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Naville

François-Marc-Louis Naville, éducateur genevois, est né à Genève le 11 juillet 1784, et mort à Vernier près Genève, le 22 mars 1846. Son père était ministre protestant, et professeur de grec à l'académie de Genève ; il le perdit lorsqu'il n'avait que quatre ans ; sa mère était déjà morte deux ans auparavant. Le jeune orphelin fut élevé par son grand-père maternel d'abord, M. Colladon, puis par un parent, M. Naville de Gallatin. Quand il eut atteint l'âge où il devait suivre les cours de l'académie, il commença ses nouvelles études sous la direction de M. le pasteur et professeur Duby, son parent, dans la maison duquel il passa sa jeunesse. Après de sérieuses réflexions sur le choix de la carrière qu'il devait suivre, Naville résolut de se vouer au ministère ecclésiastique. Il fut reçu pasteur en 1806, et desservit d'abord, durant l'hiver de 1807, la paroisse de Dardagny. Il désira ensuite, par quelques voyages, perfectionner ses connaissances et élargir le champ de ses observations. Il se dirigea vers le midi. Il aida, à Marseille, dans les travaux de son ministère, son ami le pasteur Chennevière, et prêcha dans diverses églises de cette partie de la France. De retour à Genève, il se prépara par des études spéciales à un plus long voyage, puis partit pour l'Italie, où il visita Florence, Rome et Naples. A son retour, en 1810, il épousa Mlle Arnold, de Vizille, et peu de mois après, en 1811, il fut appelé à la cure de Chancy. L'éducation des enfants, l'instruction religieuse des catéchumènes, le chant sacré, furent les principaux objets de sa sollicitude. Mais un découragement né de la grandeur même du but qu'il poursuivait l'amena à donner sa démission, et en 1819 il alla s'établir à Vernier. Il continua, dans sa nouvelle résidence, un établissement d'éducation commencé à Chancy en faveur de ses fils, dont il avait désiré ne pas se séparer. Il s'inspira, dans cette oeuvre, des idées du P. Girard de Fribourg, avec lequel il soutint, dès 1818, les relations d'une estime et d'une affection mutuelles. Développer l'être en vue de son existence à venir était pour lui le but principal que doit se proposer l'éducation. Le succès fut une digne récompense de ses efforts désintéressés.

Le pensionnat de Vernier acquit une réputation universelle, et le nom de Naville fut bientôt connu en Europe à l'égal de ceux du P. Girard, de Niederer et de Fellenberg. Il resta à la tête de son institut d'éducation jusqu'à sa mort. Ses élèves ont élevé un monument à sa mémoire dans le cimetière de Vernier.

François Naville a laissé de nombreux écrits. Nous nous bornerons à quelques indications sur ses deux principaux ouvrages.

Un mémoire qui obtint une médaille d'or à un concours ouvert en 1828 par la Société des méthodes d'enseignement de Paris, devint la base du livre sur l'Education publique, dont deux éditions successives furent publiées en 1832 et 1833 (Genève et Paris). Le point de vue fondemental de cet ouvrage est la nécessité de faire servir l'enseignement au développement des facultés, et de diriger ce développement dans le sens de la culture morale et religieuse de l'âme. L'auteur estimait, avec le P. Girard, qu'il ne suffit pas de joindre, aux moyens mis en oeuvre pour l'instruction, d'autres moyens ayant l'éducation pour but, mais que la formation de l'âme, but suprême de l'éducation, doit imprimer sa direction à l'enseignement tout entier. Pour que ce but puisse être atteint, il faut que l'étude ne porte pas sur des mots, mais sur des idées. Rendre l'étude rationnelle pour qu'elle puisse devenir un moyen d'éducation, tel est le but auquel il faut tendre sans cesse. Ce point obtenu, il faut avoir égard aux nécessités diverses qui résultent de la double destination de l'homme : de sa destination immortelle, comme chrétien, et de sa destination temporaire, comme membre d'une société déterminée, offrant des circonstances qui varient avec les temps et les lieux. En partant de cette hase, le livre de l'Education publique trace un plan complet pour les établissements de tous les degrés appropriés aux besoins particuliers de la France.

En 1831, Naville partagea avec De Gérando et un autre écrivain un prix proposé par l'Académie française sur le sujet de la charité. Une partie de son mémoire, étendue et complétée, devint le livre de la Charité légale, publié en deux volumes en 1830. L'auteur s'y prononce contre toute organisation légale de la charité et n'admet d'autre action, pour le soulagement des misères humaines, que celle de la charité privée.

Dans les dernières années de sa vie, Naville s'occupa surtout de travaux relatifs à la publication des manuscrits de Maine de Biran, qu'il avait personnellement connu ; il en a donné quelques fragments dans la Bibliothèque universelle de Genève. Les oeuvres de Maine de Biran ont été publiées depuis par les soins de M. Ernest Naville, fils du pédagogue genevois.

Naville a écrit en outre plusieurs brochures, dont la plupart sont relatives à l'éducation et ont été imprimées par la Société genevoise d'utilité publique ; divers articles de philosophie insérés dans la Bibliothèque universelle de Genève ; un mémoire sur l'Eclectisme, qui obtint un grand succès au Congrès scientifique de Strasbourg, en 1842 ; un Mémoire explicatif du tableau des études dans l'établissement de Vernier, qui fut son dernier ouvrage et parut en 1846.

François Naville avait les qualités de l'éducateur pratique plus encore que celles de l'écrivain. Son caractère bienveillant, vrai, simple, lui attirait la confiance de ceux qui entraient en rapport avec lui ; il voyait le bon côté des gens avec plus de facilité que le mauvais. Dans ses fréquents voyages pédestres, il abordait facilement toutes sortes de personnes, et savait presque toujours tirer quelque chose d'intéressant de leur conversation, même de celle de gens très simples.

« Il avait acquis, nous écrit sa fille, une grande facilité d'écrire en marchant ; il pouvait aussi composer au milieu du bruit et du mouvement qui auraient empêché d'autres de réunir leurs idées. En octobre et novembre 1830, je fis avec lui une course d'un mois, la plus grande partie à pied, de Vernier à Bourg, Mâcon, Lyon, Saint-Etienne, Grenoble, Chambéry ; partout il recueillait des informations, des matériaux pour ses deux ouvrages de l'Education publique et de la Charité légale ; je le vis écrire pendant deux à trois heures, presque de suite, en marchant du pas raisonnable d'un voyageur. Un soir, après une journée pendant laquelle une petite pluie nous avait passablement incommodés, nous arrivons dans un petit village du Jura, et nous demandons l'hospitalité à l'auberge de l'endroit, une auberge fréquentée surtout par des rouliers. Nous nous installons, pour nous chauffer et nous sécher, auprès du feu de la cuisine, sous le manteau d'une de ces grandes cheminées villageoises. Mon père tire de sa poche son cahier et son bout de crayon, et se met à écrire ; la servante, qui avait à manoeuvrer ses grosses marmites pour préparer le repas de ses hôtes, vient, du ton un peu bourru d'une personne affairée qu'on embarrasse, nous sommer de lui laisser le champ libre ; mon père, sans discontinuer sa composition, se retire autant que possible en gardant un peu du bénéfice du feu. Ce qu'il écrivait dans ce singulier cabinet de travail, c'est l'épilogue de son ouvrage sur l'éducation. »

Les renseignements contenus dans le présent article sont dus aux obligeantes communications de M. Ernest Naville et de Mme Naville-Todd. On pourra trouver d'autres détails dans la note publiée par M. Diodati dans la Bibliothèque universelle de Genève, numéro d'août 1846, et dans un article de J.-J. Rapet (Journal de la Société pour l'instruction élémentaire, février 1846).