Pour le sens de ce mot et pour l'historique de l'ancien « monopole universitaire », Voir les articles Napoléon Ier, Université impériale, et ceux auxquels ils renvoient. Nous n'insisterons pas à nouveau sur la conception napoléonienne du monopole de l'Etat enseignant à tous les degrés, si vivement flétrie dès 1818 par Lamennais du double nom de « gabelle des connaissances » et de « police de l'esprit humain ».
Mais, depuis quelques années, on a repris, dans un autre sens, ce mot impropre de « monopole » : on l'applique seulement à l’enseignement primaire, quelques-uns l'étendent à l'enseignement secondaire. On entend par là que la charge de distribuer le premier ou les deux premiers degrés de l'instruction doit être assimilée à un service public que la nation ne peut se dispenser d'assurer par elle-même directement et exclusivement.
Parmi les partisans du monopole ainsi défini, les uns admettent que l'Etat aura seul la direction de tout l'enseignement, en choisira et en surveillera le personnel, en arrêtera les programmes, en fera passer les examens, en réglera la marche. Les autres supposent qu'à de certaines conditions fixées par lui et par lui toujours révocables, il pourra déléguer tout ou partie de son pouvoir enseignant à des associations ou à des personnalités de son choix, ce qui permettrait le maintien d'une liberté partielle de l'enseignement.
En négligeant les discussions de pure théorie, on n'invoque en faveur de cette interdiction du droit d'enseigner en dehors des écoles de l'Etat qu'une seule raison décisive. C'est la merveilleuse puissance avec laquelle l'Eglise, après la séparation plus encore qu'auparavant, après comme avant la suppression des écoles congréganistes, sait maintenir en France son vaste empire scolaire. Les écoles publiques ne sont pas, à vrai dire, aux prises avec des écoles privées : elles trouvent en face d'elles une organisation de combat très méthodique, étroitement liée à celle du clergé catholique et constituée par la même forte hiérarchie paroissiale et diocésaine. La suppression de ce corps enseignant, sorte de tiers ordre qui continue les congrégations sous l'habit laïque, l'interdiction faite à l'Eglise, association religieuse, de fonder, d'entretenir et de diriger ecclésiastiquement des établissements d'instruction primaire ou secondaire, paraît à beaucoup d'esprits la seule manière de défendre la liberté des parents contre la pression ecclésiastique ou patronale, la seule manière aussi de faire respecter le droit de l'enfant en garantissant à tout être humain, quelles que soient les convictions de sa famille, un minimum de premières connaissances générales, impartialement données, et dont il fera ensuite l'usage qu'il croira bon.
C'est précisément dans la détermination de ce minimum et des caractères qu'il devra remplir que consiste la difficulté. Que l'Etat ne puisse donner aucun enseignement confessionnel, rien de plus clair. Mais jusqu'à quel point a-t-il le droit d'empêcher les parents qui y tiennent de le faire donner de préférence à leurs enfants ? Sans doute il peut intervenir de diverses façons, par l'inspection, par les examens, par des règlements scolaires, pour que cet enseignement confessionnel ne puisse s'attaquer aux lois de l'Etat, battre en brèche les principes de la démocratie, pousser la jeunesse à l'ignorance ou à la méconnaissance systématique des institutions nationales. Mais est-il nécessaire pour cela de priver un certain nombre de citoyens de la liberté d'enseigner aux conditions de droit commun?
D'ailleurs et surtout, ce « monopole » ou ce droit exclusif d'enseigner entraînerait l'établissement d'une doctrine d'Etat très soigneusement définie et limitée, car il ne peut être question au vingtième siècle de porter atteinte à la conscience de personne. Et il faudra des garanties pour ce respect du droit égal de tous. Les familles prétendront exercer sur l'école un contrôle d'autant plus rigoureux qu'elles n'auront plus le choix entre plusieurs écoles : les programmes de l'école unique devront donc arriver à une sorte d'uniformité irréprochable qu'il est bien difficile de se représenter comme favorable à la vie de l'école, à la spontanéité du mouvement intellectuel, au libre élan des esprits, à la portée même de l'éducation qui n'est rien si elle n'est pas la chaude action d'une âme sur une autre âme.
Ce retour à une conception d'unité doctrinale et de conformité à un type officiel d'enseignement nous ferait tourner le des à l'idéal que la Révolution nous avait tracé, celui d'une France, non pas uniforme, mais libre et diverse comme la vie et comme ta pensée.
Nous nous en tenons à ces raisons de principe, sans vouloir y ajouter les autres objections qu'on fait valoir contre le « monopole » : le lourd surcroît de dépenses qu'il entraînerait, l'impossibilité d'exclure du personnel enseignant, à moins de procéder par voies arbitraires, les maîtres et les maîtresses animés d'un autre esprit que celui de l'école laïque actuelle, l'inefficacité surtout de la mesure qui dépenserait des millions en pure perte, puisqu'il serait toujours loisible à l'Eglise et à ses organisations, si souples, de créer, à côté des écoles proprement dites, des « oeuvres » de toutes sortes (professionnelles, sportives, récréatives, patriotiques, sociales, etc.) agissant sur l'enfance, l'adolescence et la jeunesse d'autant plus fortement que l'Eglise, libérée du lourd fardeau de ses écoles libres, pourrait jeter toutes ses ressources, tout son effort sur cette propagande directe, facile et séduisante, où nous savons qu'elle excelle.
Nous ne croyons donc pas qu'il soit possible de voir dans cette formule du « monopole » autre chose qu'un témoignage et un signe du malaise inséparable de l'état de transition que nous traversons entre l'ancien régime scolaire de la monarchie, qui n'est plus, et le nouveau régime de la démocratie, qui n'est pas encore. L'idée de recourir au monopole atteste à la fois qu'on a conscience du mal dont on soutire, qu'on cherche à tout prix un expédient pour s'y soustraire, et qu'on n'a pas encore trouvé le remède qui nous en délivrera.