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Musique

 L'introduction de la musique dans les programmes de l'instruction primaire est de date récente. C'est dans l'année 1880 que la question fut soulevée et mise à l'étude en haut lieu. C'est le 23 juillet 1883 que furent arrêtés les programmes qui déterminèrent l'enseignement du chant dans les écoles maternelles, dans les écoles primaires et dans les écoles normales.

Nous n'avons pas dessein de traiter ici la partie technique de cet enseignement. Aussi bien nos lecteurs trouveront-ils ailleurs sur ce point toutes les informations désirables (Voir Chant). Nous voudrions simplement rechercher quelle est, ou quelle pourrait être, la portée réelle de celle réforme hardie, qui lente d'improviser de toutes pièces une éducation musicale du peuple et vise à fonder, par l'école, des moeurs musicales dans un pays où elles ont fait jusqu'ici presque entièrement défaut.

I

Il ne faut pas, nous semble-t-il, de longues réflexions pour apercevoir que c'est là une question de haute importance et qui touche même au plus vif du problème pédagogique. Au fond, elle n'est qu'un chapitre ? mais sans doute le plus délicat et le principal ? de la grande question de l'introduction de l'art dans l'éducation populaire.

Chose étrange! il y a plus de cent ans que cette éducation est née ; les plus éminents esprits l'ont inaugurée, puis développée et réglementée ; et cependant quelques-uns de ses plus réels besoins sont restés à ce point méconnus, que l'art, sous n'importe laquelle de ses grandes formes, n'y avait jusqu'ici aucune place. On peut même dire qu'elle se caractérisait, et pour bien des gens elle se caractérise encore, par l'élimination systématique de tout élément d'art, par le retranchement absolu de tout ce qui n'est pas directement utilisable et pratique. L'enseignement secondaire, en dépit de la vaste extension du savoir positif, est resté, non peut-être sans dommage, tel que nous l'avons hérité des humanistes de la Renaissance, c'est-à-dire essentiellement artistique, esthétique, en sorte que l'éducation des classes supérieures est toute destinée à leur révéler, non point l'utile, mais le beau ; à le leur faire comprendre, goûter, et, s'il est possible, reproduire. Mais au contrait e le peuple, avec l'assentiment de ceux qui se croyaient ses plus sincères amis, est resté jusqu'ici courbé vers la terre ; il n'a pas, disait-on, le temps de lever ses regards et de lés laisser errer vers les inutiles splendeurs de l'idéal. Voué au labeur matériel, ce qu'il lui faut, c'est un bagage suffisant de notions pratiques et positives qui l'aideront à fournir ce labeur, c'est une instruction tout orientée vers l'application immédiate. Aux classes riches l'éducation libérale, au peuple l'éducation utilitaire.

Qu'une conception si peu démocratique des fins de l'enseignement primaire ail gardé si longtemps et garde encore une grande autorité, voilà qui pourrait surprendre si l'on ne réfléchissait pas que l'éducation n'a été qu'à de bien rares et courts instants aux mains des amis de la liberté, et ensuite que la crise où est engagée la pensée moderne a précisément pour caractère la grande faveur accordée au savoir positif et le discrédit de tout ce qui touche à l'idéal. L'inexpérience du parti libéral aux choses de l'éducation et l'ascendant de l'esprit matérialiste, voilà les deux grandes causes de cette erreur persistante et funeste, qui déclare inévitable et presque désirable l'abaissement systématique de l'enseignement du peuple.

C'est, à notre avis, l'un des principaux caractères et ce sera le grand titre d'honneur des réformes de 1880, d'avoir rompu avec cette humiliante conception: d'avoir compris et proclamé qu'une démocratie qui veut mériter le nom de libérale est tenue d'ouvrir à tous les citoyens, sans distinction de classes, au peuple aussi bien qu'aux riches, toutes les avenues de la vérité et de la beauté ; qu'elle ne peut pas, sans se démentir et peut-être sans se perdre, se résigner à faire deux ordres d'éducation, et par conséquent deux classes, deux sociétés différentes ; que, tout en maintenant à l'éducation du peuple son caractère légitime de simplicité et d'utilité pratique, il la faut faire libérale ; que c'est même là, à vrai dire, sa fin principale, tout comme c'est la fin de l'éducation des hautes classes: qu'en d'autres termes l'un et l'autre enseignement, le primaire et le secondaire, ont pour objet commun l'éducation, c'est-à-dire la création d'habitudes d'esprit claires, sages et fortes, la formation de caractères vigoureux et de consciences libres. Celle grande idée de l'identité des fins de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire est-elle pleinement aperçue et consentie de tous les amis de la liberté? Nous ne l'affirmerions pas ; elle est encore trop nouvelle. Mais ce que nous osons affirmer, c'est qu'à la réflexion l'on trouvera que toute autre façon de voir est contraire à l'esprit libéral et grosse de dangers, parce que la vie politique commune ne peut avoir d'autre fondement que la communauté de sentiments et de pensées, et par conséquent la communauté de culture. Les destinées de la liberté nous paraissent, à la longue, suspendues à la solution de ce difficile problème : concilier les conditions de brièveté et de simplicité de l'enseignement primaire avec celles de la plus haute culture morale ; donner au peuple, comme aux classes supérieures, des humanités ; le former à goûter et à reproduire la perfection en tous ses modes.

Examinée à ce point de vue, la question de l'enseignement populaire de la musique apparaît dans sa vraie lumière. Ce n'est pas un « art d'agrément », c'est-à-dire un luxe charmant, un plaisir d'un ordre délicat et distingué, que l'on a dessein de procurer à tous. C'est un instrument subtil et puissant de culture morale dont il s'agit de munir l'enseignement primaire.

Il va sans dire que la seule musique dont il puisse être ici question, c'est la musique vocale. Le chant est en effet la seule forme de l'art musical assez générale et assez simple pour répondre aux conditions d'un enseignement populaire. Et en fait de chant, c'est surtout de chant choral qu'il s'agit, puisque celui-là seulement répond à ces instincts de solidarité, de communion, d'harmonie collective, qui sont parmi les plus précieux à cultiver.

Comment le chant, le chant choral surtout, vient-il en aide à l'éducation de l'âme, comment est-il une force morale? Phénomène d'ordre délicat, mystérieux, profond, qui se sent mieux qu'il ne s'analyse, et toutefois si constant, si commun, qu'il n'en est pas qui soit d'une expérience plus générale. Lequel de nous ne garde pieusement le souvenir de certaines heures vraiment bénies où une harmonie grave et puissante, un chant religieux, un hymne patriotique ont remué et soulevé tout son être dans un élan passionné vers le beau, vers le bien, vers le vrai? Moments divins, dont on pourrait dire ce que Parker disait magnifiquement de la foi religieuse : « En ces heures où le Dieu vivant nous visite, le flot de la vie universelle passe à travers l'âme ; on se soucie peu d'être père ou enfant, d'être riche ou pauvre, d'être roi ou berger ; on est un avec Dieu, et Dieu est tout en tous ; » moments rares et plus fugitifs que l'éclair, mais que l'âme ne traverse pas impunément, et d'où elle rapporte une excitation fortifiante qui persiste quelque temps à travers la banalité et l'égoïsme de la vie journalière. A coup sûr, cette influence salutaire n'a rien de précis, de déterminé. La musique n'est pas l'excitatrice de telle ou telle catégorie de vertus, elle agit plutôt en remuant, par des moyens qui n'appartiennent qu'à elle, le fond commun à toutes les vertus, l'énergie spontanée de l'être, la force vive de l'âme. Cette action tire sa puissance extraordinaire de ce qu'elle est à la fois physiologique et psychologique, en sorte qu'elle touche et ébranle l'être à cette profondeur vague et mystérieuse où la vie physique et la vie morale ont leurs racines communes. Le principal élément de l'action musicale, c'est l'harmonie des sons, qui éveille en nous, comme un écho involontaire, le sens de l'harmonie morale, de l'ordre, de l'accord, et par conséquent de la perfection, qui est notre rêve, c'est-à-dire notre destinée. Mais un autre élément d'action, c'est le rythme, c'est-à-dire le mouvement, la marche, l'activité ordonnée et réglée selon des lois variables, tantôt légère et joyeuse, tantôt inégale, douloureuse, plaintive, tantôt mâle, calme, puissante, tantôt rapide, emportée, furieuse, terrible. Joignez-y, dès qu'il s'agit de chant choral, l'idée de la communion de sentiment et d'action, l'accord de tous dans un même effort, la vie individuelle et isolée se perdant pour se retrouver dans la vie collective.

Cette action est vague, à coup sûr ; elle est même la plus vague de toutes celles que l'art exerce sur l'homme. Mais par cela même elle est d'une puissance et d'une fécondité incomparables. Nous croyons trop volontiers qu'il n'y a de profitable et de légitime que ce qui est précis, ce que l'esprit détermine et classe aisément. C'est là, particulièrement en matière pédagogique, une illusion dangereuse : la vérité est plutôt que l'éducation, celle du peuple surtout, nécessairement brève et pratique, n'est que trop obligée à la précision, c'est-à-dire réduite à la pure action logique, et par cela même en péril d'étroitesse et de stérilité. L'intelligence n'est pas le sanctuaire intime et dernier de l'être ; il faut aller au delà, descendre plus profond, arriver jusque dans cette région obscure, où se fait l'éclosion perpétuelle de la vie, où s'agitent les germes premiers du sentiment, de la pensée et de l'action. C'est là seulement que l'éducation doit prendre sa prise sur l'âme enfantine, si elle prétend la modifier en son vrai fond, et non à la surface. Eh bien ! il n'est que trop certain que nous sommes aujourd'hui presque entièrement frustrés des moyens de remuer l?âme à cette profondeur, et que les grands principes de la vie morale, le beau, le bien, le devoir, l'humanité, la patrie, la famille, etc., ne se révèlent guère à nos enfants que sous la forme appauvrie de catégories logiques. Voilà pourquoi l'influence de la poésie musicale est sans prix : elle transforme ces grandes idées claires et froides en émotions vivantes, qui gagnent en puissance ce qu'elles ont perdu en précision, et qui ébranlent l'être tout entier.

Et n'allez pas croire que ce soit là un honnête artifice de pédagogie, un ingénieux et subtil détour four pénétrer au vif de la personne morale. C'est oeuvre même de la nature. La musique jaillit spontanément des profondeurs de l'âme humaine et surtout de l'âme enfantine, et vous ne vous en privez pas sans communiquer à l'éducation un caractère artificiel et lui enlever de sa vie réelle. L'enfant chante naturellement, jusqu'au moment où il entre à l'école. Entre vos mains, hélas ! il cesse de chanter ; cette manière d'être, qui était la sienne plus que toute autre, disparaît ; et il ne reste plus que le seul labeur de l'intelligence. Qui ne voit le dommage, la perte irréparable? Qu'eussent pensé les anciens d'une telle mutilation? L'école ainsi sevrée de poésie n'est plus qu'un bel atelier d'instruction, où se fabriquent des esprits corrects, munis de notions justes et pratiques, mais non pas des âmes vivantes, vibrantes, heureuses, aussi riches de sentiment que de pensée, ouvertes non point aux idées seulement, mais à toutes les émotions grandes et généreuses.

II

Cependant, tout n'est pas dit, parce qu'on a décrété l'introduction du chant dans les programmes. Le plus ardu reste à faire. Il reste à en déterminer et orienter l'enseignement dans une direction particulière. Car il est évident que le chant ne peut remplir cet office de culture supérieure, qu'il n'est apte à seconder l'éducation morale, que sous de certaines conditions, dont la principale est de présenter un caractère de simplicité et de largeur. Pour ébranler favorablement l'âme populaire, il faut en premier lieu que les sentiments exprimés soient assez généraux et pris à cette profondeur où ils composent le fond humain commun ; il faut ensuite que les moyens d'expression soient assez simples pour être accessibles à tous.

C'est ici, nous devons l'avouer, la grande difficulté, le point d'achoppement. La plus sûre garantie serait évidemment que de tels chants fussent sortis spontanément des entrailles du peuple, qu'ils exprimassent depuis longtemps, en quelques-uns de ses grands modes, la vie nationale, en sorte qu'au lieu de les créer pour la circonstance, à grand renfort d'art et de science, on n'eût qu'à puiser dans ce trésor de bon aloi. Mais la source mère de tels chants, c'est la source religieuse, non point seulement parce que la musique sacrée est la grande école populaire de musique, mais encore et surtout parce que c'est du sentiment religieux, pris en son dernier fond, que dérivent plus ou moins directement tous lés ordres de grande émotion musicale. Or cette source-là, si elle n?a jamais coulé pour nous, est depuis longtemps tarie ou fort appauvrie. Ainsi que l?a justement indiqué M. Bourgault-Ducoudray dans son remarquable rapport, tandis qu'en d'autres pays, en Allemagne particulièrement, la Réforme inaugurait le choral, c'est-à-dire le chant des psaumes exécuté par tous les fidèles en langue commune, et qu'ainsi elle proclamait et mettait à profit l'aptitude de l'art musical à servir à une fin morale, partout ailleurs le catholicisme allait restreignant de plus en plus la musique aux proportions d'une représentation théâtrale exécutée par quelques virtuoses, à l'exclusion des assistants, et frustrait ainsi la vie populaire de l'une de ses forces les plus précieuses.

Par là en grande partie s'explique la singulière pauvreté de notre patrimoine musical. La musique est restée étrangère à nos moeurs et à notre tempérament, parce qu'elle n'a pas été sécularisée. Elle ne s'est pas mêlée à notre vie et n'a pas pénétré l'âme populaire, parce que la religion est restée, en sa forme comme en son fond, sacerdotale. L'émotion religieuse, de laquelle tous les autres grands enthousiasmes empruntent secrètement leur puissance, comment aurions-nous appris à l'exprimer par le chant, puisque de tout temps le culte nous déchargeait de ce soin, et par là privait l'individu de la ressentir fortement pour son propre compte?

Certes, c'est là une lacune dont nous ne nous dissimulons pas la gravité. Nous prétendons créer des moeurs musicales, et la musique fait défaut. C'est un cercle difficile à franchir. Difficile, mais non pas sans doute impossible. La tâche est ardue et délicate, mais elle n'est pas au-dessus de nos forces, si nous y apportons le sens juste des besoins qu'il s'agit de satisfaire. Nos ressources musicales sont bien restreintes, toutefois nous n'en sommes pas entièrement dénués : il y a certainement, dans les vieux airs rustiques de quelques-unes de nos provinces, une mine riche en précieux filons, et qui n'a pas encore été exploitée. Rien d'ailleurs ne nous empêche de puiser dans la musique populaire des autres peuples, et d'y choisir les éléments les mieux appropriés à notre tempérament et à nos besoins. C'est même là, selon nous, le parti le plus sûr, infiniment préférable à la fabrication sur commande de morceaux destinés aux écoles. Assurément, nous ne désespérons pas qu'un jour, l'enseignement populaire du chant ayant fait ses preuves et conquis son rang parmi les plus nobles choses, il soit la tentation des grands compositeurs, et que ceux-ci, s'unissant aux grands poètes, mettent leur génie au service de cette cause vraiment sacrée. Alors seulement toute difficulté, tout risque d'insuccès aura disparu, et la musique scolaire vivra d'une vie durable et bienfaisante, parce qu'elle sortira d'un mouvement spontané de l'âme nationale et non plus seulement d'une habile action administrative. Ce rêve d'avenir est légitime, assurément, mais enfin ce n'est encore qu'un rêve. En attendant, il est certain que la musique qui serait composée tout exprès pour l'usage scolaire n'échapperait pas au caractère artificiel, factice, à l'absence de véritable inspiration, et par conséquent de véritable puissance. De telles compositions pourront être d'une fabrication irréprochable ; la simplicité, la largeur, l'émotion y pourront être imitées selon des procédés parfaitement corrects ; mais ce ne sera jamais qu'une oeuvre de science, qui sera sans efficacité parce qu'elle sera sans sincérité.

III

Il ne suffit pas d'ailleurs de savoir sur quel air chanter ; encore faut-il savoir ce que l'on chantera sur cet air. Car tel est notre tempérament, notre perpétuel besoin de logique, ou peut-être notre infériorité esthétique, notre inaptitude à savourer l'émotion de l'art pour elle-même, que nous ne pouvons pas nous contenter de la pure musique ; il nous faut des paroles, et même il nous faut un rapport exact, juste, précis entre les paroles et la musique. Et voilà une nouvelle difficulté, qui n'est pas moindre que la précédente. Quand un peuple chante naturellement, les occasions de chanter naissent naturellement aussi ; la musique ne jaillit de ses lèvres, que parce que les sentiments qu'elle exprime jaillissent de son coeur. Il chante non pour une pure jouissance acoustique, mais par une expansion spontanée et toujours renouvelée du fond de son être. Il s'agit donc de créer chez nous, en même temps que l'élément en quelque sorte matériel du chant l'élément moral, de faire que nos enfants non seulement sachent chanter, mais aient quelque chose à chanter. Ce n'est certainement pas là un idéal chimérique, puisque le fond des sentiments et des émotions est le même partout. Nous ressentons, quoi qu'on en dise, aussi profondément et aussi fortement que les autres peuples la poésie de la nature, le mystère de la vie, l'émotion de la mort, l'amour de l'humanité, de la patrie, de la famille, etc. Cette éternelle matière de l'art en général, et de l'art musical en particulier, ne fait pas plus défaut chez nous que partout où battent des coeurs humains. Il s'agit seulement de l'exprimer en bonne langue, avec simplicité et sincérité : même problème, au fond, que celui de la musique elle-même.

La simplicité, c'est-à-dire la parfaite vérité du sentiment, voilà le point difficile, et pourtant la condition indispensable, qu'il s'agisse des paroles ou des airs. Les unes et les autres doivent servir aux enfants à ressentir et à exprimer des sentiments qui soient bien à eux, qui composent bien réellement le tissu de leur vie, et non pas des enthousiasmes de commande, des élans factices, sans rapport aucun avec la réalité journalière. C'est affaire de discernement, de tact, de bon goût et de bon sens. On parle de faire chanter à nos enfants la vie ou la mort des « grands hommes». C'est à merveille, mais quels grands hommes? Il faut choisir et bien choisir. Peut-on réprimer un sourire en entendant prononcer à ce propos les noms de Socrate, de Vercingétorix, de Gutenberg? Pourquoi ne pas chanter aussi Parmentier, Ampère, Edison?

Il appartient à l'administration supérieure, et aux maîtres éminents dont elle prend les avis, de faire que cette création de l'enseignement primaire du chant soit autre chose qu'un luxe délicat ajouté au programme, qu'elle soit une oeuvre de vie. Surveiller avec le soin le plus minutieux le mode d'enseignement et l'organisation du répertoire n'est pas encore suffisant. Il faut qu'une action administrative constante pénètre l'instituteur de cette idée, qu'on ne lui demande pas de former de savants virtuoses, habiles à exécuter de difficiles passages, mais, ce qui est à la fois plus simple et plus ardu, d'éveiller dans les jeunes âmes le sens de la poésie musicale, et de faire servir cette poésie, sans pédanterie, par sa vertu propre et spontanée, à l'oeuvre de la culture morale. Il faut qu'il sache que si ses efforts tendent à faire de son école un orphéon perfectionné, lauréat des concours de la région, il détourne le chant de son véritable office. Et s'il demande ce que l'on attend de lui, la réponse est simple :

Faites que le chant, au lieu de n'être qu'une leçon de plus, soit l'âme harmonieuse de l'école, et pour cela mêlez-le étroitement à la vie journalière de l?écolier. N'ouvrez pas la classe, le matin, ne la fermez pas, le soir, sans un chant choral choisi avec soin, simple, très court, mais le plus large, le plus beau possible, de façon à pénétrer de saine poésie l'atmosphère de tout le jour. Qu'un enfant de l'école ou du village ne vienne pas à mourir sans que ses petits camarades unissent leur voix sur sa tombe. Que dans les promenades militaires ou autres, ils sachent rythmer leurs pas au son de quelque marche d'allure simple et mâle. Qu'ils aient dans leur mémoire quelque beau choeur de musique religieuse, quelques beaux hymnes patriotiques. Qu'enfin les événements de leur vie propre, ou de la vie locale, ou de la vie nationale reçoivent tout naturellement chez eux l'expression musicale. Alors seulement vous aurez compris votre tâche comme elle doit être comprise, vous aurez fait du chant un des premiers éléments de la vie scolaire, vous l'aurez fait servir à rendre cette vie à la fois plus riche et plus réelle, plus poétique et plus vraie, plus heureuse et plus forte. Vous aurez travaillé, à votre place et selon vos moyens, à douer l'âme nationale d'une puissance nouvelle. .

[FÉLIX PÉCAUT.]

Pour ce qui concerne l'histoire et les programmes de l'enseignement musical dans les écoles françaises, voir l'article Chant. Voir aussi, pour la méthode chiffrée, les articles Galin, Paris (Aimé et Nanine), et Chevé. Voir également Orphéon.