L'Ecole Monge a été fondée à Paris en 1871 par un groupe d'hommes de progrès qui voulaient tenter de régénérer l'enseignement secondaire classique en y introduisant l'esprit nouveau et les méthodes perfectionnées de la pédagogie contemporaine. Parmi eux se trouvait au premier rang M. de Bagnaux, qui a rendu depuis tant de services à notre enseignement primaire par la part qu'il a prise, de 1878 à sa mort, à toutes les réformes inaugurées par le gouvernement républicain : c'est sous son inspiration directe que furent rédigés les programmes de la nouvelle institution.
Les innovations expérimentées à l'Ecole Monge peuvent se résumer, dans leurs traits essentiels, de la façon suivante :
Dans la division élémentaire (de sept à douze ans), les premières notions des sciences naturelles étaient données aux élèves au moyen de leçons de choses. « Les leçons de choses telles qu'elles se sont données jusqu'à ce jour, disait le plan d'études, laissent à désirer en ce que les objets auxquels elles se rapportent sont présentés sans ordre, et pour ainsi dire au hasard. Nous sommes convaincus qu'une coordination méthodique et rigoureuse, introduite dans le choix et le classement des sujets de leçons, doit en peu d'années, et sans aucune fatigue pour de jeunes intelligences, leur préparer une base solide pour le développement ultérieur d'un enseignement scientifique abstrait. » A l'enseignement de la langue maternelle s'associait, dès la première année, celui d'une langue étrangère vivante, l'allemand ; l'étude de ces deux langues était exclusivement pratique pendant les quatre premières années, les premières notions théoriques étant rejetées à la cinquième année. » Nous avons pensé que l'enseignement de la langue maternelle devait, pour être fructueux, s'appuyer dès le début sur un continuel exercice de traduction ; l'enfant est nécessairement conduit par cet exercice à l'examen spontané des rapports entre les différentes parties du discours et à la recherche des formes diverses qu'une même idée peut recevoir ; ainsi, il passe en revue naturellement tous les détails de l'analyse grammaticale et de l'analyse logique, qu'il n'éprouvera ensuite aucune difficulté à étudier théoriquement. » Le latin n'était abordé que dans la cinquième et dernière année du cours élémentaire : « Ce n'est pas sans raison que nous avons rejeté renseignement du latin bien après celui de la langue allemande ; suivant nous, l'enseignement des langues vivantes est de beaucoup préférable à l'enseignement des langues mortes pour de jeunes enfants. Ces dernières ne nous sont connues que par l'idiome savant de la littérature, qui convient parfaitement à l’expression des nuances les plus délicates de la pensée, mais qui ne nous fournit pas les moyens de traduire les notions usuelles qui sont à la portée de l'enfance. Les règles de cet idiome sont nombreuses, compliquées, et ne peuvent être convenablement comprises qu'autant qu'on les aborde avec un esprit déjà mûri par l'étude de sa propre langue. Nous indiquerons encore un motif qui nous engage à ne pas aborder, dès le début de l'enseignement, les études latines et grecques. C'est l'inconvénient que nous apercevons à fixer de trop bonne heure sur le monde ancien, si étranger à nos aspirations et à nos besoins, l'attention de la jeunesse. Nous redoutons que chez celle-ci le développement moral ne soit troublé par un contact prématuré avec les croyances et les moeurs des Romains et des Grecs, et nous pensons que l'étude trop exclusive de cette antiquité, qui professe sur la famille des sentiments si différents des nôtres, qui repose sur toutes les formes d'esclavage, qui méprise le travail et cherche dans la conquête ses principaux éléments de richesse, prépare mal à la pratique de la vie moderne. »
Dans la division de l'enseignement secondaire (de douze à dix-sept ans), le latin et le grec étaient enseignés surtout par la lecture des auteurs ; ajoutons que la prononciation adoptée était, pour le latin, celle des Allemands avec quelques modifications, et pour le grec celle des Grecs modernes. L'étude du grec ne commençait que dans la troisième année de cette division (élèves de quatorze ans), en même temps que celle de l'anglais. Pour l'enseignement de l'histoire, qui avait commencé dans la quatrième année de la division élémentaire, on suivait une marche spéciale : « Dans une première année, un exposé sommaire permet de distinguer nettement les grandes lignes de notre développement national, et d'aborder ensuite sans obscurité un point quelconque de notre histoire. Les deux années qui suivent sont consacrées, la première à la période qui s'étend de Louis XI à Louis XVIII, et la seconde à la période qui commence à l'invasion romaine et finit à Louis XI. Ces études détaillées sont reprises ensuite et rigoureusement liées entre elles dans un exposé chronologique de l'histoire générale du moyen âge et des temps modernes, que nous réservons pour les trois dernières années d'étude de cette division. »
La division supérieure, enfin, comprenait trois années d'éludes, qui préparaient les élèves en vue des concours d'admission aux diverses écoles spéciales du gouvernement.
L'éducation physique et l'éducation morale étaient l'objet de la même sollicitude que l'éducation intellectuelle. La courte durée des leçons, les récréations alternant avec le travail, les exercices gymnastiques, les promenades dans la campagne, devaient assurer aux enfants le repos d'esprit et le mouvement physique dont ils ont besoin. Quant au développement moral des élèves, « nos procédés d'enseignement, dit le plan d'études, tendent à développer la pénétration de l'esprit et la rectitude du jugement ; de là à la droiture des sentiments et à la fermeté du caractère, deux conditions qui sont le fondement de toute moralité solide, il y a peu de distance, si la voie à suivre est prudemment tracée. Enseigner simplement la morale, même la plus pure, n'est pas toujours efficace et pourrait, dans beaucoup de cas, demeurer insuffisant. Nous avons pensé que le meilleur moyen à employer devait être de les diriger principalement par l'exemple et par les habitudes qu'ils voient sans cesse régner autour d'eux. Comme il importe que la jeunesse soit pénétrée le plus tôt possible de cette pensée, que la sincérité et la loyauté, sur lesquelles repose la confiance mutuelle, sont des règles de conduite qui forment le fond essentiel de la sécurité dans les relations entre les hommes, nous avons voulu que l'école contribuât à habituer de bonne heure nos élèves à l'observation de ces règles. : en conséquence, le mensonge, lorsqu'il est reconnu, la dissimulation et le moindre défaut de sincérité sont flétris comme des fautes très graves et punis avec une impitoyable rigueur. Toutefois, nos punitions sont généralement douces. Pour encourager les efforts vers le bien, nous accordons de nombreuses récompenses. Mais, tout en cherchant à exciter le zèle des élèves, nous évitons avec le plus grand soin de développer entre eux cette émulation pernicieuse qui engendre si souvent, pour les uns une vanité funeste, pour les autres le découragement. »
Tel est, sommairement retrace, l'idéal que s'étaient proposé les créateurs de l'Ecole Monge.
Le succès même de l'entreprise dut en modifier quelque peu la nature, en transformant ce qui n'était au début qu'un modeste champ d'expériences en un vaste et luxueux établissement scolaire ; c'est toutefois de ce programme primitif que continuèrent à s'inspirer les professeurs dévoués et savants qui formaient le personnel de l'école.
En 1877, l'école, primitivement installée rue Chaptal, n° 32, fut transférée au boulevard Malesherbes, dans un bâtiment grandiose spécialement construit pour elle selon toutes les règles de l'hygiène scolaire moderne.
Mais, après plus de vingt ans d'une existence prospère, le moment vint où l'Ecole Monge eut à lutter avec les difficultés financières. La société qui avait fondé l'établissement se décida à le vendre à l'Etat, et celui-ci installa en 1894, dans l'immeuble du boulevard Malesherbes, un lycée qui a reçu le nom de lycée Carnot.