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Louis Philippe

 Porté au trône par la révolution de juillet 1830, qui expulsa les Bourbons, le duc d'Orléans Louis-Philippe promit (31 juillet) que « la Charte serait désormais une vérité » ; et, après un vote de la Chambre sanctionnant les faits accomplis, il fut (9 août) proclamé roi des Français. La Charte revisée (14 août) annonça qu'il serait pourvu par une loi, dans le plus court délai possible, « à l'instruction publique et à, la liberté de renseignement ». En attendant, une ordonnance du 16 octobre 1830, rédigée par le duc de Broglie, le premier ministre de l'instruction publique du nouveau régime, réorganisa les comités d'instruction primaire, et en enleva la présidence aux curés pour la donner aux maires. L'exposé des motifs résume en ces termes les transformations successives de ces comités depuis 1816 :

« D'après l'ordonnance de 1816, il dut y avoir un comité par canton ; chaque comité était composé de membres de droit, le curé cantonal, le juge de paix, le principal du collège le plus voisin, le sous-préfet et le procureur du roi, et de trois ou quatre membres choisis par le recteur. Le curé était président de droit. Malheureusement, l'autorité universitaire rencontra, dans beaucoup de lieux, ou une opposition, ou une constante inertie. Il fallut aviser à de nouvelles mesures. De là l'ordonnance du 2 août 18 0. Le nombre des membres de chaque comité fut augmenté : on put le porter à douze. Des séances extraordinaires purent être convoquées, et dans ce cas il suffisait de trois membres pour que la délibération fut valable ; enfin le sous-préfet et le procureur du roi eurent le droit de présider les comités, quand ils jugeaient à propos d'assister aux séances. C'est alors qu'il y eut véritablement amélioration et propagation de l'instruction primaire. Tout à coup parut l'ordonnance du 8 avril 1824. Elle donne plein pouvoir aux évêques. Cet absolu pouvoir du clergé sur l'instruction primaire n'eut pas des résultats heureux. L'Université vit naître de tous côtés, sans pouvoir y porter remède, le désordre et la confusion. L'état de langueur et d'anarchie où étaient tombées les petites écoles allait toujours croissant, quand l'ordonnance du 21 avril 1828 vint rendre à l'Université la direction de renseignement primaire. Toutefois la nouvelle composition des comités cantonaux ne répondit pas complètement aux intentions qui avaient dicté cette dernière ordonnance. ; le délégué de l'évêque ou le curé est le président de droit : il paraît désormais impossible de persister dans cet ordre de choses. Le président de chacun des comités qui s'occupent de l'instruction populaire semble devoir être le magistrat le plus rapproché du peuple. » — On trouvera le texte de l'ordonnance du 16 octobre 1830 à l'article Lois.

Félix Barthe, qui, après un court intérim fait par le jurisconsulte Mérilhou, succéda le 27 décembre au duc de Broglie, présenta à la Chambre des pairs, le 20 janvier 1831, un projet de loi sur l'instruction primaire, qui assurait le concours financier des départements et de l'Etat aux écoles primaires communales, à peu près sur les mêmes bases que l'ordonnance du 14 février 1830 (Voir Guernon-Ranville), et qui, en outre, reconnaissait à tout individu majeur le droit de donner l'enseignement primaire, moyennant des garanties de capacité et de moralité. Les comités gratuits d'instruction primaire, tels qu'ils avaient été réorganisés par l'ordonnance du 16 octobre 1830, sous la présidence du maire, étaient maintenus. Les matières d'enseignement à l'école primaire devaient être, outre l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture, la langue française, le calcul, le système légal des poids et mesures, le dessin linéaire et l'arpentage. Le voeu des pères de famille devait être toujours consulté et suivi, en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse. Il devait être fourni à tout instituteur un local convenable, tant pour son logement que pour recevoir ses élèves, et un traitement fixe, de 200 francs au minimum, moyennant lequel il recevrait gratuitement les élèves que le conseil municipal désignerait comme étant hors d'état de payer une rétribution ; les autres élèves paieraient une rétribution mensuelle dont le taux serait fixé par le conseil municipal. Des pensions de retraite seraient assurées aux instituteurs ; à cet effet, les communes verseraient annuellement dans les caisses des receveurs d'arrondissement une somme égale au vingtième du traitement fixe de l'instituteur. Les instituteurs communaux seraient choisis par l'autorité communale, sauf approbation du comité. Les dispositions de cette loi devaient être applicables aux écoles de filles, sur lesquelles le comité exercerait sa surveillance par l'intermédiaire de dames inspectrices. L'ordonnance du 14 février 1830 portait qu'il serait établi au moins une école modèle préparatoire par académie, pour former des instituteurs ; le projet Barthe contient la même disposition, et nomme ces établissements écoles normales. Le texte complet de ce premier projet ministériel se trouve à l'article Barthe.

Mais déjà, le 5 janvier 1831, le Conseil d'administration de la Société pour l'instruction élémentaire avait entendu et adopté l'exposé des motifs d'un projet de loi sur l'instruction primaire et les articles de ce projet, oeuvre d'une commission spéciale dont Jomard était le rapporteur. La Société pour l'instruction élémentaire qui, de 1815 à 1830, avait rendu de si grands services à la cause de l'éducation populaire par la création des écoles d'enseignement mutuel, ne se plaçait pas sur le même terrain que le gouvernement : elle voulait soustraire l'enseignement primaire à la domination de l'Université, et le remettre entièrement aux mains de l'administration municipale. L'exposé des motifs constituait un réquisitoire contre l'action tant de l'Université que du clergé, qui, tantôt rivaux et tantôt alliés, avaient paralysé les progrès de l'instruction populaire au lieu de les favoriser, « puisque après tant d'années la moitié de la France est sans instruction, sans culture intellectuelle ». L'instruction primaire a un tout autre but que l'enseignement universitaire, réservé à une minorité :

« Cette instruction intéresse une masse immense de la population qui n'est pas moins, en ce moment, que la moitié de la population française ; il faut manifestement des moyens propres à un objet aussi vaste, et ces moyens n'existent que dans l'administration municipale. C'est une question de commune ou de budget communal ; il est évident que l'Université ne peut être ici d'aucun secours, ni sous le rapport administratif, ni sous le rapport financier. » Le projet de loi — dont on trouvera le texte à l'article Société pour l'instruction élémentaire — reposait sur ces deux principes : l'un, que l'instruction primaire appartient à l'autorité municipale, et qu'elle rentre en conséquence dans les attributions du ministère de l'intérieur ; l'autre, que l'enseignement primaire doit être libre ; mais il admettait un appui financier donné aux communes par les départements ou par l'Etat. Il n'est pas question de comités chargés de surveiller l'enseignement primaire ; la surveillance appartient à l'autorité municipale. L'instituteur communal doit être agréé par le conseil municipal. L'attestation de capacité lui est délivrée par une commission de trois membres siégeant au chef-lieu du département ; la même attestation est exigée des instituteurs libres. Le projet ne contient pas de disposition relative au traitement de l'instituteur ; mais il prévoit des pensions de retraite. Il doit être établi au chef-lieu de chaque département une école normale destinée à former des instituteurs et des institutrices ; la dépense en sera supportée moitié par l'Etat, moitié par le département. Les enfants pourront être admis dans les écoles tant publiques que privées sans distinction de confession religieuse.

Le 3 février, une ordonnance royale annonçait que le projet Barthe était retiré, et qu'une commission serait chargée de préparer un projet d'ensemble pour l'organisation générale de l'enseignement. Les derniers actes du ministère Barthe furent l'ordonnance du 11 mars 1831, qui créa l'école normale d'instituteurs de Paris (placée à Versailles), et celle du 12 mars, qui abrogea, comme portant atteinte à la liberté de conscience, les dispositions des ordonnances des 29 février 1816 et 21 avril 1828 exigeant des candidats instituteurs un certificat de bonne conduite délivré par le curé et un certificat d'instruction religieuse délivré par un délégué de l'évêque.

Dans le cabinet du 13 mars 1831, ce fut le comte de Montalivet qui dirigea le ministère de l'instruction publique. Le gouvernement, renonçant à l'élaboration du projet d'ensemble qu'avait promis l'ordonnance du 3 février, se décida à faire de nouveau préparer un projet relatif à la seule instruction primaire. Il présenta d'abord aux Chambres des tableaux statistiques indiquant l'état de l'instruction primaire : sur 38 155 communes, il y en avait 13 984 qui étaient privées d'école. L'exposé des motifs du projet de loi, après avoir rappelé « les vues généreuses, mais impraticables, de l’Assemblée constituante, et le grandiose extravagant de la Convention ». blâme « les dispositions étroites et mesquines de la loi du 25 octobre 1795 » (3 brumaire an IV), sous laquelle « l'instruction primaire continua de languir ». il est sévère pour l'Empire : « Sous l'Empire, il fut question aussi de l'instruction primaire, mais ce ne fut presque que pour mémoire. Le législateur défendait expressément que l'enseignement primaire dépassât la lecture, l'écriture et le calcul ; il n'est plus question, comme en 1791 et 1793, de notions d'histoire, de géographie et de sciences naturelles : l'instruction du peuple était alors comptée pour peu de chose, et il n'y avait de place en France que pour la gloire militaire. » Il est plus sévère encore pour la Restauration : « A cette époque [en 1816], des hommes généreux importèrent en France la méthode lancastrienne et la propagèrent par de nobles sacrifices. En vain la même réaction qui se manifestait contre nos libertés réunit alors tous ses efforts contre l'enseignement primaire. En vain une ordonnance royale (8 avril 1824) fut rendue qui l'enlevait à l'action administrative et à la responsabilité ministérielle pour la mettre sous la direction immédiate des évêques. Le bon esprit des citoyens, les efforts de quelques hommes éminents., devaient vaincre et vainquirent le mauvais génie de la Restauration. Les tableaux statistiques que nous avons eu l'honneur de mettre sous les yeux de la Chambre constatent en quel état l'instruction populaire s'est échappée en 1830 des mains de la Restauration. » « Une question s'imposait à l'examen : l'enseignement primaire serait-il obligatoire ou facultatif? C'était le moment où Victor Cousin adressait d'Allemagne, au comte de Montalivet, ces lettres où il rendait compte de son voyage à Francfort, en Saxe-Weimar, en Prusse, et où il signalait l'obligation de fréquenter l'école comme une « loi nécessaire ». Mais le ministre ne s'était pas laissé persuader. « Ce système, — répond-il dans son exposé des motifs, — qui s'accorde peut-être avec l'esprit des institutions allemandes, ne pourrait s'appliquer en France d'une manière absolue. Il serait imprudent de porter atteinte à la puissance paternelle et aux droits de la famille même dans l'intérêt des enfants. Cette instruction, imposée par la force, serait reçue avec méfiance, surtout dans les campagnes ; et on ne pourrait croire aux bienfaits d'une institution qui se présenterait sans les avantages de la liberté. »

On retrouve dans le projet Montalivet la plupart des dispositions du projet Barthe. L'histoire et la géograpbie sont ajoutées au programme à titre facultatif. Les comités gratuits — un ou plusieurs par arrondissement — sont présidés par le sous-préfet. L'instituteur communal est choisi par le maire, sous l'approbation du comité ; sa destitution, s'il y a lieu, est prononcée par le comité. Ce qui concerne le logement de l'instituteur, son traitement, la rétribution scolaire, la pension de retraite, les écoles normales et l'application des dispositions de la loi aux écoles de filles, est emprunté au projet Barthe. Nous donnons le texte du projet à l'article Montalivet (Marthe-Camille de).

C'est le 24 octobre 1831 que ce projet fut présenté à la Chambre des députés. Le même jour, le comte de Las Cases fils y présentait le projet de la Société pour l'instruction élémentaire, très légèrement retouché sur quelques points accessoires. La Chambre renvoya le projet ministériel à une Commission de neuf membres : Daunou, Eusèbe Salverte, Taillandier, Renouard, Mahul, Jouffroy, Laurence, Eschassériaux et Jay, dont quatre faisaient partie de la Société pour l'instruction élémentaire. La Commission présenta son rapport le 22 décembre, par l'organe de Daunou (Voir Daunou). Elle avait fait un amalgame des dispositions du projet du gouvernement et de celles du projet de la Société pour l'instruction élémentaire. Tout en affirmant qu'il fallait rendre aux écoles primaires leur caractère communal et les affranchir de la surveillance spéciale d'un pouvoir directeur (l'Université), la Commission conservait les comités cantonaux d'instruction primaire ; elle distinguait, comme le projet ministériel, des écoles libres ou privées, et des écoles communales, et elle maintenait, au sujet des instituteurs, la plupart des dispositions du projet Montalivet ; elle avait, toutefois, supprimé les pensions de retraite : elle ne croyait possible ni de soumettre à des retenues le modique traitement des instituteurs, ni de demander aux communes et à l'Etat une aggravation de charges: elle jugeait préférable de recommander « qu'on élevât, par degrés, le traitement fixe des plus recommandables instituteurs. Faites qu'ils puissent eux-mêmes, par des économies dont il importe qu'ils donnent l'exemple, se ménager les ressources que l'âge et les infirmités leur rendraient un jour nécessaires : voilà les plus légitimes et les plus sûres pensions de retraite. » La Commission souhaitait que l'instituteur pût, dans la règle, joindre à ses fonctions scolaires celles de greffier de la mairie et de rédacteur des actes civils. Trois articles concernant les écoles de filles, et un article relatif à l'enseignement des adultes, avaient été ajoutés au projet, ainsi que des dispositions, empruntées au projet de la Société pour l'instruction élémentaire, établissant des écoles primaires dans les armées de terre et de mer, dans les prisons et dans les bagnes.

En ce qui concerne l'obligation, le rapport de Daunou concluait comme l'avait fait Montalivet :

« Votre Commission a pensé qu'enjoindre aux familles d'envoyer leurs enfants à l'école serait une grave atteinte aux libertés personnelles et domestiques ».

Caractéristique est l'attitude de la Commission en matière religieuse. Le projet de Montalivet demandait seulement que « le voeu des pères de famille fût toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse » ; la Commission va plus loin : son projet spécifie que les élèves recevront l'instruction religieuse « des ministres des différents cultes ». Elle avait voulu par là, comme nous l'apprend un discours de Camille Eschassériaux prononcé l'année suivante (18 décembre 1832 ; voir plus loin), « qu'une ligne de démarcation fût nettement déterminée entre l'instruction primaire proprement dite et l'enseignement des préceptes religieux, qui appartient aux fonctions ecclésiastiques ; car c'est par la confusion de ces deux principes que jadis on préludait à l'asservissement politique par l'asservissement à certaines idées religieuses ». Et l'on voit, par une expression d'un autre rapporteur (4 mars 1833: voir plus loin), qu'il fallait entendre l'article du projet de la Commission dans ce sens, que l'instruction religieuse serait « renfermée dans les églises et les temples ».

Après avoir entendu le rapporteur de la Commission, la Chambre ajourna indéfiniment la discussion du projet de loi.

Montalivet quitta le ministère à la fin d'avril 1832 ; il fut remplacé par Girod (de l'Ain), qui garda son portefeuille cinq mois, et sous l'administration duquel il ne se passa rien d'important. Avec le cabinet du 11 octobre 1832, Guizot devint pour la première fois ministre de l'instruction publique, et la question de l'instruction primaire fut aussitôt reprise.

Le premier acte du nouveau ministre fut la promulgation d'un Règlement pour les écoles normales primaires, arrêté par le Conseil royal de l'instruction publique le 14 décembre 1832. Le mouvement pour la création des écoles normales avait repris à partir de 1828, avec le ministère Vatimesnil. Les deux dernières années de la Restauration en avaient vu ouvrir onze, qui s'étaient ajoutées aux trois premières (fondées en 1811 et 1820). Ce mouvement continua et s'accentua : un rapport adressé au roi par Guizot le 2 mars 1833 énumère trente-quatre écoles normales nouvelles, ouvertes depuis la révolution de Juillet jusqu'à cette date.

Le 17 décembre, quatre députés, Taillandier, Eusèbe Salverte, Laurence, et Camille Eschassériaux, reprirent en leur nom le projet présenté l'année précédente par Daunou. Eschassériaux exposa à la Chambre (18 décembre) les raisons qui avaient décidé ses collègues et lui à reprendre le projet Daunou : à l'unanimité, la Chambre vota la prise en considération, et renvoya le projet à une Commission de neuf membres, composée de Renouard, Félix Bodin, Emmanuel de Las Cases, Tixier-Lachassaigne, Martin (du Nord), Dugas-Montbel, François Arago, Mahul et Eschassériaux. On trouvera le texte de ce projet à l'article Taillandier. Seize jours après, le 2 janvier 1833, Guizot apportait à la Chambre un nouveau projet ministériel, en opposition à celui de Taillandier et de ses collègues. A propos de ce nouveau projet, qui allait devenir la célèbre loi du 28 juin 1833, Jules Simon a écrit : « Victor Cousin avait collaboré à la loi de 1833. Il s'en attribuait la paternité, qu'il faut maintenir à M. Guizot. Cousin n'a écrit la loi que d'après ses inspirations et sous ses ordres. Il n'en est pas moins vrai qu'il l'a écrite, et que même l'exposé des motifs est de sa main. »

L'auteur de l'exposé des motifs débute en déclarant qu'on a voulu être « essentiellement pratique », et qu'en conséquence on n'est pas parti de « ces principes absolus qui, lorsqu'ils règnent seuls dans une loi, la rendent presque toujours vaine et stérile ». Et il cite la Constituante qui, « se laissant prendre à une illusion généreuse », avait décrété en 1791 que « l'instruction serait gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes » ; et la Convention, qui tenta de faire ce qu'avait dit la Constituante, et « décréta partout un enseignement élémentaire avec un traitement fixe de 1200 francs à tout instituteur sur le trésor public, ainsi qu'une retraite proportionnelle » Ces « promesses magnifiques » ne pouvaient pas être tenues, car, « quand l'Etat veut tout faire, il s'impose l'impossible». Cousin critique ensuite le principe opposé, celui qui considère l'instruction primaire « comme une pure industrie », et par conséquent la livre « à la libre concurrence, sans aucune intervention de l'Etat ». Et il dit aussi leur fait aux partisans d'un troisième principe, le principe communal, celui qu'avait repris Daunou en 1831 : « Le principe communal nous jette bien loin des grandes vues de l’Assemblée constituante et de la Convention, il nous mène sous le gouvernement du Directoire, et sous la loi de l'an IV, aussi étroite en matière d'instruction primaire que le principe exclusif sur lequel elle repose ; . loi qui n'assurait à l'instituteur que le logement, et n'exemptait de la rétribution qu'un quart des élèves pour cause d'indigence. Encore la loi de l'an X, conçue dans le même esprit, réduisit ce quart au cinquième, pour ne pas trop diminuer le seul traitement éventuel du maître, mais augmentait par là l'ignorance et la misère de la commune. » Et, continuant à exprimer sa crainte des principes absolus, Cousin ajoute : « Vous ne trouverez pas un bon principe qui, admis à dominer seul dans l'instruction primaire, ne puisse lui porter un coup mortel. Et pour finir ces exemples par le plus frappant de tous, supposons un gouvernement qui, pour établir la salutaire influence de la religion dans l'instruction du peuple, irait, comme l'a tenté la Restauration dans ses plus mauvais jours, jusqu'à remettre l'éducation du peuple au clergé seul : cette coupable condescendance enlèverait a l'instruction primaire les enfants de toutes les familles qui repoussent, avec raison, la domination ecclésiastique ; comme aussi, en substituant dans les écoles ce qu'on appelle la morale civique à l'instruction morale et religieuse, on commettrait d'abord une faute grave envers l'enfance, qui a besoin de morale et de religion, et ensuite on soulèverait des résistances redoutables. » Les auteurs du projet se flattaient, en ce qui les concernait, de n'avoir « point imposé un système à l'instruction primaire » ; d'avoir « accepté tous les principes qui sortaient naturellement de la matière », et de les avoir « employés dans la mesure et à la place où ils ont paru nécessaires » : en un mot, d'avoir fait « une loi de bonne foi, étrangère à toute passion, à tout préjugé, à toute vue de parti » ; et l'exposé concluait : « L'expérience est notre guide. C'est elle seule que nous voulons suivre et que nous avons constamment suivie. Il n'y a ici aucune hypothèse. Les principes et les procédés employés dans cette loi nous ont été fournis par les faits : elle ne contient pas un seul article organique qui déjà n'ait été heureusement mis en pratique. »

Bien que Victor Cousin fût partisan de l'obligation, l'exposé des motifs resta muet sur cette question : Guizot l'avait ainsi voulu. Quant à la partie financière du projet, l'intervention combinée de la commune, du département et de l'Etat y était prévue, comme dans les projets, précédents. En ce qui concerne les autorités préposées à l'instruction primaire, « c'est ici surtout, disait l'exposé, que nous nous sommes efforcés de nous dépouiller de tout esprit de système » : les comités de canton institués en 1816 étaient supprimés ; on leur substituait, comme l'avait déjà fait le projet Montalivet, un comité local de surveillance dans chaque commune, et un comité supérieur par arrondissement. L'intervention de l'autorité supérieure, du ministre, devait s'exercer par l'envoi de délégués « qui s'assureraient en personne du véritable état de choses », et par la nomination des commissions d'examen.

En terminant, l'exposé des motifs appelait l'attention sur un point « qu'on ne peut aborder qu'avec une circonspection extrême », l'organisation des écoles primaires de filles. « Il est impossible, disait-il, d'imposer à toute commune une école spéciale de filles ; mais toute commune doit être encouragée à en établir une ; et il n'y a pas de raison pour que ces écoles ne soient pas soumises aux mêmes conditions que les autres écoles primaires. » Là où l'établissement d'une école spéciale aux filles ne sera pas possible, les filles fréquenteront la même école que les garçons, et « le comité communal veillera à ce que les garçons et les filles soient convenablement séparés ». Quant à l'institution de dames inspectrices, prévue par le projet Barthe du 20 janvier 1830, et par le projet Montalivet, et que la Commission de la Chambre avait déjà rejetée en 1831, l'exposé des motifs disait que « praticable et utile dans quelques grandes villes, impossible dans les campagnes, elle aurait plus d'inconvénients que d'avantages », et que la surveillance exercée par les comités ordinaires de la commune et de l'arrondissement serait « plus effective et plus sérieuse ».

Nous ne reproduisons ci-dessous, du projet du 2 janvier 1833, que les parties qui ont été modifiées à la suite des débats des Chambres, en renvoyant, pour le reste, au texte définitivement adopté, reproduit in-extenso à l'article Lois scolaires (p. 1077) ; nous imprimons en italique les portions d'article qui ne se retrouvent pas dans ce texte, et nous plaçons des crochets [.] aux endroits où des additions ont été intercalées :

Projet de loi du 2 janvier 1833.

TITRE PREMIER. — DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE ET DE SON OBJET.

ARTICLE PREMIER. — (Les deux premiers alinéas, comme au texte voté. Troisième alinéa : ) L'instruction primaire supérieure comprend nécessairement, en outre, le dessin linéaire, l'arpentage et les autres applications de la géométrie pratique, des notions des sciences physiques. (la suite comme au texte voté).

ART. 2. — (Conforme.)

ART. 3. — L'instruction primaire est ou publique ou privée.

TITRE II. — DES ECOLES PRIMAIRES PRIVEES.

ART. 4. — (Les deux premiers alinéas, comme au texte voté. Troisième alinéa : ) 2° Un certificat de bonnes vie et moeurs délivré, sur l'attestation de trois conseillers municipaux. (la suite comme au texte voté).

ART. 5. — Sont incapables de tenir école :

Les individus interdits par jugement de la jouissance des droits civils (alinéa supprimé) ;

2° (Le « 2° » du projet est devenu le « 1" » du texte voté) ;

3° Les condamnés en police correctionnelle pour vol, escroquerie, banqueroute simple, abus de confiance ou attentat aux moeurs (Ce « 3° », modifié et augmenté, est devenu le « 2° » du texte voté) ;

4° (Le « 4° » du projet est le « 3° » du texte voté.)

ART. 6. — Quiconque aura ouvert une école primaire [.] sans avoir. (la suite comme au texte voté).

ART. 7. —(Le premier alinéa comme au texte voté. Deuxième alinéa :) Le tribunal entendra les parties et statuera [.] en chambre du conseil. Il en sera de même sur l'appel, qui [.], en aucun cas, ne sera suspensif.

Le tout sans préjudice des poursuites et des peines qui pourraient avoir lieu pour crimes, délits ou contraventions prévues par le Code pénal.

TITRE III. — DES ECOLES PRIMAIRES PUBLIQUES.

ART. 8. — (Conforme.)

ART. 9. — (Conforme, en ce qui concerne le premier alinéa. Le dernier alinéa a été ajouté.)

ART. 10. — Les communes [.] dont la population. (la suite comme au texte voté).

ART. 11. — Tout département sera tenu d'entretenir une école normale primaire [.]. Le Conseil général délibèrera sur les moyens d'assurer l'entretien des écoles normales primaires. […]

ART. 12. — (Conforme.)

ART. 13. — (Le premier alinéa comme au texte voté. Deuxième alinéa : ) En cas d'insuffisance des revenus ordinaires, [.] le conseil municipal imposera la commune jusqu'à concurrence de trois centimes additionnels au principal de ses contributions directes, pour l'établissement de l'école primaire communale.

(Troisième alinéa, comme au texte voté, pour les quatre premières lignes ; et ensuite :). de trois centimes, le Conseil général imposera le département jusqu'à concurrence de deux centimes additionnels, pour contribuer aux dépenses reconnues nécessaires à l'instruction primaire.

(Quatrième alinéa : ) Si les centimes ainsi imposés aux communes et aux départements ne suffisent pas aux besoins des écoles primaires communales, le ministre. (la suite comme au texte voté).

(Cinquième alinéa : ) Un rapport détaillé sur l'emploi des fonds précédemment alloués sera annexé chaque année à la proposition du budget.

ART. 14. — (Premiers alinéa, conforme, sauf six mots ajoutés à la fin. — Après le premier alinéa, un alinéa nouveau, devenu le second, a été intercalé dans le texte voté. Au deuxième alinéa, devenu le troisième, , le second mot, néanmoins, a été supprimé. Après cet alinéa, un autre alinéa nouveau, formant le quatrième, a été ajouté.)

ART. 15. — (Premier alinéa, conforme. Après, un alinéa nouveau, devenu le second, a été intercalé. Au deuxième alinéa, devenu le troisième, la seconde phrase se lit ainsi :) Le montant de la retenue sera placé en rentes sur l'Etat. Le produit total. (la suite comme au texte voté).

(Le troisième alinéa, devenu le quatrième, se lit ainsi, a partir du milieu de la troisième ligne :). mais elle pourra [.] recevoir les legs et dons particuliers [.].

ART. 16. — (Conforme.)

TITRE IV. — DES AUTORITES PREPOSEES A L'INSTRUCTION PRIMAIRE.

ART. 17. — Il y aura près de chaque école communale un comité local de surveillance, composé du maire [.], du curé ou pasteur, et de trois conseillers municipaux désignés par le conseil municipal.

(Après cette première partie de l'article, un alinéa nouveau : « Dans les communes. du comité communal de surveillance », a été intercalé. La dernière phrase de l'article du projet est devenue le troisième alinéa. Ensuite, deux alinéas nouveaux ont été ajoutés.)

ART. 18. —(Conforme, sauf qu'a la On, après « circonscription », cinq mots nouveaux ont été ajoutés.)

ART. 19. — Seront membres du comité d'arrondissement :

Le préfet ou le sous-préfet, président ;

Le procureur du roi ;

Le maire du chef-lieu [.] ;

Le juge de paix ou le plus ancien des juges de paix résidant au chef-lieu ;

Le curé ou l'un des curés du chef-lieu ;

Un ministre de chacun des autres cultes reconnus par la loi, qui résidera dans l'arrondissement, et qui aura été désigné par son consistoire ;

(Ici s'intercalent, dans le texte voté, deux alinéas nouveaux. L'alinéa suivant du projet, alinéa dont les deux premiers mots ont été modifiés, a été reculé d'un rang et est devenu le neuvième :) Ceux des membres du Conseil général du département qui. auront leur domicile réel dans l'arrondissement.

(Le dernier alinéa de l'article du projet, devenu le huitième de l'article voté, se lit : ) Et trois membres du conseil d'arrondissement [.] désignés par ledit conseil. (Deux alinéas nouveaux, formant le dixième et le onzième, ont été ajoutés.)

ART. 20. — Les comités s'assemblent au moins une fois par mois. Ils pourront être convoqués extraordinairement sur la demande d'un délégué du ministre : la présidence du comité appartiendra à ce délégué.

(Le deuxième alinéa est resté le même dans le texte voté, sauf qu'à la fin, après « comités communaux », neuf mots ont été ajoutés. Après ce deuxième alinéa, un troisième a été ajouté.)

ART. 21. — (Premier alinéa, conforme, sauf qu'après « discipline » onze mois ont été ajoutés.)

(Deuxième alinéa : ) Il présente au comité d'arrondissement les candidats pour les écoles publiques. (Cet alinéa a été supprimé.)

(Troisième alinéa, devenu le deuxième du texte voté, conforme.)

(Quatrième alinéa, devenu le troisième du texte voté :) Il dresse et arrête le tableau des enfants qui, ne recevant pas, ou n'ayant pas reçu à domicile l'instruction primaire, devront être, appelés aux écoles publiques avec l'autorisation ou sur la demande de leurs parents. (Cet alinéa a reçu une rédaction nouvelle toute différente.)

(Cinquième alinéa, devenu le quatrième, conforme. Sixième alinéa, devenu le cinquième : ) En cas d'urgence [.], il peut ordonner provisoirement que l'instituteur sera suspendu de ses fonctions, à la charge de rendre compté sur-le-champ au comité. (le reste comme au texte voté). — (A la suite, un alinéa nouveau, faisant le sixième du texte définitif, a été ajouté.)

ART. 22. — (Le premier alinéa, formé d'une phrase unique, est conforme a la première phrase du premier alinéa du texte voté, dans lequel cet alinéa est complété par une seconde phrase, nouvelle. — Un alinéa nouveau, devenu le second, a ensuite été intercalé. — Les deuxième, troisième et quatrième alinéas du projet, devenus les troisième, quatrième et cinquième, sont conformes. Cinquième et dernier aliéna de l'article du projet :) Sur la présentation du comité communal, et sous la condition de leur institution par le ministre de l'instruction publique, il nomme les instituteurs communaux, procède à l'installation de ces instituteurs, et reçoit leur serment. (Cet alinéa, remanié, a fourni la matière de deux alinéas, les sixième et septième, de l'article voté.)

ART. 23. — En cas de négligence habituelle ou de faute grave d'un instituteur communal, le comité d'arrondissement, ou d'office, ou sur la plainte adressée par le comité local, mande. (la suite de ce premier alinéa comme au texte voté).

L'instituteur frappé d'une révocation a un sursis pour se pourvoir contre cette décision du comité devant le ministre de l'instruction publique, en Conseil royal [.] ; toutefois, la décision du comité est exécutoire par provision. (A la suite de ce second alinéa, le texte voté en contient un troisième, nouveau.)

ART. 24. —* (Conforme.)

ART. 25. — (Conforme, sauf qu'un troisième alinéa, nouveau, a été ajouté dans le texte voté.)

TITRE V. — DES ECOLES SPECIALES DE FILLES.

ART. 26. — Selon les besoins et les ressources des communes, sur la demande des conseils municipaux, il pourra être établi des écoles spéciales de filles.

Les dispositions précédentes de la présente loi sont applicables auxdites écoles.

Le projet de loi ministériel fut renvoyé par la Chambre des députés à une Commission de neuf membres, composée de sept des membres de celle qui avait été chargée d'examiner la proposition de loi des députés Taillandier, Salverte, Laurence et Eschassériaux ; en ce qui concerne les deux autres membres, les députés Martin et Mahul, qui faisaient partie de la première Commission, furent remplacés, pour la seconde, dans les sixième et huitième bureaux, par Dubois (de la Loire-Inférieure) et Thabaud-Livetière. La Chambre décida que les deux commissions travailleraient ensemble et ne feraient qu'un seul rapport.

Ce rapport fut présenté le 4 mars par Renouard. Il y faut signaler ce qui concerne la religion et ce qui concerne la gratuité. Sur le premier point, le rapporteur dit : « La Commission de l'année dernière a mis au nombre des objets d'enseignement primaire des notions sur les devoirs sociaux et politiques, et le projet de loi du gouvernement y comprend l'instruction morale et religieuse. Entre ces deux manières d'exprimer, sinon la même idée, du moins des idées de même ordre et fort analogues entre elles, votre commission a préféré, sans hésitation, les expressions plus nettes, plus complètes et plus générales du projet du gouvernement. Faut-il, avec votre Commission de l'année dernière, décider que l'instruction.

religieuse sera exclusivement réservée aux ministres de chaque culte, et qu'on la renfermera dans les églises et les temples? ou bien permettrons-nous, avec le projet de loi du gouvernement, que les instituteurs primaires participent à la distribution de ces leçons?. L'instruction religieuse ne saurait être, dès le premier âge, présentée sous trop de formes à tous les esprits. Elle se mêle, comme la morale, aux plus simples paroles qu'on adresse à l'enfance. L'instruction religieuse repose d'abord sur des notions générales dont aucun scrupule ne peut s'offenser, et sans lesquelles, hors des temples comme dans les temples, il n'y aurait aucune langue raisonnable à parler à des enfants. La direction des pratiques religieuses demeure exclusivement réservée aux ministres de chaque culte. ; mais la partie morale, la partie historique de l'instruction religieuse forment une des branches essentielles de tout enseignement civil. »

Quant à la gratuité, voici au nom de quels sophismes le rapporteur la condamnait : « Le système qui établirait, pour l'enseignement primaire tout entier, une gratuité absolue séduit, au premier abord, par sa simplicité et sa grandeur. Mais ce système offrirait de graves difficultés d'exécution. En disséminant sur tous les ressources publiques au lieu de les concentrer sur la classe indigente, on se priverait de la possibilité de remplir complètement, envers cette classe elle-même, le devoir d'humanité, comme de prudence sociale, qui commande de lui donner l'instruction. Si l'impôt devait être appelé à fournir l'enseignement primaire à toutes les classes de citoyens, les indigents, ne fût-ce que par la part qu'ils supportent inévitablement dans les impôts indirects, contribueraient dans une proportion trop forte à l'instruction des classes aisées. »

Il faut signaler, parmi les quelques changements apportés par la Commission au texte du projet ministériel, une nouvelle rédaction du quatrième alinéa de l'art. 21 de ce projet. L'alinéa ministériel parlait des enfants qui, n'ayant pas reçu l'instruction primaire, « devront être appelés aux écoles publiques avec l'autorisation ou sur la demande de leurs parents ». Dans le texte nouveau que la Commission substitua à celui-là, il n'était plus question que d'arrêter l'état des enfants qui ne reçoivent pas l'instruction primaire, et non de les appeler aux écoles.

On peut lire à l'article Filles (p. 620) la façon dont Guizot fut amené, par l'intervention du supérieur général des Lazaristes, à consentir à la suppression de l'art. 26 du projet, parce que cet article, qui portait que les dispositions de la loi seraient applicables aux écoles de filles, aurait eu pour conséquence d'imposer aux institutrices congréganistes l'obligation de se munir du brevet de capacité. Ce fut dans la séance du 4 mai que la suppression de l'article, qui formait le titre V, fut volée par la Chambre des députés.

La Chambre des pairs examina à son tour le projet amendé, et le rapporteur de sa Commission fut Cousin. Dans son rapport, présenté le 21 mai, il signala, avec une complaisance paternelle, comme un trait essentiel de la loi, le traitement accordé à l'instituteur, et le taux modique (200 francs) de ce traitement : « La constitution de 1791 et la loi de 1793 proclamaient le principe de l'instruction gratuite, et, par conséquent, allouaient à l'instituteur primaire un traitement fixe considérable, qui eût écrasé les communes ou l'Etat. La loi de l'an IV, qui est le fond de toutes les lois subséquentes, pour n'accabler ni les communes ni l'Etat, détruit tout traitement fixe, ce qui a deux sortes d'inconvénients : le premier, de ne pouvoir plus obliger équitablement l'instituteur à recevoir assez d'élèves gratuitement, c'est-à-dire de fermer l'école à ceux qui en ont le plus besoin ; le second, de ne pas assurer à l'instituteur un sort convenable. Nulle loi ne s'était encore avisée d'admettre le principe de l'instruction gratuite pour les enfants pauvres, en maintenant le principe de la rétribution pour tous ceux qui peuvent la payer, et cela au moyen d'un traitement fixe qui n'est ni assez fort pour que l'instituteur ne sente plus le besoin de bien faire et de travailler à satisfaire les parents, ni assez faible pour qu'il soit condamné à vivre au jour le jour. Cette combinaison neuve et sage promet à l'instruction primaire un avenir, »

La disposition louée par le rapporteur venait déjà du projet Barthe ; de là elle avait passé textuellement dans le projet Montalivet, pour être placée enfin dans le projet Guizot ; il faut en conclure que Cousin avait déjà collaboré au projet du 20 janvier 1831. Mais comment avait-il pu se figurer que c'était une « combinaison neuve»? II ignorait donc que, sous l'ancien régime, le magister recevait toujours de la commune un traitement fixe, « pas assez fort pour qu'il ne sentît plus le besoin de travailler pour satisfaire les parents », à charge de recevoir gratuitement les élèves indigents?

Sur la nécessité de la religion, le rapporteur de la Chambre des pairs disait : « Il était nécessaire que, parmi les divers objets de l'instruction primaire, l'éducation morale et religieuse eût le rang qui lui appartient, c'est-à-dire le premier ; car c'est l'éducation morale qui seule peut faire des hommes et des citoyens, et il n'y a pas d'éducation morale sans religion ». Déjà dans ses lettres au comte de Montalivet, en 1831, il avait écrit : « Les Saintes Ecritures, avec l'histoire biblique qui les explique, et le catéchisme qui les résume, doivent faire la bibliothèque de l'enfance et des écoles ». On sait que Victor Cousin a rédigé lui-même, après l'adoption de la loi de 1833, un véritable catéchisme (Livre d'instruction morale et religieuse, à l'usage des écoles primaires catholiques, élémentaires et supérieures, des écoles normales et des commissions d'examen, Paris et Strasbourg, Berger-Levrault, 1834).

Un autre endroit du rapport mérite d'être signalé : c'est celui où, avec beaucoup de netteté et une énergie éloquente, Cousin se déclare partisan de l'obligation, et en donne les raisons. Il prend acte, d'abord, de la modification apportée par la Commission de la Chambre des députés au quatrième alinéa de l'article 21 du projet ministériel, alinéa « un peu embarrassé dans sa rédaction », qui parlait d'appeler aux écoles les enfants laissés sans instruction : « La Chambre des députés a vu dans cet appel comme l'ombre du principe qui fait de l'instruction primaire une obligation civile ; et, dans la conviction que l'introduction de ce principe dans la loi est au-dessus des pouvoirs du législateur, elle a tenu pour suspect jusqu'au droit modeste d'invitation que le projet du gouvernement conférait aux comités communaux, et elle ne leur a laissé que le droit de dresser un état des enfants qui, à leur connaissance, ne recevraient en aucune façon l'instruction primaire ». La Commission de la Chambre des pairs n'a pas voulu rétablir le texte du projet du gouvernement ; mais sa décision, sur ce point, a été guidée par « un tout autre ordre de pensées ». Elle est, en principe, favorable à l'obligation ; et, « si elle n'a pas défendu le droit d'invitation confusément renfermé dans le projet du gouvernement, c'est que ce droit, dépourvu de sanction pénale, n'a guère plus de force que celui de pure statistique qui reste dans l'amendement de la Chambre des députés ». Cousin développe en ces termes sa doctrine en la matière : « Une loi qui ferait de l'instruction primaire une obligation légale ne nous a pas paru plus au-dessus des pouvoirs du législateur que la loi sur la garde nationale, et celle que vous venez de faire sur l'expropriation forcée pour cause d'utilité publique. Il est contradictoire de proclamer la nécessité de l'instruction universelle, et de se refuser au seul moyen qui la puisse procurer. Il n'est pas non plus fort conséquent peut-être d'imposer une école à chaque commune sans imposer aux enfants de cette commune l'obligation de la fréquenter. Otez cette obligation, à force de sacrifices vous fonderez des écoles ; mais ces écoles pourront être peu fréquentées, et par ceux-là précisément auxquels elles seraient le plus nécessaires, je veux dire ces malheureux enfants des pays d'industrie et de fabriques, qui auraient tant besoin d'être protégés par la loi contre l'avidité et la négligence de leurs familles. Point d'âge fixe où l'on doive commencer à aller aux ; écoles, et où on doive les quitter: nulle garantie d'assiduité, nulle marche régulière des études, nulle durée, nul avenir assuré à l'école. Votre Commission n'aurait donc point reculé devant des mesures sagement combinées que le gouvernement aurait pu lui proposer à, cet égard, et elle en aurait pris peut-être l'initiative, sans la crainte de provoquer des difficultés qui eussent pu faire ajourner une loi impatiemment attendue. » Et, indiquant la portée que peut avoir. à tout le moins, cet état des enfants qui ne reçoivent pas l'instruction primaire, à dresser par le comité communal, il l'appelle « un germe faible, il est vrai, mais qui, féconde par le temps, le progrès des moeurs publiques et le vrai amour du peuple, peut devenir un. jour le principe d'un titre additionnel qui donnerait à cette loi toute son efficacité ».

Au sujet de la suppression du titre V, Cousin, qui n'était nullement hostile à la coéducation des sexes, s'exprima ainsi : « Nous n'avons point à vous entretenir du titre V, qui demeure supprimé ; mais, à l'exemple de plusieurs honorables membres de l'autre Chambre, nous invitons le gouvernement à recueillir le plus tôt possible tous les renseignements nécessaires pour nous présenter dans le plus court délai un supplément à' la loi sur l'instruction primaire, relatif aux écoles de filles ; car, en attendant, les écoles existantes ne pourront participer aux bienfaits de la loi nouvelle. Il y a donc urgence, et peut-être au fond n'y a-t-il pas une si grande difficulté à faire rentrer ce genre d'écoles dans la législation nouvelle. L'enseignement, tel qu'il est déterminé dans le titre Ier, convient également aux filles et aux garçons. » Cousin n'avait pas soupçonné, semble-t-il, la véritable cause qui avait déterminé Guizot à l'ajournement ; car il ajoute, comme une chose allant de soi : « L'institutrice communale serait assimilée à l'instituteur communal ; elle aurait comme lui un traitement fixe, comme elle aurait dû être pourvue du brevet de moralité et de celui de capacité obtenu après un examen qui pourrait ne pas être public. Mais des écoles absolument spéciales [aux filles], et tenues exclusivement par des femmes, sont tout à fait des écoles de luxe qui s'élèveront seulement dans les grandes villes. On ne voit pas pourquoi, dans les campagnes et les petites villes, les filles ne fréquenteraient pas les écoles primaires ordinaires, publiques ou privées. Il suffit que les instituteurs aient, pour les travaux du sexe, une sous-maîtresse. Les précautions les plus simples préviennent aisément toute espèce de danger. L'instruction des filles deviendrait par là tout aussi universelle que celle des garçons. Mais en persistant, contre l'expérience elle-même, dans celte erreur si répandue que les enfants du sexe ne peuvent recevoir l'instruction que dans des écoles tenues exclusivement par des femmes, le problème de l'éducation des filles sur une grande échelle est à peu près insoluble. »

Après des débats qui avaient duré près de six mois, la loi, votée par les deux Chambres, fut promulguée h ; 28 juin, et dès le 16 juillet suivant parut une ordonnance en 36 articles pour l'exécution de la. loi nouvelle. A l'égard des nouvelles autorités de l'instruction primaire, elle prescrivait que, dans le délai de trois mois, le ministre de l'instruction publique règlerait le nombre et la circonscription des comités d'arrondissement ; et que. dans les trois mois qui suivraient l'installation de ces comités, il serait procédé à l'organisation des comités communaux. Une seconde ordonnance (8 novembre 1833) édicta des dispositions spéciales pour la ville de Paris : dans chacun des arrondissements municipaux il y eut un comité local ; et il fut formé un comité central, exerçant pour toutes les écoles primaires de la ville les attributions des comités d'arrondissement.

La loi du 28 juin 1833 marque certainement une étape importante dans l'histoire des progrès de l'instruction primaire en France. Toutefois, il ne faudrait pas croire qu'elle fut accueillie avec enthousiasme: ses graves défauts, ses lacunes provoquèrent de vives critiques. Elles ' ont été résumées en ces termes dans une note de H. Boulay (de la Meurthe), publiée dans le Bulletin de la Société pour l'instruction élémentaire (juillet 1833) : « La loi ne prévoit rien sur les inconvénients de la concurrence dans les petites communes, ni sur le danger de voir des congrégations secrètes s'emparer de l'instruction primaire, par suite de la liberté d'enseignement ; elle prescrit des écoles, et ne prescrit rien pour y faire venir les enfants ; elle exige que l'instruction religieuse soit donnée dans les écoles, même dans les communes qui ont plusieurs cultes et une seule école, comme s'il y avait encore une religion de l'Etat ; en instituant les curés comme surveillants de droit des écoles, elle fait au clergé une part privilégiée et despotique, elle arme contre l'instruction primaire une puissance qui, malheureusement, s'est depuis dix-huit ans montrée son ennemie, elle se traîne enfin sur une vieille idée de la Restauration, ressassée dans toutes ses ordonnances ; . elle parle à peine des écoles normales primaires ; elle ne dit mot de tous les moyens accessoires d'instruction, tels que bibliothèques cantonales, conférences périodiques entre les instituteurs, concours annuels entre eux et entre leurs élèves, etc. ; elle est muette sur les écoles de filles, sur les écoles d'adultes, sur les salles d'asile, sur les écoles régimentaires, etc. ; elle ne peut être considérée que comme une loi d'épreuve et de transition. » Toutefois le critique admet que cette loi renferme des améliorations réelles ; mais, ajoute-t-il, « il faut dire que presque toutes ces améliorations avaient été réclamées et préparées dans l'opinion par la Société pour l'enseignement élémentaire, longtemps avant que la législature les adoptât, et quoiqu'elle n'en ait rien dit ».

Une crise ministérielle, en novembre 1834, priva Guizot. de son portefeuille pendant huit jours ; mais il le reprit dans le ministère réorganisé, qui dura jusqu'au 22 février 1836. C'est pendant ce second ministère qu'il fit rendre l'ordonnance du 26 février 1835, qui établit dans chaque département un inspecteur de l'instruction primaire.

Dans le premier cabinet présidé par Thiers (22 février 1836-25 août 1836), le ministre de l'instruction publique fut le comte Pelet (de la Lozère). C'est à celui-ci qu'on doit l'ordonnance qui régla la situation des écoles de filles (23 juin 1836).

Le cabinet Molé vint ensuite, et Guizot y fut pour la troisième fois grand-maître de l'Université. Il eut à s'occuper de la rédaction d'un projet de loi destiné à réaliser dans l'enseignement secondaire la liberté promise par la Charte. Il était, au fond, sympathique aux prétentions de l'Eglise, et il eût voulu qu'on renonçât complètement au principe de la souveraineté de l'Etat en matière d'instruction publique : mais il n'osa pas aller jusqu'au bout de sa pensée, et, dans le projet qu'il présenta à la Chambre des députés, il chercha à ménager les deux partis. La Chambre adopta le projet avec quelques modifications (Voir Liberté d'enseignement) ; mais une dislocation du ministère ayant fait rendre à Guizot son portefeuille (15 avril 1837), la loi ne put pas arriver jusqu'à la Chambre des pairs. Molé remplaça Guizot par le comte de Salvandy.

C'est à Salvandy qu'on dut la création des sous-inspecteurs de l'instruction primaire (ordonnance du 13 novembre 1837) et l'organisation officielle des salles d'asile (ordonnance du 22 décembre 1837).

Lorsque le cabinet Molé fut tombé sous les coups de la « coalition », le juriste Parant dirigea l'instruction publique dans le ministère intérimaire du 31 mars 1839. A la constitution du cabinet présidé par le maréchal Soult (12 mai 1839), le portefeuille de l'instruction publique fut remis à Villemain. Rien de marquant n'a signalé ce premier ministère du secrétaire perpétuel de l'Académie française, non plus que celui de Victor Cousin, qui fut grand maître de l’Université dans le second cabinet Thiers (1er mars 1840). Cousin prépara, comme l'avait fait Guizot en 1836, un projet de loi sur la liberté de l'enseignement secondaire : mais il n'eut pas le temps de le faire discuter. Le 29 octobre 1840, Villemain redevenait ministre.

Ce fut pendant les quatre années du second ministère Villemain que la grande querelle sur la liberté de l'enseignement secondaire prit un caractère aigu. La question des « petits séminaires », ou « écoles secondaires ecclésiastiques », servait plus particulièrement de thème aux réclamations de l'Eglise. Villemain rédigea, en 1841, un projet de loi imité de celui que Guizot avait rédigé en 1836 : mais devant les protestations des évêques il le retira. Après deux années encore de luttes passionnées et d'ardentes polémiques, le gouvernement crut devoir faire des concessions : le 2 février 1844, Villemain présenta à la Chambre des pairs un nouveau projet, où la question des petits séminaires, cette fois, était tranchée en faveur de l'Eglise. Les libéraux reprochèrent avec indignation à Villemain de livrer l'éducation publique aux congrégations ; et à la Chambre des pairs, Cousin, dans un discours célèbre, prit la défense de l'Université (22 avril 1844), en montrant où tendaient les desseins de l'Eglise : « Dès l'enfance nous apprendrions à nous enfermer dans des camps différents, des prêtres à notre tête». La loi n'en fut pas moins votée par les pairs : mais le parti catholique la trouvait insuffisante. Portée ensuite à la Chambre des députés, elle y fut l'objet d'un rapport de Thiers (13 juillet 1844)" : sur la question des petits séminaires, la Commission de la Chambre des députés refusa d'accepter le projet ministériel, et déclara vouloir rester sur le terrain des ordonnances de 1828.

Villemain, atteint d'une maladie mentale, dut abandonner le ministère à la fin de 1844. Après un intérim rempli par le jurisconsulte Dumon, le comte de Salvandy fut pour la seconde fois appelé au ministère de l'instruction publique (1er février 1845).

Salvandy fit rendre deux ordonnances (7 décembre 1845), dont la première restituait au Conseil royal de l'instruction publique son ancien titre de Conseil de l'Université, et le reconstituait sur les bases établies par le décret du 17 mars 1808 (Voir le texte de cette ordonnance à l'article Université de France) : le ministre aurait voulu diminuer ainsi la puissance de ce « Conseil des Huit » qui gouvernait souverainement l'Université, et reprendre pour lui-même l'autorité ; la seconde ordonnance réorganisait les Conseils académiques. L'année suivante, une ordonnance créa deux postes d'inspecteurs supérieurs de l'instruction primaire (9 novembre 1846).

Le 21 février 1846, Odilon Barrot et Thiers, à la Chambre des députés, demandèrent que le projet sur l'enseignement secondaire (de 1844) fût mis à l'ordre du jour ; le gouvernement répondit que la question ne pouvait être reprise dans la quatrième année d'une législature, et le chef du cabinet, Guizot, promit de présenter un nouveau projet au moment qui lui paraîtrait opportun. Les élections générales qui eurent lieu la même année fortifièrent le parti conservateur, et le 12 avril 1847 le comte de Salvandy présenta à la Chambre des députés un projet nouveau sur la liberté d'enseignement en matière d'instruction secondaire. Sur la question des petits séminaires, le ministre faisait une concession au clergé : les élèves des petits séminaires pouvaient, sous certaines conditions, recevoir le certificat d'études qui permettait de se présenter à l'examen du baccalauréat. Un titre du projet instituait, pour traiter des questions générales de l'enseignement, et de celles qui concernaient l'enseignement particulier, un Grand Conseil de l'instruction publique, composé du Conseil royal de l'Université et de douze conseillers libres nommés par le roi. Ce projet, auquel la Commission de la Chambre fit subir quelques modifications, fut l'objet d'un rapport du député Liadières (11 août 1847) ; mais il n'aboutit pas.

Le même jour, 12 avril 1847, le ministre avait présenté à la Chambre des députés un projet de loi sur l'instruction primaire, annoncé déjà l'année précédente. Tout en maintenant dans ses grandes lignes la loi de 1833, ce projet élevait le chiffre des traitements des instituteurs, et créait en leur faveur une caisse de retraites au moyen d'une retenue du vingtième sur leur traitement ; mais l'exécution des promesses faites par la loi était ajournée au moment où la situation du budget permettrait de lui demander les ressources nécessaires. L'année 1847 s'acheva sans que le projet vînt en discussion. Il fut mis à l'ordre du jour pour la séance du 24 février 1848. Mais les temps étaient révolus, le régime de la bourgeoisie censitaire allait faire place à celui du suffrage universel, qui devait, on le sait, se montrer, pendant vingt années, plus rétrograde que celui de la monarchie de Juillet.