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Myopie

 Il n'y a pas longtemps que l'on a commencé de se préoccuper de l'hygiène de la vue dans les écoles, et l'on peut bien dire que c'est un des points de l'hygiène scolaire qui est encore à présent le plus universellement méconnu ou négligé, sauf dans quelques établissements des grandes villes. Et cependant, s'il faut en juger par les résultats des récentes enquêtes scientifiques, c'est un des points les plus importants de cette science. Les observations faites en Allemagne ont révélé que sur cent enfants qui fréquentent l'école primaire, il y en a une vingtaine dont la vue a subi de notables altérations. Les travaux des hygiénistes suisses et américains ont conduit à des conclusions peu différentes. Il est permis de conjecturer qu'il n'en va pas autrement de nos écoliers. Une enquête, qui a porté spécialement sur les écoles primaires de la Ville de Paris, a donné pour résultat une moyenne de 1 myope sur 6 enfants, ce qui est évidemment une proportion fort alarmante. La même enquête a démontré qu'un tel état de choses n'est point imputable à quelque disposition constitutionnelle de la population scolaire, mais bien à l'organisation même du travail : car cette proportion est celle que l'on observe dans le cours supérieur, alors que le cours élémentaire ne compte pas un myope sur cent. Il semble donc hors de doute que les cinq années d'études aboutissent à déterminer la myopie, et cela dans cette proportion redoutable de 17 ou 18 %.

Peut-être ne serait-il pas tout à fait sage d'accepter sans réserve des conclusions aussi rigoureuses. La question, encore une fois, est de fraîche date. L'étude n'a pu qu'en être abordée. Notre instinct nous porterait à croire que peut-être une expérience plus longue, des travaux plus approfondis, et portant sur des observations plus étendues et plus nombreuses, auront pour résultat de calmer une alarme qui nous semble quelque peu exagérée. Nous avons peine à admettre que l'oeil humain soit un organe si fragile, d'une construction si peu résistante, qu'il suffise de quelques heures de séjour quotidien dans une école pour le fausser gravement. Nous avons coutume de constater dans les organes de l'enfance un bien autre pouvoir d'accommodation aux circonstances et de persistance dans leur type normal à travers des milieux défavorables.

Quoi qu'il en soit, c'est là une impression toute personnelle, et qui d'ailleurs ne nous empêche pas d'attacher une grande importance à la question de l'hygiène de la vue de l'écolier, et d'engager nos lecteurs à ne pas la traiter à la légère.

D'abord, qu'est-ce que la myopie, et à quels signes la reconnaît-on ?

La myopie est une déformation de l'appareil lenticulaire de l'oeil. On sait que l'oeil forme un appareil d'optique absolument comparable à la chambre noire des photographes. Il se compose d'une chambre noire percée en avant d'une ouverture dans laquelle s'enchâssent des lentilles convergentes. Le fond de la chambre est tapissé par une membrane sensible, la rétine, sur laquelle viennent se peindre les images renversées des objets.

A l'état normal, la courbure des lentilles oculaires et la distance du cristallin à la rétine sont telles, que les images de tous les objets placés à des distances variant de 25 centimètres à l'infini viennent tomber juste sur l'écran rétinien.

Il n'en est pas de même de l'oeil myope. La myopie résulte d'un excès de courbure des lentilles optiques, et par conséquent d'un excès de pouvoir convergent, joint à un allongement antéro-postérieur de l'oeil. Il en résulte que le cône de réfraction est trop court et la rétine trop éloignée, que les images viennent tomber en deçà de la rétine, et que le myope ne voit pas les objets un peu distants. Veut-il regarder un objet qu'il tient à la main ? Il le rapproche instinctivement de ses yeux de façon à allonger le cône de réfraction et à faire tomber l'image sur la rétine même. La myopie est donc, en somme, une malformation de l'oeil en vertu de laquelle les objets extrêmement rapprochés sont les seuls qui soient nettement perçus.

On reconnaît le myope à ce qu'il ne voit distinctement qu'à de très petites distances. Un instituteur veut-il s'assurer qu'un enfant a les yeux bien constitués? Qu'il le fasse lire dans un volume tenu à bout de bras: s'il est myope, il n'y pourra réussir. Quand un enfant ne reconnaît ses petits camarades qu'au moment où il les touche, quand il ne peut suivre une explication au tableau ou à la carte murale, quand il lit ou écrit la tête sur le papier, il n'y a pas de doute qu'il soit myope.

Ce qu'il importe de savoir, c'est que si la myopie détermine l'habitude de regarder de très près, l’inverse n'est pas moins vrai : l'habitude de regarder de très près détermine la myopie. Un oeil sain que l'on contraint longtemps de suite à donner les images d'objets rapprochés à l'excès, finit par se modifier de façon à s'accommoder à ces distances trop courtes. L'axe antéro-postérieur s'allonge, le cristallin se bombe, et, au bout d'un temps suffisamment long, la myopie est confirmée.

Un autre point également important, c'est que toute fatigue de la vue influe sur l'oeil de manière à le disposer à la myopie.

Ces deux observations générales suffisent à nous montrer quelles sont les influences à redouter et à éviter. Toutes les circonstances qui pourront provoquer la fatigue de la vue ou créer l’habitude de regarder de près, exposeront les élèves à la myopie. Il suit de là que trois grandes causes concourent à déterminer cette déformation des yeux : le mauvais éclairage des classes, l'attitude vicieuse des élèves, les livres ou les cartes murales imprimés en caractères trop fins.

En ce qui concerne l'éclairage, sans entrer ici dans la discussion des mérites respectifs des divers systèmes, il nous suffit de formuler ce principe : l'éclairage n est sans danger pour la vue de l'écolier que lorsqu'il est suffisant pour tous les élèves, c'est-à-dire lorsqu'il fait suffisamment clair à la place la plus sombre. C'est là une formule qui manque assurément de précision. Toutefois il ne nous paraît pas possible de lui en communiquer davantage. Dire, comme la Commission d'hygiène scolaire, qu'il faut que « l'oeil placé au niveau de la table la moins favorable puisse voir directement le ciel dans une étendue de trente centimètres », nous semble une formule plus singulière que juste. Nous connaissons des classes largement éclairées, par les fenêtres desquelles on n'aperçoit pas le plus petit morceau de ciel.

L'attitude vicieuse tient le plus souvent à la mauvaise disposition du mobilier scolaire. Nous ne voulons pas revenir sur un point qui a reçu ailleurs tous les développements désirables (Voir Mobilier scolaire et Tables). Nous nous bornons à rappeler ici que la bonne construction des tables-bancs est celle qui oblige l'élève à écrire le corps droit et la tête relevée. Il faut pour cela que le bord antérieur du pupitre surplombe légèrement le banc, que ce banc soit muni d'un dossier qui soutienne les reins de l'enfant, et qu'une tablette fournisse aux pieds un point d'appui solide.

Une autre cause de l'attitude vicieuse, c'est le genre d'écriture imposé à l'élève, l'écriture penchée, dite anglaise. Ecriture droite, sur le papier droit, le corps droit, tel est le principe le plus conforme, sinon à l'esthétique, du moins à l'hygiène.

Il va de soi que les livres imprimés trop fin sont une cause de fatigue pour les yeux et par conséquent exposent à la myopie. La commission d'hygiène a formulé comme suit les conditions de bonne impression : « Les livres classiques ne doivent pas être imprimés plus fin qu'en corps 8 interligné d'un point. Il ne doit pas y avoir plus de sept lettres par centimètre courant de texte. Des caractères moindres ne sont admissibles que par exception et pour des notes de peu d'étendue. »

La teinte jaune qui est de mode en ce moment pour les livres scolaires est excellente. Elle enlève au papier cet éclat blanc qui est à la longue si fatigant pour la rétine.

Pour ce qui est des cartes murales ou des tableaux, il faut autant que possible proscrire les surfaces vernies, dont le chatoiement fatigue l'oeil. La Commission d'hygiène a émis une proposition qui nous semble de tout point excellente : c'est que les cartes portassent deux catégories de noms, les uns, peu nombreux, destinés à être lus aisément à une distance de quatre mètres, les autres, plus fins, visibles à un mètre de distance. Quoi qu'il en soit, l'instituteur évitera le plus possible de faire lire les élèves de leurs places. Il tâchera de ménager au pied de la carte murale un espace libre, dans lequel il groupera les enfants qui doivent prendre part à l'exercice, de façon qu'ils soient rapproches des noms à déchiffrer, et qu'ils n'aient pas à se fatiguer pour les apercevoir.

Toutes ces règles, en somme, sont très simples, et telles que le seul bon sens suffirait à l'instituteur, non seulement pour les appliquer, mais pour les découvrir. Ne pas laisser les enfants lire ou écrire à trop courte ni à trop longue distance, éclairer largement leurs pupitres, ne leur donner que des livres bien imprimés, voilà qui n'est pas bien compliqué, et c'est, en somme, à quoi se réduisent, si l'on y réfléchit, toutes les indications de la science hygiénique en ce qui concerne la vue. Si nous avions un regret à exprimer, c'est que les travaux, assurément pleins d'intérêt scientifique, des commissions officielles n'aient pas su toujours échapper à l'excès de science et semblent s'être surtout préoccupés des conditions qu'on peut exiger dans les établissements modèles d'une capitale. Le commun des écoles et des maîtres a besoin de plus de simplicité.

Il ne suffit pas de prendre toutes les mesures pour éviter la déformation de l'oeil. Il faut aussi savoir entourer des précautions nécessaires les yeux déjà déformés.

Quand l'instituteur s'est aperçu que l'un des enfants est myope, que doit-il faire? Nous ne sommes pas ici d'accord avec la Commission, qui recommande d'éviter le plus possible l'usage permanent des lunettes. Nous estimons que la première mesure à prendre est de munir l'enfant de verres concaves appropriés à son degré de myopie. Il va sans dire que l'instituteur ne prendra aucune part au choix de ces verres, qu'il insistera même sur l'inconvénient de choisir mal, sur la nécessité de consulter pour cela un médecin ou tout au moins l'opticien. Mais, c'est notre avis très décidé, il devra engager vivement l'enfant à se munir au plus vite de lunettes convenables, et, s'il le faut, insister auprès des parents pour qu'ils y tiennent la main.

Il va sans dire aussi que le maître s'efforcera d'éviter à cet enfant toute fatigue oculaire. Il lui donnera une place bien éclairée, il surveillera son attitude, il diminuera, s'il le faut, la quantité des devoirs écrits, et il ne laissera jamais lire des cartes ou les tableaux qu'à très petite distance.

[Dr E. PECAUT.]

Nous reproduisons ci-dessous le passage du rapport de la Commission d'hygiène relatif à l'usage des lunettes. Nous n'avons" pas à prononcer, dans une question si technique, entre l'opinion de notre collaborateur et celle du Dr Emile Javal, rapporteur de la Commission : nous nous bornons à les placer toutes les deux sous les yeux de nos lecteurs.

« Il se trouvera quelquefois, dit le Dr Javal, des cas de myopie soit congénitale, soit acquise par les enfants dans une école mal surveillée. On s'en apercevra aussitôt, non point à l'attitude des enfants pendant le travail, mais à l'impossibilité pour eux de lire les cartes géographiques d'aussi loin que leurs camarades. Ces enfants seront placés aux premiers bancs ; on acceptera de leur part une écriture incorrecte, on surveillera leur attitude avec une patiente sévérité ; s'ils ont besoin de verres concaves, on leur conseillera de les prendre aussi faibles que possible et montés dans cette espèce, de lorgnon à manche nommé face-à-main, qu'ils devront ne jamais tenir que de la main gauche pour voir momentanément au loin, la main qui tient le lorgnon devant se rabattre sur le papier pour le tenir dès qu'il faut se mettre à écrire. L'emploi permanent des verres doit être formellement interdit, sauf le cas où ils auraient été prescrits par un médecin compétent. »