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Mythologie

 Dans l'ancienne éducation, l'étude de la mythologie grecque et romaine, enseignée aux élèves des collèges au moyen de l'Appendix de diis et heroibus du P. Jouvency, n'avait guère d'autre but que de faciliter l'intelligence des auteurs classiques et d'aider à faire des vers latins. La connaissance de la « fable » faisait aussi partie de l'éducation d'une jeune personne, au même titre que la danse et la musique. Aujourd'hui, la science des religions nous a appris à considérer la mythologie à un point de vue moins frivole ; nous savons que les croyances religieuses d'un peuple sont un des éléments les plus importants de son histoire. Aussi une large place est-elle faite désormais, dans l'enseignement de l'histoire ancienne, à l'exposé des mythes religieux des différents peuples.

« Il n'y a pas encore très longtemps, dit Albert Réville, que la notion du mythe est acquise à la science. Notre littérature classique ne la connaît pas. Pour elle, il n'y a que les deux catégories de l'histoire réelle et de la fable inventée à dessein, avec la claire conscience qu'elle n'est qu'une fiction. Il a fallu les recherches approfondies qui se sont faites à la fin du dix-huitième siècle en France et surtout en Allemagne sur le terrain de l'histoire religieuse pour qu'on découvrît la vraie nature des récits mythiques, lesquels ne sont ni des histoires ni des fables, ne racontent ni des faits réellement accomplis comme les premières, ni des faits d'invention arbitraire et voulue comme celles-ci.

« Pour comprendre comment se sont formés les mythes, il faut se reporter en imagination aux âges de la complète ignorance, quand l'homme commençait seulement à sortir de la vie purement instinctive et à jeter un regard curieux sur le monde. Il fut alors, comme nous l'avons tous été dans notre enfance, porté à animer, à personnifier, à dramatiser les choses inanimées. C'est dans un état d'esprit tout semblable à celui de l'enfant que l'homme regarda Primitivement les phénomènes de la nature. Dans éclair il vit tantôt les replis d'un grand serpent de feu, tantôt la lance ou l'épée brandie par un guerrier céleste caché derrière la nue orageuse. Les nuages furent tantôt de bonnes vaches laitières qui nourrissaient la terre, tantôt les boeufs du soleil, ou des cygnes, ou des dragons monstrueux. L'orage était un combat entre des puissances lumineuses, bienfaisantes, amies des hommes, et des puissances ténébreuses, destructives, redoutables. Ainsi se formèrent, non pas encore des mythes, mais des éléments mythiques dont le rapprochement et la mise en action formèrent ensuite les mythes complets.

« Du moment que la nature paraissait remplie d'êtres animés ayant des sentiments, des désirs, des passions tout à fait analogues à ceux de l'homme, il était tout simple d'appliquer à leurs rapports apparents les analogies de la vie humaine. Cette propension à dramatiser ainsi les faits de l'ordre naturel donna lieu, en Grèce surtout, à ces innombrables récits où sont décrits les rapports, les alliances, les parentés, les amours et les rivalités des innombrables dieux et déesses des diverses religions polythéistes.

« Lorsque, dans l'antiquité elle-même, les esprits, plus éclairés, ne purent ajouter foi comme auparavant à tous ces naïfs récits mythologiques, il s'en fallut bien que leur véritable origine fût reconnue par ceux qui s'en occupèrent. L'explication la plus répandue, bien qu'elle fût inadmissible, fut que les dieux et déesses étaient d'anciens rois et reines divinisés après leur mort. Cette explication s'appuyait entre autres sur le fait qu'on montrait en Crête le berceau et le tombeau de Jupiter. Ce genre d'explication, aujourd'hui tout à fait abandonne, s'appelle l'évhémérisme, du nom d'Evhémère, bel esprit qui vivait à la cour du roi macédonien Cassandre dans la seconde moitié du quatrième siècle avant l'ère chrétienne, et qui contribua beaucoup à le mettre à la mode.

« On appelle mythologie comparée une science qui s'occupe de rapprocher les traditions mythiques des diverses nations pour en rechercher les traits communs et les origines soit distinctes, soit identiques. Cette science a jeté de vives lumières sur les origines anté-historiques et les parentés des peuples. C'est elle qui a porté le dernier coup à l'évhémérisme en montrant que les noms de beaucoup de divinités grecques étaient déjà connus et invoqués sur les bords de l'Indus par les Aryas, cousins germains des Grecs ; que ces noms védiques ne sont pas autres que ceux qui désignaient, dans la langue commune primitive des deux peuples, le ciel, l’aurore, le soleil, la lune, le vent, les nuages, en un mot la plupart des phénomènes personnifiés sous les noms des dieux grecs.

« Le mythe est fils de l'imagination et du travail spontané, irréfléchi, de l'esprit humain. Par conséquent il est étranger aux âges de réflexion et de travail méthodique. On voit la faculté de produire des mythes aller en diminuant à mesure que les peuples s'instruisent et s'éclairent. Au moyen âge il se forma encore de véritables mythes dans la tradition populaire, par exemple celui du Juif Errant, conception bizarre qui personnifie pourtant si bien la destinée lamentable du peuple juif à cette époque. Bien des légendes locales sont de véritables mythes racontant la victoire du christianisme, entés souvent sur un mythe païen antérieur qui racontait la victoire des forces lumineuses et bienfaisantes sur les puissances des ténèbres. De nos jours, l'influence prépondérante des classes instruites empêche absolument les mythes de se constituer et de se répandre. Pourtant les éléments mythiques sont encore à l'état latent au fond des masses encore étrangères à la culture moderne ; on en voit quelquefois surgir comme des ébauches ou des commencements, lorsqu'un personnage ou un événement frappe vivement l'imagination populaire, et le tour d'esprit mythologique ne disparaîtra tout à fait que le jour où l'instruction publique aura partout répandu sa lumière. »