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Organisation pédagogique des écoles primaires publiques

Avez-vous quelquefois, au seuil d'une école primaire, assisté à l'entrée des élèves et, en voyant cette foule d'enfants, si différents les uns des autres par l'âge, la force, l'intelligence, le caractère, les conditions sociales, la moralité, n'avez-vous jamais songé à la tâche ardue qu'ont à remplir les maîtres? Donner à tous l'instruction élémentaire que réclament pour eux leurs familles, l'Etat, la société, développer leur vigueur corporelle, leur faire connaître le bien et leur en inspirer l'amour, pour qu'ils deviennent plus tard des hommes honnêtes et de bons citoyens, en un mot, cultiver les facultés physiques, intellectuelles et morales de chaque écolier, quelle oeuvre délicate et complexe!

Sans parler du savoir et du dévouement de l'instituteur, il faut, pour y réussir, un ensemble de règles qui déterminent rationnellement et de façon précise le mode de fonctionnement des écoles, à savoir : les conditions d'admission des élèves ; la manière de les classer ; les programmes d'enseignement ; l'emploi du temps à consacrer à chacune des matières que ces programmes comportent.

C'est l'ensemble de ces règles qui constitue l'organisation pédagogique.

Historique. ? La première tentative d'organisation des écoles publiques date du 25 avril 1834. Un arrêté, en date de ce jour, pris en exécution de la loi du 28 juin 1833, traite à la fois de la discipline et des études. Il contient, quant au programme et au classement des élèves, des règles intéressantes à consulter. L'âge scolaire est fixé de six à treize ans. Le programme est celui de la loi même. Quant au classement des élèves, l'arrêté établit dans l'école trois divisions principales, où les enfants seront placés « en raison de leur âge et des objets d'enseignement dont ils seront occupés ». Les enfants de six à huit ans formeront la première division. Indépendamment des prières, « on leur enseignera en même temps la lecture, l'écriture et les premières notions du calcul verbal. Les enfants de huit à dix ans formeront la seconde division. On leur enseignera de plus le calcul écrit et la grammaire française. La troisième division se composera des enfants de dix ans et au-dessus jusqu'à leur sortie de l'école. Ils recevront en outre des notions élémentaires de géographie et d'histoire. L'enseignement du chant et du dessin linéaire sera donné de préférence dans cette division. » Enfin, d'après un des articles de ce règlement, il doit y avoir, pour les écoles de chaque arrondissement, une répartition de leçons et d'exercices qui sera faite par le Comité supérieur et soumise à l'approbation du Conseil royal.

Cette organisation rudimentaire, et qui ne s'appliquait qu'aux écoles à un seul maître, constituait cependant un progrès en affirmant la nécessité d'un ordre quelconque. Malheureusement la voie n'était pas préparée, et ces règles nouvelles ne reçurent qu'une application très imparfaite. Toutefois, dans quelques grandes villes, le partage des élèves en trois divisions ou en trois classes fut presque partout établi.

Après la loi de 1850, d'heureux efforts en vue d'une organisation pédagogique rationnelle sont tentés dans quelques départements, notamment par Villemereux, inspecteur d'académie dans le Loiret. Les élèves de chaque école, dans l'organisation de M. Villemereux. sont distribués en trois divisions « d'après la force moyenne des enfants sur l'ensemble des matières de l'enseignement » : la division inférieure ou troisième division, la division moyenne ou deuxième division, la division supérieure ou première division. C'est, dans l'ordre inverse, la répartition déjà adoptée en 1834. Cette organisation comprend un emploi du temps uniforme. « d'un plan invariable dans ses dispositions générales, mais d'un agencement suffisamment mobile pour s'adapter aux circonstances et aux habitudes locales, de manière à être également applicable aux écoles spéciales et aux écoles mixtes, aux villes et aux communes rurales ».

Cette organisation pédagogique du Loiret, à laquelle manquaient encore des programmes précis et convenablement divisés, fut mise en oeuvre et produisit d'excellents résultats.

Un directeur d'école normale, Charbonneau, publia en 1853, une remarquable série d'articles sur l'Organisation des écoles : Voir Charbonneau.

Une autre tentative d'organisation pédagogique intéressante, et que nous ne saurions passer sous silence, fut faite à la même époque par un pédagogue éminent, J.-J. Rapet. Sans entrer dans les détails, notons dans ce système la division triennale des matières du programme, un tableau indiquant le programme de chacun des trois années, et des emplois du temps qui accompagnent et complètent ce plan d'études. On trouvera l'exposé complet du travail de Rapet dans le Bulletin de l'instruction primaire (1856) : Voir Rapet.

L'initiative prise par MM. Villemereux, Charbonneau et Rapet porta ses fruits. Des organisations semblables furent adoptées dans bon nombre de départements (Voir L'Organisation pédagogique des écoles, d'après M. Villemereux, par Pinet, et le Guide des instituteurs de Maine-et-Loire, publié à Angers en 1858).

Nous arrivons à l'époque où fut créée l'organisation pédagogique des écoles du département de la Seine, oeuvre de Gréard, alors inspecteur d'académie. Le règlement de cette organisation porte la date du 10 juillet 1868. Il répartit l'enseignement primaire eu trois cours : cours élémentaire, cours intermédiaire, cours supérieur ; mais il ne suit pas de cette division que l'élève doive terminer ses éludes en trois années. Le règlement permet le sectionnement de chaque cours en autant de divisions que le comporte le nombre des élèves. Il détermine l'effectif de chaque division. Il renferme des indications précises relativement au classement des élèves, qui « seront répartis entre les différents cours, à la suite d'un examen fait par le directeur ou la directrice de l'école sous le contrôle de l'inspecteur primaire ». Enfin il établit un certificat d'études accordé aux élèves du cours supérieur après examen.

Sans entrer dans les détails de l'organisation pédagogique de la Seine, nous nous contenterons de rappeler les principes sur lesquels elle repose, principes qui depuis ont été mis partout en application et qui ont produit de si heureux résultats.

Le caractère principal et distinctif de ce plan d'études, c'est que chacune de ses partie» forme un tout complet : « Chacun des cours a son développement propre ». Dès le cours élémentaire, toutes les matières de l'enseignement sont embrassées dans leurs premiers éléments, de manière à former un ensemble suffisant. Au cours moyen, elles reçoivent toutes un certain développement. Au cours supérieur, elles atteignent le degré maximum fixé par la loi. « L'enfant qui ne pourra pas pousser ses études jusqu'au cours supérieur, dit Gréard, aura du moins un fonds de notions formant un tout complet à son degré et qu'il lui sera facile d'entretenir et d'étendre, soit de lui-même dans la maison paternelle, soit dans les classes d'apprentis et d'adultes. »

Un autre caractère de cette organisation, c'est le parallélisme qu'elle s'efforce de maintenir entre les cours et qu'elle recommande surtout entre les divisions d'un même cours. Ce parallélisme présente de sérieux avantages. Dans les grandes écoles urbaines où les mutations sont nombreuses, il permet, aux élèves qui changent de classe ou d'école dans le courant de l'année scolaire, de retrouver, dans leur nouvelle classe ou leur nouvelle école, les mêmes leçons arrivées au même degré. Dans les écoles rurales où plusieurs cours sont souvent confiés à i un même maître, il rend possibles les leçons communes, recommandées avec tant de raison.

C'est afin de faciliter ce parallélisme et de donner aux programmes plus de précision, que fut établie, après quelques tâtonnements, une répartition mensuelle des matières de l'enseignement pour chacun des trois cours. Racontant, dix ans plus tard (Mémoire rédigé pour l'Exposition universelle de 1878), la façon dont l'organisation pédagogique des écoles primaires de la Seine fut complétée par la répartition mensuelle des matières de l'enseignement, Gréard s'exprimait ainsi : « A cet ensemble de dispositions générales furent ajoutés des programmes où le développement des matières de chaque cours était déterminé mois par mois. C'est sur le voeu et d'après les indications du personnel enseignant que la rédaction en fut arrêtée. Secondée par des emplois du temps mis en harmonie avec la nouvelle direction de l'enseignement, l'explication de ces programmes régularisa promptement la marche des études. »

Si l'on veut connaître à fond cette organisation, qui a servi de prototype à l'organisation actuelle, il faut lire dans le Bulletin de L'instruction primaire du département de la Seine les circulaires et les directions pédagogiques dont Gréard fit suivre la publication de ses programmes ; il faut lire ses rapports au Conseil départemental et son grand rapport sur l'instruction primaire dans le département de la Seine de 1867 à 1877. Ces pages magistrales ont alors provoqué et encouragé bien des efforts. On n'a pas oublié avec quel courageux entrain tous, inspecteurs, instituteurs et institutrices, entrèrent dans la voie nouvelle et travaillèrent à la transformation de nos écoles et de notre enseignement.

Après les événements de 1870, le 18 novembre 1871, Jules Simon, ministre de l'instruction publique, adressait aux inspecteurs d'académie une circulaire prescrivant une organisation pédagogique de toutes les écoles de France. A cette circulaire étaient annexés des programmes, des emplois du temps. Ces programmes qui, à peu de chose près, étaient ceux du département de la Seine, répartissaient, trimestre par trimestre, les matières d'enseignement en trois années ou en trois cours. Mais ces dispositions n'étaient pas imposées ; dans la pensée du ministre, elles n'étaient qu'une indication. Chaque instituteur et chaque institutrice devait dresser pour son usage : « 1° un plan d'études indiquant la répartition de l'enseignement en un nombre d'années approprié aux besoins de leur école ; 2° un tableau de l'emploi du temps en harmonie avec ce plan ». Le ministre voulait encourager chez les maîtres l'esprit d'initiative ; il ne trouvait pas d'ailleurs le terrain suffisamment préparé à recevoir une organisation uniforme. Ce qu'il désirait, c'est que rien ne fût plus livré au hasard, c'est qu'il y eût partout une organisation, c'est qu'on s'habituât à une règle. On se mit à l?oeuvre. Dans un grand nombre de départements, des plans d'études furent préparés et reçurent l'approbation des inspecteurs primaires et des Conseils départementaux. Mais il est facile de comprendre que ces organisations multiples manquèrent d'unité. Si un grand nombre de maîtres intelligents avaient mûri avec soin leur travail, d'autres l'avaient fait un peu au hasard. D'ailleurs les circonstances qui influent sur la fréquentation scolaire et sur les besoins de la population au point de vue de l'instruction sont plutôt régionales que locales. On ne tarda donc pas à s'apercevoir qu'il n'y avait aucun inconvénient à donner à chaque département une organisation unique, au moins quant au plan d'études, l'emploi du temps pouvant seul varier d'une commune à l'autre. Plusieurs inspecteurs d'académie prirent résolument l'initiative de cette réforme. Les instituteurs furent consultés. Le plan d'études et les programmes particuliers furent étudiés et discutés dans des conférences et dans des commissions, puis ils devinrent la règle uniforme du département.

Toutes ces organisations ressemblaient en beaucoup de points à celle de la Seine. Dans quelques-unes, la répartition des matières, au lieu d'être mensuelle, était trimestrielle. L'une d'elles, celle du Nord, admettait quatre cours ; elle ajoutait au début un cours préparatoire : c'était la classe enfantine.

Organisation actuelle. ? Les règles qui fixent aujourd'hui l'organisation pédagogique des écoles primaires publiques se trouvent, les unes dans les lois relatives à l'enseignement primaire, particulièrement dans celles du 28 mars 1882 et du 30 octobre 1886 ; les autres, dans le décret et l'arrêté organiques qui portent la date du 18 janvier 1887.

I. Admission des élèves. ? Les conditions d'admission des élèves dans les diverses catégories d'écoles ou de classes sont d'abord des conditions d'âge et de capacité.

Dans les écoles maternelles, les enfants peuvent être reçus dès l'âge de deux ans révolus et rester jusqu'à l'âge de six ans (Décret du 18 janvier 1887, art. 1er,

Dans les classes enfantines, ils sont admis depuis l'âge de quatre ans au moins à sept ans au plus (Ibid., art. 2).

Les écoles primaires élémentaires sont ouvertes à tous les enfants de six à treize ans, soumis par la loi du 28 mars 1882 à l'obligation de l'enseignement primaire (Ibid., art. 28, § 1).

Dans les cours complémentaires comme dans les écoles primaires supérieures, il faut que l'enfant soit capable de profiter de l'enseignement qui va lui être donné : pour cela, les règlements organiques prescrivent qu'il doit posséder le certificat d'études primaires élémentaires et justifier, en outre, par un certificat signé de l'inspecteur primaire, avoir suivi, pendant une année au moins, le cours supérieur d'une école primaire élémentaire (Ibid., art. 38, § 1). Toutefois, les élèves qui, munis du certificat d'études primaires élémentaires, n'auront pu suivre le cours supérieur des écoles primaires élémentaires, soit parce que ce cours n'existait pas dans leur commune, soit parce qu'ils auraient l'ait leurs études dans leur, famille ou dans une école privée, pourront être admis dans une école primaire supérieure ou dans un cours complémentaire, à condition de justifier par un examen qu'ils ont étudié les matières comprises dans le programme du cours supérieur des écoles primaires publiques (Décret du 26 juillet 1909).

S'il s'agissait d'entrer dans une école manuelle d'apprentissage, l'enfant, aux termes du décret du 28 juillet 1888, pourrait même y être reçu sans posséder le certificat d'études primaires, mais alors il devrait subir un examen d'entrée équivalent, auquel il ne pourrait se présenter qu'à l'âge de treize ans révolus et en justifiant de l'accomplissement de l'obligation scolaire prévue par l'art. 4 de la loi du 28 mars 1882 (art. 3, § 2).

D'autres conditions d'admission sont requises pour des raisons d'hygiène. C'est ainsi qu'aux termes de l'art. 3 du décret organique, aucun enfant n'est reçu dans une école maternelle, s'il ne produit un certificat du médecin, dûment légalisé, constatant qu'il n'est atteint d'aucune maladie contagieuse et qu'il a été vacciné. Même prescription pour les autres catégories d'écoles, avec cette addition que, lorsque l'enfant a atteint sa dixième année, il doit, soit pour être admis, soit pour être maintenu dans l'école, être revacciné par les soins du médecin attaché à l'école ou délégué à cet effet par l'administration scolaire (art. 2 du Règlement scolaire modèle des écoles primaires élémentaires publiques, du 18 janvier 1887, modifié par l'arrêté du 29 décembre 1888, et art. 2 du Règlement scolaire modèle des écoles primaires supérieures publiques, du 29 décembre 1888).

II. Classement des élèves. ? Dans toute école maternelle publique, les enfants sont divisés en deux sections, suivant leur âge et le développement de leur intelligence. (Décret du 18 janvier 1887, art. 7, § 1.) Aucune division particulière n'est prescrite pour les classes enfantines.

Dans les écoles primaires élémentaires, l'enseignement est partagé en trois cours : cours élémentaire, cours moyen, cours supérieur. Le cours élémentaire est, en principe, destiné aux enfants de sept à neuf ans ; le cours moyen, aux enfants de neuf à onze ans ; le cours supérieur, à ceux qui ont dépassé la onzième année ; mais cette répartition est plus conforme à la lettre des règlements qu'à la réalité. Bien que l'arrêté organique (art. 9, § 2) ait prescrit comme obligatoire dans toutes les écoles la constitution de ces trois cours, quel que soit le nombre des classes et des élèves, en fait, dans la plupart des écoles de campagne et même dans un bon nombre d'écoles de villes, le cours supérieur n'est pas organisé ou n'existe que de nom, par suite de la fâcheuse habitude prise de présenter au certificat d'études primaires des écoliers de onze ou douze ans qui sortent du cours moyen et qui, pourvus de ce petit diplôme, ne viennent plus à l'école, comme le permet malheureusement la loi du 28 mars 1882, relative à l'obligation scolaire (art. 6, § 2).

L'arrêté organique prévoit, pour les écoles où cela semble nécessaire, la constitution d'une section enfantine pour les élèves au-dessous de sept ans (art. 10).

Enfin, pour classer les élèves qu'ils auront à instruire, les instituteurs doivent tenir compte, non seulement de leur âge, mais encore et surtout de leur degré d'intelligence et de savoir : « Chaque année, est-il dit dans l'arrêté organique, à la rentrée, les élèves, suivant leur degré d'instruction, sont répartis par le directeur dans les diverses classes des trois cours, sous le contrôle de l'inspecteur primaire » (art. 14). Il faut, avant tout, que l'enfant soit apte à profiter des leçons qui lui seront faites.

Ce même arrêté contient (articles 11 à 13) des instructions précises pour le classement des élèves dans les écoles à une . seule classe et dans les écoles à deux, trois, quatre, cinq, six classes et au-dessus.

Afin de rendre l'enseignement réellement simultané et de faire profiter des efforts du maître, non pas seulement quelques enfants, mais toujours la totalité des élèves, le règlement interdit tout concours auquel ne participeraient pas tous les écoliers de l'un au moins des trois cours (Arrêté du 18 janvier 1887, art. 16). Les cours complémentaires ne doivent avoir régulièrement qu'une durée d'un an. Ces cours comprennent au plus, quel que soit le nombre des élèves, deux divisions, qui peuvent être réunies sous un même maître. (Décret du 18 janvier 1887, art. 30, § 5.)

L'école primaire supérieure comprend au moins deux années d'études : elle est dite de plein exercice, si elle en comprend trois ou plus. D'après la nouvelle organisation de cette catégorie d'écoles, l'enseignement est commun à tous les élèves en première année ; mais, dans les années qui suivent, ils peuvent, suivant le but qu'ils se proposent et la carrière qu'ils veulent choisir, être répartis en sections : section d'enseignement général ou sections spéciales : agricole, industrielle, commerciale, maritime. Une section d'enseignement ménager est prévue pour les écoles de filles. (Décret du 26 juillet 1909, modifiant l'ancien texte du décret organique, art. 36.)

Nous ne croyons pas devoir nous arrêter ici, non plus que dans la suite de cette étude, sur les écoles manuelles d'apprentissage, dont la loi du 11 décembre 1880 avait prévu la création et qu'on trouve encore mentionnées dans l'art. 1er de la loi organique du 30 octobre 1886. Ces écoles, en effet, n'ont jamais fonctionné sous le régime que le législateur avait prévu pour elles. Il n'en existe pas une seule aujourd'hui, et l'on peut dire qu'on n'en créera pas à l'avenir, l'enseignement professionnel étant suffisamment assuré, et dans des conditions meilleures, grâce aux écoles pratiques d'industrie et de commerce, créées par la loi du 26 janvier 1892 (art. 69), aux écoles dépendant du ministère de l'agriculture, et aux sections spéciales que le ministre de l'instruction publique peut établir dans les écoles primaires supérieures.

III. Programmes d'enseignement. ? Les matières d'enseignement qui doivent former le programme des établissements d'instruction primaire sont ainsi énumérées dans l'art. 1er de la loi du 28 mars 1882 : l'instruction morale et civique ; la lecture et l'écriture ; la langue et les éléments de la littérature française ; la géographie, particulièrement celle de la France ; l'histoire, particulièrement celle de la France jusqu'à nos jours ; quelques notions de droit et d'économie politique ; les éléments des sciences naturelles, physiques et mathématiques, leurs applications à l'agriculture, à l'hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ; les éléments du dessin, du modelage et de la musique ; la gymnastique ; pour les garçons, les exercices militaires ; pour les filles, les travaux à l'aiguille.

On doit ajouter à cette liste quelques autres matières que la loi du 30 octobre 1886 désigne, assez improprement d'ailleurs, sous le nom d'enseignements accessoires (art. 21), telles que les langues vivantes, la comptabilité.

Il importe de remarquer que ce programme ainsi conçu est une sorte de programme global, un bloc que le législateur, précisant sur ce point sa pensée en 1886, a prescrit, par l'art. 3 de la loi organique, de répartir entre les diverses catégories d'écoles. C'est à cette prescription qu'ont obéi les rédacteurs des règlements organiques du 18 janvier 1887, lorsqu'ils ont spécifié :

Par l'art. 4 du décret, que l'enseignement dans les écoles maternelles et les classes enfantines comprend : 1° des jeux, des mouvements gradués et accompagnés de chants ; 2° des exercices manuels ; 3° les premiers principes d'éducation morale ; 4° les connaissances les plus usuelles ; 5° des exercices de langage, des récits ou contes ; 6° les premiers éléments du dessin, de la lecture, de l'écriture et du calcul ;

Par l'art. 29, que l'instruction primaire élémentaire comprend : l'enseignement moral et civique ; la lecture et l'écriture ; Ta langue française ; le calcul et le système métrique ; l'histoire et la géographie, spécialement de la France ; les leçons de choses et les premières notions scientifiques, principalement dans leurs applications à l'agriculture ; les éléments du dessin, du chant et du travail manuel (travaux d'aiguille dans les écoles de filles), et les exercices gymnastiques et militaires.

C'est aussi en vertu de cette même prescription que les programmes de l'enseignement primaire supérieur, établis une première fois en 1887, puis remaniés en 1893, comprennent aujourd'hui, d'après le décret du 26 juillet 1909 : 1° des matières d'enseignement communes à tous les élèves : morale, instruction civique ; langue française et lecture des belles oeuvres littéraires ; langues vivantes ; histoire nationale et notions d'histoire générale ; géographie de la France et des colonies et notions générales de géographie ; arithmétique appliquée ; calcul rapide ; algèbre et géométrie ; notions de chimie et sciences physiques et naturelles ; notions pratiques d'hygiène ; écriture ; dessin et modelage ; chant ; gymnastique, et, pour les garçons, exercices de préparation militaire ; ? 2° des matières spéciales, variant selon les sections : notions élémentaires d'économie politique et de droit civil ; enseignements théoriques et pratiques en vue de l'industrie, du commerce et de l'agriculture, tels que mécanique, technologie, chimie industrielle, électricité industrielle ; agriculture théorique, chimie agricole ; marchandises, transports et douanes ; sténographie et dactylographie ; comptabilité usuelle, tenue des livres (bureau commercial) ; dessin géométrique, dessin d'art, modelage ; ? pour les garçons, travaux d'atelier, de laboratoire, d'agriculture et d'horticulture ; pour les filles, les soins aux enfants du premier âge, les travaux de ménage ; la lingerie (confection, blanchissage et repassage), le vêtement (coupe, couture et entretien), la cuisine, le soin des appartements, le jardin, la ferme.

Il convient de remarquer qu'aucun programme officiel et général n'a été publié pour les cours complémentaires. Ces cours comprennent nécessairement la révision des matières de l'enseignement primaire élémentaire, et, en plus, comme leur nom même l'indique, certains compléments qui varieront d'école à école suivant le caractère des localités, la nature des occupations auxquelles s'adonnent les habitants, et les besoins des élèves.

IV. Emploi du temps. ? Le temps de la scolarité est court ; le peu d'exactitude de la fréquentation en diminue encore la durée pour un trop grand nombre d'enfants : il importe donc que, grâce à des règles rationnelles et précises, les maîtres usent de la façon la plus efficace des heures dont ils disposent.

Il appartient à chaque directeur d'école, à chaque instituteur de préparer son emploi du temps, qu'il doit ensuite soumettre à l'approbation de l'inspecteur primaire. Pour faciliter ce travail, les auteurs des règlements organiques ont cru devoir édicter quelques prescriptions générales, qu'on trouve dans l'arrêté du 18 janvier 1887 (art. 19), et dont voici le résumé :

Chaque séance doit être partagée entre plusieurs exercices différents, coupés, soit par la récréation réglementaire, soit par des mouvements et des chants. ? Les exercices qui demandent le plus grand effort d'attention, tels que ceux d'arithmétique, de grammaire, de rédaction, seront placés de préférence le matin. ? Toute leçon, toute lecture, tout devoir sera accompagné d'explications orales et d'interrogations. ? Les trente heures de classe par semaine devront être réparties d'après les indications suivantes : Il y aura chaque jour une leçon consacrée à l'instruction morale. L'enseignement du français occupera tous les jours environ deux heures. L'enseignement scientifique occupera chaque jour environ une heure et demie ; une heure pour l'arithmétique, une demi-heure pour les sciences physiques et naturelles. L'enseignement de l'histoire et de la géographie, auquel se rattache l'instruction civique, comportera environ une heure de leçon tous les jours. L'écriture emploiera une heure par jour dans le cours élémentaire. L'enseignement du dessin occupera, dans les deux premiers cours, deux ou trois leçons par semaine. On consacrera une ou deux heures par semaine aux leçons de chant. La gymnastique se fera au moins tous les deux jours dans le courant de l'après-midi. Deux ou trois heures par semaine seront consacrées au travail manuel.

Ce qui précède s'applique à l'emploi du temps journalier: mais il est bon, en outre, que le maître soit, pour l'année entière, guidé dans sa marche ; qu'il ne puisse, sans en être aussitôt averti, se laisser aller à ses préférences et s'attarder complaisamment sur quelque partie duprogramme qu'il doit parcourir en entier durant les dix mois de l'année scolaire. Tel est l'objet des répartitions périodiques, répartitions trimestrielles ou mensuelles, qui sont en usage dans toute école bien organisée. Ces répartitions, faites sous le contrôle de l'administration académique, offrent encore, dans les grandes villes particulièrement, cet avantage de permettre à l'enfant de passer, sans perdre pied, d'un quartier dans un quartier voisin, d'une école dans une autre. Ces répartitions trimestrielles ou mensuelles sont ordinairement départementales. Toutefois, le Conseil supérieur a donné lui-même, à titre d'indication, un exemple de répartition mensuelle ; c'est le programme spécial des leçons de choses de la classe enfantine. Chaque leçon est placée dans le mois où le maître peut facilement mettre sous les yeux des élèves l'objet même de la leçon. C'est en octobre, par exemple, qu'on parle de la vendange, en novembre de l'éclairage, en décembre du chauffage, etc. Modes d'enseignement. ? L'enseignement aujourd'hui, dans nos écoles primaires publiques, doit être personnel, c'est-à-dire donné par l'instituteur luimême : l'enseignement mutuel, si en faveur au commencement du siècle dernier, est maintenant condamné dans la pratique et par les règlements. Tout au plus accepte-t-on comme une nécessité, dans les écoles à un seul maître, l'emploi temporaire de moniteurs pour les matières d'enseignement qui ne peuvent être l'objet de leçons communes faites par l'instituteur.

L'enseignement qu'on recommande est l'enseignement oral : le livre, mis entre les mains des enfants, ne doit être pour le maître qu'un auxiliaire.

L'enseignement doit être simultané : il s'adressera soit à l'ensemble des élèves de l'école, soit au moins à un groupe d'élèves recevant tous en même temps la même leçon : il appartient à un instituteur habile de mettre dans ces leçons communes quelque chose qui soit de nature à intéresser tous les enfants et dont ils puissent profiter. Quand une leçon a ainsi été faite à des écoliers de force différente, on peut ensuite proposer, à titre d'application, aux uns tel devoir, aux autres tel autre, plus facile. Ce qu'il faut éviter avant tout, c'est un enseignement trop individuel qui, en éparpillant les efforts du maître, ne permettrait d'obtenir que de médiocres résultats avec le nombre, souvent considérable, d'enfants auxquels, dans beaucoup de classes, nous avons affaire.

Cette nécessité des leçons collectives est d'ailleurs facilitée par le caractère concentrique des programmes, auquel, d'après les textes officiels, il n'est fait d'exception que pour le cours d'histoire : « récits et entretiens familiers sur les plus grands personnages et les faits principaux de l'histoire nationale jusqu'à la fin de la guerre de Cent ans », pour le cours élémentaire ; « notions sommaires d'histoire de France, insistant exclusivement sur les faits essentiels depuis la fin du quinzième siècle jusqu'à nos jours », pour le cours moyen ; « révision méthodique de l'histoire de France. et notions très sommaires d'histoire générale » pour le cours supérieur. L'enseignement concentrique offre encore cet avantage que, pour les enfants, malheureusement trop nombreux, qui ne parcourent pas tout le cycle des études primaires, soit par manque d'assiduité, soit faute d'intelligence, ce qu'ils emporteront de cette scolarité réduite formera du moins un tout.

Remarques critiques. ? L'organisation pédagogique dont nous venons de tracer les grandes lignes a été l'objet d'un certain nombre de critiques qu'il convient d'examiner. Ces critiques portent sur l'emploi du temps et surtout sur les programmes.

A propos de l'emploi du temps, on s'est plaint d'une réglementation trop minutieuse et absolue, en ce qui concerne surtout le nombre d'heures à attribuer par semaine à l'enseignement de chaque matière : ces règles trop précises et trop sévères gêneraient l'action des maîtres, paralyseraient leur initiative et contribueraient pour une bonne part à donner à notre enseignement primaire élémentaire le caractère abstrait, verbal, qu'on serait en droit de lui reprocher. Ces critiques semblent exagérées. L'arrêté du 18 janvier 1887, en son art. 19, n'est pas rédigé en des termes absolument impératifs : il y est question de moyennes, de minima, et le mot « environ » y figure en plusieurs endroits à propos de la répartition des heures. L'art. 18, d'ailleurs, en confiant au directeur de chaque école le soin de dresser son emploi du temps, prouve bien que l'intention des rédacteurs des règlements organiques n'a pas été d'enlever à l'instituteur toute liberté, et, en fait, c'est dans ce sens que ce texte a été compris et appliqué dans la plupart des départements. Ce qu'on a voulu, c'est guider le maître en lui indiquant ou en lui rappelant les « conditions générales » auxquelles doit satisfaire un emploi du temps rationnellement conçu : les règles édictées sont assez précises pour que l'uniformité des programmes soit partout maintenue, assez élastiques cependant pour qu'on puisse les appliquer aux situations diverses et aux besoins particuliers de chaque école.

La question des programmes a été vivement discutée, surtout en ce qui concerne les écoles primaires élémentaires et les écoles primaires supérieures. Pour les écoles maternelles, les règles que nous avons rappelées (article 4 du décret organique) sont généralement approuvées : tout au plus a-t-on pu reprocher à certaines maîtresses de commencer trop tôt les exercices qui, comme la lecture, l'écriture et le calcul, imposent au petit enfant un effort d'attention excessif ; mais la faute en est à ces maîtresses mêmes, à un zèle maladroit, parfois à l'impatience des parents, et non aux instructions officielles qui condamnent nettement cette hâte antipédagogique (Voir notamment la circulaire ministérielle du 22 février 1905).

Les critiques adressées aux programmes des écoles primaires élémentaires et supérieures sont nombreuses : elles sont parfois contradictoires.

A en croire certaines personnes, qui connaissent, pour la plupart, assez peu nos écoles, les programmes officiels seraient insuffisants : ils contiendraient des lacunes fâcheuses ; et ceux qui formulent ces critiques réclament chacun l'addition des matières d'enseignement qui ont leurs préférences, celui-ci la comptabilité, cet autre des notions sur la mutualité, un troisième l'enseignement antituberculeux, que sais-je encore? L'administration, qui sait combien les instituteurs ont déjà peine à suffire à leur tâche, fait la sourde oreille et, comme le disait en 1909 au Congrès de Nancy le directeur de l'enseignement primaire, s'efforce « de défendre l'école contre quantité de braves gens bien intentionnés qui, sous couleur de bien public, tentent de donner l?assaut à nos programmes, afin d'y faire une petite place à l'enseignement sauveur qui doit remédier à des périls imaginaires ».

En général, on reproche moins à nos programmes d'être incomplets que d'être, au contraire, trop ambitieux et trop touffus. Pour juger la question, il importe, à propos des écoles primaires élémentaires, de se reporter, non pas, comme on le fait trop souvent, à l'article 1er de la loi du 28 mars 1882, mais bien' à l'article 27 du décret organique : c'est une remarque que nous avons déjà faite. Que pourrait-on retrancher dans les matières d'enseignement dont cet article contient l'énumération? Il ne peut évidemment être question de supprimer la lecture et l'écriture, le calcul, le système métrique, les leçons de choses et les Premières notions scientifiques, la géographie de la France. Les éléments du dessin et du travail manuel, notamment les travaux d'aiguille dans les écoles de filles: les exercices gymnastiques ne soulèvent guère non plus d'objections. Que pourrait-on donc supprimer ? L'enseignement moral? Sans doute cette mesure agréerait fort aux ennemis de l'école laïque, aux personnes qui ne reconnaissent qu'aux ministres de leur culte le droit de s'occuper de l'éducation morale du peuple : mais le jour n'est pas proche, espérons-le, où l'Etat républicain abdiquera de la sorte aux mains de l'Eglise. Le chant? L'allégement serait faible, et combien il serait fâcheux de renoncer à un enseignement dont on ne saurait méconnaître la puissance esthétique, moralisatrice, sociale, et dont chez nos voisins, en Allemagne, et en Suisse notamment, on a su tirer un si heureux parti! Quelles économies sont donc possibles? Celle des exercices militaires? Celle-là est faite depuis le jour où l'on a sagement renoncé à jouer au soldat avec des bambins de douze ans, depuis le jour où le dernier « bataillon scolaire » a disparu. Mais il en est d'autres, plus utiles peut-être. Nous ne croyons pas, pour notre part, qu'on puisse, à des enfants aussi jeunes que ceux qui fréquentent l'école élémentaire, faire des leçons d'instruction civique profitables : quel intérêt peuvent présenter pour eux des explications sur le suffrage universel, le conseil général, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, etc., des commentaires sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen? ils retiendront peut-être des mots, quelques formules, mais que peuvent-ils comprendre, à leur âge, au fonctionnement de la cité? C'est là un enseignement qui convient non aux enfants, mais aux adultes, et qui prendra toute son importance le jour où, après l'école, nous aurons, comme cela a lieu dans plusieurs pays étrangers, un enseignement complémentaire obligatoire. Ce jour-là nous verrions aussi réduire volontiers, à l'école primaire, le programme des cours d'histoire : nous attendrons, pour donner à l'enfant les premières notions historiques, les dernières années de sa scolarité, et ces notions se compléteront au cours d'adultes, alors que l'écolier sera en état de comprendre les événements du passé et les faits sociaux actuels. Enfin, et puisque nous parlons d'économies, quel temps ne gagnera-t-on pas quand, en édictant enfin une réforme depuis longtemps attendue, on aura affranchi les maîtres de l'obligation d'enseigner les incohérences de notre orthographe !

On a reproché encore à notre enseignement primaire d'être abstrait, verbal et formel, de se montrer moins soucieux de l'observation des choses que de l'étude des mots, et d'imposer ainsi à l'enfant des efforts sans valeur éducative. S'il est vrai que certains maîtres méritent cette critique, c'est à eux-mêmes qu'il faut s'en prendre, à leur inexpérience, à leur négligence, et non aux rédacteurs des programmes officiels. Qu'on lise les instructions pédagogiques du 27 juillet 1882 et du 18 janvier 1887 qui complètent ces programmes en les commentant, voici ce qu'on y trouvera :

« L'école ne donne qu'un nombre limité de connaissances. Mais ces connaissances sont choisies de telle sorte que non seulement elles assurent à l'enfant tout le savoir pratique dont il aura besoin dans la vie, mais encore qu'elles agissent sur ses facultés, forment son esprit, le cultivent, l'étendent et constituent vraiment une éducation.

« Le maître part toujours de ce que les enfants savent. Il fait voir et toucher les choses, met les enfants en présence de réalités concrètes. Il ne perd jamais de vue que les élèves de l'école primaire n'ont pas de temps à perdre en discours oiseux, en théories savantes, en curiosités scolastiques. »

Partout se montre dans les textes des règlements le souci d'un enseignement « intuitif et pratique », d'une éducation fondée sur la recherche, sur l'observation directe des choses ou des faits, et certes aucun maître, en se conformant à ces prescriptions, ne saurait avec justice être accusé de formalisme.

On a souvent exprimé le regret que les programmes fussent trop uniformes : on n'a pas, dit-on, en les rédigeant, tenu suffisamment compte des besoins régionaux, des conditions de la vie dans les divers milieux. Cette idée d'une adaptation de l'enseignement de l'école aux diverses conditions locales est certainement juste dans une certaine mesure : c'est celle que développait le ministre de l'instruction publique dans une circulaire du 18 novembre 1871, où il est dit que, l'enseignement primaire offrant d'une province à l'autre les plus grands contrastes par suite de la configuration du sol, de l'agglomération ou de la dissémination des habitants, de leur genre de vie, de la répartition de la propriété, de la nature des cultures et des industries, on ne peut appliquer partout des règles uniformes, mais qu'à des règlements généraux il convient d'ajouter le complément de dispositions très particulières appropriées aux circonstances locales, de sorte que les écoles aient un programme d'enseignement en rapport avec la situation spéciale du pays et les habitudes de la population, ainsi qu'un emploi du temps en harmonie avec ce programme.

Si, dans les instructions officielles aujourd'hui en vigueur, on ne trouve pas cette idée exprimée ainsi en termes fort nets, il n'en faudrait pas conclure qu'elle ait été méconnue et repoussée : elle a été, au contraire, consacrée par la loi organique, dont il suffit de lire l'article 16, ainsi conçu : « L'enseignement dans les écoles publiques est donné. d'après un plan d'études délibère en Conseil supérieur. Pour chaque département, le Conseil départemental arrêtera l'organisation pédagogique des diverses catégories d'établissements par des règlements spéciaux conformes au plan d'études ci-dessus. » Si les programmes et les instructions du 18 janvier 1887, qui correspondent à ces « règlements généraux » dont il était question dans la circulaire précitée, sont uniformes, c'est aux Conseils départementaux, chargés de cette mission par le législateur, qu'il appartient de les compléter par les « dispositions très particulières appropriées aux circonstances locales ». Ces assemblées départementales ont-elles partout usé efficacement de leur droit? ont-elles toujours été suffisamment incitées à l'exercer par l'administration académique ? Nous n'oserions l'affirmer ; mais leur autorité, en cette matière, est indéniable, et l'on peut, croyons-nous, y faire appel avec profit.

Nous ajouterons, d'ailleurs, que la meilleure adaptation des programmes aux besoins particuliers des diverses régions sera l'oeuvre de l'instituteur lui-même : c'est à lui, à son tact, à son bon sens, à son aptitude pédagogique en un mot, qu'il appartiendra de choisir judicieusement et de varier, selon les milieux, les sujets de ses causeries, ses exemples, les exercices d'application proposés aux élèves. Avec des maîtres habiles, on peut être tranquille : même en l'absence de textes officiels, des différences notables existeront entre la classe d'une école urbaine ou celle d'une école rurale, entre le travail qu'auront à faire les enfants dans la montagne ou sur le bord de la mer, dans une région viticole comme le Bordelais ou dans un milieu industriel comme le Creusot.

Il faut pourtant, en cette matière, se garder d'un excès dangereux et vouloir, sous prétexte d'adaptation, introduire à l'école primaire élémentaire l?enseignement professionnel et technique. Il y a, pour cela, des raisons multiples.

Savons-nous ce que deviendra plus tard l'enfant qu'on nous confie? Sera-t-il agriculteur, maçon, marin, employé de commerce? Nous l'ignorons. Même dans les centres où telle ou telle profession, telle ou telle industrie occupe la majorité des habitants, lien ne nous garantit que cette occupation sera plus tard la sienne, et nous n'avons pas à l'y destiner par avance, de gré ou de force.

Cet enseignement professionnel, ou le plus souvent ces enseignements professionnels différents dans une même localité, qui en serait chargé? L'instituteur? Croit-on qu'il puisse acquérir à cet égard la compétence indispensable? Des maîtres spéciaux? Quelle dépense pour les communes! Et en combien d'endroits, d'ailleurs, ces maîtres pourraient-ils être recrutés?

Pas d'enseignement professionnel sérieux, utile, sans des exercices d'application fréquents, sans une pratique constante du métier : or, pour la plupart des professions, ces exercices manuels exigent une force physique que ne possède pas encore l'enfant d'âge scolaire. Les expériences faites ont notamment démontré qu'il était fâcheux pour l'enfant, pour son développement normal, de lui imposer trop tôt le travail à l'établi ou à l'étau.

Enfin, et c'est là la raison qui l'emporte sur toutes les autres, l'instituteur primaire a une autre tâche que d'apprendre à l'écolier les éléments de tel ou tel métier manuel ; il a à lui apprendre son métier d'homme, à cultiver ses facultés, à développer ses qualités d'esprit et de caractère, à le mettre à même de jouir plus tard sainement de la vie, de tenir utile ment et honorablement sa place dans la société dont il sera membre. Quant à l'enseignement professionnel que l'école élémentaire ne peut lui donner, l'enfant le recevra plus tard, après la période de scolarité obligatoire, soit à l'école pratique d'agriculture, d'industrie, de commerce, s'il fréquente un de ces établissements d'instruction, soit dans une des sections spéciales que comportent aujourd'hui nos écoles primaires supérieures, soit en travaillant aux champs, à l'atelier, et en profitant, s'il le veut, des cours techniques dont le nombre s'accroît chaque année, grâce aux efforts des municipalités, des chambres de commerce, des associations d'enseignement, des syndicats de patrons et d'ouvriers.

Félix Martel