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Niemeyer

 Hermann-Auguste Niemeyer est le plus éminent des successeurs de Francke, et le représentant principal de cette école de pédagogie qui chercha au commencement du dix-neuvième siècle, en Allemagne, à formuler une doctrine éclectique. Né à Halle le 2 septembre 1754, et arrière-petit-fils de Francke du côté maternel, il fit ses études à l'universite de cette ville. Son premier ouvrage, intitulé Charakteristik der Bibel (1775), eut un grand succès, et le fit nommer professeur extraordinaire de théologie à l'université en 1779. En 1784 il obtint le titre de professeur ordinaire, et en même temps fut chargé des fonctions d'inspecteur du célèbre Paedagogium (Voir Franche). L'année suivante, il devint co-directeur de l'ensemble d'établissements connus sous le nom de « fondations de Francke » (Franckesche Stiftungen). Un nouvel écrit théologique, intitulé Populäre und praktische Théologie (1792), lui attira quelques persécutions, parce que le ministère prussien crut y voir des doctrines hétérodoxes, empruntées à la philosophie de Kant ; l'ouvrage fut interdit ; mais, grâce à la protection du roi Frédéric-Guillaume II, qui témoigna toujours à Niemeyer une bienveillance spéciale, ce petit orage n'eut pas de conséquences fâcheuses pour le professeur. C'est à cette époque que Niemeyer conçut le plan de son grand ouvrage pédagogique, les Principes de l'éducation et de l'enseignement (Grundsätze der Erziehung und des Unterrichts für Eltern, Hauslehrer und Erzieher), dont la première édition parut en 1796 en un seul volume. L'ouvrage, accueilli avec beaucoup de faveur, eut une seconde édition la même année ; en 1799 parut la troisième, déjà fort augmentée, en deux volumes : en même temps Niemeyer devenait, par la mort de Schultze, directeur unique des « fondations de Francke ». Une quatrième édition des Principes de l'éducation parut en 1801. La cinquième, en 1806, fut augmentée d'un troisième volume, où se trouvait entre autres un examen critique de la méthode de Pestalozzi, dont l'auteur fit plus tard un ouvrage spécial sous le titre de Pestalozzis Grundsälze und Methoden : Niemeyer y montre un esprit libéral, disposé à accueillir sans étroitesse les réformes et les nouveautés ; mais il conteste la justesse des principes pestalozziens, et déclare ne pouvoir s'associer aux espérances de ceux qui attendaient de l'application d'un procédé d'enseignement la régénération de l'humanité.

L'année même où il publiait cette cinquième édition de son livre, la ville de Halle était occupée par les troupes françaises, et Napoléon, vainqueur à Iéna, ordonnait la fermeture de l'université. Niemeyer fut arrêté le 18 mai 1807 et envoyé à Paris comme otage avec quatre autres personnes de marque ; mais il recouvra la liberté cinq mois plus tard, et, après que Halle eut été incorporé au nouveau royaume de Westphalie, il obtint du roi Jérôme la réouverture de l'université, dont il fut nommé chancelier et recteur perpétuel en 1808. Sa situation était très délicate ; il fallait ménager les vainqueurs, tout en conservant des relations amicales avec la Prusse, dont le roi Frédéric-Guillaume III témoignait, comme son père, une bienveillance toute particulière au pédagogue de Halle. Mais Niemeyer joignait à beaucoup de dignité et de fermeté toutes les qualités du diplomate ; il sut profiter de la faveur du roi Jérôme pour donner un nouvel essor à l'université de Halle et au Paedagogium, et en même temps il témoignait un attachement plein de reconnaissance au roi de Prusse, auquel il dédia, en 1810, la sixième édition de ses Principes de l'éducation. Toutefois, lorsqu'en 1813 la jeunesse des universités allemandes prit les armes contre la France, Niemeyer devint suspect à Napoléon, qui le destitua et ordonna en juillet 1813 la suppression de l'université de Halle.

Niemeyer se rendit alors auprès du roi de Prusse ; et après la conclusion de la paix, il obtint de lui le rétablissement de l'université (1816), à la tête de laquelle il fut de nouveau placé. Mais quelques années plus tard, quand le gouvernement prussien, redoutant la propagande des idées libérales, plaça dans chaque université un commissaire extraordinaire, Niemeyer, tout en gardant son titre de chancelier et de recteur, se vit enlever de fait l'autorité rectorale. Il abandonna en 1820 les fonctions d'inspecteur du Paedagogium à son gendre Jacobs, mais garda jusqu’à sa mort celles de directeur des « fondations de Francke ». Il occupa ses dernières années à la publication de trois nouvelles éditions de ses Principes, en 1818 ; en 1824 et en 1827. Il mourut à l'âge de soixante-treize ans, en pleine possession de toutes ses facultés, le 7 juillet 1828.

Outre les ouvrages dont nous avons parlé, Niemeyer — qui était aussi un philologue et un poète — a publié diverses éditions de classiques grecs, des drames religieux, des hymnes et des poésies lyriques. Il a écrit une Histoire du Paedagogium de Halle pendant le premier siècle de son existence (1796). En 1813, il lit paraître un Recueil de passages des classiques grecs et latins relatifs à la théorie de l'éducation. Ses Observations faites en voyage (Beobachtungen auf Reisen), publiées en cinq volumes, de 1820 à 1826, contiennent le récit des voyages qu'il accomplissait presque chaque année et qui le conduisirent successivement dans les divers Etats de l'Allemagne, en Hollande, en France et en Italie ; c'est un recueil des plus intéressants.

Son livre capital, les Grundsätze der Erziehung und des Unterrichts, dans la forme définitive qu'il a reçue en 1827, se compose de quatre parties. La première traite de la pédagogie proprement dite (Pädagogik) ; l'auteur y passe successivement en revue l'éducation physique (korperliche Erziehung) et l'éducation de l'esprit (geistige Erziehung) : il divise celle dernière en éducation intellectuelle, esthétique et morale. La seconde partie comprend la didactique ou théorie de l'enseignement (Unterrichtslehre oder Didaktik), divisée en deux sections : 1° principes généraux de l'enseignement ; 2° lois spéciales de l'enseignement de la jeunesse relativement aux principales matières du programme. Dans cette deuxième section consacrée à la didactique spéciale, l'auteur donne successivement des préceptes pour l'enseignement de la langue maternelle ; de l'écriture, du dessin et du chant ; de l'arithmétique et des mathématiques ; de la géographie et de l'histoire ; des sciences naturelles, de la science de l'homme, et des éléments de la philosophie ; des langues étrangères, modernes et anciennes ; de la rhétorique et de la poésie ; de la religion et de la morale. La troisième partie traite de l'organisation des écoles et des établissements d'instruction publique des diverses catégories ; dans la première section, on trouve des considérations générales sur l'organisation de l'instruction publique ; dans la seconde section, des chapitres spéciaux sont consacrés aux écoles normales, aux écoles primaires tant urbaines que rurales, aux écoles primaires supérieures, aux écoles de filles, aux écoles militaires et aux gymnases. La quatrième partie, enfin, traite de l'éducation domestique. Dans un supplément, l'auteur esquisse brièvement l'histoire de l'éducation et des doctrines pédagogiques, depuis les Grecs et les Romains jusqu'aux premières années du dix-neuvième siècle.

Niemeyer distingue dans les temps modernes quatre écoles pédagogiques principales : l'école religieuse ou école de Francke ; l'école des humanistes, représentée en Allemagne au dix-huitième siècle par Ernesti, Heyne et Wolf ; l'école des philanthropinistes ; et l'école des éclectiques, dans laquelle il se range lui-même. Le but de son livre, écrit-il, est « de contribuer à faire connaître ce que le passé offre de vraiment méritoire, ainsi que les améliorations qui ont pu être réalisées depuis ; de mettre à la portée des éducateurs et des maîtres de la jeunesse ce qui a été dit ou fait de meilleur dans tous les temps, et d'arriver ainsi à établir, sur la base de l'expérience, les règles solides de l'éducation et de l'enseignement ». Il dit ailleurs : « Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est avant tout l'éveil de toutes les énergies et de toutes les bonnes volontés. Il ne faut pas s'enchaîner à des formules — l'expérience a montré que l'esprit peut s'en retirer pour ne laisser qu'une lettre morte ; il ne faut pas non plus attendre de quelque révolution subite un renouvellement général de l’éducation, ni fonder des sectes et des écoles, mais éprouver chaque chose et la juger d'après sa valeur intrinsèque, sans se préoccuper de savoir si elle est vieille ou nouvelle, et bien se persuader qu'il n'existe pas plus, en pédagogie, de méthode unique et exclusive, qu'il ne peut exister en religion d'Eglise possédant seule le privilège de conférer le salut. »

Il existe une traduction française du grand ouvrage de Niemeyer, publiée par J.-J. Lochmann, sous le titre de Principes d'éducation, en trois volumes, Lausanne, 1835-1847. M. Durivau a donné également une traduction de l'opuscule critique consacré à Pestalozzi, sous le titre d'Examen raisonné de la méthode de Pestalozzi, Paris, 1832.