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Mineurs délinquants

Traiter des mineurs délinquants n'est pas sortir du cadre des sujets auxquels est consacré ce Dictionnaire. Car, devant le méfait, crime ou délit, commis par un enfant ou un adolescent, la question se pose le plus souvent d'une éducation à faire ou à modifier, ou à défaire et refaire.

Si le méfait du mineur est une atteinte à la sécurité actuelle de la société, il est plus encore une menace pour sa sécurité future. Ce mineur, en effet, n'a pas plus achevé sa croissance morale que sa croissance physique ; et la première risque trop d'évoluer du mal au pire, si le redressement n'en est pas opéré en temps utile. La défense sociale exige que le traitement soit autant que possible approprié à une plaie qu'il ne faut pas considérer seulement comme un mal présent, mais comme un inquiétant devenir, gros de dangers plus graves. Aussi, quelque légitime que soit la part à faire en ce domaine aux sentiments de compassion et d'humanité, et sans méconnaître aucun des devoirs sociaux, ni aucune des responsabilités sociales que la criminalité juvénile met en jeu, doit-on se mettre en garde autant contre les erreurs sentimentales, qui, en réalité, protègent mal le mineur, que contre les systèmes de répression mal adaptés, qui défendent mal la société.

On se rend de mieux en mieux compte que l'acte délictueux ou criminel commis par le mineur ne doit pas être retenu seulement pour lui-même. Il doit l'être surtout comme l'indice révélateur d'un ensemble de dispositions, d'habitudes, d'antécédents, de conditions d'existence, de contraintes ou d'influences subies. Sans doute des considérations semblables ne sauraient, mutatis mutandis, rester étrangères à l'appréciation du méfait d'un adulte. Mais le mineur a beaucoup moins que l'adulte le pouvoir de réaction personnelle, et, d'autre part, il est, dans la plupart des cas, sensiblement plus modifiable par autrui. En conséquence, le problème posé par la criminalité juvénile, sans cesser jamais d'être une question de préservation sociale, est avant tout un problème d'orthopédie morale, donc d'éducation.

Que, parmi les mineurs délinquants, il y ait, en fait, des incorrigibles ou des incurables, cela ne paraît pas douteux. Mais l'incorrigibilité ou l'incurabilité ne sauraient être présumées. L'humanité répugne à une telle présomption ; et, en outre, le pronostic est soumis à trop de chances d'erreur.

Sans doute encore, en plus d'un cas, le traitement du sujet relève du médecin compétent, qui alors fera nécessairement acte d'éducateur, et l'expérience des pédagogues pourra lui être de quelque secours. En beaucoup d'autres cas il appartient aux éducateurs proprement dits, à qui les avis du médecin ne seront jamais inutiles.

C'est une lâche difficile que cette oeuvre d'orthopédie morale. Il importerait qu'elle fût très diversifiée dans ses procédés pour s'adapter à la grande variété des cas. Et cela même est difficile.

Avant tout, l'adaptation devrait supposer qu'on est assez éclairé sur les éléments qui entrent, pour chaque espèce, dans le méfait du mineur, sur les facteurs internes ou externes du lamentable phénomène : tares physiologiques, ou déformations psychiques, antécédents personnels ou héréditaires, profonde débilité intellectuelle ou morale, perversité précoce, abandon matériel ou moral, absence, impuissance, désorganisation ou indignité de la famille, action délétère du milieu, misère, alcoolisme, promiscuités du taudis, contaminations de la rue, etc.

Devant le délit ou le crime du mineur, la société ne doit oublier ni l'intérêt de sa propre sauvegarde, ni sa part de responsabilité. Cette double considération fonde son devoir et son droit non seulement à l'égard du mineur, mais aussi à l'égard de la famille. Elle remplit l'un et use de l'autre par un emploi approprié du pouvoir à la fois disciplinaire et protecteur, sur l'enfant, transféré, au moins en principe, en raison du méfait révélateur, des parents à l'autorité publique. Cette tutelle spéciale et ce droit de correction, assumés par la société, se peuvent exercer par des procédés très divers, gradués des plus doux aux plus sévères. Mais, quels que soient les moyens, le but est toujours le redressement du mineur, pour son bien et pour la sécurité commune.

La législation qui régit actuellement en France les mineurs délinquants, peu homogène, dont les parties successives s'échelonnent depuis 1810 jusqu'à 1908, a rendu des services incontestables ; mais le respect qu'on lui doit n'en peut faire nier ni les erreurs, ni les contradictions, ni les lacunes. Il est juste de dire que la pratique, depuis quelques années surtout, s'est efforcée d'atténuer les unes et de suppléer, souvent d'une façon fort ingénieuse bien qu'insuffisamment, aux autres.

Cette législation, telle qu'elle se présente, trahit l'associa lion de principes disparates. Car d'une part elle consacre encore le vieux système de la pénalité tempérée par la pitié, avec la tarification pénale atténuée, et d'autre part elle ouvre la porte, mais trop encombrée d'obstacles, à l'idée plus moderne de l'éducation réformatrice par la discipline et le régime appropriés plutôt au caractère et à la situation de l'agent qu'à la nature de l'acte.

Nous allons résumer d'abord la législation française «n vigueur. Puis nous dirons quelques mots des institutions qui fonctionnent dans le cadre et les limites de cette législation. Enfin nous nous proposons d'indiquer les tendances en cours vers l'amélioration de la pratique et de la loi.

I ? La législation

Les mineurs dont nous nous occupons sont les mineurs au sens pénal.

La limite de la minorité pénale était fixée par le Code pénal à l'âge de seize ans accomplis. La loi du 12 avril 1906 l'a portée à l*âge de dix-huit ans avec des restrictions importantes que nous rappellerons plus bas.

Le droit romain sur ce sujet, avec ses distinctions multiples suivant les âges, peut paraître, à certains égards, plus judicieux que ne l'est le système trop simple du Code pénal de 1810. Mais, adapté à l'organisation antique, non immuable d'ailleurs, de la puissance paternelle et à un état social dont l'esclavage était un élément essentiel, il ne peut être pour nous un terme de comparaison très utile.

Formes grossières de la correction, manifestations touchantes de la charité chrétienne, se juxtaposent sans coordination, ni grand esprit de suite, dans la pratique du moyen âge et de l? « ancien régime » monarchique. Il faut cependant mentionner l'ordonnance royale de 1545 qui supprimait les châtiments corporels, réglait l'hospitalisation des jeunes mendiants et vagabonds, et même recommandait leur placement dans des familles honnêtes. Mais, dès 1568, le fouet fut remis en honneur et l'on rentra dans l'empirisme de la répression et de la charité mêlées.

La loi des 25 septembre-6 octobre 1791 (I" partie, titre V) contenait quelques dispositions relatives à l'enfance coupable. Nous les retrouvons légèrement modifiées, plutôt avec atténuation, dans le Code pénal. Cependant la Révolution avait posé le principe d'une « éducation » correctionnelle. Nul doute que, si les événements lui en avaient laissé le loisir, elle n'eût eu plus à coeur que le législateur de 1810 d'en poursuivre l'application.

C'est le Code d'instruction criminelle de 1808 et le Code pénal de 1810, avec les correctifs d'ordre général qu'il reçut en 1832, qui forment encore le fond de la législation en vigueur. Les lois du 5 août 1850, du 19 avril 1898 et du 12 avril 1906 ont apporté à l'édifice des compléments indispensables et quelques aménagements nouveaux, dont nous ne songeons pas à méconnaître l'importance ; mais elles n'en ont changé ni les fondations, ni les dispositions maîtresses.

Une première remarque s'impose: c'est qu'à la différence de la plupart des législations étrangères, la nôtre, si elle arrête par en haut la période de minorité pénale soit à l'âge de seize ans, soit à l'âge de dix-huit ans, ne fait aucune distinction au-dessous de l'un ou l'autre de ces âges. Il en résulte que, théoriquement, l'enfant en bas âge peut être soumis aux mêmes procédures que l'adolescent, qu'il peut être, comme celui-ci, détenu préventivement dans une prison, poursuivi devant un tribunal répressif, juge en audience publique, que pour lui, comme pour son grand aîné, se posera la question de « discernement » ou de « non discernement ». Il en résulte encore que, juridiquement toujours, il est passible de toutes les sanctions applicables au mineur de dix-huit ans qui a agi «sans discernement », au mineur de seize ans qui a agi « avec discernement ». Les mêmes magistrats instruisent et jugent les affaires des majeurs et celles des mineurs pénaux. Ceux-ci sont soumis, comme ceux-là, à l'emprisonnement préventif, quel que soit leur âge, avons-nous dit, sous la réserve spécifiée par la loi du 5 août 1850, que, dans les maisons d'arrêt et de justice, un quartier distinct doit être affecté aux jeunes détenus de toute catégorie.

Toutefois, l'article 4 de la loi du 19 avril 1898, modifié par l'article 3 de la loi du 12 avril 1906, permet au juge d'instruction d'ordonner en tout état de cause que la garde de l'enfant soit provisoirement confiée, jusqu'à ce qu'il soit intervenu une décision définitive, à un parent, à une personne ou à une institution charitable qu'il désigne, ou, si l'enfant a moins de seize ans, à l'Assistance publique.

En matière criminelle, le mineur de moins de seize ans est soustrait à la juridiction de la Cour d'assises à la double condition que le crime à lui imputé ne soit puni par la loi ni de la peine de mort, ni de celle des travaux forcés à perpétuité, ni de la peine de la déportation, ni de celle de la détention, et qu'il n'ait pas de complices présents âgés de seize ans révolus (article 68 du Code pénal).

Quelle que soit d'ailleurs la juridiction et quel que soit l'âge du mineur, l'audience est soumise aux mêmes règles que pour les adultes en ce qui concerne la publicité.

Avant toute décision, la question doit être posée et jugée de savoir si le mineur, en supposant établis les faits qui lui sont reprochés, a agi avec ou sans discernement. Elle doit l'être dans les mêmes termes, par exemple, pour un enfant de cinq ans, pour un enfant de douze ans, pour un jeune homme de dix-sept ans. Or, le législateur n'a pas défini le « discernement » ; et il semble bien qu'aujourd'hui encore ni la jurisprudence, ni la doctrine ne nous fixent d'une façon définitive sur une signification à lui attribuer qui serait à la fois assez précise et applicable à la grande diversité des âges et à l'infinie variété des cas.

Est-il décidé que le mineur a agi « avec discernement » ? C'est le droit commun qui lui est appliqué, avec le même tarif pénal que pour les adultes, s'il s'agit d'un mineur de seize à dix huit ans (Loi du 12 avril 1906). Si le mineur avait moins de seize ans au moment où l'infraction était commise, il est condamné, et c'est une peine proprement dite qui est prononcée contre lui : mais elle est établie suivant une échelle de substitutions et de réductions dressée par l'article 67 du Code pénal en cas de crime, par l'article 69 en cas de délit. Ajoutons que, si des circonstances atténuantes sont accordées, c'est, d'après la jurisprudence, sur la peine modifiée d'abord par l'article 463 du Code pénal que jouent la substitution et les réductions résultant de l'excuse de minorité.

Sans reproduire ici le détail des dispositions des articles 67 et 69 du Code pénal, disons que la peine la plus grave à laquelle le mineur de moins de seize ans s'expose en cas de crime est celle de dix à vingt ans d'emprisonnement dans une colonie correctionnelle, peine substituée à la peine de mort ou des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation. Disons aussi que le jeu combiné de l'un ou l'autre de ces articles et de l'article 463 permet d'appliquer au mineur de moins de seize ans de courtes peines d'emprisonnement en cas de crime et de très courtes peines d'emprisonnement en cas de délit.

L'emprisonnement est subi dans une prison départementale s'il est de six mois ou moins, dans une « colonie pénitentiaire » s'il est de six mois à deux ans, dans une « colonie correctionnelle » s'il est de plus de deux ans. (Loi du 5 août 1850 et loi du 12 avril 1906.)

Pour le délit de vagabondage, si c'est un mineur de moins de seize ans qui en est convaincu et s'il est décidé qu'il a agi avec discernement, la peine applicable est l'interdiction de séjour (art. 271 du Code pénal, modifié par la loi du 28 avril 1832 et par l'article 19 de la loi du 27 mai 1885).

Le régime du casier judiciaire s'applique aux mineurs de tout âge, s'ils ont agi avec discernement, comme aux majeurs, sous cette réserve que, en vertu de la loi du 5 août 1899 (art. 7), est dispensée d'inscription au bulletin n0 3 la première condamnation à un emprisonnement de trois mois ou de moins de trois mois. Le bulletin n0 3 est celui qui est délivré à l'intéressé pour être communiqué, s'il y a lieu, aux tiers.

Depuis la loi du 12 avril 1906 le bénéfice du non-discernement peut être obtenu jusqu'à l'âge de dix-huit ans.

Est-il décidé que le mineur, ayant moins de dix-huit ans au moment où il a commis un crime ou un délit, a agi sans discernement? l'article 66 du Code pénal, la loi du 12 avril 1906 et les articles 4 et 5 de la loi du 19 avril 1898 dont il faut rapprocher les textes, donnent aux juges le droit de prendre, en « acquittant » le mineur, l'une des mesures suivantes :

1° Remise pure et simple du mineur à ses parents ;

2° Remise soit à un parent, soit à une personne ou à une institution charitable, soit, si le mineur a moins de seize ans, à l'Assistance publique ;

3° Remise du mineur à l'administration pénitentiaire pour être conduit dans une colonie pénitentiaire, afin d'y être « élevé et détenu » pendant le nombre d'années que le jugement détermine, mais qui ne peut excéder l'époque de la majorité civile.

Il convient de noter que le tribunal ne peut adopter que l'une de ces décisions d'une façon terme. Dès qu'il la prise, la justice est dessaisie. Elle ne peut pas modifier en cours d'exécution la solution choisie. Elle ne peut pas prononcer qu'une seconde solution sera substituée à la première dans tel ou tel cas prévu. Elle ne peut pas, à l'égard du mineur acquitté comme ayant agi sans discernement, prononcer son envoi dans un établissement d'éducation pénitentiaire avec sursis, tout en le confiant conditionnellement soit à ses parents, soit à un particulier, soit à un patronage sous la sanction éventuelle de la révocation du sursis.

La loi du 5 août 1830 « sur l'éducation et le patronage des jeunes détenus » prescrit de leur donner soit pendant leur détention préventive, soit pendant leur séjour dans les établissements pénitentiaires, « une éducation morale, religieuse et professionnelle » et, dans les colonies et maisons pénitentiaires ou correctionnelles, l'instruction élémentaire.

Elle substitue, pour les établissements qui doivent leur être affectés, à la dénomination uniforme et équivoque de maison de correction, employée par le Code pénal, celles de colonie pénitentiaire et de colonie correctionnelle pour les jeunes garçons, et celle de maison pénitentiaire pour les jeunes filles.

La colonie pénitentiaire reçoit, en même temps que les « acquittés » de l'article 66 du Code pénal, les « condamnés » des articles 67 et 69 à plus de six mois et à moins de deux ans et un jour. La colonie correctionnelle reçoit les jeunes détenus condamnés à plus de deux ans d'emprisonnement en vertu des articles 67 ou 69, et en outre, sur décision du ministre de l'intérieur, les insubordonnés des colonies pénitentiaires. Quant aux maisons pénitentiaires pour jeunes filles détenues, elles sont indistinctement affectées aux condamnées en vertu des articles 67 et 69, quelle que soit la durée de la peine prononcée, aux acquittées de l'article 66, et aux mineures détenues par voie de correction paternelle.

Les colonies et les maisons pénitentiaires sont soit publiques, c'est-à-dire fondées et dirigées par l'Etat, soit privées, c'est-à-dire fondées et dirigées par des particuliers avec l'autorisation de l'Etat et sous sa surveillance.

Le législateur de 1850 ne dissimulait pas ses préférences pour les établissements privés (art. 6 de la loi).

La loi de 1850 contient des dispositions communes aux établissements publics et privés. Quant à l'éducation professionnelle, elle la prévoyait à peu près exclusivement agricole (articles 1 et 3).

Elle autorise le placement provisoire hors de la colonie à titre d'épreuve.

Elle institue des conseils de surveillance auprès des établissements, qu'elle soumet à l'inspection des autorités administratives et judiciaires.

Enfin elle prévoyait, sans l'organiser ni le régler, le patronage des jeunes détenus libérés par « l'Assistance publique ou autrement.

Terminons celle revue sommaire de la législation en rappelant que la loi du 24 juillet 1889, sur les enfants maltraites et moralement abandonnés, contient, à l'article 2, la disposition suivante : « Peuvent être déclarés déchus des mêmes droits (des droits de la puissance paternelle) : « ? 5° Les pères et mères dont les enfants ont été conduits dans une maison de correction par application de l'article 66 du Code pénal. »

II. ? Etablissements : Education, Discipline, Travail. ? Patronage. ? Institutions diverses.

La prison, on l'a vu, compte parmi les établissements affectés aux mineurs délinquants.

Séparer les quartiers de mineurs est une obligation générale de la loi. En outre, la séparation individuelle est partiellement pratiquée au fur et à mesure de la transformation des prisons départementales en vertu des lois du 5 juin 1875 et du 4 février 1893. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les raisons, tout à fait indépendantes de la volonté de l'administration pénitentiaire, pour lesquelles cette transformation n'avance qu'avec lenteur.

Dans la Seine, la prison de la Petite-Roquette, dont le transfert et les transformations sont une question de date, et des cellules séparées dans le quartier des femmes de la prison de Fresnes, sont affectées, la première aux jeunes garçons, et la seconde aux filles mineures sous le régime de l'emprisonnement individuel. Il faut bien encore mentionner le passage forcé des mineures prévenues (de plus de seize ans) à la prison de Saint-Lazare dans des locaux particuliers : situation provisoire à laquelle il faut souhaiter qu'il soit mis un terme le plus prochain possible suivant des projets à l'instruction. Le séjour des mineurs dans ces divers établissements est, qu'ils soient prévenus, condamnés à de courtes peines, ou détenus par voie de correction paternelle, ou qu'ils attendent leur transfèrement, nécessairement limité. L'oeuvre d'enseignement et d'amendement n'y peut être qu'ébauchée. Cependant l'administration ne néglige rien pour y améliorer cette ébauche autant que le permettent des conditions défavorables. Directeurs, instituteurs et institutrices y déploient beaucoup de zèle. A côté de leur action générale, il convient de ne point méconnaître l'action spéciale, soit des ministres des différents cultes, soit des visiteurs et des visiteuses délégués par les patronages, et des conférenciers volontaires agréés par l'administration.

En province, les petites prisons ne se prêtent guère même à une ébauche d'éducation réformatrice, et néanmoins il faut rendre justice à de modestes gardiens-chefs que nous connaissons, et à leurs femmes, pour ce qu'ils essaient de mêler de sollicitude quasi paternelle ou maternelle à l'exercice de leur sévère devoir envers les enfants dont ils ont la garde.

Dans plus d'une prison importante l'effort de relèvement s'accuse, autant que le permet la prison, avec le concours, soit des instituteurs, soit des patronages ou des comités de défense des enfants traduits en justice. On peut signaler, comme un exemple qui n'est pas unique, la petite école organisée à la prison Chave de Marseille sur l'initiative et avec la collaboration du Comité de défense des enfants traduits en justice de cette ville.

Si nous mettons à part la Petite-Roquette et le quartier de Fresnes dont il a été parlé plus haut, les établissements proprement dits d'éducation correctionnelle ou pénitentiaire sont actuellement, en nous en tenant à la terminologie de la loi de 1850, une « colonie correctionnelle » et un certain nombre de « colonies et de maisons pénitentiaires » sous différentes dénominations.

La colonie correctionnelle publique unique de garçons est celle d'Eysses (commune de Villeneuve-sur-Lot), dans le département de Lot-et-Garonne. Elle appartient à l'Etat.

Les colonies pénitentiaires publiques de garçons sont celles des Douaires près Gaillon(Eure), de Saint-Maurice à La Motte-Beuvron (Loir-et-Cher), du Val-d'Yèvre (Cher), de Belle-Ile-en-Mer (Morbihan), d'Aniane (Hérault), d'Auberive (Haute-Marne), plus l'Ecole de réforme de Saint-Hilaire (Vienne).

Il faut ajouter à cette liste le quartier correctionnel de Gaillon (Eure), séparé des Douaires, mais rattaché à leur direction, qui reçoit des indisciplinés des autres colonies.

Les colonies pénitentiaires privées pour les garçons sont celles de Bar-sur-Aube (Aube), de la Couronne (Charente), de Mettray (Indre-et-Loire), de Sainte-Foy (Dordogne), de Saint-Joseph, à Frasne-le-Château (Haute-Saône), plus la Colonie-sanatorium des Vermireaux (Yonne).

Les maisons pénitentiaires de filles appartenant à l'Etat s'appellent les Ecoles de préservation de Doullens (Somme), de Cadillac (Gironde), et de Clermont (Oise).

A chacune des écoles de préservation de Doullens et de Clermont est attaché un quartier spécial et séparé, dit quartier correctionnel.

Les maisons pénitentiaires privées pour les filles sont celles de Basvilliers (Haut-Rhin), de Limoges (Haute-Vienne), de Montpellier Solitude-de-Nazareth (Hérault), de Darnétal près Rouen (Seine-Inférieure), des Diaconesses (protestantes) et des Israélites de Paris.

En dehors de la colonie correctionnelle d'Eysses et du quartier correctionnel de Gaillon, la répartition, si nécessaire, d'après l'âge des mineurs au moment de l'« envoi en correction » et suivant leurs antécédents, est poursuivie. Malheureusement, les ressources notoirement insuffisantes de l'administration pénitentiaire, jointes aux exigences géographiques, ne lui ont permis jusqu'ici que de la réaliser partiellement pour les garçons, et de l'ébaucher à peine pour les jeunes filles.

L'Ecole de réforme publique de Saint-Hilaire et la colonie privée de Frasne-le-Château ne reçoivent rigoureusement que des garçons âgés de moins de douze ans au moment de l'envoi en correction. La colonie agricole d'Auberive ne reçoit que des garçons de moins de quatorze ans. La colonie agricole de Saint-Maurice ne reçoit autant que possible que des pupilles de moins de seize ans. Mais il n'a pas encore été possible d'aller plus avant dans cette voie. C'est ainsi que, dans certains établissements encore, sont reçus à la fois des mineurs de moins de seize ans et des mineurs de seize à dix-huit ans.

A noter que la colonie maritime, agricole et, pour partie, industrielle de Belle-île-en-Mer est affectée aux pupilles des régions côtières de l'Ouest, et que la Colonie-sanatorium des Vermireaux (établissement privé) reçoit des pupilles infirmes ou atteints de maladies incurables (autres que la tuberculose) et un certain nombre d'arriérés ou anormaux.

En ce qui concerne les filles, à l'Ecole de préservation de Cadillac, le seul établissement public de ce genre pour tout le Midi de la France, on tend, autant que possible, à recueillir les plus jeunes et les moins vicieuses. La colonie privée de Basvilliers, dans le Haut-Rhin, reçoit les pupilles de toute catégorie, mais le moins possible les mineures envoyées en correction pour « vagabondage » (prostitution). Les mineures de cette dernière catégorie sont principalement placées dans l'Ecole de préservation de Doullens et dans l'Ecole de préservation, récemment créée, de Clermont (Oise). Chacun de ces deux derniers établissements, qui appartiennent à l'Etat, possède un quartier correctionnel affecté aux indisciplinées des établissements publics et privés. L'asile Sainte-Madeleine (maison privée), à Limoges, recueille des pupilles en état de grossesse. Une place y est d'autre part réservée aux mineures atteintes de maladies vénériennes.

L'administration a ouvert à la fin de l'année 1909, dans les bâtiments de l'ancienne prison de Saint-Bernard à Loos, près Lille, une seconde colonie publique industrielle pour les garçons (la première est celle d'Aniane). En outre, elle étudie la création dans la région du Midi, qui en est dépourvue, d'une nouvelle colonie agricole pour les mineurs du sexe masculin.

La population de l'ensemble des établissements d'éducation correctionnelle et pénitentiaire avait subi une décroissance continue au cours des dix années qui ont précédé la loi du 12 avril 1906. De 5844 mineurs elle était tombée à 2973 en 1905. Ce n'était pas, hélas ! que la criminalité juvénile eût suivi la même marche descendante. La décroissance rappelée tenait à d'autres causes, parmi lesquelles on est bien obligé de compter à l'égard des établissements dits « maisons de correction » une injuste défaveur trop répandue dans certains milieux judiciaires. Mais à cette décroissance succède, à partir de l'année 1906, une progression en sens inverse, et, au mois d'avril 1909, le total des « pupilles de l'administration pénitentiaire » atteignait le chiffre de 5812. Un tel accroissement ne doit être attribué que pour une faible part à un commencement de réaction contre le préjugé auquel il vient d'être fait allusion. La principale cause, et de beaucoup, est l'application de la loi du 12 avril 1906 qui a permis aux tribunaux de décider qu'un mineur de seize à dix-huit ans a agi sans discernement et de l'acquitter en l'envoyant « en correction » jusqu'à sa majorité. Entre temps, et au cours des dernières années, cinq colonies pénitentiaires privées (quatre de garçons et une de filles) ont été supprimées ou ont cessé de fonctionner comme telles ; et trois nouveaux établissements publics ont été créés, dont deux pour les filles et un pour les garçons.

Actuellement (1909), l'effectif des mineurs envoyés en colonie correctionnelle ou pénitentiaire se répartit ainsi :

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Le cadre du personnel d'une colonie publique de garçons comprend essentiellement un directeur et, au dessous du directeur (en même temps que les fonctionnaires attachés à l'économat et aux écritures, les fonctionnaires spéciaux tels que le régisseur des cultures ou le conducteur des travaux et les personnes attachées au service médical et au service du culte) : 1° Un instituteur-chef, qui est le second du directeur et le remplace en cas d'absence ; 2° plusieurs instituteurs ; 3° un surveillant-chef, des premiers surveillants, un nombre plus ou moins important de surveillants, dont quelques-uns sont en même temps contremaîtres.

A la colonie de Belle-Ile-en-Mer, qui possède une section maritime destinée à former des matelots et des pêcheurs, avec un bateau-école et quelques barques de pêche, est attaché un ancien capitaine de la marine marchande, secondé par des surveillants choisis pour leurs aptitudes spéciales.

A l'école de réforme de Saint-Hilaire, la section de Chanteloup, où séjournent les jeunes garçons jusqu'à l'âge d'environ treize ans, est exclusivement confiée, sous l'autorité du directeur, à des femmes : une institutrice-chef, des institutrices et des surveillantes laïques.

Des trois colonies publiques de filles, celles de Doullens et de Clermont ont un directeur, celle de Cadillac une directrice. Dans les deux colonies publiques de filles qui ont à leur tête un directeur, une inspectrice ou une institutrice-chef remplit en quelque sorte la lieutenance, et le personnel enseignant et de surveillance intérieure est exclusivement féminin. A Cadillac le personnel entier, à l'exception du personnel médical et ecclésiastique et d'un gardien extérieur, est féminin. Tout ce personnel, sauf les ministres du culte, est laïc.

Les colonies pénitentiaires privées ont un directeur ou une directrice responsable agréé par le ministre de l'intérieur (art. 7 de la loi du 5 août 1850). Les fondateurs ou directeurs doivent faire agréer par le préfet les employés et surveillants placés sous leurs ordres. (Règlement du 10 avril 1869.)

Les colonies privées de garçons sont dirigées par des laïques, à l'exception de l'établissement de Frasnes-le-Château, qui ne reçoit que les enfants de moins de douze ans : cet établissement est dirigé par des religieuses.

Les maisons pénitentiaires privées pour les jeunes filles sont, au nombre de quatre (Basvilliers, Rouen, Montpellier et Limoges), tenues par des religieuses. Les deux autres sont celles des Diaconesses protestantes et des Dames Israélites de Paris.

L'éducation réformatrice des mineurs placés dans les établissements d'éducation correctionnelle ou pénitentiaire, sainement et suffisamment nourris, formés à l'ordre par un emploi réglé du temps, a pour instruments principaux : 1° l'action morale du directeur (ou de la directrice) et de tous ses collaborateurs (ou collaboratrices) ; 2° le régime disciplinaire (récompenses et punitions) ; 3° l'instruction et les exercices divers ; 4° le travail et le pécule.

Il faut placer en première ligne l'action personnelle du directeur ou de la directrice. Elle vaut ce que vaut l'homme ? ou la femme ? qui l'exerce, par son caractère, par son coeur, par son jugement, par sa connaissance des sujets qui la reçoivent. Elle vaut d'autant plus qu'elle s'individualise davantage. Et ceci contre-indique, bien entendu, les établissements à trop grands effectifs, dont, faute de ressources, on subit encore la nécessité.

L'action morale suppose évidemment une morale. Nous entendons la morale de l'altruisme, de la solidarité, de la dignité et de la justice, humainement et socialement fondée, sans esprit de système, sur les sentiments, sur les faits et la raison, en harmonie avec l'expérience et l'évolution des sociétés civilisées ; nous entendons la morale du bon sens et de la bonté, la morale du devoir, des devoirs envers les autres et envers soi-même, envers la famille, envers la patrie et envers l'humanité ; et nous l'entendons traduite en directions concrètes et pratiques, mises à la portée des simples. Mais l'action morale exige en outre des qualités personnelles, un dévouement, un tact, une patience, une variété judicieusement appliquée de moyens et de procédés auxquels rien ne supplée. Disons surtout qu'on n'agit moralement sur des enfants ou des jeunes gens que si on les aime et si on les connaît bien. Mais n'oublions pas qu'au regard de ceux qui nous occupent le caractère, les antécédents, les influences antérieurement subies, souvent les tares physiologiques et les hérédités, aggravent singulièrement les difficultés de la tâche.

Faut-il rappeler que cette oeuvre d'orthopédie morale n'est pas seulement une affaire de leçons, mais surtout de pratique? Les préceptes, présentés sous des formes simples, même familières, répétés et expliqués à propos, y jouent leur rôle nécessaire. Des enseignements spéciaux par la parole et par l'image, comme l'enseignement anti-alcoolique, y ont leur part. Mais elle réclame essentiellement une attention constante, qui épie ou fait naître toutes les occasions de réveiller au d'éveiller les bons penchants, de faire reculer les mauvais instincts, de former le jugement moral, de cultiver la sociabilité et le respect de soi-même, de provoquer et d'exercer le sentiment de la responsabilité. Toutes les occasions sont bonnes : une lecture, une conversation, une lettre reçue, la classe et le travail, la promenade et les jeux, les mille faits de la vie de tous les jours, les rapports avec les maîtres ou les surveillants, les relations avec les camarades, les fautes relevées, les bons exemples à louer, les bons mouvements à souligner, les réparations volontaires à provoquer, etc.

Il va sans dire que, pour une telle tâche, le chef est et devra être de mieux en mieux secondé par tous ceux ou toutes celles qui remplissent dans l'établissement un office permanent : les instituteurs et les institutrices dans la classe et hors de la classe, les contremaîtres, les surveillants et les surveillantes dont, en conséquence, la sélection s'impose de plus en plus. Nous n'oublions dans cette collaboration à l'oeuvre de redressement moral ni les services des ministres des différents cultes, ni ceux des médecins, rendus par les uns et par les autres dans leurs sphères respectives d'action.

Les punitions et les récompenses, surtout si l'on s'applique à en faire sentir la valeur, sont un moyen incontestable d'éducation réformatrice.

Il est expressément interdit de frapper les pupilles ou d'exercer sur eux aucune voie de fait. Est également interdit l'usage des menottes à titre de punition ; il ne peut en être lait emploi que dans les cas déterminés par l'art. 614 du Code d'instruction criminelle.

L'échelle des punitions autorisées, très diversifiée, s'élève, de la privation des récompenses générales, ou l'annulation des récompenses individuelles et la réprimande, jusqu'à la cellule de punition et à l'envoi à la colonie correctionnelle ou au quartier correctionnel pour les fautes les plus graves. La mise en cellule de punition est soumise, au point de vue de l'autorité qui en décide, des conditions et de la durée, des visites quotidiennes, etc., à des règles, à des limites, à des garanties et à des précautions tutélaires dans le triple intérêt de l'équité, de la santé et de la moralisation. (Règlement du 15 juillet 1899, règlements particuliers, instructions nombreuses.)

Depuis quelques années, le système du sursis est appliqué, aussi souvent que cela est possible, aux punitions. Employé avec discernement, il produit les meilleurs effets.

Un bon régime disciplinaire repose au moins autant sur les récompenses et les encouragements que sur les punitions. Enumérons celles qui sont autorisées par le règlement de Waldeck-Rousseau (15 juillet 1899). Ce sont:

L'éloge en particulier ou en public, ? le supplément de vivres, les bons points, ? l'inscription au tableau d'honneur, ? la table d'honneur, ? la distribution de jouets ou de menus objets, ? les grades, galons, insignes divers (rubans pour les jeunes filles), ? les promenades spéciales, ? les prix en argent ou en nature, ? l'allocation de livrets de caisse d'épargne, ? l'admission dans un quartier de récompense, ? les emplois de confiance, ? le placement chez un particulier, ? l'engagement dans les armées de terre ou de mer. ? la remise aux familles. D'autres récompenses peuvent être accordées pour des cas spéciaux avec une autorisation spéciale du ministre.

Il faut dire qu'en ce qui concerne les jeunes garçons, l'autorisation de contracter un engagement militaire est présenté comme le suprême honneur, la récompense la plus élevée en même temps que comme la consécration du relèvement. En fait, tous les renseignements recueillis et notamment les comptes-rendus annuels de la Société de protection des engagés volontaires, présidée par M. le conseiller Félix Voisin, montrent quelle forte proportion de bons serviteurs nos colonies pénitentiaires fournissent aux armées. Beaucoup gagnent les galons de sous-officier. Il en est même qui ont conquis l'épaulette d'officier.

Les bons points sont de deux sortes : 1° les bons points pour le travail, qui ont une valeur en numéraire ; 2° les bons points d'encouragement, qui donnent droit à l'allocation de menus objets, jouets, vivres supplémentaires, ainsi qu'au rachat de certaines punitions.

Les grades et les emplois de confiance ne confèrent aucune autorité disciplinaire sur les camarades. Ils peuvent être accompagnés de gratifications spéciales en nature ou en argent.

La perspective d'une libération provisoire, justifiée par une bonne conduite soutenue et par des résultats sérieux obtenus dans l'instruction générale et professionnelle, joue un rôle important dans le système de discipline et d'éducation de nos établissements. En principe, elle est surtout la récompense de l'amendement réalisé. Mais elle peut être aussi et elle est plus d'une fois accordée, lorsque le cas le comporte et sous la garantie de la remise à un patronage, comme une épreuve anticipée et utile.

Quant aux placements chez les particuliers, ils habituent nos pupilles au travail personnel rémunéré sous les conditions déterminées par le règlement et par un contrat de louage, à la responsabilité de leur conduite, et procurent souvent un milieu familial à ceux qui en ont toujours été privés.

Les résultats scolaires obtenus dans les établissements d'éducation pénitentiaire ou correctionnelle sont tels quels encourageants, si l'on considère l'énorme difficulté de la tâche de nos instituteurs et de nos institutrices. D'abord la proportion des totalement illettrés à l'entrée est invraisemblablement considérable. Ainsi, à Auberive, où sont reçus des enfants de douze à quatorze ans, elle était, en 1908, de 128 unités sur 220. Aux Douaires, où n'entrent que des mineurs d'au moins quinze à seize ans, appartenant en grand nombre à Paris et à ses environs, cette proportion était de 72 sur 390. Si, d'autre part, l'on tient compte du nombre plus élevé qu'on ne croit des arriérés et même des anormaux, des instables, incapables d'attention, sans compter les indisciplinés de parti pris, on comprend quel effort est réclamé des maîtres ou des maîtresses, qui suivent le programme de l'enseignement primaire, mais doivent s'attarder plus qu'il ne serait désirable sur les tout premiers éléments.

Que produit cet effort? Sans charger cet article de détails statistiques dont la valeur probante n'est pas toujours, dans un sens ou dans un autre, ce qu'elle peut paraître, nous pouvons dire que l'effet en est très réel. La comparaison de l'état de culture des entrants et des sortants en témoigne. Ce qui ne veut pas dire que le labeur, souvent si ingrat et toujours si méritoire, des maîtres et des maîtresses, ne puisse pas donner un rendement supérieur. Question de nombre, d'organisation et de méthode aussi.

Des bibliothèques sont mises dans nos établissements à la disposition des pupilles. Le ministère de l'intérieur en poursuit l'amélioration au moyen de ses crédits.

A côté de l'enseignement primaire, dont l'instruction morale et civique est une partie essentielle, une place croissante est faite à l'éducation physique, aux soins de propreté, aux pratique* hygiéniques, à la gymnastique, aux promenades à la fois fortifiantes et instructives. Il faut y ajouter, pour les garçons, des marches militaires et des exercices de tir. Dans certaines colonies ont été institués des exercices de natation et d'équitation.

L'enseignement musical est donné avec succès. Quand l'harmonie ou la fanfare de l'une de nos colonies est autorisée, à titre de récompense, à se faire entendre dans une localité voisine, elle y est justement applaudie. Des médailles sont de temps en temps gagnées par nos pupilles dans des concours musicaux. Plusieurs de nos engagés volontaires sont utilisés dans les musiques des régiments.

Le travail a une double fonction. Il est un moyen précieux de relèvement moral, de formation du caractère, et un apprentissage professionnel, une préparation indispensable à la vie honnête et au reclassement social.

Pratiqué aux champs, en plein air, il est un instrument éprouvé de santé morale autant que de santé physique. Dans l'atelier, s'il est bien conduit, il constitue une forte discipline pour le présent, comme le gage de la vie gagnée pour l'avenir. Appliqué, pour les filles, aux soins variés du ménage, il est, bien dirigé, une préparation à l'un des offices essentiels de la femme dans la vie normale.

Le législateur de 1850 a eu raison de rendre obligatoire l'éducation professionnelle des mineurs remis à l'administration pénitentiaire. Mais il l'avait prévue à peu près exclusivement agricole. C'était l'exagération d'une idée juste. L'idée juste consistait à reconnaître tout ce qu'il y a de physiquement et moralement salubre dans le travail des champs. Mais c'était dépasser le but et s'exposer à bien des mécomptes que méconnaître les fatalités qui ramènent à la ville un très grand nombre de sujets qui en viennent. A ceux-ci l'on ne doit pas refuser le moyen de se reclasser dans la vie urbaine par de véritables métiers. La pratique n'a pas pu ne pas tenir compte de cette nécessité. En outre, et sous une heureuse inspiration, elle a été conduite à utiliser la mer et les travaux de la mer pour les mineurs d'origine côtière.

Cependant, une colonie industrielle privée ayant été éliminée au cours de ces dernières années, deux colonies industrielles, seulement, fonctionnent actuellement: ce sont celles d'Aniane et de Saint-Bernard. La colonie de Belle-Isle-en-Mer est en partie agricole et en partie maritime. Les autres établissements de garçons sont agricoles, pratiquement agricoles.

Les résultats et les progrès des exploitations, les succès obtenus dans les concours agricoles, surtout la satisfaction donnée par un grand nombre de nos jeunes colons placés chez des agriculteurs avant ou après leur libération, témoignent, malgré la part à faire des déchets, de la valeur réelle de cet apprentissage agricole. Il porte essentiellement sur la culture proprement dite, mais aussi sur quelques métiers connexes : ceux de berger, vacher, porcher, jardinier, charretier, etc. La colonie privée de Bar-sur-Aube prépare spécialement des viticulteurs, celle de la Couronne des horticulteurs. Une part importante est faite aux travaux des champs pour les filles à l'Ecole publique de préservation de Doullens et à la colonie privée de Darnétal près Rouen (ferme et culture maraîchère).

La colonie publique d'Aniane est, avons-nous dit, industrielle. Sur 400 jeunes gens qui travaillent, 336 sont répartis entre les divers travaux mécaniques et le service électrique (72), la taillanderie, la ferblanterie et la chaudronnerie (64), la menuiserie (31), le charronnage (22), le métier de tailleur (38), la cordonnerie (45), la boulangerie et le service général (54), la maçonnerie (10). L'excédent (64) est employé à la culture, grâce à l'adjonction d'un petit domaine rural à l'établissement. A Aniane, comme partout où sont organisés des ateliers industriels, il est tenu la main à ce que les précautions prescrites pour la santé et la sécurité des travailleurs soient observées. Les jeunes gens peuvent choisir eux-mêmes leur métier après examen du médecin. Pas de travaux inutilisables : la quantité des produits n'est pas seule appréciée ; mais la paresse confirmée et les malfaçons volontaires sont punies après avertissement. On s'applique à former des ouvriers et non pas des machines-outils. Le résultat est que la plupart de ces jeunes gens peuvent exercer réellement, une fois sortis, le métier qu'ils ont appris à la colonie. De nombreux pupilles d'Aniane sont, après épreuves, admis en qualité d'ajusteurs-mécaniciens dans les équipages de la flotte, les arsenaux et les compagnies d ouvriers militaires.

L'administration est allée plus loin. Elle a développé dans le cadre des colonies agricoles les ateliers de métiers (cordonniers, tailleurs, charpentiers, menuisiers, forgerons, serruriers, etc.). Elle en crée, dès que cela est possible, de nouveaux. Un atelier d'ajustage a été récemment formé à Saint-Maurice. De nouveaux ateliers de tailleurs ont été organisés, notamment à Belle-Ile-en-Mer et à Eysses.

Comme il a été dit, une nouvelle colonie industrielle a été ouverte par l'Etat, celle de Saint-Bernard, à Loos, près Lille (Nord).

Il faut aussi tenir compte des pensionnaires qui, tout en étant utilisés pour le service général, apprennent un véritable métier (boulangerie, cuisine, etc.). En outre. les travaux de construction, de réparation, de peinture, d'entretien, sont faits par eux.

Dans nos « Ecoles de préservation » pour les filles, celles-ci sont employées aux travaux du ménage : cuisine, travaux de propreté, buanderie raccommodage, repassage, service d'infirmerie, etc. Un certain nombre font un apprentissage de couturières, de lingères, de jardinières, etc.

Les produits du travail sont utilisés par la colonie elle-même ou cédés aux autres établissements similaires. Les pupilles cordonniers font la chaussure des pupilles libérés ou placés chez des particuliers, ainsi que les souliers des jeunes filles des écoles de préservation. Celles-ci confectionnent des vêtements pour les jeunes garçons de nos colonies. Les tailleurs d'Aniane et d'ailleurs font des costumes pour les pupilles libérés et placés. Leçon pratique de solidarité.

Les pupilles reçoivent pour leur travail dans l'établissement des gratifications ou bons points évalués en numéraire, dont le produit sert à leur constituer un petit avoir ou pécule qui leur est remis pour partie à leur libération et pour partie à leur majorité légale ou à leur libération du service militaire seulement, autant que possible. Ces bons points-monnaie sont distincts, comme on l'a vu, des bons points qui donnent droit à différentes douceurs en nature. Les sommes accordées dans la colonie aux pupilles en récompense de leur travail ou de leur bonne conduite, les gratifications en espèces qui peuvent être attachées aux grades, galons, insignes, emplois de confiance, sont inscrites au compte de chaque mineur. Si, à la fin de l'année, l'avoir est supérieur à vingt francs, le surplus est versé à la Caisse nationale d'épargne. Il en est de même de tout ou partie des gages stipulés pour les pupilles placés chez des particuliers. Le règlement du 15 juillet 1899 a sagement disposé que les titulaires de livret ne puissent obtenir de remboursements avant les époques sus-mention-nées qu'avec l'autorisation du ministre et, selon les cas, sur l'avis du président de la Société de protection des engagés volontaires sous la tutelle administrative. Mais l'application de cette règle souffre, en l'état actuel de la législation, de regrettables difficultés.

La place nous manque pour donner ici plus qu'une mention au fonctionnement du service médical et des services connexes dans les établissements, à la compétence et au dévouement qu'y dépensent journellement nos praticiens, au fonctionnement des infirmeries et aux hospitalisations nécessaires, aux progrès accomplis, au cours de ces dernières années, en tout ce qui touche l'hygiène individuelle et collective, examen médical des sujets remis à l'administration pénitentiaire, leur observation, les mesures de prophylaxie, la défense contre la propagation de la tuberculose, etc. Il reste sans doute sur ce dernier chef des améliorations à réaliser : mais l'oeuvre se poursuit avec résolution. Les études et les avis autorisés de la Commission consultative d'hygiène instituée à la Direction des services pénitentiaires sont utilisés. La fiche sanitaire a été créée.

Il nous faut aussi renoncer à toute notice monographique concernant des établissements qui mériteraient bien cependant une étude de ce genre. Nous pensons, par exemple, aux belles colonies publiques des Douaires et de Saint-Maurice, où des directeurs de grande expérience et de grand coeur, ayant trouvé tout à côté d'eux la meilleure assistance de la bonté et du tact, ont réalisé avec esprit de suite des instruments matériels et moraux de progrès justement remarqués. Nous n'oublions pas l'ancienne et bien connue colonie privée de Mettray, dont le renom s'est depuis longtemps répandu dans les Deux Mondes, dont l'organisation originale en familles restreintes de colons est, dans la mesure du possible, un correctif à l'exagération des effectifs, et dont il est permis de reconnaître les services, sans faire tort à nos établissements publics. La colonie protestante de Sainte-Foy et la colonie privée de jeunes filles de Darnétal près Rouen mériteraient aussi des développements spéciaux.

Ces indications particulières n'ont rien de limitatif. Qu'il nous soit permis seulement de regretter spécialement qu'il ne soit pas possible de donner ici des détails sur la très intéressante section maritime de la colonie de Belle-Isle-en-Mer, avec son capitaine et son second, marins éprouvés, avec ses surveillants contremaîtres qui sont des matelots brevetés, avec son école de matelotage et de timonerie, avec son atelier de voilerie et de filets, avec son atelier de corderie, avec son navire fixe, avec son yacht la Sirène, avec ses embarcations et son matériel de pêche, avec tout cet apprentissage de la mer et de la navigation qui offre à nos pupilles des régions côtières un précieux débouché. Notre regret est peut-être encore plus vif à l'égard de l'école publique de réforme de Saint-Hilaire, type si attachant qui attend les extensions et les imitations nécessaires. Disons seulement qu'elle est divisée en trois fermes : celle de Chanteloup, qui reçoit à leur arrivée les jeunes garçons, tous âgés de moins de douze ans, confiés à un personnel féminin ; celle de Bellevue, où ils passent vers l'âge de treize ans sous la direction d'un personnel masculin ; celle de Boulard, qui reçoit le contingent de Bellevue, déjà grand, instruit et assez fort pour se livrer aux gros travaux des champs et entreprendre l'apprentissage d'un métier.

La lâche de l'éducation correctionnelle ou réformatrice poursuivie dans les établissements relevant de l'administration pénitentiaire (locaux de détention réservés aux mineurs, colonies ou quartiers correctionnels, colonies ou maisons pénitentiaires d'éducation, dirigées ou autorisées par l'Etat sous des noms divers) réclame l'action complémentaire ou, quand il y a lieu, parallèle du patronage.

Le patronage agit de deux manières. Tantôt il prépare et poursuit, en faveur du mineur qui va sortir ou est sorti par la libération provisoire ou définitive de l'établissement dans lequel il était retenu, l'oeuvre nécessaire d'assistance matérielle et morale, de surveillance tutélaire, de placement, de reclassement social. Tantôt il est utilisé directement par la justice comme instrument de préservation ou de relèvement lorsque le juge d'instruction ou le tribunal, usant des pouvoirs accordés par les articles 4 et 5 de la loi du 19 avril 1898, au lieu d'envoyer le mineur a en correction » ou de le laisser purement et simplement à sa famille, le remettent en garde provisoire ou définitive à des personnes ou à des sociétés dignes de confiance.

Sous le premier mode, le patronage est organisé dans et par rétablissement, ou lui est extérieur.

Tous les directeurs de colonies publiques, encouragés et financièrement soutenus par l'administration supérieure, ont organisé des patronages administratifs avec des collaborations plus ou moins étendues. Ils en sont l'âme et la cheville ouvrière. Les meilleurs établissements privés exercent un patronage analogue.

Une très intéressante institution, qui se rattache à ce patronage administratif, est celle du refuge. Dès 1896, l'ancien directeur des Douaires, M. Brun, l'homme de grand mérite dont le nom est cher à tous ceux qui l'ont vu à l'oeuvre, avait créé dans sa colonie un refuge pour les anciens pupilles libérés qui se trouvent sans famille, sans travail et sans ressources. Ils y reçoivent l'hospitalité jusqu'au jour où l'on peut leur procurer un placement. Pendant ce séjour, l'hospitalisé collabore aux divers travaux de la colonie. Sont aussi accueillis au refuse les anciens pupilles appartenant à l'armée qui sont en convalescence ou en permission. Quelques-uns viennent simplement en visiteurs reconnaissants, heureux de montrer à leurs cadets leur uniforme, quelquefois leurs galons. L'exemple des Douaires a été imité, et peu à peu des refuges semblables ont été ouverts dans la plupart de nos colonies. Ces excellentes créations n'empêchent pas l'autorité compétente de mettre à profit le dévouement et l'expérience des patronages extérieurs et privés, fondés et dirigés par de libres et précieuses initiatives, agissant d'ailleurs avec l'agrément et le concours, mais aussi sous le contrôle de l'administration. Le nombre des sociétés de patronage qui portent particulièrement leur effort sur le relèvement et l'assistance des mineurs délinquants s'est sensiblement accru durant ces dernières années. Les principales de ces sociétés sont actuellement : 1° pour les garçons : la Société de patronage des jeunes détenus et des jeunes libérés de la Seine, 9, rue de Mézières ; le Patronage de l'Enfance et de l'Adolescence, 13, rue de l'Ancienne-Comédie ; la Société de patronage des jeunes adultes, 14, place Dauphine ; la Société de patronage des prisonniers libérés protestants, 36, rue Fessart ; la Société Marseillaise de patronage, rue des Vertus prolongée, à Marseille ; la Société Toulousaine de patronage et d'assistance par le travail, 5, rue du Mail, à Toulouse, auxquelles il faut joindre l'Assistance publique de Seine-et-Oise, agissant comme société de patronage ; 2° pour les filles : l'Association dite OEuvre des libérées de Saint-Lazare, 14, place Dauphine, à Paris ; la Société de patronage des détenues et des libérées, 21, rue Michel Bizot, Paris ; l'OEuvre libératrice, 1, avenue Malakoff, Paris ; l'OEuvre du Souvenir pour la protection de l'enfance, 11 bis, rue Laferrière, à Paris ; la Société Marseillaise de patronage et l'Assistance publique de Seine-et-Oise.

Ces mentions n'ont pas, on le pense bien, un caractère limitatif.

Le second mode de patronage est exercé par des institutions privées, par des sociétés de patronage, utilisées dans des conditions déterminées par l'autorité judiciaire. C'est le juge d'instruction, en vertu de l'art. 4 de la loi du 19 avril 1898, quand il s'agit de garde provisoire, qui confie le mineur incriminé à une institution de patronage, en attendant la décision à intervenir. C'est le tribunal, en vertu de l'art. 5 de la même loi, qui attribue définitivement la garde de l'enfant à un patronage quand il ne veut ou ne peut laisser le mineur (acquitté comme ayant agi sans discernement) à sa famille, que, d'autre part, il n'entend pas prononcer l'« envoi en correction », et qu'enfin il ne paraît pas y avoir lieu à la remise à l'Assistance publique.

Les sociétés et oeuvres citées plus haut exercent aussi avec une progression marquée cette forme de patronage. Nombreux sont les hommes et les femmes qui n'y ménagent ni leurs ressources, ni leur peine, ni leur courage, ni surtout leur coeur. On sait que l'Etat ne leur refuse ni ses encouragements, ni son concours matériel. Mais on sait aussi qu'aux difficultés inhérentes à leur tâche s'ajoutent celles qui résultent de sérieuses lacunes de la loi. Nous avons déjà signalé celle qui interdit aux juges de prononcer l'envoi en correction des acquittes de l'art. 66 avec sursis et de n'appliquer l'art. 5 de la loi de 1898 qu'en armant les patronages du pouvoir de demander et d'obtenir la révocation du sursis.

La plupart de ces oeuvres masculines et féminines ne restreignent pas leur action aux mineurs qui ont commis une infraction à la loi pénale. Elles s'occupent aussi avec diligence des enfants moralement en péril. C'est le patronage préventif.

Outre les oeuvres de patronage, des établissements spéciaux apportent une utile contribution à la préservation de l'enfance en danger moral. Comment oublier, au premier rang de ceux-ci, l'Ecole Théophile Roussel, fondée et administrée à Montesson par le département de la Seine? c'est tout autre chose qu'une courte mention qu'il lui faudrait consacrer. N'ayant à traiter ici que de ce qui touche les mineurs délinquants, nous n'avons pas à aborder le vaste domaine des institutions publiques ou privées qui s'occupent spécialement des enfants « maltraités ou moralement abandonnés ».

En revanche, nous donnons une mention spéciale à la belle oeuvre, déjà nommée, à laquelle est si justement attaché le nom de M. le conseiller Félix Voisin : nous voulons parler de la Société de protection des engagés volontaires, pupilles de l'Etat. Ces « pupilles » lui viennent les uns de l'Assistance publique, les autres des établissements d'éducation pénitentiaire. Ce n'est pas de ces derniers qu'elle obtient les moins bons résultats. Les précieux services qu'elle rend depuis de longues années en aidant pour sa part à l'achèvement par le service militaire anticipé, école de patriotisme, de discipline et d'honneur, l'oeuvre de relèvement moral et de reclassement social poursuivie par nos éducateurs, ont été souvent et légitimement reconnus et honorés.

Enfin il est une très intéressante institution qu'on ne saurait trop louer. C'est celle des Comités de défense des enfants traduits en justice. Ces comités, dus principalement à l'initiative du barreau et d'un grand nombre de magistrats, avec le concours de. professeurs de droit, d'administrateurs, d'officiers ministériels, de philanthropes, etc., travaillent à organiser la défense des enfants dans le sens le plus large et le plus vrai. Il ne s'agit pas seulement de leur assurer la meilleure assistance à la barre, mais encore de leur procurer et faciliter les solutions les plus utiles dans chaque cas déterminé, grâce à une collaboration pratique des avocats, des magistrats, de l'administration pénitentiaire et des sociétés de patronage. A cette oeuvre pratique, quelques-uns de ces comités, celui de Paris surtout, superposent une oeuvre d'étude du plus haut intérêt, destinée à préparer des réformes générales par la voie réglementaire ou législative. Le comité de défense est présidé par le bâtonnier de l'ordre des avocats.

Outre Paris, un certain nombre de villes, dont le nombre croît tous les jours, ont leur Comité de défense : Marseille, Rouen, le Havre, Lyon, etc.

Le comité de Paris a organisé un sous-comité de travaux pratiques auxquels prennent une part active et les membres du jeune barreau et les représentants de patronages parmi lesquels se distinguent les dames placées à la tête des oeuvres féminines.

III. ? Tendances et projets.

Par le rapide exposé qui précède, on peut voir comment l'administration et l'action privée s'appliquent à tirer le meilleur parti possible de la législation en vigueur. Cet effort, qui n'est pas d'hier, n'a pas été stérile. Si l'on est très frappé des mécomptes, qui ne sont pas niables, on l'est moins des résultats, insuffisants, hélas! mais réels, que l'on obtient dans des conditions défavorables.

Il n'est pas possible, en l'état actuel des moyens d'information, de déterminer avec quelque précision la proportion des rechutes, avec ou sans aggravation, et celle des amendements et des relèvements définitifs, sur un nombre donné de mineurs soumis soit à l'éducation correctionnelle ou pénitentiaire, soit à l'action des patronages. Mais la proportion des améliorations et des guérisons, comme il ressort de plus d'un fait et de plus d'un témoignage, est plus importante qu'on n'est porté à le croire. L'on peut penser que les résultats seraient meilleurs sans quelques lacunes et quelques erreurs de la loi, auxquelles s'ajoutaient trop souvent, il faut bien le dire, jusqu'à ces derniers temps, des pratiques judiciaires qu'il est permis de regretter.

Nous faisons allusion à la trop grande fréquence des remises à la famille dans des cas qui ne comportaient pas toujours une telle confiance, et à l'usage, autorisé malheureusement par la loi à l'égard des mineurs de moins de seize ans, des courtes peines d'emprisonnement : ce qui explique que les maisons d'éducation correctionnelle ou pénitentiaire aient dû recueillir des sujets trop pervertis, ou trop tard « envoyés en correction » après une succession d'expériences malheureuses, pour que l'oeuvre de redressement ne fût pas, en ce qui les concerne, rendue extrêmement difficile, sinon impossible. La première application de la loi du 12 avril 1906, bienfaisante en son principe, a eu pour effet d'aggraver la difficulté dans la période de début. Un certain nombre de mineurs ont pu être « envoyés en correction » entre seize et dix-huit ans après avoir subi plusieurs condamnations à l'emprisonnement.

Hâtons-nous de constater que depuis quelque temps la pratique judiciaire s'est, sur les deux points signalés, heureusement modifiée. Les condamnations de mineurs de moins de seize ans à la, prison deviennent de plus en plus rares et exceptionnelles. Au tribunal de la Seine elles tendent à zéro. D'un autre côté, le nombre des remises aux parents, que la loi ne subordonne à aucune surveillance, diminue au profit, selon les cas, soit de l'envoi dans les établissements d'éducation pénitentiaire, soit de la remise à l'Assistance publique ou aux patronages par application de la loi du 19 avril 1898. En ce qui concerne les mineurs de seize à dix-huit ans, la justice, du moins à Paris, tend à prononcer de préférence soit l'envoi en correction, soit des peines prolongées, suivant qu'elle leur accorde ou non le bénéfice du non-discernement. Dans un autre domaine, il faut rendre hommage aux tendances progressistes de l'autorité judiciaire. Comme anticipation partielle sur les réformes législatives de demain, nous avons vu, à Taris, d'abord des juges d'instruction affectés plus spécialement et pour un assez long temps à l'instruction des affaires de mineurs, puis une chambre de tribunal, la huitième, consacrant une audience spéciale à ces affaires, que suivent des membres particulièrement désignés du parquet. Le président s'efforce même, par l'exercice de son pouvoir de police, d'atténuer, en ce qui concerne ces affaires, les graves inconvénients de la publicité non restreinte par la loi. Nous ne saurions affirmer qu'il y puisse réussir entièrement.

Ces améliorations tendent à pénétrer les grands tribunaux de province. Elles sont, clans les limites et malgré les obstacles de la loi, un acheminement vers la spécialisation des juridictions et des procédures.

De son côté, l'administration pénitentiaire, grâce à des ententes officieuses dont il faut se féliciter, s'emploie à parer dans la mesure du possible, du moins à Paris et dans quelques centres, à cette lacune de la loi déjà signalée, qui ne permet pas aux juges de prononcer avec sursis l'envoi dans une colonie ou maison pénitentiaire des mineurs acquittés comme ayant agi sans discernement. Faisant, quand les renseignements recueillis justifient cette mesure, un usage extensif de la libération provisoire, elle l'accorde, dès le prononcé du jugement, à un certain nombre de mineurs envoyés en correction en les remettant conditionnellement à des sociétés de patronage agréées à cet effet. Cette mesure est toujours révocable.

Il faut signaler dans le même sens une heureuse circulaire du 7 novembre 1908, envoyée par le président du Conseil, ministre de l'intérieur, sur la proposition du directeur de l'administration pénitentiaire d'accord avec la direction de l'Assistance publique. Elle a pour objet de permettre une meilleure utilisation, à l'égard des enfants poursuivis pour délits peu graves, du concours de l'Assistance publique prévu par les articles 4 et 5 de la loi du 19 avril 1898. Lorsqu'un mineur de moins de seize ans est envoyé en état de dépôt ou d'arrêt dans un établissement pénitentiaire, « l'inspecteur des enfants assistés doit en recevoir immédiatement avis. Ce fonctionnaire doit procéder sans retard à une enquête sur la famille, sur les antécédents et la moralité habituelle de l'enfant. Dans tous les cas où cette enquête ferait ressortir bien plus la négligence et la responsabilité des parents que la perversité réelle du mineur, il demanderait au juge d'instruction que cet enfant fût confié à son service. Il aurait à le placer ensuite dans des conditions favorables à son relèvement. »

II faut aussi noter une ébauche fort intéressante de liberté surveillée dans la famille, introduite à Paris dans la garde provisoire autorisée par l'article 4 de la loi du 19 avril 1898, à la faveur d une combinaison imaginée par le très dévoué Me Rollet, avocat. Ce ne peut être, en l'état actuel de notre législation et de notre organisation, qu'une ébauche fragmentaire et fragile, quoique ingénieuse et louable.

Cependant, quel que soit le zèle, quelle que soit l'ingéniosité que l'on mette de différents côtés à améliorer la pratique judiciaire et administrative, il apparaît de plus en plus que pour donner à ces améliorations tout leur effet et en permettre d'autres non moins nécessaires, une réforme de la législation française doit être poursuivie. La législation actuelle présente des lacunes ; et plusieurs parties n'en sont plus en harmonie suffisante avec le mouvement des idées, avec les résultats de l'expérience, avec les exigences d'une réalité toujours plus complexe. D'autres parties de cette législation ne sont pas assez liées entre elles. Elle n'est, en l'état, ni assez exactement adaptée à tout son objet, ni assez homogène.

Ce n'est ni d'aujourd'hui ni d'hier que l'on s'en rend compte dans les milieux compétents. Les travaux de magistrats, de membres du barreau, d'administrateurs, de plus d'un philanthrope éclairé, les études de l'Ecole de droit, les rapports et les discussions de la Société générale des prisons et du Comité de défense des enfants traduits en justice de Paris en font foi. Plusieurs membres du Parlement s'occupent de la question. Le gouvernement de la République en a saisi le Conseil supérieur des prisons, qui a élaboré un projet d'ensemble.

Les propositions dues à l'initiative parlementaire ont ce caractère commun de porter sur des points particuliers. Telles sont : une proposition de loi de MM. Drelon, Jeanneney, Ferdinand Buisson et quelques-uns de leurs collègues sur la mise en liberté surveillée des enfants traduits en justice, à la faveur des mesures de garde provisoire autorisées par l'article 4 de la loi du 19 avril 1898 ; ? une proposition de loi de MM. Etienne Flandin, Marc Réville et de quelques-uns de leurs collègues sur le vagabondage et la mendicité, qui comprend des dispositions spéciales aux mineurs ; ? une proposition de loi de M. Paul Deschanel et de plusieurs de ses collègues « portant création de tribunaux spéciaux pour enfants et instituant la mise en liberté surveillée des mineurs délinquants ».

L'avant-projet de loi élaboré par le Conseil supérieur des prisons a pour objet la révision d'ensemble de la législation sur les mineurs de moins de dix-huit ans auteurs ou complices d'infractions à la loi pénale.

Les principales questions qu'ont soulevées ces études et ces travaux de révision sont les suivantes :

1° Ne faut-il pas, à l'exemple de presque toutes les législations étrangères, faire une distinction entre les enfants proprement dits et les adolescents'? Jusqu'où doit aller cette distinction?

2° Introduction dans la loi, pour tous les mineurs délinquants, de la mise en liberté surveillée sous différentes modalités et conditions ;

3° Question de la création en France d'une magistrature à la fois sociale et familiale pour statuer sur les jeunes enfants, et pour assurer, avec les collaborateurs nécessaires, à l'égard de tous les mineurs délinquants, l'organisation de la liberté surveillée dans tous les cas où celle-ci serait la solution adoptée ;

4° Question pour les adolescents eux-mêmes de la spécialisation dans la mesure du possible des juges et de la procédure ;

Quant aux mesures et sanctions, comment, la part faite des cas qui relèvent d'un traitement médical, concilier le mieux, par le choix et la graduation de solutions modifiables sous certaines conditions, et par leur adaptation a la variété des cas, l'intérêt majeur de la réformation et la possibilité du relèvement, que le souci de l'avenir impose, avec la nécessité, que l'accroissement inquiétant de la criminalité juvénile, surtout entre seize et dix-huit ans, fait si vivement sentir, de ne pas énerver et même d'assurer plus effectivement la défense actuelle de la société? Le système du Code pénal ne doit-il pas être, à cet égard, plus ou moins profondément modifié ?

6° Quels changements et compléments l'expérience conseille-t-elle d'apporter à la loi du 5 août 1850 et aux règlements consécutifs, en ce qui concerne les appellations, les divisions, l'affectation, la création et la surveillance des établissements de correction et de réformation publics ou privés, les droits de tutelle à conférer à l'Etat sur les mineurs placés dans ces établissements, le régime, l'éducation générale et professionnelle et la discipline, les libérations anticipées et provisoires, le patronage des libérés, etc ?

7° Qu'entreprendre au sujet des réformes qu'appelle l'exécution du droit de correction paternelle et des améliorations dont sont susceptibles les dispositions de la loi du 24 juillet 1889 relatives à la déchéance facultative de la puissance paternelle? Etc.

Mais il ne faut pas se dissimuler que l'efficacité de la législation prochaine, quel qu'en soit le mérite, sera subordonnée à deux conditions essentielles : 1° une assez grande variété des établissements et des institutions affectés aux mineurs dont nous nous occupons, excluant la plaie des trop nombreux effectifs, si préjudiciables à l'oeuvre d'orthopédie morale, et permettant l'adaptation de la diversité des régimes et des disciplines à la diversité des catégories ; 2° une sélection rationnelle et bien assurée du personnel directeur, enseignant, surveillant, dont la tâche, à la fois singulièrement difficile et si méritoire, exige beaucoup de qualités pratiques, intellectuelles, et surtout morales, par-dessus tout beaucoup de dévouement et de coeur.

Le cadre de ce Dictionnaire ne nous permet pas de traiter de la législation comparée et des institutions de l'étranger. Elles nous offriraient une mine fort riche de faits et d'exemples instructifs. Sans parler des distinctions de solutions d'après les âges et catégories adoptées par plusieurs législations ou figurant dans quelques projets, ni des différents instruments de réformation en usage (maisons de correction, maisons d'éducation correctionnelle, maisons d'amendement, écoles de discipline, écoles de bienfaisance, reformatory schools, industrial schools, truant schools, patronages divers, etc.), la seule étude des juridictions et des procédures comporterait d'assez longs développements. Nous mentionnons seulement les children courts ou tribunaux d'enfants de l'Amérique du Nord et du Royaume-Uni, avec leur annexe indispensable des protection officers, qu'on est en voie d'imiter dans des centres importants d'Italie et d'Allemagne ; les tribunaux de tutelle allemands ; les conseils de tutelle de la Hollande, du Danemark, de la Norvège, etc.

Enfin nous ne parlons ni de la loi française du 11 avril 1908 sur la prostitution des mineurs, ni de ses moyens d'application. Le législateur a lui-même voulu, pour des raisons dont nous ne méconnais sons pas la valeur, que cet objet fût soigneusement séparé de la matière des mineurs délinquants, bien qu'entre celui-là et celle-ci les connexions ne soient pas négligeables.

Périclès Grimanelli