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Musées scolaires

 L'expression de musée scolaire pourrait s'appliquer aux collections de toute nature formées par le maître en vue de son enseignement. Mais ce terme est pris généralement dans un sens plus restreint ; il désigne surtout les objets usuels dont l'instituteur fait usage dans le procédé d'enseignement connu sous le nom de leçons de choses. Un musée scolaire est donc une collection d'objets, les uns naturels, les autres fabriqués, destinés à donner aux enfants des idées nettes, exactes, sur tout ce qui les entoure.

I. Historique. ? C'est seulement à notre époque qu'une vive impulsion a été donnée à l'organisation des musées scolaires ; mais on peut retrouver l'idée qui a présidé à leur création contenue, au moins implicitement, dans les écrits des penseurs qui se sont occupés de l'éducation. Rabelais, Coménius, Rousseau, Pestalozzi, et tant d'autres plus obscurs, demandent que l'enfant étudie des choses et non des mots.

L?histoire des musées scolaires est intimement liée à celle des leçons de choses. Aussi nous contenterons-nous de rechercher comment ceux qui ont préconisé ou mis en pratique ce procédé d'enseignement présentaient réellement des choses aux enfants.

L'élève imaginaire de Rabelais et plus tard celui de Rousseau étudiaient en présence de la nature même ce qui faisait l'objet de l'enseignement. Ils visitaient à loisir les ateliers de toute espèce et trouvaient ainsi sur place, selon les hasards du moment, tout ce que nous sommes obligés de rassembler en un seul lieu pour les besoins de notre enseignement collectif.

Coménius et, plus d'un siècle après lui, Basedow, qui s'inspira de ses idées et de celles de Rousseau, mirent sous les yeux des enfants sinon les objets eux-mêmes, du moins leur représentation au moyen d'images. Mais c'est dans la Schul-Methodus d'Andréas Reyher, publiée en 1645 par ordre d'Ernest le Pieux, qu'il est fait mention des musées scolaires de la manière la plus explicite : « Tout ce qui frappe l'oeil doit être montré aux enfants, si on peut se le procurer sur place. Tout ce qui est nécessaire pour a démonstration des sciences naturelles ou autres, on devra se le procurer peu à peu et le garder dans un musée joint à l'école. »

Bien que Pestalozzi, mieux que tous ses devanciers, ait compris la grande part que doit avoir l'intuition dans l'enseignement élémentaire, nous ne trouvons encore chez lui rien de précis relativement au sujet qui nous occupe. Il a entrevu le principe bien plus qu'il ne l'a appliqué.

Pendant la longue période de tâtonnements et d'essais infructueux qui suivit la rénovation tentée par Pestalozzi, nous ne pouvons signaler que le musée scolaire dont fait mention M. de Cormenin, dans son mémoire sur les salles d'asile en Italie. Ce musée se trouvait à Florence, dans l'établissement fondé par le prince Demidolf pour l'éducation des enfants pauvres. « On place sous les yeux des enfants, dit M. de Cormenin, à mesure qu'ils peuvent les comprendre, les objets des trois règnes de la nature, le végétal, le minéral, l'animal. On tient ces divers objets dans des armoires séparées ; chaque objet a son casier. On y voit des épis de blé, d'orge, de froment, des herbages, des légumes, des fruits. On les nomme devant eux, on les leur montre, on les décrit. Ils s'accoutument à les distinguer, à les reconnaître, à les dénommer eux-mêmes et tout de suite. Pareillement, des échantillons de pierres, de terres, de plâtres, de marbres, de soufre, de métaux, d'or, de cuivre, de plomb, d'argent, de bitumes y sont classés dans un ordre méthodique. On les leur fait toucher, on en dit l'origine, on en explique brièvement la transformation et l'application aux divers usages de la vie. Il en est de même des animaux empaillés et représentés aux enfants, tels que la nature les a faits, moins la vie. Ils savent leurs noms, leurs moeurs, leurs instincts, leur manière d'être, leurs qualités, leurs dangers. » (Manuel général de l'instruction primaire, 1849.)

C'était bien là le musée scolaire, tel que nous le comprenons aujourd'hui. Mais les avantages de ces collections ne semblent pas avoir frappe la masse des instituteurs. La leçon de choses, avec son véritable caractère, n'avait pas encore pénétré dans les écoles.

Vingt ans plus tard, à l'Exposition de 1867, on ne trouvait encore dans la section de l'enseignement primaire que des collections très incomplètes et très imparfaites. Tel instituteur avait fait un herbier, tel autre avait recueilli des insectes. Ce n'était pas encore le musée scolaire proprement dit. Ce qui s'en rapprochait le plus, c'était, dans la section anglaise, une série de tableaux, dont l'un, par exemple, représentait un mouton autour duquel on avait placé les différents objets usuels fabriqués avec sa peau, sa laine, ses cornes, ses os.

A la même époque, dans les conférences qu'elle fit aux instituteurs venus à Paris, Mme Pape-Carpantier donnait de remarquables modèles de leçons de choses ; elle appelait l'attention de ses auditeurs sur le parti qu'ils peuvent tirer des objets usuels que tous ont sous la main et sur la nécessité de former de petites collections destinées à l'enseignement élémentaire.

A partir de ce moment, l'institution progresse, quoique lentement. Dans son rapport sur l'Exposition de Vienne, M. F. Buisson fait mention de quelques collections destinées à l'enseignement des leçons de choses ; il décrit, en particulier, le musée composé par un instituteur autrichien, M. Grimme, pour l'usage de ses élèves. Aucune école française n'avait exposé de musée scolaire, il est vrai ; mais déjà, dans le département du Doubs, il existait 150 écoles pourvues de collections élémentaires.

Depuis lors, le progrès alla s'accélérant sans cesse, et, en 1878, on put voir figurer à l'Exposition un certain nombre de musées scolaires, dus les uns à l'industrie privée, les autres à l'initiative des instituteurs. Aujourd'hui un assez grand nombre d'écoles, même parmi les plus modestes, sont pourvues d'un musée pour les leçons de choses.

II. Création et organisation d'un musée scolaire. ? Le musée scolaire étant l'auxiliaire de la leçon de choses, l'instituteur devra, avant de le constituer, se rendre un compte exact de ce qu'il faut entendre par leçon de choses. Puis il établira le programme de cette partie de son enseignement, et c'est ce programme qui le guidera dans l'organisation de son musée. S'il réunit ses collections au hasard, sans plan conçu à l'avance, il entassera une foule d'objets qui ne lui seront jamais d'aucune utilité, et il négligera de recueillir les choses les plus indispensables. Le maître n'oubliera pas que le musée scolaire doit être approprié à l'enseignement et non l'enseignement au musée.

Le programme pourra s'étendre peu à peu ; mais si, dès le début, le musée a été établi avec méthode, rien ne sera plus facile au maître que de le compléter, de le développer simultanément.

Le programme des leçons de choses sera nécessairement approprié à la région, à la localité dans laquelle se trouve l'école ; certaines parties en seront plus ou moins développées suivant les divers milieux. Il en sera de même du musée scolaire. Et c'est là l'un des grands avantages que n'offrent pas les collections toutes préparées, que l'on achète souvent à grands frais. Le musée scolaire qui convient à une population industrielle diffère sensiblement de celui qui conviendrait à une population agricole ; le musée destiné à une école de garçons n'est pas également approprié à l'enseignement dans une école de filles.

Un écueil qu'il importe d'éviter, c'est la spécialisation excessive des collections. Tel maître a surtout en vue la botanique, tel autre l'entomologie, tel autre encore la minéralogie : le défaut est le même dans tous les cas. L'enfant doit recevoir des notions exactes sur tout ce qui l'entoure, et non sur quelques côtés seulement de la nature.

Il faut éviter également d'introduire dans le musée des objets plus curieux que réellement utiles à l'enseignement primaire. L'archéologie, la numismatique, par exemple, sans être absolument proscrites de l'école, n'y figureront que par quelques rares spécimens ; et encore ces objets ne font-ils pas véritablement partie du musée tel que nous le comprenons.

Ces principes posés, passons aux moyens d'exécution, en supposant d'abord l'école dénuée* de toutes ressources, ce qui est le cas le plus fréquent. Avant tout, répondons à une objection. « Si l'instituteur ne veut ou ne peut faire aucune dépense, dira-t-on, il ne lui sera possible de recueillir que des objets connus de tous les enfants ; son musée sera donc très incomplet et très peu intéressant. » Il y a là une erreur d'autant plus grave, que ce prétexte est allégué par la plupart de ceux qui hésitent encore à créer des musées scolaires. Ce qu'il importe surtout de faire connaître aux enfants, ce sont les objets qui les entourent, ce sont les produits de la localité ou mieux de la région qu'ils habitent. Et ces produits, les enfants les eussent-ils tous les jours sous les yeux, ne manqueront pas d'être intéressants lorsqu'un maître habile saura les faire observer, les présenter sans cesse sous de nouveaux aspects. Il est d'ailleurs une foule de choses que nous croyons connues de l'enfant, alors qu'elles sont restées pour lui complètement inaperçues. Mais, outre les objets provenant de la région, le maître ressemblera les produits étrangers que l'on emploie dans les industries locales ou dans les usages journaliers de la vie. Que l'on y réfléchisse, et l'on verra que le champ à parcourir est déjà bien vaste.

Enfin, avec un peu de bonne volonté, l'instituteur se procurera sans frais, par ses relations avec les industriels du pays, avec les parents de ses élèves, dans ses propres voyages, une foule d'objets qui viendront enrichir son musée.

En ce qui concerne l'installation matérielle du musée scolaire, un instituteur industrieux ne sera pas embarrassé. Il fixera aux murs de la classe quelques planchettes étroites sur lesquelles il disposera ses boîtes et ses bocaux. Il fera appel aux élèves, qui lui apporteront à l'envi des flacons de pharmacie, de pilules, tous excellents, pourvu que l'ouverture en soit quelque peu large. Les enfants se feront un plaisir de fabriquer eux-mêmes des boites en carton ou en bois.

Chacun des élèves fournira ensuite son contingent. Le fils de l'épicier, par exemple, apportera le café en grains, le poivre, le riz, etc. ; un autre enfant, fils d'un menuisier, fournira et préparera les échantillons des différents bois employés dans l'industrie. Tous seront heureux de contribuer au succès de l'entreprise, et l'instituteur aura besoin de contenir leur ardeur plus souvent que de l'exciter.

Les promenades scolaires seront largement utilisées ; on y recueillera des insectes, des plantes, des minéraux.

L'accumulation de toutes ces richesses amènera sans doute un peu de confusion au début ; mais l'ordre se fera peu à peu. A mesure que les produits afflueront, l'instituteur les classera. Nous avons dit, et nous insistons sur ce point, que le maître aura fait à l'avance son programme de leçons de choses ; or les divers chapitres de ce programme fourniront précisément les divisions et les subdivisions du musée scolaire. Sans donner la classification suivante comme invariable, nous pensons cependant qu'elle pourra servir de guide :

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Dans chaque subdivision, lorsqu'il s'agira de produit! fabriqués, il y aura lieu de faire figurer la matière première, à l'état brut et dans les principales phases des transformations qu'elle subit avant d'arriver à sa forme définitive.

Non seulement plusieurs divisions et subdivisions peuvent être ajoutées au tableau précédent ; mais chacune d'elles peut renfermer un nombre d'objets plus ou moins considérable, selon la nature des industries du pays, selon que le musée est destiné à une école urbaine ou à une école rurale, à une école de garçons ou à une école de filles.

Si l'organisation d'un musée scolaire est possible en l'absence de toutes ressources, à plus forte raison le sera-t-elle lorsque l'instituteur obtiendra quelques subventions de la municipalité ou des habitants de la commune. Dans ce cas, nous l'engageons à employer les ressources dont il pourra disposer non à l'acquisition d'un musée fait de toutes pièces, mais, d'abord, à l'achat d'une armoire vitrée, qui préservera ses collections de la poussière ; plus tard, si la subvention est suffisante, il achètera quelques objets qu'il ne pourrait se procurer sans frais, quelques types d'animaux utiles, par exemple, quelques gravures.

La création d'un musée scolaire est donc possible dans toutes les écoles. Et cependant le mouvement en faveur de cette utile institution est assez lent. Pour le hâter, il serait bon d'organiser, dans toutes les écoles normales ou dans les écoles annexes, un musée type, fait en vue de l'école la plus humble, distinct, par conséquent, du musée de l'école normale. Ce musée type serait organisé par les élèves eux-mêmes, livrés à leurs seules resssources ; on n'y introduirait que le strict nécessaire. Ce serait, en quelque sorte, un minimum qu'aucun des futurs instituteurs ne pourrait désespérer d'atteindre, et que beaucoup auraient à coeur de dépasser, en prenant alors pour guide le musée même de l'école normale.