuiemain, des essuiemains ; un abatjour, des abatjours ; un fessemathieu, des fessemathieux ; un gagnepetit, des gagnepetits ; un gardecôte, des gardecôtes.

Mais on conservera les deux mots séparés dans les expressions comme garde forestier, garde général, où la présence de l'adjectif indique clairement que garde est un substantif.

2° Noms composés d'un substantif suivi d'un adjectif. — On pourra réunir ou séparer les deux éléments. Les deux mots ou le mot composé formeront le pluriel d'après la règle générale. Ex. : un coffre fort ou coffrefort, des coffres forts ou coffrèforts.

3° Noms composés d'un adjectif suivi d'un substantif. — Même liberté. Ex. : une basse cour ou bassecour, des basses cours ou bassecours ; un blanc seing ou blancseing, des blancs seings ou blancseings ; un blanc bec ou blancbec, des blancs becs ou blancbecs.

On exceptera bonhomme et gentilhomme, mots pour lesquels l'usage a établi un pluriel intérieur sensible à l'oreille : des bonshommes, des gentilshommes.

On pourra écrire en un seul mot, sans apostrophe : grandmère, grandmesse, grandroute.

4° Noms composés d'un adjectif et d'un substantif désignant un objet nouveau appelé du nom d'une de ses qualités.— Même liberté. Ex. : un rouge gorge ou rougegorge, des rouges gorges ou rougegorges.

5° Noms composés de deux adjectifs désignant une personne ou une chose. — Les deux mots pourront s'écrire séparément, sans trait d'union, chacun gardant sa vie propre. Ex. : un sourd muet, une sourde muette, des sourds muets, des sourdes muettes ; douce amère, etc.

6° Noms composés de deux substantifs construits en apposition. — On pourra ou écrire les deux mots séparément, chacun formant son pluriel d'après la règle générale, ou les réunir, sans trait d'union, en un seul mot qui ne prendra qu'une fois, à la fin, la marque du pluriel. Ex : un chou fleur ou choufleur, des choux fleurs ou choufïeurs ; un chef lieu ou cheflieu, des chefs lieux ou cheflieux.

7° Noms composés de deux substantifs ou d'un substantif et d'un adjectif dont l'un est en réalité le complément de l'autre, sans particule marquant l'union. — On pourra toujours réunir les deux mots en un seul prenant à là fin la marque du pluriel d'après la règle générale. Ex. : un timbreposte, des timbrepostes ; un terreplein, des terrepleins.

Pour les mots hôtel Dieu, fête Dieu, il semble préférable de conserver l'usage actuel et de séparer les éléments constitutifs. Cependant on ne comptera pas de faute à ceux qui réuniront les deux substantifs en un seul mot : hôteldieu, fêtedieu.

Quant au pluriel des mots hôtel Dieu, fête Dieu, bain marie, il n'y a pas lieu de s'en occuper, puisque ces mots sont inusités au pluriel. Il est inutile aussi de s'occuper dans l'enseignement élémentaire et dans les exercices du pluriel du mot trou madame, désignant un jeu inusité aujourd'hui.

8° Noms composés d'un adjectif numéral plural et d'un substantif ou d'un adjectif. — On pourra les écrire en un seul mot et laisser au second la marque du pluriel, même au singulier. Ex. : un troismâts, des troismâts ; un troisquarts, des troisquarts.

9° Noms composés de deux substantifs unis par une particule indiquant le rapport qui existe entre eux. — On écrira séparément les éléments de ces mots en observant avec chacun les règles générales de la syntaxe. Ex. : un chef d'oeuvre, des chefs d'oeuvre ; un pot au feu, des pots au feu ; un pied d'alouette, des pieds d'alouette ; un tête à tête, des tête à tête.

10° Noms composés d'éléments variés empruntés à des substantifs, à des verbes, à des adjectifs, à des adverbes, à des mots étrangers. — On tolérera la séparation ou la réunion des cléments. Si on les réunit en un seul mot, celui-ci pourra former son pluriel comme un mot simple. Ex. : un chassé croisé ou un chassécroisé, des chassés croisés ou des chassécroisés ; un fier à bras on un fierabras, des fiers à bras ou des fierabras ; un pique nique ou un piquenique, des pique niques ou des piqueniques ; un soi disant ou un soidisant, des sot disant ou des soidisants ; — un te Deum ou un tedeum, des te Deum ou des tedeums ; un exvoto ou un exvoto, des ex voto ou des exvotos ; un vice roi ou un viceroi, des vice rois ou des vicerois ; un en tête ou un entête, des en têtes ou des entêtes ; une plus (moins) value ou une plusvalue, moinsvalue, des plus (moins) value ou des plusvatues, moinsvalues ; — un gallo romain ou un galloromain, des gallo romains ou des galloromains.

Il est inutile de s'occuper du mot sot l'y laisse, si étrangement formé.

D'une manière générale, il est inutile de compliquer l'enseignement élémentaire et les exercices du pluriel des noms composés tels que laisser aller, ouï dire, qui, à cause de leur signification, ne s'emploient pas au pluriel.]

Trait d'union. — Même quand les éléments constitutifs des noms composés seront séparés dans l'écriture, on n'exigera jamais de trait d'union.

ARTICLE

Article devant les noms propres de personnes. — L'usage existe d'employer l'article devant certains noms de famille italiens : le Tasse, le Corrège, et quelquefois à tort devant les prénoms : (le) Dante, (le) Guide.— On ne comptera pas comme une faute l'ignorance de cet usage.

Il règne aussi une grande incertitude en la manière d'écrire l'article qui fait partie de certains noms propres français : la Fontaine, la Fayette, ou Lafayette. Il convient d'indiquer, dans les textes dictés, si, dans les noms propres qui contiennent un article, l'article doit être séparé du nom.

Article supprimé. — Lorsque deux adjectifs unis par et se rapportent au même substantif de manière à désigner en réalité deux choses différentes, on tolérera la suppression de l'article devant le second adjectif. Ex. : L'histoire ancienne et moderne, comme l'histoire ancienne et la moderne.

Article partitif. — On tolérera du, de la, des au lieu du de partitif devant un substantif précédé d'un adjectif. Ex. : de ou du bon pain, de bonne viande, ou de la bonne viande, de ou des bons fruits.

Article devant plus, moins, etc. — La règle qui veut qu'on emploie le plus, le moins, le mieux comme un neutre invariable devant un adjectif indiquant le degré le plus élevé de la qualité possédée par le substantif qualifié sans comparaison avec d'autres objets est très subtile et de peu d'utilité. Il est superflu de s'en occuper dans l'enseignement élémentaire et dans les exercices. On tolérera le plus, la plus, les plus, les moins, les mieux, etc., dans des constructions telles que : on a abattu les arbres le plus ou les plus exposés à la tempête.

ADJECTIF

Accord de l'adjectif. — Dans la locution se faire fort de, on tolérera l'accord de l'adjectif. Ex. : se faire fort, forte, forts, fortes de.

Adjectifs construits avec plusieurs substantifs. — Lorsqu'un adjectif qualificatif suit plusieurs substantifs de genres différents, on tolérera toujours que l'adjectif soit construit au masculin pluriel, quel que soit le genre du substantif le plus voisin. Ex. : appartements et chambres meublés.— [On tolérera aussi l'accord avec le substantif le plus rapproché. Ex. : un courage et une foi nouvelle.]

Nu, demi, feu. — On tolérera l'accord de ces adjectifs avec le substantif qu'ils précèdent. Ex. : nu ou nus pieds, une demi ou demie heure (sans trait d'union entre les mots), feu ou feue la reine.

Adjectifs composés.— On tolérera la réunion des deux mots constitutifs en un seul mot qui formera son féminin et son pluriel d'après la règle générale. Ex. : nouveauné, nouveaunée, nouveaunés, nouveaunées ; courtvêtu, courtvêtue, courtvêtus, courtvêtues, etc.

Mais les adjectifs composés qui désignent des nuances étant devenus, par suite d'une ellipse, de véritables substantifs invariables, on les traitera comme des mots invariables. Ex. : des robes bleu clair, vert d'eau, etc., de même qu'on dit des habits marron.

Participes passés invariables. — Actuellement les participes approuvé, attendu, ci-inclus, ci-joint, excepté, non compris, y compris, ôté, passé, suppose, vu, placés avant le substantif auquel ils sont joints, restent invariables. Excepté est même déjà classe parmi les prépositions. On tolérera l'accord facultatif pour ces deux participes, sans exiger l'application de règles différentes suivant que ces mots sont placés au commencement ou dans le corps de la proposition, suivant que le substantif est ou n'est pas déterminé. Ex. : ci joint ou ci jointes les pièces demandées (sans trait d'union entre ci et le participe) ; je vous envoie ci joint ou ci jointe copie de la pièce.

On tolérera la même liberté pour l'adjectif franc de port ou franche de port une lettre.

Avoir l'air. — On permettra d'écrire indifféremment : elle a l'air doux ou douce, spirituel ou spirituelle. On n'exigera pas la connaissance d'une différence de sens subtile suivant l'accord de l'adjectif avec le mot air ou avec le mot désignant la personne dont on indique l'air.

Adjectifs numéraux. — Vingt, cent. La prononciation justifie dans certains cas la règle actuelle, qui donne un pluriel à ces deux mots quand ils sont multipliés par un autre nombre. On tolérera le pluriel de vingt et de cent même lorsque ces mots sont suivis d'un autre adjectif numéral. Ex. : quatre vingt ou quatre vingts dix hommes ; quatre cent ou quatre cents trente hommes.

Le trait d'union ne sera pas exigé entre le mot désignant les unités et le mot désignant les dizaines. Ex. : dix sept.

Dans la désignation du millésime, on tolérera mille au lieu de mil, comme dans l'expression d'un nombre. Ex. : l'an mil huit cent quatre vingt dix ou l'an mille huit cents quatre vingts dix.

ADJECTIFS DÉMONSTRATIFS, INDEFINIS ET PRONOMS

Ce. — On tolérera la réunion des particules ci et avec le pronom qui les précède, sans exiger qu'on distingue qu'est ceci, qu'est cela, de qu'est ce ci, qu'est ce là. — On tolérera la suppression du trait d'union dans ces constructions.

Même. — Après un substantif ou un pronom au pluriel, on tolérera l'accord de même au pluriel et on n'exigera pas de trait d'union entre même et le pronom. Ex. : nous mêmes, tes dieux mêmes.

Tout. — [On tolérera l'accord du mot tout aussi bien devant les adjectifs féminins commençant par une voyelle ou par une h muette que devant les adjectifs féminins commençant par une consonne ou par une h aspirée. Ex. : des personnes tout heureuses ou toutes heureuses ; l'assemblée tout entière ou toute entière.]

Devant un nom de ville on tolérera l'accord du mot tout avec le nom propre sans chercher à établir une différence un peu subtile entre des constructions comme tout Rome et toute Rome.

On ne comptera pas de faute non plus à ceux qui écriront indifféremment, en faisant parler une femme, je suis tout à vous ou je suis toute à vous.

Lorsque tout est employé avec le sens indéfini de chaque, on tolérera indifféremment la construction au singulier ou au pluriel du mot tout et du substantif qu'il accompagne. Ex. : des marchandises de toute sorte ou de toutes sortes ; la sottise est de tout (tous) temps et de tout (tous) pays.

Aucun. — Avec une négation on tolèrera l'emploi de ce mot aussi bien au pluriel qu'au singulier. Ex. : ne faire aucun projet ou aucuns projets.

Chacun. — Lorsque ce pronom est construit après le verbe et se rapporte à un mot pluriel sujet ou complément, on tolérera indifféremment, après chacun, le possessif son, sa, ses ou le possessif leur, leurs. Ex. : ils sont sortis chacun de son côté ou de leur côté ; remettre des livres chacun à sa place ou à leur place.

VERBE

Verbes composés. — On tolérera la suppression ORTHOGRAPHE. —1484 — ORTHOGRAPHE.

de l'apostrophe et du trait d'union dans les verbes composés. Ex. : entrouvrir, entrecroiser.

Trait d'union. — On tolérera l'absence de trait d'union entre le verbe et le pronom sujet placé après le verbe. Ex. : est-il?

Différence du sujet apparent et du sujet réel. — Ex. : sa maladie sont des vapeurs. Il n'y a pas lieu d'enseigner de régies pour des constructions semblables dont l'emploi ne peut être étudié utilement que dans la lecture et l'explication des textes. C'est une question de style et non de grammaire, qui ne saurait figurer ni dans les exercices élémentaires ni dans les examens,

Accord du verbe précédé de plusieurs sujets non unis par la conjonction et. — Si les sujets ne sont pas résumés par un mot indéfini tel que tout, rien, chacun, on tolérera toujours la construction du verbe au pluriel. Ex. : sa bonté, sa douceur le font admirer.

Accord du verbe précédé de plusieurs sujets au singulier unis par ni, comme, avec, ainsi que et autres locutions équivalentes. — On tolérera toujours le verbe au pluriel. Ex. : ni la douceur ni la force n'y peuvent rien ou n'y peut rien ; la santé comme la fortune demandent à être ménagés ou demande à être ménagée ; — le général avec quelques officiers sont sortis du camp ou est sorti du camp ; le chat ainsi que le tigre sont des carnivores ou est un carnivore.

Accord du verbe quand le sujet est un mot collectif. — Toutes les fois que le collectif est accompagné d'un complément au pluriel, on tolérera l'accord du verbe avec le complément. Ex. : un peu de connaissances suffit ou suffisent.

Accord du verbe quand le sujet est plus d'un. — L'usage actuel étant de construire le verbe au singulier avec le sujet plus d'un, on tolérera la construction du verbe au singulier même lorsque plus d'un est suivi d'un complément au pluriel. Ex. : plus d'un de ces hommes était ou étaient à plaindre.

Accord du verbe précédé de un de ceux (une de celles) qui. — Dans quel cas le verbe de la proposition relative doit-il être construit au pluriel, et dans quel cas au singulier? C'est une délicatesse de langage qu'on n'essaiera pas d'introduire dans les exercices élémentaires ni dans les examens.

C'est, ce sont. — Comme il règne une grande diversité d'usage relativement à l'emploi régulier de c'est et de ce sont, et que les meilleurs auteurs ont employé c'est pour annoncer un substantif au pluriel, ou un pronom de la troisième personne au pluriel, on tolérera dans tous les cas l'emploi de c'est au lieu de ce sont. Ex. : c'est ou ce sont des montagnes et des précipices.

Concordance ou correspondance des temps. On tolérera le présent du subjonctif au lieu de l'imparfait dans les propositions subordonnées dépendant de propositions dont le verbe est au conditionnel. Ex. : il faudrait qu'il vienne ou qu'il vînt.

PARTICIPE

Participe présent et adjectif verbal. — Il convient de s en tenir à la règle générale d'après laquelle on distingue le participe de l'adjectif en ce que le premier indique l'action et le second l'état. Il suffit que les élèves et les candidats fassent preuve de bon sens dans les cas douteux. On devra éviter avec soin les subtilités dans les exercices. Ex. : des sauvages vivent errant ou errants dans les bois.

Participe passé. — [La règle d'accord enseignée actuellement à propos du participe passé construit avec l'auxiliaire avoir a toujours été plus ou moins contestée par les écrivains et par les grammairiens. Peu à peu elle s'est compliquée de plus en plus ; les exceptions sont devenues de plus en plus nombreuses, suivant la forme du complément qui précède le participe, suivant que le même verbe est employé au sens propre ou au sens figuré, suivant que d'autres verbes accompagnent le participe. En outre, elle tombe en désuétude. Il paraît inutile de s'obstiner à maintenir artificiellement une règle qui n'est qu'une cause d'embarras dans l'enseignement, qui ne sert à rien pour le développement de l'intelligence et qui rend très difficile l'étude du français aux étrangers.]

Il n'y a rien à changer à la règle d'après laquelle le participe passé construit comme épithète doit s'accorder avec le mot qualifié, et construit comme attribut avec le verbe être ou un verbe intransitif doit s'accorder avec le sujet. Ex. : des fruits gâtés ; — ils sont tombés ; elles sont tombées.

Pour le participe passé construit avec l'auxiliaire avoir, [on tolérera qu'il reste invariable dans tous les cas où on prescrit aujourd'hui de le faire accorder avec le complément. Ex. : les livres que j'ai lu ou lus ; les fleurs qu'elles ont cueilli ou cueillies ; la peine que j'ai pris ou prise] ; lorsque le participe passé est suivi soit d'un infinitif, soit d'un participe présent ou passé, on tolérera qu'il reste invariable, quels que soient le genre et le nombre des compléments qui précèdent. Ex. : Les fruits que je me suis laissé ou laissés prendre ; les sauvages que l'on a trouvé ou trouvés errant dans les bois. Dans le cas où le participe passé est précédé d'une expression collective, on pourra à volonté le faire accorder avec le collectif ou avec son complément. Ex. : La foule d'hommes que j'ai vue ou vus.

[Pour le participe passé des verbes réfléchis, on tolérera aussi qu'il reste invariable dans tous les cas où on prescrit aujourd'hui de le faire accorder. Ex. : elles se sont tu ou tues ; les coups que nous nous sommes donné ou donnés.)

ADVERBE

Ne dans les propositions subordonnées. — L'emploi de cette négation dans un très grand nombre de propositions subordonnées donne lieu à des règles compliquées, difficiles, abusives, souvent en contradiction avec l’usage des écrivains les plus classiques.

Sans faire de règles différentes suivant que les propositions dont elles dépendent sont affirmatives ou négatives ou interrogatives, on tolérera la suppression de la négation ne dans les propositions subordonnées dépendant de verbes ou de locutions signifiant :

Empêcher, défendre, éviter que, etc. Ex. : défendre qu'on vienne ou qu'on ne vienne ;

Craindre, désespérer, avoir peur, de peur que, etc. Ex. : de peur qu'il aille ou qu'il n'aille ;

Douter, contester, nier que, etc. Ex. : je ne doute pas que ta chose soit vraie ou ne soit vraie.

Il tient à peu, il ne tient pas à, il s'en faut que, etc. Ex. : il ne tient pas à moi que cela se fasse ou ne se fasse.

On tolérera de même la suppression de cette négation après les comparatifs et les mots indiquant une comparaison : autre, autrement que, etc. Ex. : l'année a été meilleure qu'on l'espérait ou qu'on ne l'espérait ; les résultats sont autres qu'on le croyait ou qu'on ne le croyait.

De même après les locutions à moins que, avant que. Ex. : à moins qu'on accorde le pardon ou qu'on n'accorde le pardon.

OBSERVATION

Il conviendra, dans les examens, de ne pas compter comme fautes graves celles qui ne prouvent rien contre l'intelligence et le véritable savoir des candidats, mais qui prouvent seulement l'ignorance de quelque finesse ou de quelque subtilité grammaticale. [Ainsi, notamment, il conviendra de compter très légèrement : 1° les fautes portant sur les substantifs qui changent de genre suivant qu'ils sont employés au sens abstrait ou au sens concret, tel que aide, garde, manoeuvre, etc., ou qui changent légèrement de sens en changeant de genre, tels que couple, merci, relâche, etc. ; 2° les fautes relatives au pluriel spécial de certains substantifs, particulièrement dans les langues techniques, tels que aïeuls, aïeux, ciels et deux, oeils et yeux, travails et travaux, etc. ; 3° les fautes relatives à l'emploi ou à la suppression de l'article ou à l'emploi de prépositions différentes devant les noms propres masculins désignant des pays. Ex. : aller en Danemark, en Portugal, mais aller au Japon, au Brésil.] »

Une première victoire était ainsi remportée par les réformistes. Du fait de l'arrêté de 1901, une foule de règles compliquées et subtiles sont destinées à tomber bientôt en désuétude. Il est vrai que la suppression de l'article 2 de l'arrêté de 1900 semble indiquer qu'on pourra encore les enseigner ; mais quel professeur voudra compliquer sa tâche en faisant apprendre à ses élèves une règle qu'ils seront libres d'appliquer ou d'enfreindre?

La réforme de la syntaxe étant désormais chose acquise, il restait aux réformistes à poursuivre la réforme de l'orthographe d'usage. Ils obtinrent en 1903 la nomination d'une nouvelle commission chargée d'établir la liste des modifications à proposer. M. Paul Meyer, directeur de l'Ecole des Chartes, choisi par cette Commission comme rapporteur, déposa, en 1904, un rapport aboutissant aux conclusions suivantes :

« A. Accents.

1° Supprimer l'accent grave dans à, là, déjà, où ; mettre l'accent grave dans je céderai, je réglerai, etc., comme dans j'achèterai.

2° Marquer l'e ouvert par un accent dans les verbes eler, eter. Ex. : j'apèle, j'apèlerai ; je jète, je jèterai.

3° Supprimer l'accent circonflexe dans ile, flute, naitre, traitre, croute, voute, etc. ; ainsi que dans les formes verbales nous vinmes, nous aimames, et par analogie qu'il aimat.

4° Conserver le tréma dans haïr, Saül, aiguë, pour éviter de former une diphtongue. Ecrire sans tréma Noël, et au contraire traïr, ébaïr. Conserver le tréma quand l'i a la valeur d'une consonne : aïeul, baïonnette, et dans ce cas, en généraliser l'emploi en écrivant : caïer, maïonnaise.

B. Voyelles.

5° Le son an s'écrit de bien des façons : puissant, prudent, paon : de même le son in : moulin, pain, sein, thym. L adoption d'une graphie unique pour chacun de ces sons conduirait à modifier un trop grand nombre de mots. Voici donc les seules modifications proposées :

Eviter la confusion entre ien (i-in) et ien (i-an) en écrivant citant, oriant, etc.

Ecrire fan, pan, tan, au lieu de faon, paon, taon.

Ecrire dessein comme dessin.

6° Uniformiser le plus possible le son eu, en écrivant : seur, neu, veu (comme aveu).

C. Consonnes.

7° Supprimer les consonnes parasites en écrivant las (lacs), ni (nid), neu (noeud), doit (doigt), pois (poids), cors (corps) malgré corporel, mais à cause de corsage, corset ; pront (prompt), donter (dompter), et par suite : je prens, je rens, etc.

8° Consonnes doubles. Supprimer une consonne devant un e muet : bale, échèle, cole, quite, sote, hute, mane, bare.

Remarque : Si la consonne double est précédée et suivie d'un e muet, l'e qui la précède prend un accent grave: échèle, anciène, nète. Dans les mots où l est mouillée : fille, on conserve les deux l.

9° Devant une voyelle sonore, supprimer l'une des consonnes, à moins qu'elle ne se prononce. Donc écrire : aléger, amolir, balon, mais allocation, collaborer, illettré, irrégulier ; aquérir, assomer, comètre, agraver (comme agrandir), abatoir, atendre, aporter, afaiblir, oportun.

10° Consonnes simples : Pour ne pas altérer la physionomie d'un trop grand nombre de mots, réserver la question de la suppression de h muet, lettre superflue.

Enlever au g le son palatal, et lui donner toujours le nom guttural. Ecrire par conséquent : 1° je manje, nous manjons ; 2° une gèpe, il gérit, au lieu de guêpe, guérit.

La lettre s. — Remplacer tie par cie dans les mots comme démocracie, parcial, confidenciel, nacion, accion. Ecrire cependant mission, passion ; soissante.

Dans certains mots composés où le radical commence par s, on supprimerait un s : asembler, désaisir, présentir.

Employer s comme unique terminaison du pluriel : des pris, des crois, des bateaus, des bijous, des feus.

Conserver le z dans les verbes : vous chantez, et dans assez, chez, nez.

Le son doux de s sera figuré par z : une chaize, une blouze.

N mouillé sera figuré par gn et non par ign ; d'où ognon, mognon, pognard.

11° Mots tirés du grec.

Remplacer th par t, ph par f. rh par r, y par i, ch par k devant e, i : arkéologue comme kilogramme. »

La réforme proposée par M. Paul Meyer au nom de la Commission aurait considérablement rapproché notre orthographe actuelle de l'orthographe phonétique. Assurément elle aurait simplifié l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, puisque chaque son aurait été, à peu d'exceptions prés, représenté par une même lettre. L'enfant qui apprend à lire ou à écrire sous la dictée, n'aurait plus hésité, comme il le fait aujourd'hui, en lisant longueur, largeur, gageons, prophétie. Mais la réforme, dans les conditions où elle était proposée, aurait atteint un nombre si considérable de mots que la physionomie de nos textes en aurait été profondément modifiée. Aussi suscita-t-elle une opposition très vive dans certains milieux littéraires : on lui reprocha d'altérer « la beauté plastique de la langue » et de rendre pour ainsi dire illisibles, pour des yeux habitués à l'orthographe actuelle, les chefs-d'oeuvre de notre littérature nationale. On invoqua aussi des raisons d'ordre pratique, comme la nécessité de réimprimer tous les livres d'enseignement.

Du côté des réformistes même, les opinions étaient divisées. On pensait que la Commission était allée trop loin en réclamant une réforme au lieu d'une simplification. En demandant trop, on risquait de ne rien obtenir.

Le rapport de M. Paul Meyer fut soumis à l'Académie, qui se déclara hostile à la plupart des changements demandés et chargea M. Faguet d'un rapport énumérant les simplifications auxquelles elle se ralliait. Ces simplifications sont contenues dans les 14 paragraphes suivants. L'Académie acceptait :

1. Déjà (pour déjà) ;

2.Chute, joute, otage, assidument, dévouement, crucifiement (sans accent circonflexe) ;

3. Ile, flute, naitre, traitre, croute, voute (sans accent) ;

4. On écrira à volonté confidentiel ou confidenciel et les adjectifs analogues ;

5. Elle accepte différent au lieu de différend, fond au lieu de fonds, appas au lieu de appâts. On pourrait donc écrire : un différent s est élevé ; un fond de terre ; les appas de la retraite ;

6. On écrirait à volonté : enmitoufler et emmitoufler, enmener et emmener, et autres mots analogues ;

7. Ognon au lieu de oignon ;

8. On pourrait écrire pied ou pié ;

9. Les noms en ou : bijou, caillou, chou, genou, hibou, joujou, pou prendraient s comme marque du pluriel ;

10. Elle accepte échèle au lieu de échelle ;

11. On uniformiserait l'orthographe des mots de la famille char en mettant deux r à charriot ;

12. Elle est disposée à examiner les cas où rh pourrait être remplacé par r ;

13. Dans les mots du langage scientifique, elle favoriserait l'i plutôt que l'y ;

14. Elle accepterait dizaine (comme dizain), sizième et dizième (comme douzième).

Les réformistes jugèrent ces concessions insuffisantes, et, en 1904, vingt-sept membres du Conseil supérieur signèrent un voeu demandant que les conclusions du rapport Paul Meyer fussent soumises au Conseil supérieur de l'instruction publique. En même temps des démarches étaient tentées, des voeux émis en faveur de la simplification par de nombreux groupements (membres du Parlement, Conseils généraux, Alliance française, Ligue de l'enseignement, Presse de l'enseignement, le Réformiste de M. Jean Barès, etc.).

Cédant à tant d'instances, M. Bienvenu-Martin, ministre de l'instruction publique, nomma une nouvelle Commission (1905) chargée de coordonner les différentes propositions et de préparer les solutions définitives sur lesquelles le Comité supérieur aurait à se prononcer dans sa prochaine session. Cette Commission était composée de huit membres : MM. Brunot, Clairin, Croiset, Emile Faguet, Gasquet, Hémon, Paul Meyer, Rabier. Elle termina ses travaux en 1906 et chargea M. Ferdinand Brunot, professeur d'histoire de la langue française à la Sorbonne, de les consigner dans un rapport. Moins étendu que la réforme de M. Paul Meyer, le nouveau projet comportait les simplifications suivantes :

1° Supprimer les signes étymologiques grecs ph, th, rh, ch et y. On pourra ainsi écrire : phénomène par f, comme fantôme ; théâtre sans h, comme trône ; rhétorique sans h, comme rapsodie ; choléra sans h, comme colère ; analyse et mystère sans y, comme asile et cristal qu'on écrivait autrefois asyle et crystal ;

2° Former le pluriel par s dans tous les cas. On écrira donc : étaux et hiboux par s, comme landaus et bambous ;

3° Remplacement par j du g se prononçant j. On écrira donc gestion par j, comme jeton ; geôle par j, comme enjôler ;

4° Suppression d'une grande partie des consonnes doublées qui ne se prononcent point. On pourra donc écrire : paysanne, cantonnier, colonne par un seul n, comme courtisane, cantonal, colonel ;

— je cachette, abatteur, je jetterai, grelotter, par un t, comme j'achète, abalage, j'achèterai, dorloter, etc. ;

Imbécillité, tutelle, allonger, par un l, comme imbécile, clientèle, aligner, etc. ;

Nommer, homme, par un m, comme nominal et homicide, etc. ;

Trappe, appétit, apparaître, par un p, comme chausse-trape, atraper, apéritif, apercevoir, etc. ;

Souffler, siffler, par un f, comme boursoufler, persifler, etc. ;

Accroître, accord, par un c, mais accès, accident par deux c, vu que les deux se prononcent ;

On supprimera de même presque toutes les autres consonnes doublées qui ne doivent pas être prononcées ;

5° Remplacement par n du premier des deux m des mots tels que emmagasiner, etc., mais conservation du double m dans le mot femme ;

6° Ecrire dizième, troizième, sizième, comme dizaine, mais continuer à écrire hasard, garnison, bisaille, caserne, distinctement de bazar, horizon, bizarre et luzerne, etc. ;

7° Ecrire confidentiel par c, comme artificiel, mais continuer à écrire initié comme amitié, etc. ;

8° Ecrire euf comme neuf, mais continuer à écrire soeur, boeuf ;

L'o de taon, faon, paon, est aussi supprimé.

Le rapport de M. F. Brunot n'a pas encore été soumis au Conseil supérieur, malgré les instances pressantes des réformistes. A l'heure actuelle, il semble, d'après les dernières informations recueillies, que la réforme ne se fera pas par mesure administrative, Toutefois, l'Académie, qui revendique comme une de ses prérogatives toute réforme concernant l'orthographe d'usage, se montrerait plus disposée qu'en 1904 à introduire dans une prochaine édition du Dictionnaire un plus grand nombre de simplifications qu'il n'en avait été admis dans le rapport de M. Faguet. Ce qui importe, c'est que la réforme soit une simplification et ne vienne pas augmenter le nombre des exceptions aux exceptions. Ainsi serait ménagée la transition entre l'orthographe actuelle, chère aux traditionalistes, et une orthographe plus simple et plus rationnelle, ardemment désirée par tous ceux qui ont charge d'instruire le peuple et qui ont le souci d'employer à des exercices vraiment profitables à l'esprit le temps si mesuré que passe l'enfant à l'école primaire.

Léon Flot