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Macé (Jean)

Né à Paris le 22 avril 1815, Jean Macé ? dont le père était conducteur à la Compagnie Lafite et Caillard ? fit ses études au collège Stanislas ; nommé en 1836 régent de philosophie au collège d'Evreux, il n'occupa point cette fonction, le Conseil général de l'Eure ayant réduit à une somme par trop insuffisante le traitement attaché à l'emploi. Que fil Jean Macé de 1836 à 1842? Nous l'ignorons. Est-ce dans cette période de sa vie qu'il faut placer un voyage à Hambourg, d'où il revint, sa bourse étant vide, en s'engageant comme matelot à bord d'un navire qui le ramena en France? Le 15 janvier 1842, la Revue des Deux-Mondes publie une étude de lui sur Saint-Evremond. Peu après, il est incorporé au 1er léger à Rouen, où il reste trois années ; il était caporal quand, en 1845, son ancien professeur d'histoire au collège Stanislas, Théodore Burette, le racheta et se l'attacha comme secrétaire jusqu'à sa mort, en 1847. La vie active de Jean Macé ne commence réellement et il ne prend conscience de lui-même qu'en 1848. La fermentation qui s'est emparée de tous les esprits ne le laisse pas indifférent, et en janvier, quelques semaines avant la révolution de Février, il publie, sous le pseudonyme de Jean Moreau, une petite brochure intitulée : Lettres d'un garde national à son voisin, son premier acte politique, par où se révèle sa nature d'esprit, son caractère et l'on pourrait dire sa vocation d'éducateur politique. « J'approchais alors de trente-trois ans, a-t-il écrit plus tard, et je ne m'étais encore jamais occupé de politique ; autrement dit, je n'avais pas pris au sérieux jusque-là mes devoirs de citoyen, dont on ne m'avait pas assez parlé quand j'étais à l'âge où l'on doit vous parler de ces choses-là. Je n'oublierai jamais ce moment de ma vie où les idées de patrie et de justice se dressèrent pour la première fois, de toute leur hauteur, devant moi, et entrèrent en maîtresses dans mon esprit, qu'elles n'avaient fait encore qu'effleurer. Je restai enfermé dans ma petite chambre, sans presque dormir ni manger, tant que dura ce travail entièrement nouveau pour moi. Et cela me paraissait si hardi de vouloir me faire une opinion personnelle sur d'aussi grosses questions, de vouloir la faire imprimer surtout, que je ne lâchais pas une phrase sans lui avoir fait son procès en règle, craignant d'une part d'aller trop loin, ne pouvant me décider de l'autre à rester en route dans l'expression de la pensée qui m'arrivait. On se servait déjà du mot radical dans ce temps-là, et il me sonnait assez mal à l'oreille, comme il fera de tout temps aux indifférents eu politique, qui ne se donnent pas la peine de descendre au fond, à la racine des questions. Jugez de mon épouvante quand j'en vins à me dire que j'avais tout l'air de glisser dans le radicalisme. »

En février, la révolution faite, la République proclamée, il écrit une nouvelle brochure, Les Vertus du républicain. Il prend part dès lors aux luttes républicaines. De novembre 1848 à juin 1849, il dirige le Bureau de propagande socialiste, d'un socialisme qui se rapprochait, a-t-il écrit, de la nuance phalanstérienne ; le 13 juin 1849, il est l'un des trois commissaires qui règlent l'ordre et la marche de la manifestation ; mais il pousse un cri de colère quand il apprend qu'elle se double d'une prise d'armes. Suspect, il quitte Paris pour échapper à un mandat d'amener et se réfugie en Normandie, où il reste caché quatre mois et demi chez un camarade de collège, jusqu'à ce qu'une ordonnance de non-lieu ait été rendue. Quelques mois après, en 1850, au cours d'un voyage entrepris dans l'Est pour organiser la correspondance du journal la République, il passe à Beblenheim, en Alsace, et visite le pensionnat de jeunes filles du Petit-Château, fondé et dirigé par Mlle Verenet. « Jour béni entre tous les jouis de ma vie, » a-t-il écrit plus tard, dans une page émouvante de souvenirs. Sa vie dès lors était fixée. Lorsque le coup d'Etat eut ruiné la République et dispersé les républicains, Jean Macé revint à Beblenheim comme en un refuge de paix et de travail. Professeur de demoiselles, il le devait rester jusqu'à la fin de sa vie.

C'est à Beblenheim, dans le silence et le recueillement, dans toute la joie sereine aussi qu'il éprouvait à ouvrir les jeunes intelligences qui lui étaient confiées, qu'il écrivit ces livres délicieux, modèles du genre, par où s'établit d'abord sa renommée : l'Histoire d'une bouchée de pain, les Serviteurs de l'Estomac, le Théâtre et les Contes du Petit-Château, l'Arithmétique du Grand-Papa, enseignant de la façon la plus ingénieuse l'organisation du corps humain, l'arithmétique, l'histoire, la morale, comme plus tard, à la fin de sa vie, dans les Soirées de ma tante Rosy, il essaiera d'enseigner l'astronomie.

Son nom était connu, populaire, quand en 1866 il lança un appel dans le pays pour la constitution d'une Ligue de l'enseignement. L'exemple lui venait de Belgique, où une organisation semblable avait été créée au commencement de 1865. Ce n'était, au surplus, que la mise en oeuvre, étendue à la France entière, d'une pensée que Jean Macé avait appliquée dès 1863 en créant la Société des bibliothèques communales du Haut-Rhin. « Une coalition, disait-il, organisée dans tous nos départements, entre tous les hommes de bonne volonté qui ne demandent qu'à travailler à l'enseignement du peuple, sans plus, cette coalition ne serait pas de trop pour ce que nous avons à faire. Pourquoi, puisqu'on parle de remanier notre système militaire, pourquoi, à coté de l'armée régulière, ne chercherions-nous pas à organiser aussi la landwehr de l'enseignement? » Cet appel paraissait dans l'Opinion nationale du 25 octobre. Le 15 novembre, Jean Macé lançait un second manifeste et concluait ainsi: « Je fais appel à tous ceux qui conçoivent la Ligue future comme un terrain neutre, politiquement et religieusement parlant, et qui placent assez haut la question de l'enseignement populaire, dans le sens strict du mot, pour accepter de la servir toute seule sur ce terrain-là, abstraction faite du reste. Ce ne serait pas la peine d'essayer, si l'on voulait autre chose. On ne vivrait pas, en supposant qu'on pût parvenir à naître. »

Tout l'esprit pratique que Jean Macé devait apporter dans sa propagande, trente années durant, s'affirmait ainsi.

Six mois après, Jean Macé avait réuni plus de quatre mille adhésions. La Ligue de l'enseignement était fondée.

Il faudrait suivre, dans les Bulletins que Jean Macé publia de Beblenheim et où, en même temps qu'il tenait le public au courant de la marche de l'oeuvre, il en précisait le caractère, les appels incessants à l'initiative individuelle dont l'éveil était pour lui une nécessité nationale. On lui demandait des explications sur la direction de la Ligue, son gouvernement ; il répondait que le principal mérite de la conception était précisément « l'absence de direction imposée. ? Des activités personnelles, voilà ce qu'il faut à la Ligue. C'est par là qu'elle vivra et qu'elle fera. » Et quant à l'autorité, dont on pouvait craindre qu'elle voulût avoir l'oeil et la main sur la Ligue : « L'oeil, oui, tant qu'elle voudra, écrivait Jean Macé au Temps le 1er décembre 1866 ; cela ne nous gênera guère, n'ayant rien à faire qu'elle ne puisse voir. La main, non ; ni elle, ni personne. »

Le mouvement se développa rapidement, Jean Macé restant le centre et le moteur de toutes ces activités ; les cercles de la Ligue se multipliaient ; celui qui devait devenir le plus important et plus tard concentrer toute l'action de la Ligue, le Cercle parisien, avait été créé en 1868 sur l'initiative d'Emmanuel Vauchez ; seule, l'hostilité du clergé s'était manifestée en divers départements, notamment à Metz, où l'évêque avait fulminé, en un mandement, contre le Cercle messin de la Ligue. Et Jean Macé pouvait écrire dans son Bulletin du 15 février 1870 : « La Ligue n'est plus une utopie ; elle a conquis son droit de cité dans le pays», et la qualifier par avance « une force nationale sortie d'un bienfait national».

La guerre survint ; quand la paix fut rétablie, tout était à recommencer.

Le pensionnat du Petit-Château est transféré de Beblenheim à Monthiers dans l'Aisne, près de Château-Thierry, et Jean Macé mène de front la double tâche qu'il s'est imposée : le professeur de demoiselles entreprend d'être, par surcroît, l'éducateur du suffrage universel D'abord, il faut instruire ce pays. Le suffrage universel doit avoir « un corollaire indispensable », l'instruction obligatoire. Dès 1861, dans de piquantes Lettres d'un paysan d'Alsace à un sénateur, Jean Macé avait réfuté le sophisme de la libéré du père de famille, qui supposerait au père le droit de ne pas faire instruire son enfant, et affirmé, au contraire, le devoir strict, conforme à l'intérêt public, qui lui incombe. Un pétitionnement, provoqué par un comité de Strasbourg, avait réuni en 1870 pour l'obligation de l'enseignement 350 000 signatures ; Jean Macé et ses amis du Cercle parisien de la Ligue de l'enseignement reconstitué reprennent l'idée et font dans le pays tout entier une vive et ardente propagande ; ils se heurtent à une violente hostilité du parti clérical ; mais ils ont bientôt réuni pour l'instruction obligatoire, gratuite et laïque, près d'un million de signatures, et Jean Macé va, le 19 juin 1872, déposer le tout à l'Assemblée nationale, à Versailles.

Il s'agit de lutter pour plus encore, pour la République contre la monarchie, que la majorité de l'Assemblée voudrait rétablir ; Jean Macé, par la parole du conférencier, par la plume du polémiste, joue son rôle dans ce grand combat. De cette époque date une série de brochures qu'il réunit plus tard en volume sous ce titre : Les Idées de Jean-François, et dans lesquelles, avec un merveilleux bon sens, d'une plume finement aiguisée, tantôt railleur, tantôt éloquemment indigné, il dénonce les complots de la faction monarchiste et cléricale et défend l'idée de laïcité, les droits du suffrage universel et par là même la République.

Comme on criait déjà à l'école athée : « Non, l'école ne sera pas athée, parce que la lecture et l'écriture n'ont jamais été de l'athéisme et ne le seront jamais ; parce que la grammaire n'est pas athée ; parce que, quand on vient demander à un homme de vous enseigner l'arithmétique et qu'il vous l'enseigne sans parler de religion, il est aussi déraisonnable de crier à l'athéisme sur son école qu'il le serait, en sortant de chez un cordonnier qui vous a pris la mesure d'une paire de bottes sans aborder avec vous la question religieuse, d'ameuter les passants devant sa boutique en criant: Voilà une boutique qui est athée ! »

On faisait une guerre à mort à la Révolution : « La Révolution, c est la souveraineté nationale mise à la place du droit divin des rois. La Révolution, c'est l'égalité des citoyens devant la loi. La Révolution, ce sont les registres de l'état-civil, une impiété à laquelle personne ne pense plus. La Révolution, enfin, c'est le droit accordé à chacun de choisir librement sa religion. Qui songe à revenir là-dessus? me direz-vous. Qui? Mais le pape en personne. » Et Jean Macé rappelait la prétention de l'Eglise à être maîtresse de l'éducation.

Toute cette bataille se livrait pour savoir si Jacques Bonhomme serait sujet ou roi. « Le pauvre Jacques Bonhomme du bon vieux temps, comme vous dites, est mort et enterré, il y a beaux jours », disait, sous la plume de Jean Macé, Jacques Bonhomme à ses députés ; «mais je vois bien que vous ne vous en doutez pas. Chapeau bas! messieurs, et saluez votre roi. » Et s'adressant à Jacques Bonhomme, Jean Macé, faisant parler la France, écrivait: « Allons, Jacques Bonhomme, mon ami, puisque tu te dis roi et que tu veux la République, allons! haut la tête et la poitrine en avant! Apprends ton métier de roi et de républicain. C'est le même. Un peuple républicain est un peuple roi. »

Jean Macé écrivait cela en 1873. Jusqu'en 1876, la vie devait être difficile pour la Ligue de l'enseignement. Le collaborateur de Jean Macé, Emmanuel Vauchez, secrétaire général du Cercle parisien de la Ligue, s'impose une tâche d'organisation accablante, pendant que Jean Macé propage infatigablement l'idée laïque et républicaine. A l'assemblée générale du Cercle parisien, le 17 juin 1876, celui-ci caractérise ainsi le but de son action : « Mettre ses semblables en mesure d'avoir des idées qui soient à eux, comme les nôtres à nous ». Et il ajoute : « Cet appel loyal à la raison, à la conscience humaine, cette prédication du jour à faire dans les esprits, c'est là précisément qu'est le danger pour les hommes du Syllabus, les seuls ennemis que nous ayons en travers de notre chemin ; les âmes vraiment pieuses, les coeurs selon l'Evangile, sont avec nous. Les moqueries et les colères, cela peut encore s'accepter. Mais voir clair, raisonner et juger avec sa conscience, en connaissance de cause, voilà ce qu'il ne faut pas ! Il ne faut pas qu'on lise, parce qu'on en prendrait l'habitude et qu'on pourrait faire ensuite des découvertes fâcheuses. Il ne faut pas qu'on raisonne, parce qu'il y a des choses qui ne supportent pas le raisonnement. » Il résume, par une de ces comparaisons qui lui étaient familières, la, lutte du clergé contre la Ligue : « Deux hommes argumentent, devant témoins, sur la valeur d'un tableau accroché au mur d'une chambre où le jour n'entre pas. ? » Ouvrez les volets », dit l'un ? « Gardez-vous-en bien », dit l'autre. Il est clair que celui-là a peu de chances pour qu'on lui donne raison. »

Les temps étaient proches où le résultat de tant de luttes, menées avec tant de vaillance et de bonne humeur, tant d'énergie et de persévérance, serait enfin obtenu. En 1879, Jules Ferry est ministre de l'instruction publique et dépose le projet de loi dans lequel se trouve le fameux article 7 qui interdit l'enseignement aux membres des congrégations non autorisées. Jean Macé adresse à Jules Ferry les félicitations de la Ligue : « Ne vous laissez pas arrêter, ' monsieur le ministre, par les réclamations intéressées d'un parti qui n'invoque la liberté que pour édifier la servitude ».

Enfin, successivement, sont votées en 1881 et 1882 les lois qui établissent d'abord la gratuité, puis l'obligation de l'enseignement primaire et sa laïcité dans les écoles publiques. C'est le triomphe de la propagande et des idées de Jean Macé. Le 14 avril 1882, dans un discours prononcé au 2° congrès de la Ligue de l'enseignement à Reims, il pouvait revendiquer fièrement pour lui, pour ses amis, au premier rang desquels il nommait Emmanuel Vauchez, pour la Ligue, une large part du succès : « Cette loi que l'on attaque avec la rage du désespoir, il nous appartient tout particulièrement de la défendre : c'est un peu une loi à nous. Si l'opinion publique a fini par être la plus forte, une part en revient assurément à ceux qui l'ont stimulée, harcelée, fouettée, passez-moi le mot, jusqu'au jour de la victoire. » Et il rendait hommage à Jules Ferry « qui a eu l'honneur de mener en haut la campagne que nous avons menée en bas, et dont les titres à la reconnaissance publique sont trop éclatants pour qu'on puisse les passer ici sous silence, au lendemain du triomphe qu'il vient d'obtenir ».

Un an auparavant, Jean Macé avait pu célébrer un autre succès. Les délégués de toutes les sociétés qui, depuis des années, sous son impulsion et avec des appellations diverses, Cercles dé la Ligue, Sociétés républicaine d'instruction, avaient, dans chaque arrondissement ou chaque département, créé des bibliothèques populaires, organisé des cours, des conférences, groupant les républicains pour travailler de concert à l'oeuvre d'éducation populaire, s'étaient réunis à Paris et avaient constitué définitivement la Ligue de l'enseignement en une vaste fédération, dont Jean Macé fut naturellement, d'un accord unanime, acclamé comme président. Le 21 avril 1881, ce premier congrès de la Ligue tenait sa séance de clôture au Trocadero, sous la présidence de Gambetta, et Jean Macé marquait ainsi une fois de plus le caractère de l'oeuvre qu'il avait fondée:

« Pour ceux qui veulent la République, la vraie, celle de la liberté, il est bien évident que notre peuple n'en sait pas assez, et que le premier besoin de ce pays est d'être couvert de sociétés d'instruction.

« Pour ceux qui rêvent le retour en arrière, notre peuple en sait trop, ce n'est que trop clair maintenant, et ce qu'il y aurait à faire ici, si c'était possible, ce serait des sociétés de désinstruction.

« C'est impossible, malheureusement pour eux, mais je savais de reste, en commençant, que nous ne les aurions jamais. Nous n'avons donc perdu personne dans la Ligue en nous proclamant républicains ; mais cette neutralité politique, notre loi du commencement, le reste encore aujourd'hui, et je viens de vous en donner la vraie formule : nous avons à faire des électeurs et non pas des élections.

« Quand on a pris position dans la politique suprême, fondamentale, on échappe facilement au besoin de descendre dans la politique de détail, dans les luttes intestines entre ceux qui veulent la même chose, et qui ne s'entendent pas sur le meilleur moyen d'y arriver.

« Notre chemin à tous, gens de la Ligue, est forcément le même : faire penser ceux qui ne pensent pas ; faire agir ceux qui n'agissent pas ; faire des hommes et des citoyens. »

Gambetta répondait à Jean Macé par un « public hommage d'admiration ».

De 1881 à 1894, date de sa mort, Jean Macé n'a cessé de tenir, à chaque congrès annuel de la Ligue, un langage inspiré des mêmes sentiments. « Depuis 1848, écrivait-il un jour, je n'ai eu qu'une pensée, l'éducation du peuple. » Le souvenir de 1848, où brusquement, sans préparation, le suffrage universel fut concédé à un peuple qui n'était pas préparé à l'exercice de ce droit, qui n'en savait pas la charge redoutable, pesait sur lui ; il rappelait volontiers que le jour de la proclamation du suffrage universel, il avait eu « froid dans le des » ; la République et la liberté reconquises, il voulait que le peuple fût armé intellectuellement pour être à même de les défendre et de les conserver.

La patrie, la République, il ne séparait pas l'une de l'autre, ne concevant pas qu'on pût être républicain sans être un patriote ardent et conscient. Quand, en 1871, il avait dû quitter Beblenheim, c'avait été pour lui un déchirement. Son coeur saigna jusqu'à sa fin de la blessure faite à la patrie.

Le 6 décembre 1883, il était élu sénateur inamovible par 134 voix sur 211 votants.

Il mourut à Monthiers le 13 décembre 1894. Quelques jours auparavant, le 6 décembre, il était monté à la tribune du Sénat pour combattre le crédit demandé en vue de l'expédition de Madagascar. Dans cette expédition, il craignait une réédition de l'aventure du Mexique. Je l'ai vu le matin de la séance ; il était étreint par une véritable angoisse. L'effort qu'il fit ce jour-là détermina en lui une crise qui l'emporta.

Jean Macé avait, avec Hetzel, fondé, en 1864, le Magasin d'éducation et de récréation, où il fit paraître d'abord les Serviteurs de l'estomac et ensuite tant de pages charmantes publiées ensuite en brochures d'un petit format qu'il affectionnait. Dans les années qui suivirent 1870, il fut le collaborateur régulier de la Semaine républicaine, publication hebdomadaire, puis de la Petite République française de Gambetta. En 1881, il publia un petit volume d'histoire, La France avant les Francs, et en 1893 une Philosophie de poche, « un livre à emporter sous les arbres, disait-il, pense solitairement, pendant de longues années, loin de toute chaire, sans nul souci d'école ». Il s'y proclamait déiste, il l'avait toujours été, et, renonçant à percer le mystère impénétrable, à définir Dieu, se confiait tout simplement au « bon Dieu des petits enfants », qui « est encore le plus philosophique de tous, le seul qui ne soit pas un x ». Dans un chapitre intitulé Noblesse oblige, il établit, en de très belles pages, que la condition du bonheur de l'homme est en lui-même, « dans le sentiment de sa dignité, dans l'amour du vrai, qui le met en paix avec sa raison, dans l'amour du bien, qui le met en paix avec sa conscience ».

En 1889, cédant aux instances de quelques amis, il s'était prêté à un essai de constitution d'une Ligue internationale de l'Enseignement. L'entreprise ne pouvait réussir et échoua. Un groupe de l'Amérique latine témoigna cependant, quelques années durant, d'un peu de vitalité. Pour ce groupe, Jean Macé écrivit et publia, en 1891, une Arithmétique élémentaire en deux petits volumes.

Son dernier effort d'écrivain fut les Soirées de ma tante Rosy, leçons familières d'astronomie. Le 15 novembre 1894, Jean Macé en écrivait à Monthiers la dédicace à la directrice de son pensionnat du Petit-Château. Un mois après, il n'était plus.

Ecrivain clair, net, précis, d'un humour très particulier, Jean Macé fut aussi un conférencier d'une rare force persuasive, sans prétention à l'éloquence, sans art de diction, mais si vivant par le geste et par l'expression, et traduisant si bien, par son improvisation originale, la chaleur de coeur et de conviction qui était en lui, que les campagnes de conférences qu'il fit, des années durant, dans la France entière, furent vraiment des campagnes de séduction. Finesse de l'esprit, claire vision des choses, volonté forte et consciente, tout cela, uni à une chaleur d'âme communicative, caractérise Jean Macé. Il fut un grand éducateur des enfants et des hommes. La Ligue de l'enseignement, reconnaissante, a érigé à sa mémoire un monument à Paris, sur la place Armand Carrel, le 13 juillet 1900.

Arthur Dessoye