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Mnémotéchnie

Les procédés mnémotechniques ont pour but d'aider la mémoire à retenir des faits, des noms, des chiffres : à cet effet on a recours soit au rythme et à la rime (vers techniques), soit à la localisation (carré polonais de Jazwinski), soit à des associations d'idées arbitrairement créées entre les noms ou les chiffres à retrouver, et certaines phrases choisies de façon à se graver facilement dans le souvenir (procédé Aimé Paris). Dans les anciens collèges, on s'est longtemps servi de la Grammaire latine de Despautère, du Jardin des racines grecques de Lancelot, de la Pratique de la mémoire artificielle pour apprendre la chronologie, l'histoire et la géographie, du P. Buffier, écrits en vers techniques. De nos jours, Aimé Paris a créé un système de mnémotechnie, qu'il a enseigné dans des leçons publiques, et qu'il a fait connaître dans un ouvrage spécial (Principes et applications diverses de la mnémotechnie, 7e édition, Paris, 1833) ; l'abbé Moigno, adoptant le principe de la méthode Paris, a aussi publié en 1879 un Manuel de mnémotechnie, première partie : application à l'histoire. Le procédé de Dr Jazwinski, connu sous le nom de carré polonais, a joui pendant un temps d'une certaine vogue: grâce aux efforts du général Bem, il avait été adopte en 1843 dans les écoles de la Ville de Paris, pour l'enseignement de l'histoire de France. Ce procédé emploie un carré divisé en cent cases vides ; les quatre lignes du contour et les lignes formant les deux axes horizontal et vertical sont renforcées par un trait noir : le carré se trouve ainsi divisé en quatre carrés plus petits, dont chacun contient vingt-cinq cases. Si, dans le réseau formé par ce quadrillage, on inscrit les matières qu'il s'agit d'enseigner, on arrive à les représenter sous la forme de tableaux graphiques qui aident la mémoire à retenir l'ensemble et les détails au moyen d'une localisai ion matérielle.

La mnémotechnie a produit parfois des résultats surprenants : l'abbé Moigno raconte « qu'il étonnait et agaçait le savant François Arago » en lui indiquant de mémoire les chiffres des altitudes des principales montagnes du globe, ou en lui récitant sans broncher les soixante premières décimales du nombre π.

Mais, en laissant de côté les circonstances exceptionnelles où un homme peut se voir obligé de réclamer de sa mémoire des tours de force de ce genre, il est rare que la mnémotechnie rende de véritables services. On peut toujours, croyons-nous, arriver à établir, entre les faits à retenir, des liaisons naturelles qui permettent de les retrouver les uns par les autres, à une seule condition : c'est d'avoir étudié son sujet d'une façon assez approfondie pour avoir pu saisir les relations de cause à effet et les traits caractéristiques des détails essentiels. Personne n'éprouve aucune difficulté à retenir l'ordre de succession des rois de France de la famille de Bourbon, de Henri IV à Charles X, et l'on n'a jamais songé à en faire apprendre la liste par coeur : pourquoi ? parce que chacun connaît par le menu les règnes de ces souverains. Par contre, on retient moins aisément la série des noms des premiers Capétiens, de Hugues Capet à Charles IV le Bel : pourquoi ? parce que plusieurs de ces rois ne sont, pour beaucoup de personnes, que des noms auxquels elles ne rattachent le souvenir d'aucun fait intéressant. Que faut-il donc faire pour arriver à retenir les noms des quinze premiers Capétiens? Le seul procédé qui nous paraisse recommandable, c'est une étude plus complète de l'histoire de France du dixième au quatorzième siècle : quand l'esprit se sera familiarisé suffisamment avec les détails de cette période historique, qu'il y aura voyagé dans tous les sens et se sera complu à en considérer les divers aspects, la mémoire possèdera, de façon à ne plus pou voir les oublier, les noms et l'ordre de succession des rois, sans qu'injonction spéciale lui ait été faite de les retenir. Quant à la chronologie, ne suffit-il pas de s'être créé, pour chaque siècle, quelques points de repère, autour desquels la connaissance des faits, bien plus précieuse que la mémoire mécanique des dates, permettra de grouper et de classer méthodiquement les événements dans leur ordre et en conservant leurs distances respectives? A supposer même qu'il s'agisse, dans un cas donné, de retenir mécaniquement une kyrielle de mots ou de chiffres, est-il vraiment besoin de procédés techniques pour y arriver? La simple mémoire de l'oreille, qui, après quelques ré pétitions, reproduit les syllabes dans un ordre donné, ne suffit elle pas aux enfants pour savoir par coeur, par exemple, la table de multiplication ou la liste des sous-préfectures? Nous ne contestons pas, toutefois, que les procédés mnémotechniques puissent, à l'occasion, devenir des aide-mémoire efficaces, et nous ne songerions point à en proscrire absolument l'emploi raisonnable : mais nous pensons que, dans ce cas, la meilleure mnémotechnie est celle que chacun se l'ail à lui-même pour son usage personnel, d'après ses habitudes d'es prit, et que les systèmes conçus par des tiers et qu'on essaie de s'approprier de toutes pièces sont plus encombrants qu'utiles.

James Guillaume