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Montalivet (Marthe-Camille de)

 Le comte Marthe-Camille de Montalivet, fils du précédent, est né à Valence (Drôme) en 1801. Membre de la Chambre des pairs sous la Restauration, le jeune comte de Montalivet combattit le ministère Polignac, cl s'associa à la révolution de 1830. Il reçut le portefeuille de l'intérieur dans le ministère Laffitte, en remplacement de Guizot (novembre 1830), puis celui de l'instruction publique dans le ministère de Casimir Périer (13 mars 1831), qu'il remplaça un an plus tard comme ministre de l'intérieur (29 avril 1832).

La loi du 28 juin 1833, oeuvre de F. Guizot, a peut-être un peu trop Tait oublier les travaux de ceux qui, pendant les deux premières années du règne de Louis-Philippe, en avaient préparé et assuré le succès. On sait qu'aussitôt après la révolution de Juillet, la Société pour l'instruction élémentaire s'était occupée de la rédaction d'un projet de loi sur l'enseignement primaire ; ce projet, fondé sur ce triple principe, que l'enseignement primaire doit appartenir à l'autorité municipale, que cet enseignement doit être libre, et qu'il doit être gratuit pour les indigents, fut publié dans le Bulletin de la Société pour l'instruction élémentaire de janvier 1831. Presque en même temps, le cabinet Laffitte, par l'organe de Barthe, ministre de l'instruction publique (Voir Barthe), faisait présenter à la Chambre des pairs un projet de loi sur le même objet (20 janvier 1831). Le projet du gouvernement, qui n'avait pas été favorablement accueilli, fut retiré quelques jours plus tard, et une ordonnance royale (3 février) nomma une commission « chargée de la révision des lois, décrets et, ordonnances concernant l'instruction publique, qui devra préparer un projet de loi pour l'organisation générale de l'enseignement, en conformité des dispositions de la Charte constitutionnelle ». Lorsque le comte de Montalivet eut pris le portefeuille de l'instruction publique, il reconnut que l'élaboration d'une loi embrassant l'ensemble de l'instruction publique offrirait de nombreuses difficultés, et, courant au plus pressé, il s'occupa de la préparation d'un nouveau projet de loi sur l'instruction primaire. C'était le moment où Lacordaire, M. de Coux, elle vicomte de Montalembert, venaient de protester contre le monopole de l'Université pat l'ouverture d'une école primaire non autorisée (Voir Montalembert). Le projet de Montalivet, auquel Georges Cuvier avait probablement collaboré, car il fut désigné comme commissaire royal pour en soutenir la discussion devant le Parlement conjointement avec le ministre, fut présenté à la Chambre des députés le 24 octobre 183i, et le même jour Emmanuel de Las Cases y présentait de son côté le projet préparé par la Société pour l'instruction élémentaire.

L'exposé des motifs du projet de Montalivet contenait, sur la situation de l'instruction primaire en France dans le passé, des appréciations qu'il est intéressant de reproduire.

« L'histoire de l'instruction primaire en France ? disait le ministre ? a eu trois époques distinctes. Dans la première, l'enseignement primaire était soumis au régime de fait, sans aucune intervention du gouvernement. Tel il fut jusqu'en 1791. De 1791 à 1816, un grand nombre de lois et de décrets intervinrent ; le régime de renseignement primaire devint purement législatif. Enfin, de 1816 à 1830, il fut exclusivement administratif et réglementaire.

« Avant notre première révolution, il semble que l'Etat n'ait pas même songé à l'instruction du peuple. Depuis Henri IV jusqu'à Louis XVI, c'est-a-dire de 1598 à 1791, on trouve plusieurs décrets sur les universités et l'instruction publique ; aucun ne fait mention de renseignement primaire. Dans les campagnes, quelques écoles tenues par le curé et le chantre de la paroisse, où l'on apprenait aux enfants à lire le latin, ou à réciter quelques prières en français: c'était tout ce qu'il fallait pour servir la messe. Dans les villes, même ignorance, même abandon de la part du gouvernement.

« Ce fut seulement en 1680 qu'un homme dont la mémoire est chère à tous les amis de l'humanité, que de La Salle introduisit à Reims la première école d'enseignement simultané. Alors parurent les Frères des écoles chrétiennes, hommes laborieux et utiles, véritables fondateurs de l'enseignement élémentaire, repoussés aujourd'hui par des préventions exagérées comme gens de routine et d'obscurantisme, après avoir été repoussés à leur naissance par la plus grande partie du clergé comme dangereux et imprudents apôtres de lumières et d'instruction ; car, chose remarquable, la même lutte que nous avons vue s'établir de nos jours entre l'enseignement simultané et l'enseignement mutuel, nous la retrouvons, à l'époque dont je parle plus vive, plus acharnée, plus violente, entre l'enseignement individuel et l'enseignement simultané.

« L'époque antérieure à 1791 ne renferme que le grand fait de l'établissement de renseignement simultané. Mais, en 1791, la Révolution française se proposa de commencer une ère nouvelle pour l'instruction populaire, et la constitution d'alors posa le principe de l'instruction universelle, gratuite à l'égard des parties de l'enseignement indispensable pour tous les hommes. Plusieurs décrets furent ensuite rendus, en 1793 et 1794, pour organiser l'enseignement primaire. Ils établissaient un instituteur dans chaque commune ; ils fixaient à 1200 francs le minimum de son traitement, et lui assuraient une retraite proportionnée ; mais, comme on devait s'y attendre, ils restèrent sans exécution. Comment trouver tout à coup quarante mille instituteurs pour les quarante mille communes de France? Ici les hommes manquaient aux choses, et on ne pouvait les créer par des décrets.

« En 1795, l'instruction primaire subit la réaction politique. Après les vues généreuses, mais impraticables, de l'Assemblée constituante, après le grandiose extravagant de la Convention, arrivent les dispositions étroites et mesquines de la loi du 25 octobre 1795 (3 brumaire an IV).

« Sous l'Empire, il fut question de l'instruction primaire, mais ce ne fut presque que pour mémoire. Le législateur défendait expressément que l'enseignement primaire dépassât la lecture, l'écriture et le calcul. L'instruction du peuple était comptée pour peu de chose, et il n'y avait plus de place en Fiance que pour la gloire militaire.

« Il faut le dire, l'existence de l'instruction primaire ne date, en France, avec quelques conditions de durée et de progrès, que de 1816.

« A cette époque, des hommes généreux importèrent en France la méthode lancastrienne et la propagèrent par de nobles sacrifices. Le gouvernement, de son côté, rendit plusieurs ordonnances favorables à l'enseignement primaire, et le renouvellement perfectionné des comités gratuits institués par l'ordonnance du 29 février 1816 lui donna une telle impulsion sur toute la surface de la France que, de 1816 à 1822, le nombre des élèves fut presque triplé dans les écoles. En vain la réaction qui se manifestait contre nos libertés réunit alors tous ses efforts contre l'enseignement primaire. En vain une ordonnance royale fut rendue qui l'enlevait à l'action administrative" et à la responsabilité ministérielle pour la mettre sous la direction des évêques. Le bon esprit des citoyens, les efforts de quelques hommes éminents, la paix surtout, si féconde pour la liberté, devaient vaincre et vainquirent le mauvais génie de la Restauration

« Les tableaux statistiques que nous avons eu l'honneur de mettre sous les yeux de la Chambre constatent en quel état l'instruction populaire s'est échappée en 1830 des mains de la Restauration. Ils serviront de termes de comparaison pour l'avenir. Nous sommes heureux de pouvoir déjà vous annoncer que des progrès sensibles se sont l'ait remarquer depuis 1830, et que les encouragements accordés par le gouvernement ont produit les plus heureux résultats. Déjà, sans attendre la loi promise par la Charte, plus de trois cents écoles d'enseignement mutuel ont été rouvertes ; de nombreuses écoles normales ont été fondées dans divers départements ; près de 600 000 volumes ont été distribués, et l'instruction primaire marche à grands pas vers une prospérité désormais aussi inaltérable que nos institutions nouvelles.

« Il appartient à la révolution de 1830 de confirmer et de garantir les libertés qu'elle a données à la nation en faisant descendre l'instruction dans toutes les classes de la société, et c'est à elle surtout que l'on peut appliquer ces paroles d'un profond orateur : « Le » jour où la Charte fut jurée, l'instruction universelle » fut promise, car elle fut nécessaire ».

Le projet de loi lui même se compose de 27 articles. On y trouve déjà presque toutes les dispositions essentielles de la loi de 1833, dont il ne diffère que sur un petit nombre de points ; et parfois les modifications apportées par Guizot au projet de son prédécesseur, loin de réaliser un progrès, constituent plutôt un recul.

La loi de 1833 divise l'instruction primaire en élémentaire et supérieure. Le projet de 1831 ne connaît pas cette distinction ; mais son programme d'enseignement embrasse à peu près l'ensemble des matières que la loi Guizot a réparties entre les deux degrés d'enseignement : « L'enseignement donné dans les écoles primaires, lit-on dans le projet à l'article 1er, comprendra l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture, la langue française, le calcul, le système légal des poids et mesures, et, selon les ressources des localités, le dessin linéaire, l'arpentage, et des notions de géographie et d'histoire ». L'article ajoute que « le voeu des pères de famille sera consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse ». ? Le projet prévoit, comme la loi de 1833, l'existence d'écoles privées et d'écoles publiques ; il appelle ces dernières écoles communales. ? Il institue dans chaque arrondissement un ou plusieurs comités d'instruction primaire, et dans chaque commune un conseil de surveillance local. L'instituteur de l'école communale est nommé par le maire, mais la nomination est soumise à l'approbation du comité d'instruction primaire. La loi de 1833 modifia légèrement la composition des comités d'arrondissement et des comités locaux ; elle confia aux comités d'arrondissement la nomination des instituteurs et le choix des membres des comités locaux. ? Aux termes du projet Montalivet, la répartition des charges relatives à l'école communale devait se faire de la manière suivante: à défaut de ressources ordinaires, le conseil municipal devait voter une imposition spéciale jusqu'à concurrence de cinq centimes additionnels : si cela ne suffisait pas, le département à son tour devait s'imposer d'un centime ; et en troisième ligne, enfin, l'Etal intervenait par une subvention. La loi Guizot, modifiant ces chiffres, fixa les centimes communaux à trois, et les centimes départementaux à deux. ? Le projet garantissait aux instituteurs une pension de retraite, soit au bout de trente ans de services, soit après dix ans au moins de services dans les cas d'infirmités : la pension était assurée par le versement annuel, imposé aux communes, d'une somme égale au vingtième du traitement fixe de chaque instituteur. La loi de 1833 se montra moins généreuse: elle se contenta d'instituer dans chaque département une caisse dite d'épargne et de prévoyance ; cette caisse dut être alimentée, non par des versements des communes, mais par des retenues sur le traitement des instituteurs ; il fut expressément déclaré que dans aucun cas l'Etat ne pourrait accorder aucune subvention à ces caisses ; et les instituteurs, en échange des retenues opérées sur leur traitement, eurent droit, non à une pension proprement dite, mais simplement à une restitution des fonds versés par eux.? Le projet contenait, aux articles 19 et 21 (voir ci-dessous), pour assurer l'amélioration des écoles existantes et la création d'écoles dans les communes qui n'en avaient pas, des dispositions dont on chercherait vainement l'analogue dans la loi de 1833. ? L'art. 26 disait qu'il pourra t être établi dans chaque académie une ou plusieurs «lasses ou écoles normales destinées à former des instituteurs primaires. Sur ce point, la loi de 1833 semble en progrès, car elle ne dit pas qu'on pourra établir des écoles normales, mais chaque département sera tenu d'en entretenir une : seulement, elle ajoute aussitôt que plusieurs départements voisins pourront s'associer à cet effet, ce qui, dans la pratique, réduit considérablement la portée de l'obligation ; en outre, elle laisse aux départements toute la charge financière, tandis que le projet Montalivet faisait payer par l'Etat le traitement du directeur de l'école. ? Enfin, l'article 27 et dernier disait que les écoles communales de filles, là où il en existait, seraient surveillées par des inspectrices. Cette disposition n'est pas grand'chose, sans doute, mais c'était mieux que rien. Le projet que présenta Guizot en 1833 contenait aussi un article relatif aux écoles de tilles : mais au cours de la discussion cet article fut supprimé.

Voici le texte intégral du projet Montalivet:

« Projet de loi sur l'instruction primaire.

24 octobre 1831.

« Louis-Philippe, roi des Français, à tous présents et à venir salut.

« Nous avons ordonné et ordonnons que le projet de loi dont la teneur suit soit présenté en notre nom à la Chambre des députés des départements par notre ministre secrétaire d'Etat de l'instruction publique et des cultes, et par le baron Cuvier, conseiller d'Etat, membre de notre Conseil royal de l'instruction publique, que nous chargeons d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

« TITRE PREMIER. ? Dispositions générales.

« ARTICLE PREMIER. ? L'enseignement donné dans les écoles primaires comprendra l?instruction normale et religieuse, la lecture, l'écriture, la langue française, le calcul, le système légal des poids et mesures, et, selon les ressources des localités, le dessin linéaire, l'arpentage, et des notions de géographie et d'histoire.

« Le voeu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse.

« ART. 2. ? Les écoles primaires sont ou communales ou privées.

« Elles sont placées sous la protection et la surveillance d'un comité gratuit d'instruction primaire.

« TITRE II. ? Des comités d'instruction primaire.

« ART. 3. ? Il y aura, suivant la population et les besoins des localités, un ou plusieurs comités gratuits d'instruction primaire par arrondissement de sous-préfecture.

« ART. 4. ? Chaque comité sera composé de douze membres au moins et de quinze membres au plus.

« Seront membres de droit du comité :

« Le maire de la commune où le comité tiendra ses séances ;

« Le juge de paix siégeant dans cette commune ;

« Le curé cantonal et le ministre ou le plus ancien des ministres de chacun des cultes reconnus par la loi, et y résidant également.

« Les autres membres du comité seront choisis par le recteur de l'académie, avec l'approbation du préfet. Les membres autres que les membres de droit seront renouvelés par moitié tous les deux ans.

« Le comité d'instruction primaire ne pourra délibérer que lorsqu'il y aura la moitié plus un de ses membres présents.

« ART. 5. ? Le préfet, le recteur, les inspecteurs d'académie en tournée ont le droit de convoquer extraordinairement les comités, et de les présider.

« Le sous-préfet est membre de droit des comités de son arrondissement et en prend la présidence.

« ART. 6. ? A Paris il y aura un comité par arrondissement municipal. Les membres de droit seront le maire, le juge de paix de l'arrondissement, le curé cantonal, le pasteur ou le plus ancien des pasteurs protestants, et le proviseur ou le plus ancien proviseur du collège qui pourra se trouver dans la circonscription. Les autres membres seront nommés par le ministre de l'instruction publique et des cultes.

« ART. 7. ? Dans les localités où il y aura plusieurs cultes établis, il pourra être institué autant de comités qu'il y a de cultes différents. Dans ce cas, chacun des membres de droit prendra place dans le comité institué pour son culte.

« TITRE III. ? Des écoles primaires privées.

« ART. 8. ? Toute association qui se propose de former des instituteurs et des institutrices primaires devra être autorisée par une ordonnance royale rendue en Conseil d'Etat et insérée au Bulletin des lois. Cette formalité remplie, elle aura l'administration immédiate des établissements qu'elle aura fondés, sans préjudice de la surveillance légale.

« ART. 9. ? Le comité gratuit d'instruction primaire a le droit d'inspection sur les écoles tenues par des particuliers ; il doit les surveiller spécialement sous tous les rapports de la salubrité, de l'ordre public et des moeurs.

« Il transmettra ses renseignements au ministère public, dans les cas prévus par les articles 12 et 13 de la présente loi.

« Toutes ses délibérations sont transmises au préfet et au recteur.

« ART. 10. ? Tout individu âgé de dix-huit ans au moins et jouissant de ses droits civils pourra exercer la profession d'instituteur primaire, sous la condition de présenter au maire de la commune où il voudra exercer, et de faire viser par lui :

« 1° Un brevet de capacité, obtenu après examen public devant une commission de trois membres, formée annuellement dans chaque chef-lieu de département par le recteur de l'académie ;

« 2° Des certificats de bonne vie et moeurs, délivrés, sur l'attestation de trois conseillers municipaux, par le maire de la commune ou des communes où il aura résidé depuis trois ans.

« ART. 11. ? Sont incapables de tenir école :

« 1° Les condamnés à des peines afflictives ou infamantes, ou emportant la dégradation civique ;

« 2° Les condamnés en police correctionnelle pour vol, escroquerie, pour banqueroute simple, abus de confiance, pour soustraction commise par des dépositaires publics, et pour attentat aux moeurs.

« ART. 12. ? Tout individu qui, sans avoir rempli les formalités prescrites par l'article 10 de la présente loi, aura ouvert une école primaire, sera poursuivi devant le tribunal correctionnel du lieu du délit, et condamné à une amende de 50 à 100 francs ; son école sera fermée.

« En cas de récidive, il sera condamné à une détention de quinze jours à un mois, et à une amende double de la première.

« ART. 15. ? Tout instituteur primaire qui, par des actes d'inconduite ou d'immoralité, aura compromis son caractère, pourra, sur la demande du comité d'instruction primaire et à la poursuite du ministère public, être traduit devant le tribunal civil de l'arrondissement, et être interdit de l'exercice de sa profession à temps ou à toujours. Le tribunal entendra les parties et statuera en chambre du conseil. L'appel, s'il y a lieu, sera porté à la Cour royale ; il sera également statué par la Cour en chambre du conseil. Dans aucun cas, cet appel ne sera suspensif.

« L'affaire sera instruite comme en matière sommaire.

« Le tout aura lieu sans préjudice des poursuites et des peines qui pourraient être encourues, dans l'exercice de la profession d'instituteur, pour crimes, délits ou contraventions prévus par le Code pénal.

« TITRE IV. ? Ecoles primaires communales.

« ART. 14. ? Toute commune est tenue de pourvoir ou par elle-même, ou en se réunissant à une commune voisine, à ce que les enfants qui l'habitent reçoivent l'instruction primaire, et à ce que les enfants indigents reçoivent gratuitement cette instruction.

« ART. 15. ? Nul ne pourra être nommé instituteur communal s'il n'a justifié qu'il remplit toutes les conditions établies par l'article 10 de la présente loi. Tout instituteur communal, hors le cas prévu par l'article 21, est choisi par le maire, sous l'approbation du comité d'instruction primaire, qui devra sur-le-champ donner avis de la nomination au préfet du département et au recteur.

« Ne peut être choisi pour instituteur communal tout individu qui se trouverait dans un des cas prévus à l?article 11.

« ART. 16. ? Il sera fourni à tout instituteur communal :

« 1° Un logement qui sera convenablement disposé tant pour servir d'habitation que pour recevoir les élèves ;

« 2° Un traitement fixe, dont le minimum sera de 200 francs.

« ART. 17. ? L'instituteur communal devra recevoir gratuitement tous les élèves de la commune ou des communes réunies que les conseils municipaux auront désignés sur une liste annuelle comme ne pouvant payer de rétribution. Il recevra de tout élève non inscrit sur cette liste une rétribution mensuelle dont le taux sera fixé tous les cinq ans par l'autorité municipale, et qui sera perçue dans la même forme et sous les mêmes règles que les contributions publiques.

« ART. 18. ? Dans toute commune où il n'existe pas déjà une école primaire, soit communale, soit fondée par quelques dotations particulières, le conseil municipal délibérera dans sa plus prochaine session sur les moyens d'en établir une.

« Dès que le choix d'un instituteur aura été fait conformément à l'article 15, le conseil municipal devra être convoqué, et sera tenu, à défaut de ressources ordinaires, de voter jusqu'à concurrence de cinq centimes additionnels au principal des impositions directes de la commune, pour l'établissement de l'école primaire communale.

« Le préfet soumettra au Conseil général l'état des communes qui, même au moyen de cette contribution de cinq centimes, n'auraient pu, soit isolément, soit par la réunion de plusieurs communes, assurer un local convenable et un traitement suffisant à l'instituteur. Le Conseil général sera tenu, pour contribuer aux dépenses reconnues nécessaires à l'instruction primaire, d'imposer sur le département jusqu'à concurrence d'un centime.

« Quand les centimes imposés aux communes et aux départements ne suffiront pas, le ministre de l'instruction publique fixera annuellement une subvention sur le crédit porté pour l'instruction primaire au budget de l'Etat ; un rapport sur l'emploi des fonds alloués précédemment pour cet objet sera annexé chaque année à la proposition du budget.

« ART. 19. ? Dans toute commune où il existe déjà une école primaire communale, si le local occupé par l'instituteur n'est pas convenable, ou si son traitement fixe n'atteint pas le minimum, le conseil municipal devra voter, dès sa prochaine session, jusqu'à concurrence de cinq centimes destinés à lui assurer ce logement et ce traitement.

« En cas d'insuffisance de ces cinq centimes, il y serait suppléé conformément à l'article précédent.

« ART. 20. ? Plusieurs conseils municipaux pourront s'entendre à l'effet d'établir une école en commun. Dans ce cas, le comité d'instruction primaire désignera la commune où l'école devra être placée, et choisira l'instituteur.

« ART. 21. ? L'état des communes dépourvues d'instituteurs sera dressé par le préfet et soumis par lui au Conseil général de chaque département, dans la première session qui suivra la promulgation de la présente loi. Le Conseil général désignera celles des communes qui devront se pourvoir d un instituteur dans le courant de l'année suivante, et, faute par elles de l'avoir fait, la nomination de l'instituteur communal appartiendra au recteur de l'académie, et la commune sera tenue de s'imposer, conformément à l'article 18.

« ART. 22. ? Aussitôt qu'elles seront pourvues d'un instituteur primaire, les communes verseront annuellement dans les caisses des receveurs d'arrondissement une somme égale au vingtième du traitement fixe de chaque instituteur communal, laquelle sera placée en rentes sur l'Etat, à l'effet d'assurer des pensions de retraite aux instituteurs communaux, soit au bout de trente ans de services révolus, soit après dix ans au moins de services, dans les cas d'infirmités qu'ils auraient contractées pendant leurs fonctions, et qui les empêcheraient de les continuer.

« Néanmoins, aucune de ces pensions ne pourra être accordée avant le 1er janvier 1836 ; à cette époque, leur quotité en proportion des années de services et des traitements fixes sera déterminée par une ordonnance du roi.

« Les pensions seront ensuite liquidées par le ministre de l'instruction publique et des cultes, le Conseil royal de l'instruction publique entendu, et sur l'avis du comité cantonal de la dernière résidence de chaque réclamant.

« ART. 23. ? Il y aura, près de chaque école communale, un conseil de surveillance local, composé du maire, du curé ou pasteur, et de trois conseillers municipaux de la commune, désignés par le conseil municipal. Les surveillants visiteront régulièrement l'école de leur commune, et communiqueront au conseil le résultat de leur visite.

« Ils auront séance et voix consultative au comité pour toute affaire importante ayant rapport à l'école de leur commune.

«ART. 24. ? Les écoles primaires communales sont sous la direction des comités gratuits institués par les articles 3 et suivants de la présente loi. Ces comités veillent à ce que l'enseignement y soit donné à tous les enfants pauvres. Ils vérifient et approuvent les livres des instituteurs, ils provoquent toutes les réformes nécessaires, et font connaître à l'autorité compétente les besoins des écoles.

« ART. 25. ? En cas de négligence habituelle ou de faute grave d'un instituteur communal, le comité pourra, après avoir entendu ou dûment appelé l'instituteur, lui adresser une réprimande, prononcer sa suspension pour un mois, ou même sa destitution. L'instituteur aura quinze jours pour se pourvoir contre cette décision devant le Conseil académique. « ART. 26. ? Outre les écoles primaires appartenant à chaque commune, il pourra être établi dans chaque académie, après délibération des conseils municipaux et des Conseils généraux, une ou plusieurs classes ou écoles normales destinées à former des instituteurs primaires.

« Les directeurs de ces écoles normales primaires seront nommés par le ministre de l'instruction publique, et rétribués sur les fonds généraux portés au budget de l'Etat pour l'instruction primaire.

« ART. 27. ? Dans les lieux où il existe des écoles communales de filles, elles seront placées sous la surveillance des comités cantonaux, par l'intermédiaire de dames inspectrices. »

Le projet de loi du comte de Montalivet fut renvoyé par la Chambre à une commission de neuf membres, dans laquelle figuraient quatre membres de la Société pour l'instruction élémentaire. Daunou, nommé rapporteur, présenta dans la séance du 22 décembre son rapport, suivi d'un contre-projet, dont on trouvera le texte à l'article Taillandier.

Après avoir entendu la lecture du rapport de Daunou, la Chambre prononça l'ajournement indéfini de la discussion. Par suite de ce refus de la Chambre d'entrer en matière, Montalivet dut renoncer à l'honneur d'attacher son nom à la loi organique de l'enseignement primaire. Après avoir succédé à Casimir Perier comme ministre de l'intérieur en avril 1832, il sortit volontairement du ministère en octobre 1832, parce qu'il ne voulait pas devenir le collègue de Guizot et de Thiers qui y entrèrent à ce moment. Le portefeuille de l'instruction publique, que Montalivet avait cédé à Girod (de l'Ain) dès le mois d'avril 1832, échut alors à Guizot, qui reprit en sous-oeuvre le projet ministériel de 1831, le modifia sur quelques points, d'une façon qui ne fut pas toujours heureuse, nous l'avons vu, et en fit la loi de 1833.

Il nous reste à signaler les principaux actes du ministère Montalivet, en dehors de cette tentative méritoire et trop peu connue pour doter la France de la loi d'instruction primaire qu'elle réclamait.

Une des premières préoccupations de M. de Montalivet avait été de procurer aux élèves des écoles primaires « des livres qui puissent être utilement employés à leur instruction pendant qu'ils fréquentent les écoles, et rester avec avantage entre leurs mains après qu'ils les auront quittées ». A cet effet, il soumit au roi, le 12 août 1831, un projet qu'il exposait en ces termes : « Il existe beaucoup de productions composées pour la première éducation ; il en a été publié un très grand nombre tant en France qu'à l'étranger. D'après les recherches que j'ai prescrites, et les renseignements recueillis dans plusieurs Etats d'Allemagne, en Hollande, en Angleterre et en Ecosse, j'en ai fait dresser un catalogue raisonné qui ne comprend pas moins de quinze cents ouvrages. » Une commission spéciale devait être chargée d'en faire l'examen. « Les livres étrangers dont l'usage serait jugé utile seraient traduits en français, avec les modifications que pourraient exiger nos moeurs, nos intérêts nationaux, ou les croyances répandues parmi nous. Des aperçus seraient présentés par la commission, concernant les parties de l'instruction sur es-quelles il conviendrait de faire composer de nouveaux ouvrages, soit par la voie du concours, soit de toute autre manière. Enfin, elle proposerait un choix de livres d'instruction primaire ; elle présenterait le catalogue d'une bibliothèque centrale, où devrait désormais aboutir, de tous les pays du monde civilisé, le résultat de tous les travaux entrepris dans l'intérêt de l'éducation populaire, et d'où sortiraient ensuite, en faveur de cette même éducation, tous les moyens d'amélioration progressive. Cette bibliothèque centrale serait établie à Paris. Elle servirait de modèle à d'autres dépôts de même nature qui seraient formés successivement dans tous les chefs-lieux d'académies. Le nombre s'en accroîtrait ensuite peu à peu et n'aurait de limite que le nombre même des écoles primaires. » Ce projet reçut l'approbation du roi, et moins de trois mois plus tard, comme premier résultat pratique des travaux de la commission, le ministre put annoncer aux recteurs l'envoi d'un Alphabet et premier livre de lecture, et de trois ouvrages destinés à l'instruction morale et religieuse, pour chacun des trois cultes catholique, protestant et israélite.

Dans le même ordre d'idées, Montalivet songea à l'amélioration des almanachs. Une circulaire adressée aux préfets en 1832 leur annonce que le ministre désire « réunir et soumettre à un examen attentif, afin de leur imprimer à l'avenir un caractère d'utilité plus réel, les almanachs de toute nature, qui paraissent à l'occasion du renouvellement de l'année, ainsi que les différents recueils ayant la même destination ». C'était là une idée heureuse, et il est à regretter qu'on n'y ait pas donné suite.

Après le dépôt de son projet de loi sur l'instruction primaire, Montalivet, qui comptait voir, par son adoption, « une ère nouvelle de prospérité s'ouvrir pour les écoles », demanda aux préfets (30 novembre 1831) « d'examiner tout ce qui reste à désirer dans l'état de l'instruction primaire, non seulement d'une manière générale, dans les divers arrondissements de la préfecture, mais en détail, dans tous les cantons qui composent chaque arrondissement, et jusque dans chacune des communes dont chaque canton est formé ». Ils devaient adresser ensuite au ministre le tableau de la situation scolaire de chacun des arrondissements, avec l'indication motivée des subventions à allouer aux différentes communes.

Mentionnons encore le rapport au roi du 5 octobre 1831, où Montalivet propose l'exécution de la première statistique officielle de l'enseignement primaire qui ait été faite en France. Cette statistique devait être triennale. « Les mesures que j'ai prises, dit le ministre, me font espérer que, d'ici à quelques mois, j'aurai à ma disposition des renseignements positifs, étendus, complets, sur l'état actuel des écoles primaires dans le royaume, et, ce qui n'avait jamais été obtenu jusqu'à présent, ils comprendront les écoles de filles comme les écoles de garçons. Le résumé de ces renseignements formera le tableau de situation des écoles pour 1831, qui pourra être soumis à Votre Majesté dans le courant de 1832. En attendant que le tableau de 1831 puisse être achevé, il m'a paru qu'il serait à propos de mettre sous les yeux de Votre Majesté le résumé des documents que j'ai pu recueillir sur l'état de l'instruction primaire en 1829. » Cette statistique de 1829 forme une brochure grand in-4° de 18 pages. Quant à la statistique de 1831, elle ne fut pas publiée : Guizot la laissa dormir dans les cartons du ministère et la remplaça par celle de 1832.

Après sa sortie du ministère en octobre 1832, Montalivet, qui possédait toute la confiance de Louis-Philippe et passait pour représenter la pensée personnelle du roi, fut nommé intendant de la liste civile. Il reçut à deux reprises encore le portefeuille de l'intérieur, dans le premier ministère Thiers (1836) et dans le ministère Molé (1837). En 1839, il redevint intendant de la liste civile ; il rentra dans la vie privée en 1848. Après la chute du second empire, il fit adhésion à la République. Nommé sénateur inamovible en 1879, il est mort à Sancerre le 4 janvier 1880.