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Mallet (Mme Jules)

Mme Jules Mallet, née Emilie Oberkampf, était la fille du célèbre industriel qui a introduit en France l'industrie des toiles peintes. Elle naquit à Jouy, près de Versailles, le 29 mai 1794, et fut mariée en 1812 à M. Jules Mallet, fils du baron Mallet, banquier et régent de la banque de France. Comme son père et comme son mari, elle apparie-nait à la religion protestante, et la plus grande partie de sa vie fut consacrée à des oeuvres de charité et d'éducation populaire.

C'est ainsi qu'en 1832, lors de la première invasion du choléra à Paris, « on la vit transformer en ambulance un hôtel vaste et salubre, et là servir les malades, exhorter les mourants, consoler les désespérés » ; une médaille lui fut offerte alors par la Ville de Paris en témoignage d'admiration. En 1849, elle agit de même, et, quand l'épidémie eut de nouveau disparu, elle fonda diverses maisons pour les orphelins et les vieillards privés de leur famille. L'une de ces fondations, transmise plus tard aux soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, est devenue l'OEuvre des orphelins de Ménilmontant.

Elle s'occupa aussi d'améliorer la situation des prisonniers, et, de concert avec quelques amis, elle constitua un comité de dames qui visite les détenues de la prison de Saint-Lazare et s'occupe des moyens de les ramener au bien.

En 1853, elle ouvrit au sein de la Société pour l'encouragement de l'instruction primaire parmi les protestants de France une souscription destinée à créer une école normale d'institutrices pour les écoles et les salles d'asile de sa confession.

Mais son oeuvre de prédilection, à laquelle elle resta attachée pendant plus de trente ans, fut celle des salles d'asile.

En 1801, Mme la marquise de Pastoret avait fondé à Paris la première crèche : mais son essai n'avait pas eu de suites. En 1815, Mme de Pastoret prit l'initiative d'une autre fondation, celle des salles d'asile. Quelques personnes qui avaient visité l'Angleterre en rapportèrent une vive admiration pour les Infants' schools créées à Londres par Buchanan. Un comité de quatre dames, dont Mme Jules Mallet, résolut d'essayer de former en France une institution analogue ; la première réunion de ce comité eut lieu, le 4 mai 1826, chez Mme de Pastoret, qui en accepta la présidence. Le comité s'adressa à la charité privée et au Conseil général des hospices, qui fournit des fonds et un local ; la direction de la première salle d'asile française fut confiée à deux soeurs de l'ordre de la Providence, de Portieux, «cette communauté seule ayant consenti à prendre part à cette tentative nouvelle ». L'abbé Desgenettes, curé des Missions étrangères, présida les séances du comité, dont Mme Jules Mallet fut la secrétaire-trésorière, et, le 1er mars 1827, un compte-rendu imprimé fit connaître le double caractère charitable et éducatif que les fondateurs entendaient donner à la salle d'asile : « Les enfants de l'âge de dix-huit mois à six ans, y était-il dit, sont réunis dans la salle au nombre de quatre-vingts ; plus de cent quarante noms sont inscrits. Les enfants sont amenés à l'asile à huit heures du matin, et apportent avec eux des aliments pour deux repas ; ils restent jusqu'à cinq heures en hiver, et jusqu'à sept en été. La journée est coupée par une alternative de jeux et d'études appropriés à l'âge et aux forces des enfants. Celles-ci consistent : à marcher en ordre et en mesure ; à lire de grosses lettres imprimées sur des tableaux suspendus aux murailles ; à entendre répéter l'explication d'images représentant des animaux et des métiers, sur lesquelles on provoque leurs petites réflexions ; à apprendre le catéchisme et quelques cantiques. On leur donne aussi les premiers éléments du calcul, au moyen d'un grand cadre renfermant des tringles sur lesquelles roulent des boules de couleur. Pendant les récréations, ils jouent avec des briques en bois qui leur servent à figurer différentes constructions, soit dans la salle, soit dans une cour sablée et plantée d'arbres. »

C'était la méthode anglaise pour l'application de laquelle deux manuels anglais, ceux de Wilderspin et de Goyer, avaient été traduits dès le commencement de 1826. Mais, dit Mme Jules Mallet, « malgré les efforts persévérants de deux dames et la bonne volonté des soeurs, on ne put réussir, et l'on sentit qu'il fallait puiser plus d'expériences et de lumières dans un examen approfondi des Infants' schools d'Angleterre. L'on chercha une personne qui consentît à se charger de cette mission, et ce fut alors (en mai 1827) que les dames du comité entrèrent en relation avec M. Cochin, maire du douzième arrondissement, qui, de son côté, sans avoir connaissance de l'essai tenté par ces dames, avait réuni, dans deux chambres de la rue des Gobelins, un certain nombre de petits enfants, et cherchait, lui aussi, par une inspiration charitable, à créer l'oeuvre des asiles. » Le résultat de cette rencontre et de ce concert fut l'envoi en Angleterre de Mme Frédéric Millet, — Voir Millet (Mme), — qui, à son retour, organisa définitivement les asiles crées par le comité des dames, ainsi que l' « asile-modéle » de M. Cochin.

On lira ailleurs — Voir Maternelles (Ecoles) — comment l'institution, toute d'initiative privée dans les commencements, perdit peu à peu "ce caractère, en acceptant d'abord le patronage du conseil des hospices, et par suite la direction administrative de la préfecture de la Seine, puis, après la loi du 28 juin 1833, la tutelle de l'Etat, jusqu'à ce que l'ordonnance royale du 22 décembre 1837 eut reconnu l'existence légale des salles d'asile privées et publiques, et que le ministère de l'instruction publique eut donné à celles-ci une organisation et une réglementation définitives.

Celte transformation ne se fit pas sans hésitation et sans difficulté. Mme Jules Mallet constate elle-même que, quand les dames du comité, par l'organe de leur présidente d'alors, Mme la comtesse de Bondy, informèrent le préfet de la Seine, le comte de Rambuteau, qu'elles déposaient leurs fonctions, elles ne le firent « qu'en cédant à une douloureuse nécessité ». En ce qui la concernait, ne pouvant méconnaître que les salles d'asile trouveraient dans leur caractère officiel une certitude de stabilité que ne pouvait leur assurer la bienfaisance privée, Mme Jules Mallet « ouvrit les deux mains, dit Mme Pape-Carpantier, et, laissant aller à d'autres cette oeuvre enfant de son coeur, elle étouffa les regrets pour ne sentir que la joie ».

Elle ne se crut pas, d'ailleurs, dégagée de ses obligations charitables. « Pour secourir les enfants, un comité de dames fut formé sous sa présidence, et tous les pieux stratagèmes de la charité, loteries, ventes, concerts, souscriptions, amenèrent chaque année dans les mains de ce comité des sommes dont l'emploi, scrupuleusement réparti entre les enfants pauvres, fut un adoucissement aux dures privations que ramène l'hiver. »

Elle fit aussi partie de la commission d'examen du département de la Seine et de la Commission supérieure établie sous les auspices et l'inspiration immédiate du ministre de l'instruction publique. « Dans cette commission, Mme Jules Mallet — dit Mme PapeCarpantier — fut l'une des plus actives, des plus éclairées, des plus sincères amies des salles d'asile. Il n'est pas une sage mesure, pas une disposition prévoyante qu'elle n'ait provoquée ou appuyée. On comptait sur elle pour beaucoup de choses, et l'on avait raison. Une grande partie de la correspondance avec les asiles des départements, les renseignements à chercher, les instructions à transmettre, les démarches pour obtenir, les enquêtes pour accorder, les questions à étudier, les obstacles à vaincre, tout lui venait, et elle acceptait tout, comprenait tout, suffisait à tout, car son amour était inépuisable. »

La dernière tâche de Mme Mallet comme membre de la Commission supérieure fut sa participation à la création de la « Maison d'études », nommée plus tard « Ecole maternelle normale », plus tard encore « Cours pratique pour la direction des salles d'asile», et qui a joué un si grand rôle dans l'histoire des salles d'asile françaises sous la direction de Mme Pape-Carpantier : Voir Cours pratique des salles d'asile et Pape-Carpantier (Mme). M. de Salvandy, neveu de Mme Jules Mallet, est le ministre qui a attaché son nom à cette importante création. Mme Mallet, Mme de Varaigne, ainsi que plusieurs autres dames de la commission supérieure, furent chargées, d'abord de trouver un local, puis d'organiser et de surveiller l'institution ; là encore, dans le comité administratif des premières années comme dans la commission de surveillance qui lui succéda officiellement, Mme Jules Mallet tint une grande place.

Celle qu'on appelait « la mère des pauvres » est morte à Cauterets le 11 septembre 1856.

Mme Jules Mallet a écrit des livres de piété, dont l'un, les Prières chrétiennes, est devenu, dit-on, classique parmi les protestants ; un recueil de Chants pour les salles d'asile, comprenant des cantiques et des chansons avec les airs notés, dont la onzième et dernière édition date de 1880 (Hachette, in-8°) ; une brochure anonyme sur la direction morale des salles d'asile, l'une des premières publications françaises de ce genre ; d'assez nombreux articles dans l'Ami de l'Enfance (passim, en général sous les initiales E. M.). Le meilleur de sa doctrine a été réuni, sous le modeste titre d'Appendice, dans la troisième édition du Manuel des salles d'asile, de M. Cochin ; cet appendice, d'environ 120 pages in-8°, est annoncé, dans le livre de M. Cochin, ainsi qu'il suit : « Le travail de M. Cochin s'arrête à la page qui précède. Une personne, qui s'est dévouée avec autant de modestie que de mérite à l'oeuvre des salles d'asile depuis leur première fondation en France, a recueilli toutes les améliorations qui ont été introduites pendant ces dernières années dans la direction et le régime de ces utiles établissements, et y a joint ses observations personnelles. Ce sont ces précieuses communications que nous livrons au public dans l'appendice qui va suivre, comme complément du livre de M. Cochin. »

Ces courtes appréciations ne font que rendre stricte justice à l'oeuvre de Mme Jules Mallet. On y trouve, en effet, sous une forme délicate et haute, toute la pédagogie des salles d'asile, telle que l'entendaient ceux de leurs premiers fondateurs qui ont été le mieux inspirés. L'esprit religieux y domine, sans faire tort d'ailleurs à ce sentiment de maternité bienveillante et saine sans lequel on né concevrait pas une éducatrice de la première enfance. Telle de ces pages si peu connues, et qui ont disparu des éditions postérieures du livre de M. Cochin, pourrait être certainement signée des noms les plus autorisés de notre pédagogie féminine, de Mme Necker de Saussure ou de Mme Guizot. En voici une, par exemple, qui nous semble faire le plus grand honneur au sens pénétrant d'observation, et tout à la fois au bon sens et à l'âme de Mme Mallet :

« On retrouve, dit-elle, dans les salles d'asile ce qui n'est que trop ordinaire dans les collèges et dans la plupart des établissements d'éducation publique, c'est que les enfants les plus intelligents sont plus vivement stimulés que les autres, et que sur eux se concentrent les soins, les efforts et l'intérêt des maîtres. Pourquoi cela? parce qu'ils obtiennent des succès dont on se fait honneur. Mais ces succès, comment les amène-t-on, et que produisent-ils dans l'âme, le coeur et la santé des enfants? D'abord, les moyens employés pour les obtenir sont en général peu conformes aux principes d'une éducation sagement dirigée ; car c'est toujours l'amour-propre et l'orgueil, cachés sous le nom d'émulation, qui servent de stimulants. On a beau reconnaître que dans les salles d'asile l'attention et les soins doivent s'étendre à tous, et que tous doivent être traités avec une égale mesure de justice et d'intérêt, il est positif que peu de maîtres et de maîtresses sont à l'abri du reproche de s'occuper de préférence des enfants les plus intelligents, et de toujours les mettre en scène lorsqu'il vient des étrangers. C'est un grand mal. Ces enfants doivent concevoir d'eux-mêmes une opinion trop favorable ; ils doivent s'habituer ainsi à se voir apprécier plus que les autres, à leur être supérieurs ; et tandis que cet effet funeste s'accomplit en eux, d'autres enfants, dont les facultés intellectuelles sont proportionnées à leur âge et aux forces de leur petit corps, sont laissés de côté, parfois dédaignés et humiliés par le parallèle qu'on fait entre eux et leurs camarades plus avancés. De là naissent la tristesse, le découragement et l'envie, la plus fatale de toutes les dispositions pour soi et pour les autres.

« Nombre de maladies sont aussi occasionnées, chez les jeunes enfants, par le travail forcé de leur intelligence, et par l'excitation d'esprit, d'imagination et d'impressions qui est entretenue en eux. C'est donc par l'effet de cette conviction que nous redisons aux personnes qui s'occupent de la surveillance des salles d'asile qu'il est urgent d'éclairer les maîtres et les maîtresses sur le danger de stimuler trop fortement l'intelligence des enfants.

« Mais qu'elles comprennent bien que ce que nous disons à l'égard de l'intelligence, c'est-à-dire des facultés intellectuelles, ne se rapporte pas à l'éducation du coeur. On ne peut donner à l'enfant une connaissance trop complète de son devoir, on ne peut lui inspirer trop d'amour pour Dieu et pour ses semblables ; on ne peut trop chercher à le rendre pieux, docile, affectueux ; à développer en lui tous les bons germes, et à combattre tous les penchants vicieux, car, en le mettant dans un état de paix et de bien-être moral, on contribue au développement de ses forces et à l'affermissement de sa santé. On voit des enfants malades de colère, de jalousie ; et chez eux l'irritabilité nerveuse n'est que trop fréquemment occasionnée par des sentiments et des impressions qu'il est nécessaire de réformer.

« Pourtant on peut encore appliquer ici une partie de ce que nous avons dit plus haut ; ce n'est point des enfants le plus heureusement doués des qualités du coeur que le maître doit s'occuper davantage, mais bien plutôt de ceux qui le sont moins. Sa patience, sa persévérance, son attention constante doivent être alors infatigables et ne jamais cesser.

« Tout cela, nous en convenons, exige beaucoup de sagesse et de discernement. Nous retombons donc sur cette vérité dont on ne sera jamais trop convaincu, c'est que de la personne chargée de l'enseignement et de la direction d'une salle d'asile dépend, en quelque sorte, la destinée présente et future des enfants qui lui sont confiés. Combien donc est grande et sacrée l'importance du choix d'un maître ou d'une maîtresse! Combien serait répréhensible, funeste, condamnable, la légèreté avec laquelle on les accepterait par tel motif ou telle considération! Combien est déplorable l'apathie, l'indifférence avec laquelle ils sont parfois surveillés, dirigés dans l'accomplissement de leurs devoirs !

« L'oeuvre des asiles est telle par sa nature, par ses effets, que ce n'est qu'en s'y dévouant de coeur et d'âme, qu'en y portant un sentiment profond et solennel de devoir et de conscience, qu'en agissant en la présence de Dieu et non en celle des hommes, qu'en sentant les étreintes d'une pure et vive charité, et, disons-le en un mot, qu'en marchant par la foi et la charité chrétiennes, qu'on peut concourir à son accroissement et à ses progrès.

« Amis des pauvres, mères chrétiennes qui avez pitié de l'enfance délaissée, consacrez vos pensées, vos efforts, quelque portion de votre temps à la création, au soutien, à la surveillance des salles d'asile ; pénétrez-vous de la grandeur morale de cette institution ; sentez quelle est la tâche imposée aux maîtres : sachez la leur définir et partagez-en avec eux la responsabilité : vous seuls pouvez affermir cette oeuvre et la rendre féconde en résultats heureux et durables. ».

Charles Defodon