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Méthode

Ce terme, formé d'un mot grec dont la racine signifie voie, désigne l'ensemble des voies et moyens qu'on adopte, d'une façon expresse et réfléchie, pour accomplir une oeuvre quelconque, pour mener à bien une entreprise.

I. — De cette définition même il suit qu'agir avec méthode est le propre d'un être raisonnable, qu'il appartient à l'homme de faire méthodiquement ce que l'animal ne fait que par instinct, et que, de toutes les oeuvres de l'homme, l'éducation, étant la plus grave, est celle aussi qui demande le plus à être conduite avec méthode et peut le moins être abandonnée au hasard. Quand le résultat ne devrait être que le même, quand l'instinct pourrait nous guider aussi bien que la réflexion, il y a toujours plus de dignité à procéder autant que possible par principes en toutes choses ; à plus forte raison dans cette grande tâche de l'éducation, où il importe, si jamais, de se demander ce qu'on doit vouloir et quels sont les meilleurs moyens d'atteindre les fins qu'on se propose. Avoir une méthode, c'est-à-dire savoir au juste où l'on veut aller et choisir sciemment le bon chemin, l'instituteur le doit aux enfants dont il a charge, au pays et à lui-même.

Mais il s'en faut que ce soit là une simple satisfaction de conscience à se donner : à de bien rares exceptions près, la méthode est une condition nécessaire du succès, et met comme un abîme, au point de vue de l'efficacité des efforts, entre des gens d'égale bonne volonté. Descartes allait jusqu'à dire que, sensiblement égaux quant aux dons de l'intelligence, les hommes ne diffèrent tant de puissance dans la recherche de la vérité que par la méthode qu'ils y appliquent. Ce qui est certain, c'est qu'en tout genre d'opérations pratiques, toutes choses égales d'ailleurs, celui qui procède rationnellement a sur celui qui vit d'expédients, au jour le jour, trois grands avantages pour le moins : ayant commencé par bien fixer son but, il risque moins de le perdre de vue et de faire fausse route ; — ayant médité sur les moyens dont il dispose, il a plus de chances de n'en omettre aucun bon et de prendre toujours le meilleur ; — enfin, sûr à la fois du but et des moyens, il ne tient qu'à lui d'aller aussi vite que possible : « Un boiteux dans le droit chemin, disait Bacon, arrive avant un coureur qui s'égare».

Nulle part ne sont plus frappants qu'en pédagogie les avantages d'une direction méthodique, et les inconvénients du contraire. A moins de supposer à plaisir une sûreté de coup d'oeil et un bonheur d'inspiration qui ne peuvent être que très exceptionnels (ils ne suppléent d'ailleurs à la méthode que parce qu'ils la font trouver et suivre d'instinct), manquer de méthode, pour les parents ou les maîtres, c'est manquer de règles fixes, c'est n'avoir la claire vue ni de ce qu'ils veulent ni de ce qu'ils peuvent, tâtonner, hésiter, déplacer d'un moment à l'autre leur objectif, empêcher aujourd'hui ce qu'ils ordonnaient hier, et réciproquement, flotter au gré des circonstances, être pris au dépourvu par les moindres incidents. Si cela est déplorable en toutes choses, que sera-ce dans une oeuvre délicate et complexe entre toutes, où l'on est à deux de jeu, comme on dit, où toute fausse manoeuvre ne cause pas seulement un mal actuel, mais complique la tâche ultérieure et compromet le succès final ? Les dresseurs savent combien la moindre faute de leur part a de conséquence, et comment un mauvais cavalier, montant une fois par. hasard un jeune cheval, peut détruire en peu de temps le résultat de longs efforts. Bien autre encore est l'importance de la moindre négligence, du moindre défaut de suite dans le maniement des enfants ; et c'est pourquoi changer de mains leur est mauvais tant que leur caractère est en voie de première formation. Or c'est changer de mains tous les jours, et dix fois le jour, que d'être confiés aux caprices d'une volonté inconsistante. Comment veut-on que l'enfant ne soit pas déconcerté par l'incohérence des ordres et des contre-ordres ? Comment acquerrait-il le sentiment de la règle, le goût de la discipline, l'esprit de suite dans ses propres desseins? Loin de là, on peut être sûr qu'il reconnaîtra vite sous l'incohérence la faiblesse (dont elle est toujours le signe, même quand elle s'accompagne de violence), et qu'il saura en profiter pour secouer le joug : aussi peut-on, le plus souvent, d'un enfant élevé sans méthode, dire qu'il n'est point élevé du tout.

Je parle, on le voit, de l'éducation proprement dite, autant et plus que de la culture de l'esprit. Bien à tort, en effet, le mot méthode serait ici, comme il l'est parfois dans la pratique, pris en ce sens restreint, où il ne désigne que les procédés d'enseignement. C'est aussi, et d'abord, et je dirais presque surtout, dans la direction générale, depuis le berceau, dans la formation des habitudes morales et physiques même, qu'il est nécessaire de se tracer des règles et de les suivre. Il est clair, d'ailleurs, et notoire que la même nécessité se fait sentir dans l'éducation intellectuelle, qu'on la considère soit dans son ensemble, soit dans chacune de ses parties. Procéder avec méthode, dans l'instruction, c'est, d'une part, décider après mûre réflexion quelles choses doivent être enseignées et dans quel ordre ; c'est, d'autre part, choisir et observer, pour chaque matière de l'enseignement, l'ordre et la forme dans lesquels les choses doivent être présentées à l'enfant pour être plus vite et mieux assimilées par son esprit. Quelle présomption coupable, quelle inexpérience ne serait-ce pas montrer, à quels mécomptes ne serait-ce pas s'exposer, que de laisser tout cela à l'inspiration du moment? Personne ou à peu près ne s'en avise, tant le risque de s'attarder ou de n arriver à rien a depuis longtemps frappé tout le monde. Quiconque enseigne a sa méthode, ou croit l'avoir, et presque tout ouvrage d'enseignement se donne comme une méthode. La grande affaire est de choisir à bon escient et de se tenir à son choix.

II. — On dit parfois : la meilleure méthode pour chacun est celle qu'il se fait à lui-même. Oui, comme le meilleur outil est celui qu'on choisit à sa main, ou celui auquel la main est faite. Je reviendrai sur ce point tout à l'heure. Mais il n'y en a pas moins des conditions certaines et générales, auxquelles l'outil doit satisfaire pour être bon, et aussi la méthode. Il faut que l'outil soit conforme aux lois de la mécanique et nous mette à même de produire le maximum d'effet utile avec le minimum d effort. Il faut que la méthode soit conforme aux lois de la biologie, de la psychologie et de la morale, c'est-à-dire tout ensemble à la nature humaine telle qu'elle est et à l'idéal vers lequel la conscience nous commande de tendre. Qui dit méthode, en un mot, dit avant tout un système de principes rationnels et de règles générales ; c'est tout le contraire des menus procédés et des recettes purement empiriques. Insistons donc d'abord sur ce qu'il y a d'absolu, d'universel dans les règles de l'éducation.

Personne n'attend de nous ici l'exposé et l'examen critique de toutes les méthodes connues en pédagogie : ce serait toute l'histoire de cette science ; bien plus, c'en serait toute la théorie à la fois et toute la pratique, de quoi alimenter durant des années un cours suivi, de quoi remplir de gros volumes. Les matériaux d'un tel travail sont réunis dans ce Dictionnaire. On ne saurait même attendre non plus que, abstraction faite de toutes les méthodes particulières, nous donnions un exposé complet de la méthode générale ; la lâche serait encore infinie : il faudrait condenser en préceptes à la fois précis et nuancés, puis bien coordonnés entre eux, toutes les données des sciences anthropologiques susceptibles d'être appliquées à l'éducation ; ce serait tout un traité de pédagogie. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de rappeler à très grands traits les lignes essentielles de la méthode, telle qu'elle doit être conçue, semble-t-il, à ne prendre que les points fondamentaux sur lesquels les meilleurs écrivains sont d'accord.

La première question est celle des fins à poursuivre : tout se ramène sur ce point à un petit nombre d'indications. Le but suprême est d'élever l'enfant aussi près que possible de la perfection humaine, cela, comme le dit Kant, non seulement en vue de sa destinée personnelle, mais pour le bien et l'honneur de l'humanité en général, pour le présent moins que pour l'avenir. Que comprend cette notion de la perfection humaine ? Essentiellement la pureté morale et la puissance intellectuelle, mais aussi et d'abord la vigueur physique, condition sans laquelle la personne voulante et pensante ne saurait donner toute sa mesure. Comme la moralité comprend deux éléments, savoir la bonne volonté et la correction de la conduite, la culture morale comprend d'une part la formation du coeur et de la volonté, qui dispose l'enfant à vouloir bien faire, de l'autre la formation des bonnes habitudes, qui peuvent devancer le bon vouloir conscient et lui préparer la voie, qui seules, en tout cas, assurent son triomphe. De même, la perfection intellectuelle comprend d'un côté la sûreté et l'étendue du savoir, de l'autre la justesse et la vigueur de l'esprit ; aussi la culture intellectuelle a-t-elle pour double objet de munir l'esprit de connaissances et, ce qui importe mille fois plus, de le faire droit et net, ferme et libre. A ces fins supérieures, que seules considère la pédagogie générale, sont nécessairement subordonnées les fins particulières qu'a en vue l'éducation technique ou professionnelle. L'éducation esthétique, au contraire, fait partie de l'éducation générale, à la fois comme fin et comme moyen, le goût étant un des attributs supérieurs de notre nature, et rien n'étant plus propre que le commerce du beau à élever le ton général de nos sentiments et de nos pensées. La culture du sentiment religieux est aussi moyen et fin à la fois ; mais la pédagogie moderne répugne, surtout depuis Kant, à présenter comme un simple moyen, ou même comme une fin particulière, ce qui n'est autre chose que le sens même de la perfection, le plein épanouissement du sens moral. Quant à l'éducation civique, elle a sa place à part. Il n'est pas vrai, comme le dit Rousseau, qu'elle soit en contradiction avec l'éducation générale, qu'il faille « choisir entre faire un homme ou un citoyen » : on peut établir, au contraire, que faire un bon citoyen est le meilleur moyen, sinon le seul, de faire un homme ; mais la formation de l'esprit civique est une fin relativement particulière, qui se justifie et en elle-même et par des raisons spéciales, d'ordre en partie historique et temporel.

Les moyens à employer sont déterminés, pour l'éducation physique par la physiologie, par la psychologie pour toutes les autres branches de l'éducation générale. On n'agit sur la nature qu'en obéissant à ses lois.

Les phénomènes de la vie, si longtemps regardés comme livrés au hasard ou soumis au caprice de je ne sais quelles forces occultes, sont régis, comme tous les autres phénomènes du monde physique, par le plus strict déterminisme. Points de faits sans cause, point de cause qui ne produise rigoureusement ses effets : cela est aussi vrai dans l'ordre de la santé que dans l'ordre physique et chimique ; la différence n'est que dans le degré de complication des phénomènes et dans l'état de nos connaissances. Conduire avec méthode l'éducation physique, ce sera donc appliquer rigoureusement les enseignements de la science biologique, en les adaptant aux tempéraments particuliers, avec un soin constant d'empêcher que ce qu'on fait pour le corps ne rompe l'équilibre au préjudice de l'esprit. Les règles de l'hygiène touchant les besoins essentiels du corps (alimentation, respiration, mouvement, repos, sommeil, température), la nécessité de l'exercice, la puissance de l'habitude, le danger des transitions brusques, les ménagements dus au système nerveux : tels sont les principaux points à ne jamais perdre de vue.

Pour l'éducation morale, même principe fondamental : obéir aux lois de la nature humaine, en ayant égard le plus possible aux dispositions individuelles. Quoique la moralité réside essentiellement dans la droiture de la volonté, on n'attendra pas pour y veiller l'âge où l'enfant est capable de vouloir, à proprement parler, et de se conduire par maximes ; on s'appliquera dès l'origine à créer autour de l'enfant une atmosphère morale absolument pure, premier et seul moyen de former en lui le goût du bien, l'horreur instinctive de toute laideur, les habitudes d'ordre, de dignité, de fierté. La maxime ne vient qu'après, et ne sert guère qu'à cette condition ; son rôle est de fixer dans la conscience réfléchie ce que l'exemple et l'habitude ont établi à titre de tendance et presque de besoin au plus profond de notre nature. Au reste, la volonté, elle aussi, veut de très bonne heure être l'objet d'une culture positive. Sa vertu propre est la force ; c'est en l'exerçant qu'on la fortifie. Accoutumons l'enfant à vouloir, à agir sous sa propre responsabilité, à faire acte d'initiative. S'il est une vérité psychologique bien établie, c'est que les habitudes de libre et ferme activité sont essentiellement favorables au gouvernement de soi-même, tandis qu'une discipline tracassière, qui veut tout régler et toujours contraindre, non seulement brise ou fausse les ressorts du caractère, mais fait prendre en haine le devoir.

Enfin, quant à ce qui est de l'éducation intellectuelle, les principales règles de la méthode sont, à ce qu'il semble, les suivantes : Encore et toujours suivre la nature, c'est-à-dire ici l'ordre naturel du développement mental ; faire passer avant le savoir, si utile qu'il soit, le jugement, plus utile encore ; mettre en jeu hardiment la raison de l'enfant, mais sans la susciter prématurément, car s'il importe qu'il apprenne à penser, il importe d'abord qu'il soit de son âge ; conduire progressivement l'esprit du connu à l'inconnu, lui présenter les choses dans l'ordre où elles s'enchaînent et s'éclairent le mieux les unes les autres, ne jamais le payer de mots ni admettre qu'il s'en paie lui-même, s assurer toujours qu'on est compris de lui et qu'il se comprend. Pour le détail, pour les indications propres aux divers genres d'enseignements, qu'on s'en réfère aux traités de pédagogie, aux ouvrages spéciaux, aux articles particuliers de ce Dictionnaire. Nous aurions, quant à nous, quelques réserves à présenter, par exemple, sur certains préceptes de Herbert Spencer, qui n'ont pas, à notre avis, le degré de rigueur ou de généralité que ce philosophe leur prête. Ainsi, nous n'admettons nullement la nécessité de faire repasser l'esprit de l'enfant par tous les chemins qu’a dû suivre l'esprit humain dans sa lente évolution au cours des siècles. De ce que l'humanité a marché, d'une manière générale, de l'indéfini au défini, du concret à l'abstrait, de l'empirique au rationnel, il ne s'ensuit pas du tout qu'il faille commencer par donner à l'enfant des notions mal définies, enseigner la géométrie par l'expérience, etc., etc. fin psychologue comme Spencer le sait mieux que personne, quelle qu'ait été l'origine du savoir humain, l'enfant d'un civilisé naît aujourd'hui (grâce à l'hérédité, qui le fait bénéficier des acquisitions mentales de ses ancêtres) avec des aptitudes et des tendances infiniment supérieures à celles des premiers hommes et des sauvages. Mais ce n'est ici le lieu d'entrer dans aucun débat de ce genre.

III. — Nous voudrions maintenant, après avoir établi la nécessité de la méthode en pédagogie et rappelé les prescriptions essentielles d'une saine méthode, terminer en dissipant tout malentendu à cet égard. C'est le commencement de la sagesse, pour un instituteur, de s'enquérir des méthodes, de vouloir trouver la meilleure pour la suivre consciencieusement. Quantité de maîtres, dans leur zèle docile, ne demanderaient qu'à recevoir un formulaire exact, arrêté, de tout ce qu'ils doivent faire et ne pas faire, pour accomplir au mieux leur tâche si compliquée. Mais il faut qu'ils sachent bien que ce formulaire ne peut leur être donné, et que, s'il l'était, leur premier devoir serait de s'en défier. En effet, s'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a des règles fixes, en pédagogie, dont on serait inexcusable de ne pas tenir compte, il en résulte aussi que ces règles sont nécessairement en petit nombre et très générales ; que, dictées à la fois par la philosophie et l'expérience, elles demandent à être sans cesse vivifiées par la méditation personnelle, contrôlées par une pratique attentive, faute de quoi les sèches formules qui les expriment n'ont qu'une valeur abstraite sans efficacité. On peut bien et l'on doit, autant que faire se peut, descendre des généralités, venir aux précisions ; mais alors de généraux les préceptes deviennent plus ou moins particuliers ; en se diversifiant et se nuançant pour embrasser l'infinie variété des cas qui peuvent s'offrir, ils perdent leur rigueur scientifique. Pour bien dire, ils ne prennent une vraie vertu pratique qu'à mesure qu'ils dépouillent le caractère de formules absolues et la prétention de tout dire en aphorismes. Très ferme dans ses grandes lignes, la théorie pédagogique doit être infiniment souple dans. le détail ; et le détail, là, importe plus que nulle part. Jamais l'esprit de finesse ne fut plus nécessaire, l'esprit géométrique moins de mise. Jamais la science ne fut plus loin de suffire et de suppléer à l'art.

Un traité de pédagogie didactique, fût-il parfait, deviendrait dangereux par le seul fait que tout y serait présenté en prescriptions catégoriques commandant et défendant la même chose à tous les maîtres envers tous les enfants, sans égard pour les dons, les tendances personnelles des uns et des autres. Il n'y a pas de recette infaillible qu'il suffise de suivre superstitieusement pour former un homme. Faire un caractère, façonner un esprit, cela demande toute notre pénétration, toute notre vigilance, toutes nos ressources : les théoriciens de la pédagogie nous donnent d'inappréciables directions, mais ils ne peuvent faire la besogne pour nous. Ils ne peuvent tout dire, parce qu'ils ne peuvent tout savoir, et ce qu'ils ne peuvent savoir (j'entends les cas particuliers) est de nature souvent à modifier grandement ce qu'ils disent. Ils ne nous dispensent donc pas d'avoir du flair, de l'esprit, et du moins le tact qui vient du coeur. Que deviennent leurs meilleurs conseils, appliqués d'une façon rigide à contre-temps, par un homme qui force son talent?

Est-ce à dire qu'il n'y ait rien de sûr, rien de fixe dans l'éducation, que nous aboutissions à retirer par ces considérations finales tout ce que nous avons dit au commencement? Tant s'en faut ; nous ne faisons que le confirmer. L'éducation a ses principes, mais qui se tirent de la connaissance de l'homme, c'est-à-dire de la plus délicate philosophie : est-il dès lors étonnant que ces principes soient élastiques, comme l'objet auquel ils s'appliquent est divers, changeant, imparfaitement connu? N'est-il pas telle partie de la psychologie, la science des caractères, qui, nécessaire entre toutes pour l'éducation, est encore à peine ébauchée? Science qui serait d'un prix infini pour les éducateurs, mais qui, en revanche, a beaucoup à attendre d'eux, car ils peuvent plus que personne pour son avancement. Quels matériaux ne lui fourniront-ils pas, du jour où chacun regardera comme son premier devoir d'étudier le naturel des enfants qu'il doit guider, ce qui est un point essentiel de la méthode pédagogique !

Dira-t-on que c'est demander à chaque maître d'être, en même temps qu'un sage, un savant, un observateur avisé, un philosophe? que c'est demander l'impossible? La question n'est pas là. Que chacun fasse de son mieux ; à l'impossible nul n'est tenu, et de cet idéal on rabattra toujours assez dans la pratique. Ce qui est bien certain, c'est que tel est en effet l'idéal. Kant n'a-t-il pas dit qu'on ne saurait ce que peut l'éducation que quand les éducateurs seraient parfaits? Aux maîtres soucieux de faire tout leur devoir et en quête de la meilleure méthode, on ne peut donc que répondre : « Méditez les conclusions et les préceptes des pédagogues, mais n'en soyez pas dupes. Sous la lettre, cherchez l'esprit. N'oubliez pas que ceux-là ont le mieux parlé de l'éducation qui ont le mieux connu l'homme et le plus aimé l'enfant. Faites comme eux ; allez aux sources ; plongez-vous dans l'observation du réel, et, pour vous y guider, assimilez-vous, autant que vous le pourrez, tout le meilleur des sciences morales. Cultivez-vous le plus possible, élevez-vous, philosophez, puisque philosopher c'est réfléchir ; mais réfléchissez surtout sur votre expérience personnelle. Mettez à profit l'expérience des autres, mais en ayant soin d'abord de la contrôler. Ne jurez sur la parole de personne ; défiez-vous des mots et des formules : au contraire, après avoir tout fait pour vous éclairer, ayez quelque confiance en votre propre inspiration ; elle ne trompe guère, lorsqu'on a le sentiment de sa responsabilité, du bon sens, surtout le goût de ce qu'on fait et l'amour des enfants. Chercher la vraie méthode dans un tel esprit, c'est l'avoir trouvée. ».

Henri Marion