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Mère

L'influence de la mère sur l'enfant s'exerce surtout dans la période qui précède l'école, période qui se prolongeait autrefois jusque vers sept ans et qui s'arrête aujourd'hui à quatre ou cinq. L'action de la mère s'étend sans doute au delà de ces premières années et, par certains côtés, dure toute la vie, mais elle est prédominante et presque exclusive avant l'âge scolaire. Elle pose alors les fondements de l'éducation et détermine les dispositions physiques, intellectuelles, morales qui, avec l'hérédité, feront le tempérament et le caractère. La mère est d'abord l'institutrice unique de son enfant ; elle est ensuite la collaboratrice des maîtres et des maîtresses qui l'instruisent à l'école ; elle reste toujours la confidente, la conseillère de son fils, la gardienne de ses principes de moralité et de conduite.

La tâche de la mère consiste à préserver et à fortifier dans l'enfant l'être physique, à dégager et à former l'être moral. Il lui faut donc une sollicitude infatigable et toujours en éveil] il ne lui faut pas moins, à un degré éminent, les idées et les qualités qu'elle a charge de transmettre. En tenant dans ses bras son enfant, elle doit se dire qu'elle porte non une poupée perfectionnée destinée à son amusement, mais un être de nature, supérieure, sensible, intelligent, moral, capable pour lui-même et pour les autres de beaucoup de bien et de beaucoup de mal, en rapport direct avec la vérité qui parlera à son esprit, avec le bien suprême qui se fera entendre à sa conscience. Elever cet enfant est une tâche auguste qui exige les plus hautes qualités de l'esprit et du coeur, qui implique la responsabilité la plus grande. La mère a pourtant des collaborateurs, des associés dans son entreprise. Le père, à côté d'elle, lui donne la sécurité et le pain quotidien : il lui donne aussi au dedans et au dehors l'exemple des vertus qu'elle inculque à son fils. D'autres enfants, d'autres membres de la famille, appartenant à des générations différentes, entretiennent au foyer la variété, l'entrain, la joie, et concourent, chacun pour sa part, à l'éducation du jeune enfant. Privée de leur appui, la mère emprunte à son malheur même une dignité nouvelle qui est aussi une force. En tous cas, le principal rôle lui est réservé ; chacun lui laisse le dernier mot. Elle est l'interprète de tous les sentiments, de toutes les vérités, l'arbitre écouté de tout ce qui s'impose à l'affection ou à la croyance. Elle ne laisse arriver à l'enfant que ce qu'elle a approuvé, que ce qu'elle a reconnu bienfaisant et bon.

C'est son droit de mère qui la désigne à ce rôle supérieur dans l'éducation du nouveau-né. Celui-ci est si tendre, si fragile en venant au monde, que, sans le dévouement providentiel qui l'y attend, il n'y vivrait pas un jour. L'enfant existe à peine, il n'est ni formé, ni fixé ; il est moins un être qu'un aspirant à l'existence. Son premier besoin, celui de vivre et de se fortifier, trace à la mère son premier devoir. Elle doit le conserver, le faire durer, le tremper pour la vie. Elle ne le peut que par des soins incessants et infinis, par un dénouement que ne rebutent ni les veilles, ni le danger. Ce dévouement jaillit de la plus grande affection qu'il y ait au monde, de l'instinct le plus fort de notre nature, puisqu'il l'emporte de beaucoup sur celui de la conservation et sur l'attachement à la vie. Si l'amour maternel inspire à l'occasion des sacrifices sublimes, il inspire à toute heure une abnégation inépuisable qui ne -l'est pas moins, une suite ininterrompue de prodiges obscurs auxquels est due la conservation de notre race. Sans eux, elle n'aurait pas survécu à la première génération.

Par malheur, l'affection ne suffit pas pour assurer la conservation du nouveau-né. Il faut qu'elle soit accompagnée d'un certain savoir et de l'art d'en user. La nature donne l'instinct, elle ne donne pas le savoir, qui ne peut naître que de l'observation et de l'étude. Si l'enfant respire un air vicié, s'il est nourri de mauvais lait, si les tissus qui le couvrent sont trop ou trop peu perméables, si les lois de la propreté et de l'hygiène ne sont pas observées, la tendresse la plus vive ne pourra le sauver. Un cinquième des enfants succombe ainsi la première année, près d'un tiers est mort avant l'âge de cinq ans. L'ignorance des mères est le plus grand des fléaux, et la société humaine n'a pas de plus pressant intérêt que de la dissiper en faisant connaître aux femmes les lois de la santé et de la vie, surtout dans le premier âge, afin que l'amour maternel soit mis en état d'accomplir son oeuvre de salut.

Cette oeuvre ne se borne pas à assurer l'existence actuelle des enfants ; elle la protège dans la suite en essayant d'éliminer les dispositions morbides, héréditaires ou acquises, qui peuvent la menacer ; elle la met sous la tutelle d'habitudes salutaires d'ordre, de régularité, d'exercice, de tempérance qui deviendront une seconde nature. Ces habitudes ne sont pas moins favorables à la moralité qu'à la santé, car la vie ordonnée, l'activité, la mesure en toutes choses sont plus qu'une bonne hygiène : elles sont une discipline excellente pour le caractère et les moeurs ; une vie bien encadrée et soumise à la règle est bien près d'être une vie honnête.

Pour le coeur et pour l'esprit, non moins que pour le corps, l'enfant arrive aux mains de sa mère dans un état de fluidité qui demande à être fixé. La même sollicitude y pourvoit par les mêmes moyens : les soins infatigables, la formation des habitudes. Rien n'est faible et variable comme le jeune enfant. De toutes les formes que prend sans cesse son intelligence ou sa sensibilité, la mère doit choisir la plus conforme au naturel de l'enfant, la meilleure en elle-même, et la rendre stable par l'exercice répété. Après la conscience des besoins physiques, ce qui se forme d'abord dans l'enfant, c'est l'affection pour les siens. Il répond au sourire de sa mère dès qu'il a deviné l'amour maternel et qu'il a commencé d'y répondre. Il répond de même aux caresses de tous les habitués du foyer, et bientôt toute la gamme des sentiments -de famille vibre et résonne en lui. Quel enseignement que celui que donne ainsi la mère, et que l'influence en sera grande dans tout le cours de la vie! Les affections domestiques sont pour l'homme la source, la substance, la condition de toute vertu ; elles sont le cadre de la vie et en font le prix ; elles sont l'inspiration du dévouement et du sacrifice ; le civisme et le patriotisme en dérivent à leur tour. La mère qui échoue dans cette partie de son oeuvre, qui ne gagne pas à jamais le coeur de son enfant, qui ne sait pas lui rendre chers et sacrés son père, son aïeul, ses frères, ses soeurs, ses amis, ne fait qu'un égoïste, livré sans contre-poids à l'individualisme et aux passions destructives. La mère qui réussit confie au temps le germe de nouvelles vertus, donne à la cité un citoyen, à la patrie un défenseur, à toutes les bonnes causes un adepte. L'exemple de ces vertus sera fécond et l'avenir en recueillera les fruits. Naguère la mère préservait l'existence, maintenant elle en assure la paix et le prix, elle en marque le vrai sens. Hors des sentiments de la famille il n'y a ni sécurité, ni vertu.

La vie du coeur ne va pas sans celle de l'esprit. Ici encore l'exercice et de sages habitudes fixent la nature indécise de l'enfant, dégagent une faculté endormie. La question maternelle, plus subtile que l'interrogation socratique, éveille l'attention, fait jaillir la pensée latente. L'enfant ne comprend pas encore les mots, il en devine le sens, il en pressent la portée. Le langage est la première discipline à laquelle la mère l'assujettit. Peu à peu, des mots précis, répondant à des idées précises, lui font distinguer les êtres et les objets qui l'entourent, le distinguent lui-même de ce qui n'est pas lui. Quelle influence se trouve avoir exercée la mère, au bout de quelques années de cet enseignement des mots et des choses où le regard, le sourire, l'inflexion de la voix ajoutent à la clarté de la leçon ! Que d'idées et de sentiments ainsi rendus distincts ! Deux enfants arrivent à l'école : l'un, préparé par une mère intelligente, active, nette dans son langage, logique dans ses actes, se montre dès le premier jour l'héritier des qualités maternelles, prend aussitôt la tête de la classe, comprend tout, se fait un jeu des tâches qu'on lui donne. L'autre, laissé dans l'inconscience et la confusion natives par une mère moins habile ou de moins de loisir, reste jusqu'au bout obscur dans ses notions, vulgaire dans ses goûts, indécis de caractère, aussi peu en état de profiter des leçons que de se préparer à une carrière. Les grands hommes, a-t-on dit, sont fils de leur mère : les autres ne le sont pas moins.

Les instincts variés qui distinguent la riche nature de l'enfant guident les soins de la mère et appellent la culture propre à les développer. A. la curiosité toujours en éveil du jeune élève doivent répondre ces leçons de choses qui servent d'application aux exercices de langage et ravissent d'aise l'esprit naissant en lui révélant les sons, les couleurs, les formes, les êtres vivants ou inanimés, les incidents qui se produisent, leurs causes et leurs effets. L'instinct d'imitation pousse l'enfant à agir, comme la curiosité le pousse à apprendre, et est le plus puissant moyen d'exercer et de régler sa volonté. La mère veillera à ce qu'il n'ait que de bons exemples à suivre, de bonnes paroles à entendre, lui montrera combien l'effort est nécessaire, la réussite difficile, la modestie convenable au jeune âge maladroit et inexpérimenté. Le besoin d'agir, que l'école ne satisfera qu'en partie, donne à l'enfant l'occasion de s'employer pour les siens, de leur rendre de légers services, d'augmenter son affection pour eux en la leur témoignant ainsi, de remplir toutes ses heures et de se fortifier par l'exercice physique. L'instinct qui le porte à obéir à ceux qu'il aime et dont il reconnaît la supériorité, à les respecter et à les croire, n'est ni moins conforme à sa destinée, ni moins fécond en progrès intellectuel et moral. Et que dire de ces dispositions si remarquables dans le jeune âge, le goût du vrai qui, aux yeux de l'enfant, rend la réalité supérieure à la fiction et qui l'accoutume si aisément à la véracité: le goût du beau, qui l'attire déjà vers l'idéal ; la bonté, déjà formée à la chaleur du foyer ; la passion de la justice, qui est la règle de ses jugements avant d'être celle de sa conduite ; et cet instinct supérieur qui résume les autres et en généralise les données, l'amour du bien qui va devenir la conscience, la loi du devoir, la lumière de la vie dans les cas les plus importants et les plus compliqués?

La culture de tous ces instincts, points cardinaux de la vie morale, n'est autre chose que la culture même de l'esprit sous ses différents aspects : il suffit de les énumérer pour faire sentir l'importance décisive de la première éducation maternelle. Quand ils ont atteint un développement suffisant, l'esprit est formé pour le travail de la vie : il est devenu capable d'attention persévérante, de prévoyance, de réaction sur lui-même, qualités sans prix dans tout le cours de l'existence. L'enfant peut aborder alors l'école, entrer plus tard dans la société. Si les exemples qu'il y trouvera sont bons, il s'empressera de les suivre ; mauvais, ils resteront sans influence durable. Les passions et les entraînements viendront battre sans doute, mais ne pourront renverser l'édifice d'une éducation établie sur ces bases : un corps sain, un esprit exercé, un bon coeur, une conscience droite, l'aptitude au dévouement. Tel est bien le fruit des leçons de la mère, leçons inoubliables, gravées dans la mémoire et le coeur, mêlées à tous les sentiments, à toutes les habitudes de la vie, et qui en restent jusqu'au bout le trésor et le flambeau.

Mathieu-Jules Gaufrès