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Marguerin

 Emile Marguerin, pédagogue français, est né le 14 octobre 1820 et mort à Paris le 4 octobre 1884. Ses parents, d'humble origine et sans fortune, ne ménagèrent aucun sacrifice pour lui assurer le bienfait d'une éducation élevée. Il justifia, dès le début, leurs espérances. Placé dans une pension qui suivait les cours du collège Bourbon (aujourd'hui lycée Condorcet), Marguerin, sans être ce qu'on appelle un élève à succès, comptait parmi les meilleurs esprits de sa classe. « Il était de ceux, a dit un des amis de sa jeunesse, Henri Baudrillart, que les maîtres remarquent et que leurs camarades classent entre eux au premier rang. Indépendamment des avantages de sa personne et d'un air de distinction naturelle, on était frappé par son ouverture d'esprit ; sa passion de lecture s'en prenait aux livres de tout genre ; aucun d'entre nous, en rhétorique ou en philosophie, n'était plus au courant de ce monde intellectuel qui comprend les poètes, les romanciers, les historiens et les philosophes. » Ses goûts l'attiraient surtout vers l'histoire. C'est à cet ordre d'enseignement qu'il avait l'ambition de se consacrer (1841). Cependant, tout en se préparant à ses examens, il fallait vivre et venir en aide à sa famille. Cette préoccupation de la famille, — nous empruntons encore cette observation aux souvenirs de M. Baudrillart. — Marguerin devait, toute sa vie, la porter jusqu'au dévouement: dévouement pour sa mère d'abord, qu'il entoura pendant trente ans des soins les plus tendres, dévouement pour tous les parents qui tenaient à sa mère par quelque lien. Il partageait son temps entre les leçons particulières qui lui assuraient de modestes ressources, ses études propres, et la vie du monde dont il goûtait les plaisirs délicats. Reçu licencié ès lettres en 1843, il fut, l'année suivante, chargé au collège Bourbon des cours spéciaux qui venaient d'être fondes par Villemain, et il conserva cet emploi jusqu'en 18n2, mûrissant son savoir et perfectionnant son talent. En 1853, les emplois de chargés de cours ayant été supprimés à Paris, Marguerin, qui n'avait pu affronter encore les concours de l'agrégation, fut pourvu d'une chaire dans un lycée de province. Il ne crut pas devoir l'accepter. Presque au même moment, la direction de l'école municipale Turgot était devenue vacante : obéissant à une sorte de vocation secrète, il sollicita le poste et l'obtint. Il y trouva l'intérêt et l'honneur de sa vie.

On me permettra de reproduire ici le témoignage que je lui ai rendu sur sa tombe :

« C'est à la tête de l'école Turgot, disais-je, que j'ai trouvé M. Marguerin, il y a vingt ans. Les circonstances ne nous avaient pas rapprochés jusque-là. Nous avions l'un et l'autre dépassé l'âge où l'on se lie uniquement par sympathie. Mais, dès nos premiers entretiens, je me trouvai porté vers lui par un sentiment d'estime profonde pour son esprit judicieux et son caractère loyal, pour les habitudes de devoir et de dévouement au bien public dont il était pénétré si sincèrement. J'étais presque surpris de trouver un tel homme dans cet obscur emploi.

« Je savais qu'il avait eu une jeunesse brillante ; que, ses études à peine achevées au collège Bourbon, il y était rentré comme maître ; qu'appelé à professer l'histoire et la littérature dans les cours ouverts aux jeunes gens qui s'étaient détachés des études classiques, il avait donné à cet enseignement un relief inaccoutumé ; qu'il s'était fait remarquer, en outre, dans des suppléances difficiles ; que les élèves de rhétorique recherchaient sa critique solide et fine, toujours marquée d'une empreinte très personnelle, tout à la fois bienveillante et sévère, sévère pour les choses, bienveillante pour les enfants, comme elle le fut plus tard pour les hommes. J'avais entendu dire qu'il tenait sa place avec distinction dans un salon comme dans une classe. M. Victor Cousin m'avait raconté lui-même enfin qu'en 1848, ses amis pensaient à lui ouvrir les voies de la diplomatie ; et nul doute que les ressources de son intelligence, sa grande puissance d'observation et de travail, sa rare sagacité ne s'y fussent déployées avec éclat.

« Il ne me fallut pas longtemps pour voir ce qu'était devenue entre ses mains cette fonction qui n'avait de modeste que l'apparence. L'un des (rails de l'esprit de M. Marguerin était de se donner sans réserve à ce qu'il faisait : c'est ainsi qu'il a appartenu pendant près de trente ans aux grandes écoles de la ville de Paris. L'opinion publique n'était pas encore bien fixée sur la valeur de l'enseignement destiné à la petite bourgeoisie et à l'élite des classes ouvrières dont MM. Guizot, Cousin, Saint-Marc Girardin, de Salvandy venaient de marquer la place entre l'enseignement primaire supérieur et l'enseignement classique. Nul peut-être n'en avait dès l'abord plus justement senti que M. Marguerin le caractère et la portée. Il a fait mieux que de le comprendre ; on peut dire qu'il l'a créé.

« Aujourd'hui que les établissements municipaux, installés dans des locaux qui n'ont rien à redouter de la comparaison avec les établissements du degré le plus élevé, sont largement dotés de tous les moyens de travail, on oublie aisément ce qu'il a fallu d'efforts persévérants, d'esprit d'organisation, d'habileté dans le maniement des hommes pour arriver à fonder dans l'étroite enceinte des classes de la rue du Vert-Bois une école supérieure modèle et qui est devenue le type de tout un enseignement. Maîtres et méthodes manquaient alors. Les maîtres, M. Marguerin allait les chercher partout ; et quand il sentait qu'il avait mis la main sur un de ceux qu'il pouvait utilement associer à son oeuvre, il s'en emparait, le pénétrait de son esprit, l'animait de sa flamme, payant lui-même de sa personne, au préau, dans la classe, à l'étude, tour à tour surveillant et professeur, professeur surtout ; car il avait transporté à Turgot ces qualités de bon sens, de mesure et de verve qui avaient si vite consacré son autorité au collège Bourbon. Grâce à cette activité industrieuse et féconde, il eut bientôt réuni autour de lui une pléiade d'hommes de valeur habitués à ne compter ni leur temps ni leur peine : Barreswill, Morin, Michel, Porcher, de Montmahou, Félix Hément et bien d'autres. Les maîtres faits, les livres ont suivi : livres où chacun avait à coeur de fixer le meilleur de son savoir et auxquels M. Marguerin mettait le sceau de son expérience pédagogique si lumineuse et si sûre. C'est ainsi que, lorsqu'en 1865 intervenait la loi sur l'enseignement secondaire spécial, l'école Turgot, qui ne devait rien qu'à elle-même, à son chef, à ses professeurs, était en mesure, avec le collège Chaptal, de fournir à tout le monde les exemples et les instruments du succès.

« L'action de M. Marguerin ne se bornait pas à une sorte d'impulsion générale. L'esprit d'ensemble qu'il portait dans toutes ses vues ne le rendait indifférent à aucun détail ; il savait qu'en matière d'éducation, les meilleurs principes ne valent qu'autant qu'on en suit, jour par jour, enfant par enfant, l'intelligente application. Du premier au dernier, il connaissait à fond tous ses élèves. Un jour, à l'école Jean-Baptiste Say, — alors que, les infirmités commençant à le gagner, il aurait pu éprouver un peu de découragement ou de fatigue, — il me disait : « J'aime l'enfant » comme le paysan aime la terre ». L'enfant était bien sa chose, en effet, son bien. Il n'y avait pas de nature qui le rebutât. Les difficultés l'attiraient presque, ou du moins le succès chèrement acquis ne lui déplaisait point. Il n'avait pas peut être ce que nous appelons aujourd'hui un peu ambitieusement le respect de la dignité de l'enfant: mais je ne crois pas que jamais personne ait su plus habilement traiter une petite conscience malade, y réveiller les bons instincts, en faire jaillir un regret généreux. J'ai assisté quelquefois à ses consultations ; il était impossible de s'y montrer, suivant le cas, plus ferme ou plus souple, plus ingénieux ou plus pressant. Les punitions étaient inconnues à Turgot ; M. Marguerin personnifiait à lui seul toute la discipline ; ses observations en étaient la sanction unique et admirablement respectée. La gravité froide, parfois même un peu hautaine, que lui avait donnée le long exercice de l'autorité, s'alliait chez lui à toutes les tendresses de l'éducateur. Si les grands établissements d'industrie et de commerce recherchaient les élèves de Turgot, ce n'est pas seulement parce qu'on était bien assuré qu'ils apportaient dans la maison une intelligence ouverte et pourvue d'un ensemble de connaissances judicieusement mesuré, c'est aussi parce qu'on les savait façonnés à cette discipline morale, sensibles à l'honneur, dociles à la raison.

« A travers les enfants M. Marguerin voyait et atteignait les familles. Il ne se contentait pas de les tenir au courant par des bulletins hebdomadaires ; il allait à elles, il les faisait venir à lui, il étudiait avec elles les aptitudes de l'élève, préparait son avenir et souvent en décidait. Ses conseils étaient toujours si bien justifiés qu'il eût été difficile de ne pas les suivre. Et de ces entretiens prolongés ou renouvelés autant qu'il était nécessaire, combien les parents ne remportaient-ils pas pour eux-mêmes de suggestions utiles et de sages directions ! Le bien que M. Marguerin a fait autour de lui sous cette forme est incalculable. Ce sont ces petites vertus de tous les jours, propagées et entretenues dans les plus modestes ménages, qui font les sociétés fortes et saines.

« Quelque jaloux qu'il fût de se réserver à son école, M. Marguerin ne s'y enfermait pas étroitement ; on n'ignorait pas qu'on pouvait en toute occasion faire appel à son dévouement pour les intérêts généraux de l'instruction populaire, et on ne se faisait pas faute d'en user. Pendant plus de quinze ans, il a été l'un des promoteurs les plus actifs des cours de l'Association polytechnique. L'Association formée pour la protection des jeunes apprentis, la Société Franklin, les nombreuses commissions dont il était membre, lui durent aussi plus d'une mesure sage et utile. C'est à lui, l'un des premiers, qu'on eut recours lorsque furent établies dans le IIP arrondissement les écoles professionnelles pour les femmes ; il en discuta les programmes et les plans. Tout récemment encore, les comités du collège Sévigné et de l'école Monceau étaient venus le chercher dans sa retraite, et il s'y montra une fois de plus ce qu'il avait été partout, un appui, un guide, un inspirateur. Son expérience n'avait rien de banal, et l'accent personnel dont ses moindres conseils étaient relevés ajoutait encore à l'autorité de sa haute raison. Il aimait surtout à voir les oeuvres sortir de terre et s'épanouir ; il en eût volontiers restreint le développement : il redoutait les entraînements du succès. Quand l'école Turgot, qu'il avait reçue de M. Pompée avec trois cents élèves, en compta plus de huit cents, il n'eut pas de cesse qu'il n'obtînt la fondation de quelques colonies.

« Il eut la satisfaction de voir s'élever entre ses mains les écoles Colbert, Lavoisier, Jean-Baptiste Say, Arago. Au titre d'administrateur général des écoles supérieures de la ville de Paris, qui lui avait été conféré, étaient attachées de laborieuses fonctions, qu'il remplissait avec un zèle toujours égal. Un moment vint où la charge fut trouvée insuffisante. On lui demanda d'y ajouter la direction d'un de ces établissements qu'il avait contribué à fonder ; il dut accepter, et fit bientôt de Jean-Baptiste Say ce qu'il avait fait de Turgot. Mais cette tâche accomplie, il se retira.

« En 1881, l'Institut consacra ses éminents services en lui décernant le prix Halphen, prix attribué « à » ceux qui, par leur action personnelle et par leurs » travaux, ont le mieux servi les progrès de l'instruction primaire ».

Pour ceux qui l'ont connu de près, le souvenir qu'a laissé Marguerin est encore supérieur à son oeuvre. Il avait au plus haut degré le goût des choses de l'esprit. Toute sa vie, même au milieu des occupations les plus absorbantes, il avait beaucoup lu, et, comme il ne lisait guère que le crayon à la main, réfléchissant et méditant au fur et à mesure sur chaque page, ses lectures laissaient dans son esprit une trace vive et profonde. Sa conversation était substantielle, attachante, suggestive. Doué d'une pénétration historique peu commune, il se transportait tout entier dans les époques auxquelles il s'attachait. Il n'avait pas seulement le respect du passé, il l'aimait. La vie patriarcale et recueillie du moyen âge avait louché son imagination, presque séduit son bon sens. Il connaissait mieux encore peut-être le dix-huitième siècle : prose et poésie, histoire, romans, tout lui en était familier ; il y observait, avec le tact philosophique le plus délié, les grandeurs et les petitesses, les troubles et les exaltations généreuses de l'âme humaine C'était un historien moraliste et un lettré raffiné. Il aimait à juger, et d'ordinaire il jugeait bien. Lorsque la passion l'entraînait, il n'était pas nécessaire de l'avertir, il en avait lui-même conscience ; mais il y avait plaisir à le contredire, tant on le savait en fonds d'arguments!

On retrouvera la plupart de ces mérites dans ses écrits, bien qu'il reconnût lui-même qu'il avait moins de goût pour la plume que pour la parole. Ses premiers essais — les articles qu'il donna au Courrier français de mai à novembre 1844 — contiennent en germe toutes les qualités que la vie, cette maîtresse supérieure, devait développer en lui. la justesse, la portée, le besoin de voir clair dans l'esprit des autres comme dans le sien propre, et cette sorte d'originalité qui est le fruit d'une réflexion bien mûrie et d'un sentiment sincère. Il y traite du roman et de la poésie, de la politique et de l'histoire. Si dans sa vieillesse il a eu occasion de revoir ces travaux de début, il nous semble qu'il dut se retrouver surtout dans ses observations sur les oeuvres d'imagination et le goût de l'idéal.

« N'est-il pas vrai, écrivait-il dans une jolie page datée du 19 novembre 1844, qu'un roman, quand il est bon, est pour l'esprit une récréation charmante? Ne craignons pas de le dire : Heureux les lecteurs de romans! Ils s'arrachent, pour un temps, aux misères de la réalité, aux lâches accommodements auxquels la raison amène le coeur, aux tristes concessions que la tyrannie des circonstances impose à l'âme qui se soumet en s'indignant, quand elle a la force de s'indigner. Les uns se soumettent sans combattre ; les autres se révoltent et luttent ; on dit que les premiers sont les plus sages ; pour moi, j'aime mieux les seconds. Mais, qu'on se résigne à une existence incomplète et mutilée ou qu'on la subisse, au moins il nous est donné à tous de voir, comme par une échappée, de plus douces perspectives : cette échappée, c'est le rêve, c'est l'idéal, c'est l'infini, c'est le roman ! Pauvre roman ! combien n'a-t-on pas déclamé, ne déclame-t-on pas contre lui! Par quelles calomnies les Basiles bourgeois ne se sont-ils pas acharnés à le noircir! Quelles persécutions les tyrans domestiques lui ont-ils épargnées ! « N'approchez pas de ces sources empoisonnées, on y puise la mort. » Ils crient si fort qu'ils effraient. Et contre toutes les sottises, les médiocrités, les pruderies ameutées, le roman n'a pour lui que quelques natures aimantes et timides ; ce ne sont pas celles qui font le plus de bruit. Autrefois, le jour était aux persécuteurs, mais la nuit au roman ; aujourd'hui on ne lit plus, on ne rêve plus, on s'endort. A peine trouveriez-vous dans quelque solitude discrète, éclairée d'une lumière douteuse, à l'heure faite pour le sommeil et le néant, une jeune fille furtive, qui demande au livre persécuté et chéri de douces émotions, de saintes ardeurs, de nobles enthousiasmes. Bois, jeune fille, cette rosée de l'âme, bois l'amour, bois la vie, ton lendemain ne viendra que trop tôt. »

Quiconque n'a pas suivi chez Marguerin cette veine de sentiment ne l'a pas connu tout entier. L'article que je viens de citer ne m'a été communiqué qu'après sa mort ; mais, en le lisant, il m'a semblé que je l'avais déjà lu. Sous les feux amortis de l'âge mûr, j'avais plus d'une fois senti en lui cette flamme de jeunesse. Elle a échauffé et illuminé jusqu'aux derniers jours de sa vie.

Ses deux ouvrages principaux sont : le Rapport sur l'éducation des classes moyennes en Angleterre et les Grandes époques de l'histoire de France.

Le Rapport sur l'éducation des classes moyennes en Angleterre, qui date de 1864, a ouvert, pour ainsi dire, la série des grandes enquêtes pédagogiques dont notre temps s'honore à juste titre. Le document est riche en faits bien observés, en considérations intéressantes. C'est à la demande du Conseil municipal de Paris que Marguerin, accompagné d'un jeune professeur distingué, M. Motheré, avait accompli ce voyage scolaire. Tout ce qu'il en a rapporté d'observations utiles et pratiques n'a pas trouvé place dans son livre, mais il s'en est inspiré dans son administration. Lorsqu'il entreprenait quelque réforme, il aimait à remonter jusqu'à la source où il en avait puisé l'idée première. Son esprit didactique se complaisait dans ces exposés abondants qu'il faisait pour lui-même et pour les autres sur toutes les questions qu'il était appelé à examiner. L'étude de l'Angleterre avait produit dans son intelligence comme une évolution, et il y avait plaisir à le voir, dans ses entretiens ou dans ses notes de service, revenir sans cesse et se ressaisir lui-même, pour ainsi dire, à ce point de départ.

Les Grandes époques de l'histoire de France ont été cependant, et de beaucoup, son oeuvre de prédilection. C'est avec M. Hubault qu'il l'avait entreprise. Marguerin aimait le travail en collaboration. C'était presque un besoin de son esprit. Il excellait à faire un plan, à concevoir le dessein d'un ouvrage, d'un chapitre, d'un article ; le chapitre ou l'article écrit par un autre, il le critiquait supérieurement. Ses amis, les grands amis de sa jeunesse, Thiers, Mignet, Guizot, Cousin, ont plus d'une fois pensé à lui confier la direction d'un journal ; il y aurait certainement réussi. Le travail de la rédaction proprement dite le trouvait plus gêné ; il se plaignait d'avoir la main lourde, le tour pénible, l'expression embarrassée et sans éclat. Chez moi, disait-il, la pâte ne monte jamais bien. Il lui fallait le levain des qualités ou même des défauts d'autrui. L'idée des Grandes époques était particulièrement heureuse. Il s'agissait de retracer la suite des événements mémorables de l'histoire de France en les faisant revivre comme dans une série de médaillons, indépendants les uns des autres, mais enfermés dans un même cadre. On a plus d'une fois essayé d'écrire sur ce plan notre histoire nationale, en élaguant les faits de second ordre qui ne font qu'encombrer la mémoire sans profit pour le jugement ; on n'a pas encore mieux fait que MM. Hubault et Marguerin. En décernant aux Grandes époques un des prix réservés aux ouvrages les plus utiles aux moeurs, l'Académie française, par l'organe de Villemain, en louait la composition sobre et bien liée, l'intérêt pittoresque, la haute et patriotique moralité.

Dans les dernières années de sa vie, lorsque la retraite eut accru ses loisirs, Marguerin essaya de revenir à ces études historiques que l'observation des révolutions politiques et sociales auxquelles il avait assisté lui rendaient, disait-il, plus chères. Il avait commencé un Précis de l'histoire d'Orient ; mais la lecture des textes lui fatiguait la vue qu'il avait toujours eue délicate, et il ne se sentait plus les forces nécessaires pour suivre un travail de longue haleine. Ses lectures si riches lui fournissaient des matériaux tout prêts pour un Recueil de morceaux choisis dans le genre de ceux qu'il avait autrefois publiés avec un professeur de l'école Turgot, M. Michel. Il s'était mis à l'oeuvre avec entrain, presque avec passion. Les deux volumes qu'il a eu le temps de mettre au jour témoignent de son goût littéraire remarquablement pur et de l'aisance avec laquelle il savait entrer dans tous les besoins intellectuels de la jeunesse. Il s'était ainsi trouvé ramené par lui-même, pour ainsi dire, dans les classes de la chère école où il avait passé les meilleures années de sa vie. Sur notre conseil, il avait consenti à écrire l'histoire de l'école Turgot, sous forme de notes détachées, comme elles lui viendraient à l'esprit. C'est un de nos plus vifs regrets qu'il n'ait pas eu le temps de rassembler ses souvenirs. Cette autobiographie, car c'est presque son histoire que Marguerin eût racontée, aurait été pour notre littérature pédagogique ce que sont en Suisse et en Allemagne les écrits du P. Girard et de Pestalozzi, à un degré supérieur par la clarté et l'ampleur des vues.

[GREARD.]

Emile Marguerin avait écrit, pour la première édition du Dictionnaire de pédagogie, l'article Littérature. On le trouvera intégralement reproduit dans cette édition nouvelle.

Le nom de Marguerin a été donné à une rue de Paris (XIVe arrondissement).