J.-B. Mailhos, professeur à l'école centrale du département des Basses-Pyrénées, a publié en l'an X un volume intitulé Vues sur l'organisation de l'instruction publique, avec un projet de loi et un projet de règlement pour les écoles publiques (Paris, chez Obré). L'auteur, qui a pris pour épigraphe cette phrase de Condorcet : « Vous devez à la nation française une instruction au niveau de l'esprit du dix-huitième siècle », est un partisan décidé des principes de la Révolution ; il s'inspire des idées exposées clans les plans de Condorcet et de Talleyrand ; et le projet qu'il expose n'est que la reproduction, sous des noms un peu différents, des propositions discutées par les diverses assemblées révolutionnaires. « Ce qui m'inspire quelque confiance, dit-il, c'est que le génie créateur n'est point nécessaire ici. Qu'importe l'invention, où il ne faut considérer que l'utilité? Toutes les premières idées sont éparses çà et là ; il ne s'agit que de les recueillir pour en composer un corps régulier. »
Il était de mode, à ce moment, de se plaindre que la Révolution eût détruit tous les établissements d'instruction publique, et de regretter les collèges d'autrefois. Mailhos, comme on peut s'y attendre, ne s'associe pas à ce regret ; il plaide avec chaleur la cause des écoles centrales, attaquée par les partisans de l'ancien régime.
« Avant d'entrer en discussion, dit-il, je ne puis me défendre du besoin de repousser une folle déclamation. Les écoles centrales, s'écrie-t-on, ne valent pas les anciens collèges. Les détracteurs du nouvel enseignement seraient les premiers à s'étonner du bien qu'elles ont produit, s'ils avaient été témoins de tous les obstacles qui ont sans cesse contrarié leurs efforts. Du haut de la tribune nationale, le Conseil des Cinq-Cents, au lieu d'assurer leur existence, et de corriger les vices de leur organisation, s'est longtemps amusé à déclamer contre elles, à répandre sur les professeurs la plaisanterie amère, l'humiliante déconsidération, les angoisses du découragement. Tous les enfants de la vieille routine, ceux qui ne croyaient pas à la République, ceux mêmes qui, par leur surveillance paternelle, devaient les encourager, les vivifier ; tous se sont insurgés contre ces nouveaux établissements, et pleins d'une reconnaissance servile, aussi flatteuse pour eux que pour les collèges où ils avaient puisé leur savoir, ils se sont écriés d'une commune voix qu'il faudrait en revenir à l'ancienne instruction, c'est-à-dire faire rétrograder l'esprit humain d'un siècle. On a crié à la désertion des écoles publiques : agitation de la mauvaise foi. Bien des hommes qui n'ont pas cru à la Révolution ont regardé les écoles publiques comme des magasins de poison. Ils se sont bien gardés d'y envoyer leurs enfants, leur opinion les excuse. Mais peut-on leur pardonner leur délire, d'avoir reproché aux écoles d'être désertes, lorsqu'ils travaillaient eux-mêmes à leur désertion? et, enfin, parce que leurs enfants n'y étaient pas, les écoles étaient-elles désertes? D'autres ont allégué le défaut de fortune. Pour bien des citoyens, l'excuse n'a été que trop légitime ; mais ceux qui avaient le plus de moyens aimaient mieux payer plus cher dans le particulier. Il est aisé de se convaincre que l'on attribue à l'instruction actuelle bien des vices qui lui sont étrangers. Je suis tellement convaincu de sa supériorité sur l'ancienne que, pour la prouver invinciblement, je ne redouterais pas la comparaison des élèves marquants des écoles centrales avec la plupart des hommes qui ont fait autrefois leurs classes avec distinction ; ces derniers, témoins de la masse des connaissances qu'on distribue aux jeunes gens, regretteraient d'être venus trop tôt, ou de ce que l'ancienne instruction n'était pas montée sur le ton de l'actuelle. Puis-je mieux prouver mon assertion que par la présence des nombreux citoyens de divers âges qui fréquentent les cours en qualité d'auditeurs? Leur foule ne venge-t-elle pas le nouveau système contre les criailleries des détracteurs? Les citoyens n'auraient-ils pas rougi autrefois d'être confondus avec les enfants? Leur présence n'accuse-t-elle pas le vide de l'ancienne instruction, ne prouve-t-elle pas l'heureuse diversité de la nouvelle? J'insiste néanmoins pour que l'on accorde aux nouveaux établissements les améliorations dont ils sont susceptibles. »
Les degrés d'instruction proposés par Mailhos dans son plan d'organisation sont au nombre de quatre :
1° Des écoles primaires, qu'il appelle écoles municipales ; il y aura, dans chaque arrondissement, autant d'écoles municipales que le jugera convenable le sous-préfet, d'après la demande des conseils municipaux et l'avis du conseil d'arrondissement ;
2° Des écoles d'arrondissement, qu'il appelle écoles communales (la constitution de l'an VIII, qui venait de créer les arrondissements, les désignait par le terme l’arrondissement communaux ; de là l'emploi de l'épithète communale dans le sens que lui donne Mailhos ; Chaptal l'avait employé de la même façon dans son projet de brumaire an IX : Voir Consulat, p. 371) ; il y aura une école communale dans le chef-lieu de chaque arrondissement communal ;
3° Des écoles de département, qu'il appelle écoles préfecturales (sic) ; ce sont les écoles centrales que l'auteur rebaptise de celle manière, « pour avoir la paix » ; il y aura une école « préfecturale » dans le chef-lieu de chaque préfecture, excepté à Paris où il y en aura deux ;
4° Des universités, pour l'enseignement supérieur (sciences mathématiques et physiques ; sciences morales et politiques ; langues, littérature et arts d'agrément), qu'il appelle écoles nationales. Il y en aura cinq : celle du Nord à Bruxelles, celle de l'Est à Dijon, celle du Midi à Montpellier, celle de l'Ouest à Bordeaux ou à Poitiers, et celle du Centre à Paris. Les écoles spéciales (Ecoles polytechnique, d'artillerie, des ponts et chaussées, des mines, de marine, etc.) seront conservées.
Les jeunes filles ne sont pas oubliées : « Il y aura au chef-lieu de chaque département une maison d'éducation pour les jeunes citoyennes ; le projet pourra en accorder une par chaque arrondissement communal, sur la demande du conseil d'arrondissement ».
En outre, pour faciliter la fréquentation des établissements d'instruction publique, « il sera établi des pensionnats près des écoles préfecturales et nationales, et près les maisons d'éducation pour les citoyennes ».
Mailhos critique le plan présenté un peu auparavant par Chaptal. « Tout le monde, dit-il, a été frappé de l'insuffisance des établissements qu'il proposa ; le citoyen Chaptal me paraît s'être conduit plus en administrateur qu'en homme de lettres ; il a même sacrifié son amour-propre à l'économie que nécessitaient les circonstances. »
Un trait particulier du projet de Mailhos, c'est la création proposée par lui d'un ministère de l'instruction publique. « Nous croyons, dit-il, que l'instruction publique est une partie trop importante de l'administration pour continuer à ne faire qu'une section du ministère de l'intérieur. S'il était permis à la philosophie de se livrer à des conjectures aussi brillantes que sages, on pourrait assurer que l'influence puissante et salutaire que ce ministère nouveau exercerait sur les esprits diminuerait très heureusement dans la suite le besoin de quelques autres ministères. Les citoyens, généralement éclairés et unis entre eux, ne se livreraient plus aux déchirements des factions ; le ministère de la police deviendrait inutile, ou ne serait plus qu'une faible section de celui de l'intérieur. Connaissant mieux leurs véritables intérêts, et respectant ceux de leurs voisins, ils oublieraient bientôt toute discussion sur la propriété ; ils auraient en horreur toute usurpation, ils ne connaîtraient plus le crime. Combien diminueraient alors les travaux du ministère de la justice et de celui de l'intérieur! Les gouvernements, devenus aussi plus sages, ne s'inquiéteraient plus entre eux par des guerres injustes et ambitieuses, une douce paix cimenterait constamment l'amitié des nations ; alors tomberait le ministère de la guerre, et en partie celui de la marine, de même que celui des relations extérieures. Ce qui ne sera pas de longtemps possible pour certains départements, et qui pour cela sera regardé comme un rêve, pourrait être réalisé pour le ministère de la police, que l'on pourrait dès ce moment réunir à l'intérieur ou à la justice ; en sorte que je ne craindrais pas d'assurer qu'il serait bien plus avantageux d'ériger le ministère de l'instruction publique que de conserver celui de la police générale. »
On a encore de notre auteur un livre classique intitulé : De la version et de la composition, ou Eléments de la langue latine par la voie de l'analyse et de la synthèse, à l'usage des écoles secondaires et des lycées, Paris, 1803.
Un peu plus tard, Mailhos quitta l'enseignement, et entra au barreau ; il devint bâtonnier de l'ordre des avocats à Foix. Sous la Restauration, il publia (1818) deux brochures politiques dont nous n'avons pas à nous occuper ici.