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Mosellanus

Mosellanus, dont le véritable nom est Pierre Schade, humaniste allemand du commencement du seizième siècle, fut un ardent promoteur des études grecques encore suspectes d'hérésie, et le premier des maîtres de la Renaissance qui ait publié des dialogues pour faciliter aux écoliers la conversation en langue latine.

Il naquit en 1493 dans le diocèse de Trêves, à Bruttig, sur les bords de la Moselle, dont il prit le nom. Après une enfance misérable, pendant laquelle il étonna par la précocité de son intelligence, il put, en 1502, grâce à son grand-père, aller étudier à Cologne où il apprit le grec sous Césarion. Il enseigna quelque temps à Leipzig et à Freiberg ; puis, malgré sa grande jeunesse, il fut nommé professeur de littérature grecque à Leipzig à la place de Richard Crook qui retournait en Angleterre (1517). Cette même année il publia ses dialogues sous le nom de Pédologie, c'est-à-dire « Conversations à l'usage des enfants ». L'année suivante, pour inaugurer son enseignement, il prononça un grand discours sur les trois langues (Oratio de variarum linguarum cognitione parandâ, Leipzig et Bâle, 1519), où il justifie avec énergie, contre les prétentions des théologiens, l'étude du grec et celle de l'hébreu. Ce manifeste fit grand bruit : on eut peine à croire qu'il fût l'oeuvre d'un si jeune homme ; les colères s'en prirent à Erasme à qui on l'attribua et qui fut obligé d'entrer en lice. En 1519, Mosellanus, élu recteur par l'université de Leipzig, fut choisi par le duc Georges pour ouvrir la fameuse dispute entre Eck et Carlostadt, qui se continua entre Eck et Luther. Dans son discours (De ratione disputandi prsesertim in retheologicâ, Augsbourg, 1519), il leur recommanda la modération. « Discuter, dit-il, c'est premièrement chercher à s'éclairer en comparant son opinion à celle de son adversaire dans un esprit de défiance pour soi-même ; c'est ensuite embrasser avec joie l'opinion de son adversaire si on la reconnaît pour vraie ; sinon, lui montrer son erreur par des raisons claires, avec douceur et sans orgueil ; il y a plus de profit à être vaincu qu'à être vainqueur. »

Quoique sympathique à la Réforme, Mosellanus, par amour de la paix, demeura dans l'Eglise catholique. Il se consacra aux lettres avec une ardeur qui épuisa sa santé et hâta sa fin. Tous les jours de grand malin il expliquait Homère à ses pensionnaires, donnait deux ou même trois leçons publiques ainsi que deux leçons particulières, et se reposait en lisant, en transcrivant ou en composant. Suivant un usage dont le progrès des sciences historiques et morales peut faire espérer le retour, il expliquait en chaire aussi bien les auteurs chrétiens que les auteurs païens, l'épître aux Romains et l'évangile selon saint Jean, par exemple, comme Platon ou Démosthène. Il traduisit plusieurs discours des Pères grecs et le discours d'Isocrate sur la Paix, qu'il fit précéder d'une belle préface à Frédéric le Sage. On lui doit aussi des éditions et des commentaires. Renommé pour la douceur et la pureté de ses moeurs autant que pour sa science, il trouvait des forces dans le sentiment de sa responsabilité devant Dieu et dans son désir de faire progresser ses élèves. Il mourut en 1524, à l'âge de trente et un ans. Sa fin prématurée excita de nombreux regrets. Mélanchthon, qui avait été son rival heureux pour la chaire de Wittenberg et dont il était l'ami, accourut de loin pour le voir et put arriver le jour même où il rendait le dernier soupir.

Il ne subsiste guère de Mosellanus que l'exemple de son zèle. Ses ouvrages, dépassés, sont oubliés, à l'exception de ses deux grands discours et de sa Pédologie ; encore celle-ci ne demeure-t-elle que comme une-petite page d'histoire, son importance pédagogique ayant disparu avec les besoins qu'elle était destinée à satisfaire. Au seizième siècle, la langue latine était appréciée non seulement comme le dépôt des connaissances de l'esprit humain, mais en même temps comme un indispensable moyen de communication entre les lettrés de tous les pays : on la parlait autant qu'on l'écrivait, et par conséquent dans les écoles il était interdit de s'exprimer dans une autre langue ; d'où la nécessité de faire pour les écoliers des manuels de conversation qui ne pouvaient leur être utiles qu'en reproduisant leur vie et leurs moeurs. De tels manuels avaient existé avant la Renaissance et l'on en connaît au moins un : mais la langue et les idées en étaient également grossières. Mosellanus renouvela le genre : il y introduisit la pureté du style et la délicatesse des sentiments, tout en reproduisant la vie familière des écoliers. Il fraya ainsi la voie, d'abord à Erasme qui dénatura le genre en l'élargissant, puis à toute une série de successeurs. Ses dialogues nous donnent de précieux renseignements sur la vie des écoliers de Leipzig, sur leurs idées religieuses à la veille de la Réforme, et sur l'état de leurs études. Par ces petites scènes, Mosellanus craignait d'avoir compromis la gravité professorale ; dans sa préface il demande presque pardon de s'être fait enfant avec les enfants. La Pédologie est cependant celui de ses ouvrages qui a eu le plus d'éditions. Comme on devait s'y attendre, elle eut sa place dans le plan d'éludes saxon approuvé par Luther. Elle fut réimprimée, à notre connaissance, à Mayence en 1521, à Anvers en 1531, à Paris en 1535, 1548, 1550, à Smalkalde en 1586, et enfin à Helmstedt (Brunswick) en 1706. C'est donc seulement au commencement du dix-huitième siècle qu'elle cessa d'être un livre d'école. Aujourd'hui encore on la relit volontiers à cause du naturel et de la fidélité de ses descriptions.

Louis Massebieau