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Mélanchthon

I. Sa jeunesse, son éducation, son enseignement. — Philippe Schwartzerd, dont Mélanchthon est le nom hellénisé, naquit à Bretten (grand-duché de Bade actuel), en 1497. Il reçut dès ses premières années une éducation très soignée. Il n'appartenait pourtant qu'à une famille d'artisans et de marchands, mais sa grand'mère était la soeur du célèbre Reuchlin, et le grand hébraïsant et helléniste de la Renaissance allemande surveilla toujours avec une sollicitude particulière l'instruction de son petit-neveu.

Après avoir, de bonne heure, fréquenté l'école publique, Philippe fut confié à un précepteur domestique que Reuchlin lui-même avait choisi pour lui, Jean Unger, de Pforzheim. Celui-ci avait, pour enseigner la grammaire, une méthode excellente, dont une discipline un peu rude, il est vrai, assurait l'efficacité : « Il m'astreignit à la grammaire : j'étais obligé de rendre compte des règles de la construction de vingt à trente vers de Virgile. Il ne me laissait rien omettre : chaque fois que je me trompais, il me battait. C'est ainsi qu'il fit de moi un grammairien. » Grâce à ce procédé que l'indulgent Mélanchthon qualifiait plus tard de « castigatio paterna », le jeune Philippe obtint des succès brillants à l'école qu'il suivit ensuite à Pforzheim, école très florissante alors, tenue par Georges Simler, et d'où sortirent plusieurs hommes illustres, tels que le théologien philologue Simon Grynaeus. C'est à Pforzheim, où il logeait chez sa grand'mère, qu'il devint de plus en plus cher à Reuchlin. Il ravit un jour le vieux savant en lui jouant avec quelques camarades une comédie latine. Reuchlin, de son côté, récompensait ses efforts et stimulait son zèle par des faveurs singulièrement précieuses, venant d'une telle part. C'est ainsi qu'il fit un jour à Philippe cadeau du bonnet de docteur qui lui avait été décerné à lui-même en Italie. Une autre fois, il lui donna une grammaire grecque qu'il avait composée. Bientôt, afin de lui témoigner toute son estime, il changeait en son équivalent grec le nom de Schwartzerd, selon la mode usitée alors parmi les humanistes, qui se plaisaient à renoncer à leur nom moderne et barbare, comme pour se rattacher plus intimement encore à cette antiquité vénérée dont ils étaient les citoyens par le coeur (Reuchlin lui-même avait traduit son propre nom en grec, et se faisait appeler Capnion).

Il n'est pas inutile de rappeler ces petits faits à propos d'une nature éminemment docile et réceptive comme celle de Mélanchthon, chez qui les impressions premières déterminent souvent les idées de la maturité. Nul doute que les souvenirs de ces années de son enfance, où tout lui inspirait le respect et l'amour des lettres classiques, n'ait exercé plus tard une influence notable sur les théories de Mélanchthon relatives à l'éducation, et sur l'idéal qu'il s'en forma.

Sous les auspices de son grand-oncle, l'enfant ne pouvait avoir d'autre ambition que celle d'entrer, à son tour dans la glorieuse compagnie de ces grands érudits, qui semblaient déjà par la bouche de Reuchlin l'admettre et lui donner droit de cité parmi eux. Il alla donc, dès l'âge de douze ans, suivre les cours de l'université de Heidelberg.

L'enseignement était alors à Heidelberg beaucoup moins brillant qu'il ne l'avait été quinze ans plus tôt. La scolastique, c'est-à-dire le désordre dans la stérilité, y avait repris le dessus : le bavardage dialectique (garrula dialectices) faisait, avec un peu de physique, tout l'enseignement. L'activité studieuse de Mélanchthon y trouva du moins un excitant dans les ouvrages de Rodolphe Agricola et dans la compagnie de l'humaniste Wimpbeling. Pour le reste, il lisait, « sine delectu », les poètes, les histoires et les fables ; il étudiait les modernes plus que les anciens, et, n'ayant point de guide, c'était dans Ange Politien qu'il allait chercher des modèles de style. Bachelier ès arts en 1511, il était devenu vers ce même temps précepteur des deux jeunes comtes de Liebenstein. Dès 1512, il prétendit concourir pour le magisterium. L'académie trouva cette ambition prématurée, et l'écarta de l'examen. Le dépit de cette mésaventure, — qui plus tard devait arriver aussi à Leibnitz, — contribua peut-être à lui faire quitter Heidelberg pour Tubingue.

Là régnait un esprit plus libre ; l'étude des classiques anciens, à laquelle tant d'universités se fermaient encore avec défiance, y avait été introduite dans l'enseignement par le recteur Henri Bebel. Bien entouré, Mélanchthon put élargir le cercle de ses connaissances ; il fit de l'histoire, de la physique, de la médecine ; il se remit à l'étude de la dialectique à la lumière nouvelle des méthodes d'Agricola, fécondées par la lecture de Cicéron et de Démosthène ; il poussa plus loin la théologie, non plus d'après les stériles procédés de la scolastique, mais en s'inspirant dès lors des écrits de Gerson, de Wessel, et surtout de la Bible, dont Reuchlin venait de lui envoyer un exemplaire. Il étudiait à part le grec et l'hébreu, que l'université n'enseignait pas encore, faute d'élèves. Reçu magister en 1514, il put professer publiquement à son tour. Virgile et Térence furent les premiers auteurs qu'il expliqua dans son cours, puis les ouvrages de rhétorique de Cicéron, et Tite-Live. Il enseignait en même temps le grec, commentant Aratus et les Analytica posteriora d'Aristote ; il méditait une édition complète et nouvelle de toutes les oeuvres du philosophe grec. Déjà désireux de vulgariser l'étude des langues et des littératures classiques, il commençait à publier ses cours sous forme de manuels ou d'éditions. C'est ainsi qu'il faisait paraître en 1516 une édition de Térence, en 1518 des Institutiones linguae graecae. En même temps ses relations avec le monde des érudits s'étendaient ; il entrait en rapports avec Erasme ; il prenait une part brillante à la querelle de Reuchlin avec les dominicains de Cologne. Mais avec la renommée commençaient aussi pour lui les ennuis et les dégoûts de la polémique ; les inimitiés s'avivaient de plus en plus entre les défenseurs du passé et les partisans de l'esprit nouveau, tant en fait de religion que de science. Dégoûté du séjour de Tubingue, où il sentait autour de lui l'hostilité s'accroître, Mélanchthon supplia Reuchlin de l'en retirer à tout prix. En 1518, grâce à l'intervention de son ancien maître, il était nommé professeur de langue grecque à l'université de Wittenberg.

Il y arriva, dit Erasme, « encore adolescent, un enfant presque ». Son discours d'installation fut une action d'éclat. Sous ce titre, De corrigendis adolescentiae studiis, c'était tout un programme de réformes, éloquent, enflammé, et qui donne l'impression très vive de ce qu'était le prosélytisme enthousiaste des grands travailleurs de la Renaissance. Il y prêchait hardiment la rupture avec le moyen âge, le retour aux sources antiques, la culture de l'esprit par les belles-lettres, l'étude du grec et de l'hébreu. Le ton prophétique et guerrier du jeune héraut de la science nouvelle fait songer plus d'une fois au manifeste poétique lancé par la Pléiade française dans la Défense et Illustration de Joachim du Bellay.

Moins d'un an après son arrivée à Wittenberg, le nouveau professeur était déjà « l'ami le plus particulier et le plus intime » de Luther, et conquis par lui à la Réforme. Et à partir de ce moment, ce ne fut pas la faute de Luther si Mélanchthon n'abandonna pas complètement l'enseignement des belles-lettres. Justement frappé de l'esprit clair et méthodique du jeune maître, de son talent pour la discussion, de ses aptitudes — plus grandes encore — pour les écrits d'exposition dogmatique, l'impérieux réformateur aurait voulu que toutes ces qualités fussent consacrées exclusivement à la religion. Il ne négligea rien pour accaparer Mélanchthon. Après l'avoir induit à prendre le baccalauréat biblique (1519), il travailla longtemps, Par des instances et des persécutions de toute sorte, à arracher aux lettres humaines : tantôt s'efforçant de persuader au recteur Spalatin que Philippe réussissait beaucoup mieux à éclaircir saint Paul qu'à commenter Pline ; tantôt écrivant à l'électeur lui-même pour qu'il lui imposât de force l'obligation de laisser le grec pour la théologie. Mélanchthon eut fort à lutter pour sauver quelques parcelles de sa liberté, et garder un coin de sa vie à ses chères études. Mais dès lors il fut obligé de dépenser le meilleur de son existence, soit en colloques ou en disputations, soit en écrits polémiques ou dogmatiques, soit en négociations avec les théologiens et les princes. Sans cloute c'était avec l'ardeur d'une conviction ardente et avec sa conscience habituelle qu'il prenait part aux luttes religieuses et s'acquittait de ce rôle de théologien (pour lequel il se croyait fait pourtant, disait-il, comme un âne pour porter les mystères). Mais il est bien sûr d'autre part que ce n'était pas la carrière qu'il avait rêvée, et que, libre de lui-même, il se fût consacré sans partage aux lettres et à l'enseignement. Tels qu'il comprenait du reste ses devoirs de maître, ce n'eût point été déserter la cause de l'Evangile ; son but ne fut-il pas toujours de réaliser l'union de la culture antique avec l'esprit chrétien pour le plus grand bien de la religion, et de préparer les âmes, en les fortifiant par la science, en les affinant par les lettres, à une connaissance des choses de Dieu plus éclairée et plus pure?

Tout le temps que ne lui prit pas la Réforme, Mélanchthon le donna à l'enseignement, et il le donna sans compter. La vie de nos professeurs les plus occupés, a dit avec raison Nisard, ne peut pas donner une idée de celle de Mélanchthon. Il menait de front deux enseignements : l'un public, l'autre privé. Considérant que les étudiants arrivaient la plupart du temps à l'université incapables de profiter des cours, faute d'une culture préalable, il eût voulu voir se fonder des écoles privées, où les jeunes gens auraient comblé les lacunes de leur instruction élémentaire. Toujours homme de dévouement, Mélanchthon donna le premier l'exemple de prendre chez lui des élèves, besogne pénible dont la fatigue et l'embarras n'étaient point compensés par une rétribution misérable. Jusqu'à sa mort, il reçut ainsi des jeunes gens dans sa maison et à sa table ; de plus il donnait le dimanche des lectiones matutinae, sur des sujets religieux, à l'usage des étrangers peu familiers avec l'allemand. A l'académie, il faisait deux leçons par jour, et sur les sujets les plus divers, car les spécialités n'étaient point aussi nettement distinguées qu'elles le furent depuis : nous voyons Mélanchthon enseigner tour à tour et souvent ensemble la philosophie, la rhétorique, la dialectique, l'éthique, la physique, l'explication des auteurs grecs et latins, et enfin la théologie, dont on l'obligeait, malgré ses protestations et ses plaintes, à faire au moins un cours dans la semaine. Ajoutons qu'en toutes ces matières l'enseignement du professeur n'était point allégé alors par les ressources personnelles des élèves ; les livres manquaient ; Mélanchthon était forcé souvent de dicter à ses élèves le texte grec qu'il voulait leur faire expliquer, à moins qu'il ne le fît imprimer lui-même. De là le grand nombre des éditions classiques qu'il produisit et des manuels qu'il publia. Au milieu de tous ces soins, il était trop scrupuleux observateur des règlements et des coutumes pour négliger aucun des exercices académiques, déclamations ou disputes. Recteur, il ne laissait passer aucune des solennités universitaires, aucune collation de grade, aucune lecture publique des statuts, sans adresser aux étudiants des allocutions pleines de bons conseils et d'admonestations touchantes sur leur vie privée non moins que sur leurs études. Il refondit en 1545 les statuts de l'université de Wittenberg. Il faisait des discours et des préfaces, non seulement pour lui, mais pour quiconque de ses collègues lui en demandait à Wittenberg ou ailleurs. Que l'on place, parmi ces occupations si diverses, une correspondance qui s'élevait souvent jusqu'à dix lettres par jour: on aura un aperçu de la prodigieuse activité pédagogique de Mélanchthon, et l'on croira volontiers, avec un de ses biographes, que dans les temps comme celui-là, où il y a tout à faire, il faut vraiment que les hommes aient des forces en proportion de la foi qui les anime et de l'oeuvre qui les réclame.

Mélanchthon mourut en 1560, à l'âge de soixante-trois ans.

II Idées pédagogiques de Mélanchthon. — Durant cette longue et laborieuse carrière dans l'enseignement, quelles idées Mélanchthon s'efforça-t-il de faire prévaloir et de mettre en pratique? Quels étaient son but, sa méthode, ses procédés? La volumineuse collection de ses oeuvres, mais surtout ses discours académiques, ses lettres et ses préfaces, nous permettent de le savoir au juste.

Tout d'abord l'idée qui domine chez lui toutes les autres, c'est celle de l'absolue nécessité, pour quiconque prétend aux carrières libérales, d'une culture générale, encyclopédique, et où les lettres en même temps tiennent la plus grande place. Cette idée, Mélanchthon eut à combattre pour la faire accepter : il y a eu toujours de ces esprits utilitaires qui sont d'avis qu'on ne peut jamais arriver trop tôt aux fonctions lucratives, et que c'est bien assez de subir l'apprentissage spécial dont on ne peut se dispenser. Si l'on en croit Mélanchthon et ses contemporains, cette tendance fut très forte dans la seconde moitié du seizième siècle : c'est ainsi que les jeunes gens se hâtaient de briguer les fonctions de pasteur après s'être contentés d'acquérir tant bien que mal les connaissances indispensables, mais en se gardant bien de rien apprendre en dehors du strict nécessaire. Il ne manquait pas non plus alors de fanatiques pour décrier l'instruction, sous prétexte que l'opération du Saint-Esprit dans les âmes remplaçait toute science. La même précipitation funeste se faisait remarquer parmi les candidats aux professions d'avocat ou de médecin.

C'est ce qui explique l'insistance avec laquelle Mélanchthon revient sans cesse sur cette idée que, sans une préparation solide et générale, il est impossible de rien faire d'une façon convenable et fructueuse.

Il ne cesse de se plaindre de la témérité présomptueuse de ces théologiens, Jurisconsultes et médecins, qui poussent comme des champignons, sicut fungi nascuntur, qui n'ont ni grammaire, ni dialectique, ni art de la parole, ni connaissances physiques, ni connaissances morales ; et il signale ce danger à la sollicitude sévère des magistrats.

Dans cette culture préalable, si Mélanchthon comprend avec raison la plupart des sciences physiques et morales, il donne toutefois la place la plus large aux lettres proprement dites, litterae humanae, politiores, bonae, elegantiores, comme il le répète en variant sans cesse l'expression affectueuse de son enthousiasme pour elles. L'étude des lettres a trois résultats : elle apprend à penser, à parler, à écrire. Il va plus loin : les lettres apprennent la vertu. La connaissance des bons écrivains forme autant « le coeur que la bouche et la langue » ; en aiguisant l'esprit, elle purifie les moeurs. « Quelle était, pensez-vous, écrit-il, l'intention des vieux Latins quand ils appelèrent humanités les arts de la parole? C'est qu'ils jugeaient, eux, que cette étude-là n'allait pas seulement à polir le langage, mais à corriger la barbarie et la rudesse des âmes. » La culture littéraire « adoucit les esprits et les apprivoise ». La modération, cette vertu chère à Mélanchthon, est fille du bien dire : la clarté, la propriété dans le style, mettent par contre-coup la douceur dans l'esprit. Bien parler, bien écrire, forcent à bien penser, partant à bien agir. Mélanchthon pousse jusqu'au bout cette thèse un peu paradoxale : à l'en croire, la corruption de l'Eglise est sortie sans doute du relâchement de la discipline, mais plus encore de la négligence de la parole, qui entraîne celle de la pensée ; les erreurs des stoïciens, des scolastiques, des Juifs, de saint Thomas, d'Osiander, viennent de l'incuria rectè loquendi. « Le style de tous les fanatiques est détestable », dit-il : « Omnium fanaticorum hominum monstrosa est oratio ».

Dans quelle langue apprendra-t-on à bien parler, à bien écrire? Sur ce point Mélanchthon n'a pas un doute : humaniste convaincu, il ne comprend que le latin comme organe de la vie intellectuelle. On a vu dans le plan d'études rédigé par Mélanchthon pour les écoles de Saxe (Voir Luther) que l'enseignement de l'allemand était proscrit comme celui de l'hébreu. Mais comment s'assimiler à fond la langue latine, sinon par la grammaire? De là l'importance extrême que Mélanchthon attache à cette étude. Sur ce point, ne tarit pas. Il n'est guère de lettres où il ne trouve moyen de glisser un mot en faveur de sa protégée. Il ne cesse d'en prêcher le respect aux élèves qui l'apprennent, aux maîtres qui l'enseignent, aux pasteurs qui doivent en montrer aux fidèles l'importance religieuse, aux princes qui doivent au besoin forcer les maîtres à l'enseigner. S'agit-il de nommer un maître d'école? Il faut s'assurer s'il enseignera exactement la grammaire : tout est là : « Omnino in hoc uno erunt omnia ut is grammaticam fideliter doceat ».

C'est qu'en effet beaucoup de maîtres négligent cette partie de leur tâche. « Vous m'avez souvent entendu me plaindre, dit-il, de ce que dans les écoles on néglige ces éléments de toute véritable culture supérieure, les préceptes d'une grammaire méthodique. » Est-ce par ennui ou par dédain? « In tenui labor est, leur répète sans cesse Mélanchthon, al non tenuis gloria perfecti grammatici est. » Qu'ils ne s'avisent pas surtout de mettre dans l'esprit des enfants que l'usage seul suffira pour leur apprendre à parler latin. L'expérience démontre le contraire : on n'ose pas parler quand on ne se sent pas sûr des règles. Et les élèves, à qui on ne les aura pas inculquées, une fois arrivés à l'adolescence, désespèrent de jamais écrire et parler en latin, désertent complètement l'université, ou bien s'attardent et languissent sans fruit sur des études sans fin. Qu'on les tienne donc dès l'enfance, et de force s'il le faut, sur les règles ; d'abord sur les règles générales, qu'on enseignera d'une façon sommaire et abrégée, « brevi compendio ». Alors seulement on pourra passer aux traités plus développés, où sont exposées les règles de la syntaxe et les exceptions, avec exemples à l'appui. Et l'on ne craindra pas à ce moment d'entrer dans un détail un peu curieux : « Je veux chez le grammairien cette subtilité qui, appliquée à propos, exerce et aiguise le jugement des jeunes gens ».

Voilà la grammaire méthodique que Mélanchthon veut qu'on enseigne. Sur ce point, comme du reste sur presque tous les autres, le professeur de Wittenberg a éprouvé ses théories par l'enseignement et les a réduites en système : ses Elementa puerilia (1524), sa Grammatica latina (1525), témoignent de sa compétence.

La grammaire, toutefois, ne peut se passer de l'étude des auteurs. Dans quel ordre expliquera-t-on les Latins ? Les espèces de programmes, Rationes studiorum, que Mélanchthon envoie fréquemment à ses correspondants, nous l'apprennent. Caton, pour les enfants qui débutent ; puis Térence ; les Épîtres familières de Cicéron les plus faciles ; le De Officiis ; Tite-Live, alternant avec Virgile et Ovide ; Quintilien ; le De Amicilia et les ouvrages de rhétorique de Cicéron : voilà (et à peu près dans l'ordre de progression) les auteurs qu'il prescrit, en y ajoutant, mais plus rarement, Horace, l'Aululaire de Plaute, Salluste, César et les Colloques d'Erasme. Est-il besoin d'ajouter qu'un humaniste aussi convaincu que lui recommande avec insistance tous les exercices oraux ou écrits : lettres, traductions du grec en latin, déclamations, versification?

Tout en insistant moins sur l'étude de la langue grecque, dont il ne pouvait songer à faire passer l'usage dans la pratique, Mélanchthon ne la sépare guère du latin dans ses programmes. Sans le grec, en effet, comment avoir du latin une connaissance profonde? De plus, pourquoi la littérature grecque serait-elle moins propre à former l'intelligence et l'âme que la latine? Sans compter que — comme Mélanchthon le remarque avec finesse — il y a certainement, au point de vue du goût littéraire, plus de charme dans les poètes, les orateurs, les historiens de la Grèce, que dans les écrivains de Rome. Mais en outre une raison d'ordre religieux engageait Mélanchthon à prescrire l'étude soigneuse du grec : la nécessité de remonter aux sources de l'Evangile. Dans ses cours de Wittenberg, il expliqua successivement un grand nombre de prosateurs grecs, un plus grand nombre encore de poètes, dont il publia des éditions. Bornons-nous à noter ici que, dans les Rationes studiorum citées ci-dessus, les auteurs qu'il recommande le plus ordinairement sont Plutarque, Démosthène, Lucien, Homère, Hésiode et Hérodote.

Nous devons appeler l'attention sur les idées de Mélanchthon relatives à l'enseignement de la philosophie, d'autant plus qu'elles se modifièrent avec le temps. La philosophie, telle du moins qu'elle régnait au commencement du seizième siècle dans les universités, n'était guère faite pour plaire aux esprits éclairés de l'humanisme et de la Réforme, et Mélanchthon partagea d'abord les préventions d'un grand nombre de ses contemporains contre une science qui ne leur apparaissait que sous la figure peu avenante de la scolastique du moyen âge. Il eut au commencement des mots durs pour cette étude vide, qui, vue de près, écrivait-il en 1520, n'est qu'un ramassis confus des opinions les plus absurdes, sur les sujets les plus bizarres. C'est vers ce moment aussi qu'il lui arrivait de médire durement d'Aristote. Déjà cependant son esprit clairvoyant ne pouvait admettre que cette scolastique, uniquement propre à énerver les esprits, fût toute la philosophie. Peu à peu, les préventions fâcheuses qu'avaient laissées en lui les souvenirs odieux et ridicules de l'enseignement de Heidelberg se dissipèrent ; il vit que la philosophie qu'il rêvait pouvait exister ; et que, si le dernier mot de la science n'était pas dans les livres d'Aristote, au moins en pouvait-on prendre utilement chez lui les éléments. Il reconnut peu à peu que cet Aristote tant calomnié valait mieux que ses indiscrets dévots, et qu'il était compromis plus que compris par eux. A Wittenberg, il lui fit, dans son enseignement, une place considérable ; il commenta l'Ethique, la Politique, le traité De l'âme ; il publia qu'il fallait l'aimer et l'avoir sans cesse entre les mains ; il proclama que sans lui, non seulement périrait la pure philosophie, mais qu'il n'y aurait aucune vraie méthode d'apprendre et d'enseigner ; qu'enfin l'oubli d'Aristote entraînerait la confusion des sciences : « Magnam doctrinarum confusionem secuturam esse, si Aristoteles neglectus fuerit, qui unus ac solus est methodi artifex ». Non seulement en public, mais en particulier, il ne se lassa pas d'en conseiller l'étude. Il fit mieux : il essaya, en suivant ses traces, d'aller plus loin que lui ; dans son De anima, il tenta un des premiers en Allemagne un essai de psychologie ; en dehors de l'éthique et de la dialectique ancienne, il aurait voulu qu'on fît une étude pénétrante des différentes facultés de l'homme, des « puissances de l'âme », comme il les appelle, étude qui — notons-le — semble se lier intimement dans son esprit à l'étude de l'anatomie du corps humain. Outre le De animâ, Mélanchthon publia encore plusieurs traités d'enseignement philosophique : Elementa rhetorices, Erotemala dïalectices, Philosophiae moralis Epitome, Ethicae doctrinae Elementa, Compendiaria dialectices Ratio.

L'étude de l'histoire tient peut-être moins de place qu'on ne s'y attendrait dans les plans d'éducation de Mélanchthon. Ce n'est pas, sans doute, qu'il en méconnaisse l'utilité, mais plutôt parce que les livres manquaient pour cette partie de l'enseignement. Mélanchthon s'en plaint au sujet de l'histoire allemande, qui jusqu'ici, dit-il, n'a été écrite que par des moines dénués de toutes connaissances politiques, de tout art de composition, peu soucieux de recourir aux sources. Parmi leurs chroniques, il y en a quelques-unes de bonnes, celles de l'abbé d'Ursperg par exemple ; Mélanchthon en conseilla la réimpression et y mit une préface. Il édita aussi, en la corrigeant, la chronique rédigée par Carion, son élève ; et telle était alors la pénurie de livres d'histoire que, dès son apparition, et malgré sa médiocrité, cet ouvrage fut adopté par nombre de professeurs en Allemagne et à l'étranger. Mélanchthon le refondit ensuite en le traduisant en latin (1558). Dans cette stérilité de bons ouvrages modernes, Mélanchthon ne voit guère à indiquer pour l'éducation d'un jeune prince (Jean-Frédéric, duc de Poméranie) que l'ouvrage de Commines. A ses autres clients, il indique d'ordinaire la lecture des principaux historiens anciens : Tite-Live, Salluste, Thucydide, — qu'il édita les uns et les autres en tout ou en partie, — et Tacite, dont il publia en 1538 le De moribus Germanorum. Mais il comprend que la lecture des ouvrages des anciens ne suffit pas à donner de l'antiquité une connaissance réelle et complète ; qu'il faudrait coordonner, en vue de l'enseignement, les indications éparses et fragmentaires que les textes nous donnent, et il regrette qu'il n'y ait pas quelque Epitome bien fait des historiens de l'Orient, de la Grèce et de Rome.

L'étude des sciences physiques et mathématiques rentre encore dans le cercle de ces connaissances nécessaires qui pour Mélanchthon composent l'enseignement classique. Il insiste fréquemment sur l'utilité de ces connaissances pour le théologien, pour le jurisconsulte, pour le professeur, pour l'avocat. Il nous suffira de signaler ici l'originalité, pour le temps, de ces théories qui alors avaient besoin d'être démontrées. Dans les Rationes studiorum qu'il adresse à des particuliers, il a soin de réserver quelques heures dans la semaine pour le calcul, l'astronomie, la cosmographie, la connaissance du temps, pour la physique, l'anatomie et les éléments de la médecine. Toutes ces sciences, force lui était alors d'en conseiller l'étude, de les enseigner lui-même, principalement d'après Aristote. En dehors d'Aristote, c'était dans Hésiode, dans Manilius, dans le second livre de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, enfin dans le traité De Sphaerâ mundi, par Jean de Sacrobosco (1472), qu'il fallait chercher toute la science en fait de cosmographie, d'astronomie, de météorologie, de géologie. Mais il sent tout le premier l'insuffisance de cette science arriérée, et il voudrait que l'enseignement pût s'exercer sur une matière plus riche.

Si nous ajoutons que Mélanchthon jugeait utile et honorable à tout homme de savoir quelque chose de sciences même plus spéciales, telles que la jurisprudence et la médecine, nous aurons complété la liste des connaissances qu'il inscrit dans le programme d'une éducation vraiment libérale. « Celui qui aura fortifié son esprit par des études variées, celui-là, mais celui-là seulement, pourra aborder, par un chemin sûr, les sciences professionnelles, telles que la jurisprudence, la théologie, la médecine. » S'il ne s'est pas imposé cette préparation générale, le théologien, ignorant les langues, ne comprendra rien aux textes sacrés ; le pasteur, inhabile à disposer ses pensées, ne fera que jeter l'obscurité dans l'esprit de ses auditeurs ; l'avocat, dénué de toute connaissance de la morale et de la philosophie, ne sera qu'un parleur à vide ; le médecin, que n'éclaireront aucunes notions de mathématiques ou de physiologie, s'envasera pour ainsi dire dans les disputes de son art (haerebit ubique tanquam in luto). Non moindre sera l'embarras, l'insuffisance aussi, du politique, du militaire, qui auront abordé l'exercice de leurs fonctions sans s'astreindre à parcourir les degrés de l'enseignement classique. Est-il un métier où il ne soit essentiel de savoir écrire, parler, penser?

Tel est l'ensemble des idées pédagogiques de Mélanchthon. Il serait aussi superflu d'en faire ressortir ici les mérites que d'en signaler les défauts ; les uns et les autres sont sensibles. Mais sans insister sur ce qui manque à ce plan d'éducation où l'humanisme s'est taillé la part si belle, nous nous bornerons à faire remarquer ceci c'est que, s'il paraît difficile de faire à l'élude de l'antiquité une place plus large que Mélanchthon ne la lui accorde, il était possible de la lui faire autrement et dans un esprit différent du sien. Ce qui le touche, en effet, et ce qu'il recherche, ce n'est pas la connaissance objective et réelle, si l'on peut dire, de l'antiquité classique, de son histoire, de ses idées, de ses institutions, de son esprit ; c'est simplement l'utilité subjective de cette étude, le profit intellectuel et moral qu'on peut retirer d'un commerce familier avec les écrivains anciens. Cette conception de l'étude des lettres antiques, considérée uniquement comme un moyen de culture pour l'esprit et de développement pour l'âme, distingue d'abord Mélanchthon des humanistes italiens de son temps, qui n'aspiraient à rien de moins qu'à une résurrection véritable des idées, des moeurs, des systèmes de l'antiquité ; elle diffère aussi des idées dont s'inspirent les partisans modernes de l'instruction classique, bien plutôt disposés à estimer davantage l'intérêt philologique, archéologique et historique des études anciennes.

D'autre part, en dehors de ses merites purement théoriques, la pédagogie de Mélanchthon en a d'un autre genre, que nous nous reprocherions d'omettre, quoiqu'il faille, pour les bien apprécier, descendre au détail et comme dans l'intimité journalière de sa pratique de l'enseignement. C'est dans ses lettres, dans ses avis aux étudiants, dans les récits de ses biographes, qu'il faut aller prendre sur le fait Mélanchthon professeur ; c'est là que l'on comprend avec quel soin pieux il remplissait sa mission de maître. Le consulte-t-on sur une éducation à diriger? Il faut voir avec quelle, consciencieuse minutie il en dresse le plan pour chaque semaine, pour chaque jour, pour chaque heure. Et qu'on ne croie pas qu'il ait un programme fixe qu'il applique à tous ses clients sans distinction : il fait acception des personnes, des âges, des vocations. Il va jusqu'à recommander — et ce trait est bien du Mélanchthon — qu'on ne lui obéisse pas trop, qu'on ne s'astreigne pas avec trop de docilité à suivre servilement le plan qu'il propose ; qu'on laisse quelque chose au hasard et à la liberté. Et ce n'est pas seulement à des étudiants déjà grands qu'il prodigue ainsi, dans de longues lettres, les trésors de son expérience et de sa réflexion : c'est souvent à de petits enfants qui commencent à peine la grammaire. Pour ceux-là, Mélanchthon, qui était père, a soin d'ajouter : « Ne onerentur nimium, Qu'on ne les charge pas trop ».

Car son ardeur pour la science et son désir de la voir se répandre ne l'entraînent point à demander trop à la jeunesse. Son école n'a rien d'austère et d'ascétique. « Je ne te demande pas, dit-il, de te lever longtemps avant le jour, ni de te coucher tard dans la nuit : il faut absolument tenir compte de ce Sue réclame la santé. » Il veut que dans un cours 'études bien entendu, on fasse la part de l'amusement intellectuel. Comme Luther, il encourage l'étude de la musique et du chant. Se souvenant de sa propre jeunesse, et qu'il avait fort aimé les poètes et qu'il l'était lui-même, il en conseille souvent la lecture, des poètes modernes comme des anciens.

Toujours, du reste, et quelle que soit l'étude qu'il recommande, il a soin d en montrer l'agrément et l'utilité: semblable en cela à la plupart des éducateurs du seizième siècle, il ne veut pas qu'on obtienne rien par force, mais tout par persuasion. Il ne faut pas que ses élèves viennent expliquer Démosthène ou Homère comme ils iraient à une corvée ; il prétend qu'ils s'y plaisent. Aussi ne manque-t-il jamais, dans les affiches où il annonce aux étudiants de Wittenberg qu'il expliquera tel ou tel auteur, d'en faire valoir le haut intérêt ; ses intimations (intimationes) sont bien plutôt des invitations toujours pleines d'alléchantes promesses et d'ingénieux considérants. Et ici encore ce n'est pas pour les jeunes gens seuls qu'il se met en frais de persuasion : il ne croit pas s'abaisser en cherchant à convaincre aussi les petits enfants. « Toutes les fois que vous voyez vos petits livres de classe, écrit-il à un commençant, pensez que ce sont là véritablement vos armes, et que vous êtes des soldats nécessaires à la République, qui vous adonné un poste à défendre. » Voici la jolie lettre qu'il écrit à un autre : « Quand tu es assis en classe, souviens-toi que tu n'es pas seulement au milieu d'enfants de ton âge, mais qu'à côté de vous viennent se placer les anges très purs, spectateurs de vos études et gardiens de vos corps. Ils vous accompagnent à l'école, s'assoient sur vos bancs avec vous, vous ramènent à la maison. C'est là un camarade que tu dois chercher à satisfaire, car il se réjouit grandement de l'assiduité de ceux qui apprennent bien et qui tiennent des discours pieux, et il va raconter à Dieu vos études et il vous recommande à lui. Prends donc garde, soit par paresse, soit par méchanceté, d'offenser ce vigilant gardien et de l'éloigner de toi. » Par ce côté moral d'un enseignement tout pénétré de tendresse insinuante et d'ingéniosité affectueuse, Mélanchthon se rapproche de Fénelon et de Rollin, avec quelque chose de plus aimable encore ; et il pouvait bien dire à ses élèves qu'il se sentait vraiment un amour de père pour quiconque aimait la science : « Verè hoc affirmare possum me paterno affectu atque amore complecti omnes studiosos ».

III. Influence de Mélanchthon sur l'enseignement. — Il ne nous reste plus qu'à marquer brièvement ' quelle influence a exercée Mélanchthon dans le domaine de l'enseignement, soit de son vivant, soit après lui, en Allemagne et à l'étranger.

Son enseignement à Wittenberg avait eu tout d'abord un grand succès. Luther, qui des premiers s'était enthousiasmé pour la science et l'ardeur du jeune maître, nous l'atteste dans ses lettres : les professeurs eux-mêmes se faisaient ses élèves. Ce succès ne fut pas toujours aussi vif : dans les dernières années de son enseignement, Mélanchthon se plaignait souvent qu'Homère ou Démosthène fussent obligés de « mendier » des auditeurs. Ce fut sans doute au début que Spalatin put compter une fois 600 élèves à son cours ; Heerbrand assure que l'on remarquait parmi les auditeurs des princes, des comtes et des barons. « On venait pour l'entendre, ajoute ce dernier, de tous les pays de l'Europe, et même d'Italie et de Grèce ; et combien de milliers de disciples, dispersés aujourd'hui dans des régions diverses, répandent les trésors qu'ils ont amassées à son école! »

Sa correspondance multipliait au loin son influence pédagogique. En relation avec un très grand nombre de pasteurs, de maîtres d'école, de magistrats et de seigneurs, à tous il recommandait chaudement les intérêts de l'enseignement. Il n'est guère de gymnase allemand qui n'ait entretenu des rapports avec Mélanchthon.

Si à Wittenberg son autorité morale était prépondérante, Tubingue, Heidelberg, Francfort-sur-l'Oder, Rostock s'inspiraient respectueusement de ses conseils. Königsberg lui dut en partie son université, dont le premier recteur fut le gendre de Mélanchthon, Sabinus. On a vu à l'article Luther que, lorsqu'il s'agit de doter la Saxe d'écoles, c'est Mélanchthon qui fut chargé de rédiger les instructions d'après lesquelles on organisa l'enseignement. Ailleurs encore, nombre d'écoles latines furent créées à son instigation et établies sur ses plans. En 1537, il adresse aux princes réunis à Smalkalde une lettre De conservandis bonis monasteriorum ut scholis et ecclesiis consulatur. Et lui-même il nous apprend que sa requête eut plein succès. En 1545, quand il refond les lois et statuts de l'académie de Wittenberg, il fait naturellement prédominer ses idées et ses méthodes dans l'enseignement réorganisé. En 1539 et 1540, il donne son avis deux fois sur la réforme de l'académie de Leipzig.

Son influence posthume, en Allemagne, ne fut point aussi grande qu'elle eût pu l'être. « L étude du grec et du latin, dit M. Klix, qu'il eût voulu voir régner dans toute l'Allemagne d'après les principes et les méthodes de l'humanisme, dépérit et dégénéra partout en une sèche étude des mots. » Puis vint la guerre de Trente ans, ramenant cette barbarie dont Mélanchthon avait une si grande horreur, et qu'il avait essayé toute sa vie de combattre Néanmoins, sa doctrine et son esprit survivaient dans l'élite des maîtres de la jeunesse allemande, ses anciens disciples. Camérarius à Leipzig, Mycillus à Heidelberg, Sturm à Strasbourg, Trotzendorf à Goldberg, Neander à Ilfeld, Wolf à Augsbourg, Mylius à Görlitz, Fabricius à Meissen, s'inspirèrent de ses principes et continuèrent son oeuvre en la perfectionnant parfois. En même temps, ses livres, éditions et manuels, qui, déjà de son vivant, avaient eu des réimpressions nombreuses, restent classiques. On trouvera la liste de leurs diverses éditions au-devant de chacun de ses ouvrages, dans la collection du Corpus Reformatorum. Notons seulement que ses Initia doctrinse physicae et son Liber de anima eurent la plus grande influence en Allemagne sur l'enseignement philosophique « jusqu'à l'époque de Wolf et de Kant » (Klix).

A l'étranger, ce furent surtout ses différents manuels qui propagèrent son influence. Sa Dialectique, publiée pour la première fois en 1520, eut de 1528 à 1547 trois éditions remaniées ; la première de ces éditions fut réimprimée huit fois, à Bâle, à Paris, à Strasbourg, à Leipzig, etc. ; la seconde, huit fois aussi ; la troisième, cinq fois. Sa Grammaire latine fut publiée quatre fois à Paris par Robert Estienne. En Angleterre, dès 1535, dans la « Visitation » des universités anglaises faite au nom du roi, nous trouvons les ouvrages philosophiques de Mélanchthon recommandés (Huber et Newman, The English Universities, I, 252). En France, « longtemps après que l'auteur eut encouru par ses principes théologiques les censures de la cour de Rome, on continua de se servir des ouvrages de Mélanchthon dans les écoles publiques, et l'on en trouve des exemplaires dans presque toutes les anciennes bibliothèques » (Article Mélanchthon de la Biographie Michaud).

L'Allemagne a conserve à Mélanchthon le nom de Précepteur commun de la Germanie. Mais nous voyons que son action n'a pas été limitée à l'Allemagne, et il n'est pas téméraire de supposer que par ses livres, dont se sont servies plusieurs générations de professeurs et d'élèves, il a contribué pour sa part à la renaissance des études classiques dans l'université de Paris au commencement du dix-septième siècle.

Alfred Rébelliau