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Livres scolaires

Nous divisons cet article en quatre sections : 1° les livres élémentaires de la première République, jusqu'à l'an X : 2° de la loi du 11 floréal an X à la loi du 15 mars 1850 ; 3° de la loi du 15 mars 1850 à la troisième République ; 4° de 1870 à l'heure actuelle.

1. Les livres élémentaires de la première République.

Lorsque les hommes de la Révolution entreprirent de créer un système national d'instruction publique, une de leurs principales préoccupations fut la rédaction de livres élémentaires destinés à mettre à la portée des élèves des écoles primaires et secondaires, ainsi que des citoyens désireux de s'instruire, les connaissances indispensables à tous les hommes.

I

Le plan de Talleyrand, présenté à la Constituante, s'exprimait à ce sujet de la manière suivante :

« Pour réaliser les espérances qui s'ouvrent devant nous, pour que tant de moyens indiqués ne restent point de vains projets de l'esprit, il faut qu'ils se produisent et se manifestent dans l'ordre que sollicitent les besoins de l'homme, et sous un jour qui l'éclaire par degrés ; il faut que le talent, s'emparant des découvertes du génie, les rende accessibles à tous, qu'il aspire, non à détruire toutes difficultés, car l'esprit humain a besoin de vaincre pour s'instruire, mais à ne laisser subsister que celles qui demandent de l'attention pour être vaincues ; il faut, en un mot, que des livres élémentaires, clairs, précis, méthodiques, répandus avec profusion, rendent universellement familières toutes les vérités, et épargnent d'inutiles efforts pour les apprendre. De tels livres sont de grands bienfaits : la nation ne peut ni trop les encourager, ni trop les récompenser. »

En conséquence, l'article 9 du titre Ier (Ecoles primaires) du projet du Comité de constitution disait : « Il sera ouvert un concours pour le meilleur ouvrage nécessaire aux écoles primaires. Les auteurs qui voudront concourir adresseront leur ouvrage aux commissaires de l'instruction publique, qui le feront passer à l'Institut national. D'après le jugement motivé de l'Institut, les commissaires de l'instruction publique feront leur rapport à l'Assemblée nationale, qui prononcera sur l'envoi de l'ouvrage aux départements. » Et l'article 12 du titre II (Ecoles de district) ajoutait : « Il sera aussi composé des ouvrages élémentaires sur toutes les parties de l'enseignement des écoles de district. Les auteurs qui voudront concourir adresseront leurs ouvrages aux commissaires de l'instruction publique, qui suivront la marche indiquée à l'article des écoles primaires. »

Condorcet, dans son rapport à la Législative, écrivait :

« On fera composer pour les hommes, et même pour les enfants, des livres faits pour eux qu'ils pourraient lire sans fatigue, et qu'un intérêt soit d'utilité prochaine, soit de plaisir, les engagerait à se procurer. Placez à côté des hommes les plus simples une instruction agréable et facile, surtout une instruction utile, et ils en profiteront. Ce sont les difficultés rebutantes de la plupart des études, c'est la vanité de celles auxquelles le préjugé avait fait donner la préférence, qui éloignait les hommes de l'instruction. Si l'on reproche à ce plan de renfermer une instruction trop étendue, nous pourrons répondre qu'avec des livres élémentaires bien faits et destinés à être mis entre les mains des enfants, avec le soin de donner aux maîtres des ouvrages composés pour eux, où ils puissent s'instruire de la manière de développer les principes, de se proportionner à l'intelligence des élèves, de leur rendre le travail plus facile, on n'aura point à craindre que l'étendue de cet enseignement excède les bornes de la capacité ordinaire des enfants. Il existe d'ailleurs des moyens de simplifier les méthodes, de mettre les vérités à la portée des esprits les moins exercés ; et c'est d'après la connaissance de ces moyens, d'après l'expérience, qu'a été tracé le tableau des connaissances élémentaires qu'il était nécessaire de présenter à tous les hommes, qu'il leur était possible d'acquérir. »

Et plus loin, à propos de l'enseignement d'un ordre plus élevé qui devait se donner dans les « instituts » (collèges) :

« Dans les écoles primaires et secondaires, les livres élémentaires seront le résultat d'un concours ouvert à tous les citoyens, à tous les hommes qui seront jaloux de contribuer à l'instruction publique ; mais on désignera les auteurs des livres élémentaires pour les instituts. L'étendue des livres élémentaires destinés aux instituts, le désir de voir des hommes célèbres consentir à s'en charger, le peu d'espérance qu'ils le voulussent s'ils n'étaient pas sûrs que leur travail fût adopté, la difficulté de juger, tous ces motifs nous ont déterminés à ne pas étendre à ces éléments la méthode d'un concours. Nous nous sommes dit : toutes les fois qu'un homme justement célèbre dans un genre de science quelconque voudra faire pour cette science un livre élémentaire, qu'il regardera ce travail comme une marque de son zèle pour l'instruction publique, pour le progrès des lumières, cet ouvrage sera bon. C'est un homme célèbre en Europe qu'il faut entendre ici ; et dès lors on n'a pas à craindre de se tromper sur le choix. Si au contraire on propose un concours, qui répondra d'obtenir un bon livre élémentaire? Comment prononcer entre dix ouvrages, par exemple, dont chacun serait un cours élémentaire de mathématiques ou de physique en deux volumes? Est-on bien sûr que les juges se dévouent à l'ennui de cet examen? Est-on bien sûr qu'il leur soit même possible de bien juger? Quelques vues philosophiques, quelques idées fines, ingénieuses, qu'ils remarqueront dans un ouvrage, ne feront-elles point pencher la balance en sa faveur, aux dépens de la méthode ou de la clarté? »

Quant à l'enseignement supérieur, qui se donnera dans les lycées (universités), il doit être affranchi de toute censure, ne relever d'aucune orthodoxie, et n'être point enfermé par conséquent dans les limites que pourrait lui assigner un manuel rédigé d'avance :

«On ne prescrira rien aux professeurs du lycée, sinon d'enseigner la science dont les cours qu'ils seront chargés de donner porteront le nom. Dans les trois premiers degrés d'instruction on n'enseigne que des éléments plus ou moins étendus : il est pour chaque science, pour chacune de ses divisions, une limite qu'il ne faut point passer. Il faut donc que la puissance publique indique les livres qu'il convient d'enseigner ; mais dans les lycées, où la science doit s'enseigner tout entière, c'est au professeur à choisir les méthodes. Il en résulte un avantage inappréciable : c'est d'empêcher l'instruction de jamais se corrompre ; c'est d'être sûr que si, par une combinaison de circonstances politiques, les livres élémentaires ont été infectés de doctrines dangereuses, l'enseignement libre des lycées empêchera les effets de cette corruption ; c'est de n'avoir pas à craindre que jamais le langage de la vérité puisse être étouffé. »

Trois articles du projet de décret annexé au rapport de Condorcet sont relatifs à la composition des livres élémentaires destinés aux écoles primaires, aux citoyens qui se bornent au premier degré d'instruction, et aux écoles secondaires. En voici le texte :

« On fera composer incessamment les livres élémentaires qui devront être enseignés dans les écoles primaires. Ces livres seront rédigés d'après la meilleure méthode d'enseignement que les progrès actuels des sciences nous indiquent, et d'après les principes de liberté, d'égalité, de pureté dans les moeurs, et de dévouement à la chose publique, consacrés par la constitution.

« Outre ces livres pour les enfants, il en sera fait d'autres qui serviront à guider les instituteurs. Ceux-ci contiendront des principes sur la méthode d'enseigner, de former les jeunes gens aux vertus civiques et morales ; des explications et des développements des objets contenus dans les livres élémentaires de l'école.

« Il y aura quelque différence entre les livres à l'usage des campagnes et ceux à l'usage des bourgs et villes, différence qui se rapportera à celle de l'enseignement. » (Titre II, art. 5.)

« Il sera composé, pour les citoyens des campagnes et ceux des villes qui se borneront au premier degré d'instruction, des livres de lecture. Ces ouvrages, différents pour les âges et les sexes, rappelleront à chacun ses droits et ses devoirs, ainsi que les connaissances nécessaires à la place qu'il occupe dans la société. » (Ibid., art. 8.)

« Les livres élémentaires composés pour les écoles secondaires seront partagés en trois divisions, correspondantes à celles de l'enseignement. » (Titre III, art. 4.)

Voilà donc les principes nettement posés : nécessité, si l'on veut « rendre universellement familières toutes les vérités », de présenter les connaissances indispensables à tous dans des livres élémentaires, clairs, précis, méthodiques ; devoir pour la puissance publique de faire composer ces livres, et droit pour elle de désigner ceux dont elle aura fait choix ; enfin, pour prévenir une corruption possible de l'instruction, garantie assurée à la libre recherche scientifique dans l'enseignement supérieur, de sorte que « jamais le langage de la vérité ne puisse être étouffé ».

II

Lorsque la Convention, à son tour, aborda la discussion du problème de l'éducation nationale, son Comité d'instruction publique lui présenta un projet de décret sur les écoles primaires (distribué le 23 novembre 1792), dont les dispositions étaient empruntées au plan de Condorcet, et où se trouvaient entre autres textuellement reproduits les articles 5 et 8 du titre II de ce plan, relatifs aux livres élémentaires. Cette question des livres fil l'objet d'un rapport spécial, dû à Arbogast, et distribué à la Convention le 5 décembre. Ainsi que l'avait proposé Condorcet, Arbogast, au nom du Comité d'instruction publique, demandait que la Convention chargeât directement les hommes les plus éclairés de la composition des ouvrages destinés aux instituts, et qu'un concours fût ouvert pour la rédaction des livres destinés aux écoles primaires et secondaires, concours auquel les étrangers même seraient invités à prendre part.

Après le 31 mai, le Comité d'instruction publique abandonna le vaste plan de Condorcet et résolut de restreindre le système d'éducation nationale à l'organisation d'un seul degré d'instruction. Il renonça par conséquent à la rédaction d'ouvrages appropriés à un degré plus élevé, et proposa, le 13 juin 1793, par l'organe de Lakanal, un décret ouvrant un concours pour la composition de livres élémentaires destinés à l'enseignement national, et chargeant le Comité d'instruction publique de nommer une commission d'hommes éclairés pour juger, entre les ouvrages qui seraient envoyés ceux qui mériteraient la préférence. La commission devait arrêter, de concert avec le Comité d'instruction, le plan des ouvrages élémentaires à composer ; les programmes devaient être rendus publics, et les citoyens français et les étrangers seraient invités à concourir à la composition de ce livres. Ce décret n'eut pas de suite, le projet d'écoles que présenta le Comité le 26 juin ayant été écarté.

Le plan de Lepeletier, lu à la Convention par Robespierre au nom de la Commission des Six dans la séance du 13 juillet, contenait les dispositions suivantes au sujet des livres :

« Livres élémentaires à composer.

« 1° Méthode pour apprendre aux enfants à lire, à écrire, à compter, et pour leur donner les notions les plus nécessaires de l'arpentage et du mesurage ; « 2° Principes sommaires de la constitution, de la morale, de l'économie domestique et rurale ; récit des faits les plus remarquables de l'histoire des peuples libres et de la Révolution française : le tout divisé par leçons propres à exercer la mémoire des enfants et à développer en eux le germe des vertus civiles et des sentiments républicains ;

« 3° Règlement général de discipline, pour être observé dans toutes les maisons d'éducation nationale ;

« 4° Instruction à l'usage des instituteurs et institutrices, de leurs obligations, des soins physiques qu'ils doivent prendre des enfants qui leur sont confiés, et des moyens moraux qu'ils doivent employer pour étouffer en eux le germe des défauts et des vices, développer celui des vertus et découvrir celui des talents.

« Le Comité d'instruction publique spécifiera par un programme l'objet de ces différents ouvrages.

« Tous les citoyens sont invités à concourir à la rédaction de ces livres élémentaires, et à adresser leurs travaux au Comité d'instruction publique.

« L'auteur de chacun de ces livres élémentaires qui aura été jugé le meilleur et adopté par la Convention aura bien mérité de la patrie, et recevra une récompense de 40 000 livres. »

Le 30 août, le Comité d'instruction publique propose une liste de vingt-six hommes de lettres ou savants qui doivent former la commission chargée de l'examen des livres élémentaires. La liste est imprimée, et le 11 septembre la Convention la renvoie à sa Commission des Six, chargée du plan d'éducation.

Le 1er octobre, au nom de la Commission d'éducation nationale, Romme présente à l'assemblée un projet de décret dont l'article 12 disait : « La Commission d'éducation nationale et le Comité d'instruction publique, réunis, sont chargés de faire les programmes qui doivent ouvrir les concours pour la composition des ouvrages nécessaires aux écoles nationales. Ils pourront s'adjoindre des coopérateurs pris dans la Convention ou hors son sein, afin d'accélérer ce travail important et très urgent. Les programmes seront conformes au premier tableau annexé au présent décret, et envoyés aux corps administratifs, aux sociétés populaires et aux sociétés libres des arts. »

Le 30 du premier mois, la Convention adopte un décret sur les premières écoles, dont l'article 8, reproduisant en d'autres termes le contenu de l'art. 12 du projet du 1" octobre, est ainsi conçu : « Le Comité d'instruction publique [auquel la Commission d'éducation nationale avait été réunie] est chargé de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire composer promptement les livres élémentaires propres aux premières écoles ». Deux jours auparavant, la Convention avait écarté le plan de Lepeletier relatif à l'éducation commune.

Dans le décret du 29 frimaire an II (décret Bouquier), la question des livres fut réglée par les dispositions suivantes de la section III :

« La Convention nationale charge son Comité d'instruction publique de lui présenter les livres élémentaires des connaissances absolument nécessaires pour former les citoyens, et déclare que les premiers de ces livres sont les droits de l'homme, la constitution, le tableau des actions héroïques et vertueuses. » (Art. 1er )

« Les citoyens et citoyennes qui se borneront à enseigner à lire, à écrire, et les premières règles de l'arithmétique, seront tenus de se conformer, dans leur enseignement, aux livres élémentaires adoptés et publiés à cet effet par la représentation nationale. » (Art. 2.)

Ces articles distinguent deux catégories de livres à l'usage des écoles :Tes uns sont destinés à l'enseignement proprement dit des connaissances élémentaires, lecture, écriture, calcul ; ils n'existent pas encore, et le Comité d'instruction publique est chargé de les faire composer ; les autres doivent former la base de l'instruction civile et morale, et le décret prend soin de les désigner expressément : ce sont les « droits de l'homme », la « constitution », et le « tableau des actions héroïques et vertueuses ».

Rien de plus naturel que le désir de faire connaître aux écoliers le texte de la Déclaration des droits de l'homme et de la constitution. Mais qu'était-ce que ce « tableau des actions héroïques et vertueuses », dont le décret parle comme d'un ouvrage existant? Nous allons le voir.

III

Le 19 septembre 1793, à l'occasion de la mort héroïque de huit républicains guillotinés à Marseille, la Convention, sur la proposition de Léonard Bourdon, décréta que « le Comité d'instruction publique prendrait les mesures nécessaires pour recueillir les traits de patriotisme héroïque qui caractérisent les Français républicains, afin qu'aucun d'eux ne soit perdu pour l'Instruction de la jeunesse ». Le 25 septembre, autre décret rendu sur le rapport de Thuriot, et portant que « le Comité d'instruction publique fera chaque jour imprimer une feuille qui présentera à la nation les traits héroïques des Français qui sont sous les drapeaux de la Liberté, et les vertus morales qui servent de bases aux Républiques vraiment démocratiques ».

Le Comité proposa le 28 septembre, par l'organe de Grégoire, de fondre en un seul les deux ouvrages décrétés : il offrait de recueillir les traits de vertu et d'héroïsme, et de présenter chaque mois à la Convention un travail sur cet objet : « la Convention nationale consacrerait une heure, dans une séance du soir, pour en entendre la lecture ; car l'ouvrage doit être revêtu de son approbation ; l'impression donnerait ensuite à ce recueil la plus grande publicité, et le but moral serait atteint ». Le Comité proposait d'appeler ce recueil périodique les Annales du civisme. La Convention approuva, et rendit ce décret : « La Convention nationale autorise le Comité d'instruction publique à correspondre avec les armées, les autorités constituées et les sociétés populaires, pour recueillir les traits de vertu qui honorent le plus l'humanité. Ces traits seront présentés avec la simplicité qui leur est propre et sans ornement. Le Comité les publiera à mesure que la correspondance lui en fournira les moyens, et par numéros, afin de pouvoir en former un recueil, dans l'esprit du décret du 25 de ce mois. » Le 17 du premier mois, le Comité adopta le texte d'un appel qui fut imprimé : il s'adressait « à tous les citoyens français, et particulièrement aux corps constitués, aux bataillons, et aux sociétés populaires » ; il les invitait « à recueillir les traits qui méritent le plus d'être transmis en exemple », et annonçait que le Comité les publierait en numéros périodiques sous le titre d'Actions vertueuses des citoyens français . « ce recueil sera le premier livre à mettre sous les yeux des enfants de la patrie ; il offrira en même temps des matériaux à l'histoire ».

Le 11 brumaire, le Comité nomma trois membres pour rédiger ce que son procès-verbal appelle la « Feuille morale » : Daoust, Grégoire et Basire ; ce dernier fut remplacé le 13 frimaire par Thomas Lindet. Un projet de premier numéro de cette feuille périodique, portant le titre de Recueil des traits héroïques et civiques, fut lu à la Convention par Grégoire le 18 frimaire ; l'assemblée ne fut pas satisfaite, et renvoya le numéro au Comité pour qu'il lui présentât un nouvel essai, en l'invitant « à se renfermer dans le narré simple des faits ». Nous ne connaissons pas le texte de ce premier projet, qui n'a pas été imprimé : il est probable que la rédaction rejetée par la Convention péchait par l'enflure et le mauvais goût, défauts dont Grégoire était coutumier.

Le 26 frimaire, au nom du Comité, Léonard Bourdon lut un rapport et un autre projet de premier numéro: il était intitulé Annales du civisme et de la vertu.

Romme critiqua la rédaction, qu'il trouvait trop froide, tandis qu'il avait trouvé celle de Grégoire trop pompeuse. Sur la proposition de Laloy, la Convention décréta que ce numéro serait imprimé à titre d'essai, afin que chaque représentant pût faire ensuite ses observations.

Le 13 nivôse, l'impression ayant été faite, Léonard Bourdon demanda à l'assemblée de se prononcer. L'adoption du numéro fut votée sans que rien fût changé à la rédaction : les vingt paragraphes qui composent le numéro d'essai sont reproduits mot pour mot dans le numéro définitif. Seulement le titre d'Annales du civisme et de la vertu fut remplacé par celui de Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français. Le décret suivant fut rendu : « La Convention nationale décrète que les numéros du Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français seront envoyés en placards et en cahiers aux municipalités, aux armées, aux sociétés populaires et à toutes les écoles de la République ; qu'ils seront lus publiquement les jours de décade, et que les instituteurs seront tenus de les faire apprendre à leurs élèves ».

Ce fut le 27 nivôse seulement que le Comité décida quel serait le chiffre du tirage : il fut fixé à quatre-vingt mille exemplaires en cahiers et vingt mille en placards. Le premier numéro parut avec la date du 10 nivôse an II. Ce numéro, formant une brochure de 24 pages (une autre édition n'a que 20 pages), contient le rapport de Léonard Bourdon ; le décret du 13 nivôse (avec la date du 10), dans lequel un mot a été changé (tandis que le texte officiel dit que les instituteurs seront tenus de faire apprendre à leurs élèves les numéros du Recueil, la version imprimée par les soins du Comité d'instruction publique dit seulement que les instituteurs seront tenus de les faire lire à leurs élèves) ; puis viennent 19 pages contenant les vingt paragraphes du numéro, dont chacun consiste en une petite histoire, d'une étendue de cinq à quarante lignes. Le récit de la mort de Joseph Bara forme le paragraphe 18.

Le rapport de Léonard Bourdon disait :

« Chargé par votre Comité d'instruction publique de la rédaction de ce recueil, je ne me suis déguisé ni la difficulté d'un pareil travail, ni l'étendue des obligations qu'il m'imposait, ni les talents qu'il aurait fallu pour être à sa hauteur. Cet ouvrage, destiné, d'après vos décrets, à être lu dans les assemblées populaires, les jours de décade, et dans les écoles publiques, doit avoir le mérite que l'on désire dans les livres élémentaires, vulgairement appelés classiques ; il doit présenter un bon modèle de narration : le rédacteur doit entièrement disparaître, l'acteur seul doit être vu. Toutes réflexions doivent être bannies ; les traits cités doivent être assez bien choisis pour se louer eux-mêmes. Aucun terme hyperbolique, aucune expression triviale ou ampoulée ne doivent défigurer un style dont la pureté, la simplicité et le choix des mots propres sont les qualités principales.

« . Voici la marche que nous avons suivie. Chaque numéro contiendra d'abord un récit des premiers événements de la révolution ; les différents traits d'héroïsme et de civisme seront variés de manière à éviter l'uniformité : tantôt ce sera un trait de désintéressement ; une action héroïque lui succédera, et sera suivie d'un sentiment de piété filiale. »

La reproduction du décret de la Convention est accompagnée de la note suivante :

« L'intention de la Convention nationale, en décrétant l'envoi de ce Recueil à toutes les écoles de la République, a été de donner à tous les jeunes citoyens un livre élémentaire de morale, qui, substitué aux catéchismes, aux livres bleus dont on obscurcissait leur imagination, et avec le secours desquels on les préparait à l'esclavage, en les éloignant de la vérité, pût leur inspirer une généreuse émulation, et les enflammer du désir d'imiter les vertus des fondateurs de la République.

« Les instituteurs rendront ce Recueil encore plus utile à leurs élèves si, en le leur faisant lire, ils leur donnent quelques explications, soit sur la signification des mots, soit sur la position des lieux ; et s'ils les mettent à portée de discourir entre eux sur le degré d'estime que chacun croira devoir accorder à chaque trait. »

Trois autres numéros parurent successivement sous la direction de Léonard Bourdon. Ces trois numéros sont composés de 28 pages, et chacun d'eux s'ouvre et se ferme par une chanson patriotique.

Le numéro 2, qui porte la date du 1er ventôse an II, débute par une chanson sur le Salpêtre ; puis viennent les traits d'héroïsme et de civisme, au nombre de vingt-huit, accompagnés d'une chanson intitulée l'Autel de la Patrie, sur l'air « Du serin qui te fait envie ».

Le numéro 3, du 17 germinal an II, reproduit le décret de la Convention du 10 (13) nivôse, ainsi qu'un arrêté du Comité de salut public du 28 pluviôse, que voici :

« Le Comité de salut public arrête qu'il sera tiré 150 000 exemplaires de chaque numéro du Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français, présenté à la Convention nationale au nom du Comité d'instruction publique. Les administrateurs de département sont autorisés à le faire réimprimer selon le besoin des administrés. — Signé au registre : B. Barère, C.-A. Prieur, Carnot, Robespierre, Saint-Just, Jeanbon Saint-André, Collot d'Herbois, R. Lindet, Couthon et Billaud-Varenne. Pour extrait : R. Lindet. »

Ce numéro contient vingt-neuf paragraphes. Les deux chansons sont intitulées : « La Montagne, chant patriotique sur l'air de la Croisée », et« Chant funèbre d'une mère sur le tombeau de son fils mort pour la liberté, sur l'air de Pauvre Jacques ».

Le numéro 4, daté de floréal an II, contient trente-trois paragraphes. La première chanson a pour titre « Stances contre l'athéisme, sur l'air «de Je ne suis plus dans l'âge heureux ». C'était de la poésie de circonstance, au moment où Robespierre allait faire célébrer la fête de l'Etre-suprême. La seconde s'intitule « Chanson guerrière, sur l'air de Aussitôt que la lumière ».

Le 23 floréal, le Comité enleva la rédaction du Recueil, à Léonard Bourdon, et en chargea Thibaudeau. On avait reproché aux quatre premiers numéros de ne présenter qu'une suite de faits décousus ; le nouveau rédacteur se proposait « de grouper les actes de vertu qui appartiennent à une armée, à une expédition, à une bataille, à un siège, et de les présenter avec un tableau précis et rapide des circonstances qui les ont précédés et suivis ». Il écrivit au Comité de salut public, le 3 prairial, une lettre pour lui expliquer que le Comité d'instruction aurait besoin d'un extrait des correspondances des représentants du peuple et des généraux, et l'inviter « à vouloir bien charger quelqu'un de ses employés de faire ces extraits depuis l'ouverture de la campagne de cette année et d'en transmettre exactement les résultats à la section des Annales du civisme, en commençant par les armées des Alpes et d'Italie, dont les succès rapides feront la matière du premier numéro des Annales qui paraîtra ». Il commença la rédaction d'un numéro, dont il existe aux Archives nationales deux morceaux manuscrits, inachevés ; le premier est intitulé Armée d'Italie ; Thibaudeau y dit : « Cette armée a la première mis la victoire à l'ordre du jour depuis l'ouverture de la campagne ; elle mérite une honorable priorité dans les Annales » ; le second a pour titre Armée des Alpes. Le 16 prairial, dans une lettre à. Barère, Thibaudeau réitéra la demande « qu'un employé fût désigné pour relever dans la correspondance des représentants les, actions héroïques des défenseurs de la patrie ». C'est sur les armées du Rhin et de la Moselle, à ce qu'il parait, qu'il fut le plus aisé de réunir promptement un nombre suffisant de renseignements ; le travail qui les concernait se trouva donc achevé le premier, et, en conséquence, fut présenté, le 13 messidor, précédé d'un rapport, à la Convention, qui l'adopta, pour former le n° 5. Ce numéro ne porte pas de date de mois : il est intitulé : « N° V. Armées du Rhin et de la Moselle, campagne d'hiver ; l'an deuxième de la République française, une et indivisible » (34 pages ; deux autres éditions ont 30 et 20 pages).

Thibaudeau avait annoncé, le 13 messidor, que chaque armée aurait le recueil de ses actions héroïques, et il célébrait spécialement, dans son rapport, l'armée d'Italie, comme « donnant la plus haute idées des vertus des défenseurs de la République », et l'armée des Alpes, qui avait osé « planter l'étendard de la République sur des monts inaccessibles ». Mais un autre groupe d'armées venait de remporter d'éclatantes victoires : celle du Nord sous Pichegru, celle des Ardennes réunie à celle de la Moselle (réunion qui forma l'armée de Sambre-et-Meuse) sous Jourdan ; Thibaudeau se hâta d'en faire l'objet d'un autre numéro. On conserve aux Archives nationales le manuscrit d'un n° 6 du Recueil des actions héroïques et civiques, renfermé dans une chemise portant ces mots : « Armée du Nord, des Ardennes ».

Le n° 5 fut cependant le dernier qui vit le jour : le n° 6, tout prêt pour l'impression, ainsi que les fragments destinés au numéro qui devait parler des armées des Alpes et d'Italie, ne furent pas publiés : ils n'ont été imprimés qu'en 1900, dans la Revue pédagogique (numéros de mars, juin et août). La raison qui condamna ces deux numéros à ne pas sortir des cartons où nous les avons retrouvés est facile à deviner : les exploits de l'armée de Sambre-et-Meuse étaient associes au souvenir de Saint-Just, et ceux de l'armée d'Italie au souvenir d'Augustin Robespierre ; et après le 9 thermidor, c'étaient là des noms qu'il n'était plus permis de prononcer que pour les maudire.

IV

Revenons aux livres élémentaires proprement dits.

En exécution de l'article 1" de la section III du décret du 29 frimaire an II, Grégoire, au nom du Comité d'instruction publique, vint lire, le 3 pluviôse an II, un Rapport sur l'ouverture d'un concours pour les livres élémentaires de la première éducation, qu'accompagnait un projet de décret ainsi conçu :

« ARTICLE PREMIER. — Un concours est ouvert jusqu'au 1" messidor prochain, pour des ouvrages sur les objets suivants :

« 1° Instruction sur la conservation des enfants, depuis la grossesse inclusivement, et sur leur éducation physique et morale, depuis la naissance jusqu'à l'époque de leur entrée dans les écoles nationales ;

« 2° Instructions pour les instituteurs nationaux sur l'éducation physique et morale des enfants ;

« 3° Méthodes pour apprendre à lire et à écrire : ces deux objets traités ensemble ou séparément ;

« 4° Notions sur la grammaire française ;

« 5° Instructions sur les premières règles de l'arithmétique et de la géographie pratique. « Des instructions sur les nouvelles mesures, et leurs rapports avec les anciennes les plus généralement répandues, entreront dans les livres élémentaires d'arithmétique qui seront composés pour les écoles nationales » (Décret du 1er août dernier) ;

« 6° Notions sur la géographie ;

« 7° Instructions sur les principaux phénomènes et sur les productions les plus usuelles de la nature ;

« 8° Instructions élémentaires sur la morale républicaine.

« ART. 2. — Les auteurs adresseront leurs ouvrages à la Convention nationale, et ne se feront connaître qu'après le jugement.

«ART. 3. — Des récompenses nationales seront décernées aux auteurs des ouvrages qui auront été jugés les meilleurs.

« ART. 4. — Le Comité d'instruction publique présentera un rapport sur l'organisation d'un jury destiné à juger du mérite des ouvrages envoyés au concours, et sur les récompenses à décerner. »

Ce décret, qui fut adopté le 9 pluviôse, demande quelques explications. Certains auteurs se sont scandalisés que la Convention ait mis au concours la composition d'un ouvrage sur les soins à donner aux enfants « depuis la grossesse inclusivement » : et M. Albert Duruy (L'instruction publique et la Révolution, pages 171-172), après avoir cité un passage du livre composé sur ce sujet par le chirurgien Saucerotte, plus tard membre de l’Institut, livre qui contient des détails techniques d'un caractère tout spécial, s'écrie : « Tels étaient les livres de classe et de lecture que la Convention avait mis entre les mains des enfants. Il était parfaitement grotesque de placer un semblable livre clans les bibliothèques scolaires. » Or, il est évident que, sur les huit ouvrages dont la composition est mise au concours par le décret du 9 pluviôse, les six derniers seulement sont destinés aux écoliers. Le premier, ainsi que le rapport de Grégoire l'indique expressément, doit s'adresser « aux pères, aux mères et aux nourrices », comme le second s'adresse aux instituteurs. Dès lors, qu'y a-t-il de répréhensible dans le programme tracé par Grégoire pour ce premier livre élémentaire, qui devait donner aux parents des préceptes d'hygiène et leur faire connaître « les méthodes les plus propres à conserver l'enfant en développant sa croissance et ses forces » ?

Le délai accordé pour la composition des ouvrages mis au concours était de quatre mois à peine. Néanmoins le nombre des manuscrits envoyés au Comité d'instruction publique fut considérable. Le 18 messidor, Thibaudeau, au nom du Comité, vint annoncer ce résultat, et proposa de procéder à la nomination du jury prévu par l'article 4 du décret. Furent désignés pour en faire partie : Lagrange, Daubenton, Lebrun, Monge, Richard, Garat, Thouin, Prony, Serieys, Hallé, Corvisart, Desorgues, Vandermonde et Buache.

Le jury se mit à l'oeuvre, et se donna pour l'ordre de son travail un règlement que le Comité approuva le 25 thermidor ; et, comme on espérait recevoir encore d'autres ouvrages, la Convention, par un décret du 19 fructidor, prorogea le concours jusqu'au 1er nivôse an III.

Mais le 26 fructidor, dans un rapport à la Convention, Lakanal fit cette déclaration : « Les colonnes qui doivent supporter l'édifice de l'instruction publique sont les livres élémentaires : ceux qui doivent servir aux écoles primaires vont être publiés ». C'est que maintenant on songeait, au Comité, sans plus tenir compte des ouvrages envoyés au concours, à charger directement un certain nombre de savants et d'hommes de lettres — qui seraient les professeurs de l'Ecole normale à ouvrir à Paris — de la rédaction des livres élémentaires. Cette idée prit corps dans un arrêté du 1er brumaire an III : le Comité, « considérant que les ouvrages envoyés au concours ne répondaient pas aux vues de la Convention nationale », désigna nominativement dix écrivains, auxquels deux autres furent adjoints quelques jours plus tard, pour « composer les livres élémentaires nécessaires à l'enseignement dans les écoles primaires » ; ce furent : Bernardin de Saint-Pierre, morale républicaine: Lagrange et Legendre, calcul et géométrie ; Garat, histoire ; Mentelle, géographie ; Sicard, lecture et écriture ; Pougens, grammaire ; Daubenton, histoire naturelle ; Volney, explication des droits de l'homme et de la constitution ; Monge, description et usage des instruments de l'industrie de l'homme ; R.-J. Haüy, principaux phénomènes de la nature ; Dubois, éléments d'agriculture. Dans le rapport qu'il présenta le 7 brumaire à l'appui d'un nouveau projet de décret sur les écoles primaires, Lakanal dit que les auteurs des ouvrages précédemment envoyés au concours « avaient généralement confondu deux objets très différents, des élémentaires avec des abrégés. Resserrer, coarcter un long ouvrage, c'est l'abréger ; présenter les premiers germes et en quelque sorte la matrice d'une science, c'est l'élémenter : ainsi l'abrégé, c'est précisément le contraire de l'élémentaire » ; puis il ajoutait : « Quoi qu'il en soit, la nation ne sera pas longtemps frustrée du grand bienfait des livres élémentaires ; le Comité a pris toutes les mesures pour en assurer la prompte publication : il a interrogé le génie ; sa réponse sera prompte et digne de vous et de lui ».

Les écrivains désignés par l'arrêté du 1er brumaire furent en effet, Pougens excepté, nommés professeurs à l'Ecole normale, et avec eux Buache, Laplace, Berthollet, La Harpe, Vandermonde, et l'on put croire que la promesse solennellement faite par Lakanal en leur nom allait être tenue. Mais il fallut bientôt en rabattre. Aucun des professeurs de l'Ecole n'écrivit le livre élémentaire qu'on attendait de lui, excepté Sicard, et encore celui-ci réclama-t-il ensuite son manuscrit, qui lui fut rendu. Il fallut alors se résoudre à en revenir au système du concours. Le jury du 18 messidor n'avait pas terminé ses opérations ; la plupart de ses membres avaient déserté leur fonction ; il n'y en avait que six qui eussent travaillé sérieusement : Buache, Lagrange, Hallé, Serieys, Corvisart, Desorgues. Par un arrêté du 28 germinal an III, le Comité adjoignit à ces six membres restants dix membres nouveaux : Lalande, astronome ; Doublet, médecin ; Pasumot, ingénieur géographe ; Sélis, Delisle (de Sales), littérateurs ; Tessier, Dubois, agriculteurs ; Pougens, grammairien ; Desfontaines, naturaliste, et Fontanes, moraliste. Le 7 fructidor, la Convention décréta « qu'à partir de ce jour, il ne serait plus reçu aucun ouvrage pour le concours qui devait être fermé le 1er nivôse dernier » ; le '28 fructidor, une lettre du jury annonça qu'il espérait avoir achevé son examen dans la première ou la seconde décade de vendémiaire an IV : ce ne fut toutefois que le 1er brumaire qu'il présenta son rapport général, le 2 qu'il remit le tableau de classement des ouvrages, et le 3 qu'il fit un rapport sur les indemnités à accorder aux auteurs. Lakanal fut chargé par le Comité de proposer à la Convention un projet de décret sur ces indemnités et sur celles à allouer aux membres du jury : mais le temps manqua pour qu'il pût s'acquitter de ce mandat avant la fin de la session conventionnelle.

La Convention s'était séparée le 4 brumaire an IV : le 14 brumaire, Lakanal montait à la tribune des Cinq-Cents pour présenter enfin un rapport sur ces livres élémentaires si impatiemment attendus, si souvent réclamés. Voici en quels termes il fit l'historique des travaux du jury :

« Le jury des livres élémentaires, et les membres de la Convention nationale chargés de l'importante mission de correspondre avec lui, peuvent enfin vous présenter le résultat de leur travail sur les ouvrages mis au concours par la loi du 9 pluviôse an II de la République.

« Il a fallu au jury, pour justifier votre confiance, heureux présage de celle de la nation, surmonter plus d'un obstacle. La multitude des manuscrits et des livres imprimés qui lui ont été envoyés sur toutes les matières dont se compose renseignement public ; l'étendue de quelques-uns de ces écrits, la nature de quelques autres nécessairement abstraits et compliqués ; tout lui a fait la loi qu'un écrivain judicieux n'impose qu'aux auteurs, et que leurs juges doivent prendre aussi pour eux, de se hâter lentement.

« Tandis que l'impatience des concurrents demandait, non sans quelques murmures, ce que faisait le jury, chacun de ses membres se condamnait, dans la retraite, à lire et à relire des plans déjà lus et relus par d'autres ; à comparer ensemble les différents degrés de mérite des ouvrages jugés dignes d'estime ; à peser les motifs d'exclusion ; à dépister les plagiaires adroits ; à remarquer les emprunteurs malhabiles ; à suivre dans ses détours le charlatanisme tantôt modeste et même humble, tantôt payant d'audace ; à se défendre de faiblesse en faveur d'ouvrages recommandés par l'amitié ou l'engouement ; à étudier de nouveau les anciens livres d'éléments qui ont obtenu le suffrage des nations savantes, et qui, comme ceux d'Aristote, d'Hippocrate et d'Euclide, sans cesse déguisés, falsifiés par les modernes, n'ont pu être encore ni égalés ni détruits.

« Au sortir de leurs studieuses demeures, ils revenaient assidûment discuter leurs opinions en commun, se contredire réciproquement quand il le fallait, faire de bonne grâce le sacrifice de leur amour-propre à la vérité ; la franchise, la concorde, la douce familiarité, fruit de l'intelligence des coeurs, ont toujours présidé à leurs pacifiques débats, et ils n'ont jamais oublié entre eux les antiques lois de l'urbanité française. » '

Pour mettre de l'ordre dans ses travaux, le jury avait réparti en dix classes les ouvrages à examiner, savoir :

Ire CLASSE : Instruction sur l'éducation physique et morale des enfants depuis la grossesse jusqu'à leur entrée dans les écoles primaires ;

IIe CLASSE : Instruction pour les instituteurs nationaux, sur l'éducation physique et morale des enfants dans les écoles nationales ;

IIIe CLASSE : Méthodes pour apprendre à lire et à écrire ;

IVe CLASSE : Eléments de grammaire française ;

Ve CLASSE : Instruction sur les règles d'arithmétique et de géométrie pratique, et sur les nouvelles mesures et leur rapport avec les anciennes ;

VIe CLASSE : Eléments de géographie ;

VIIe CLASSE : Instruction sur les principaux phénomènes et les productions les plus usuelles de la nature ;

VIIIe CLASSE : Eléments de morale républicaine ;

IXe CLASSE : Eléments d'agriculture ;

Xe CLASSE : Mélanges.

Le jury concluait à l'impression, aux frais de l'Etat, de sept ouvrages qui lui avaient paru répondre d'une manière satisfaisante aux besoins de l'enseignement élémentaire, et à la publication d'un huitième ouvrage dans le Journal des Ecoles normales. Les auteurs des sept ouvrages couronnés devaient, en outre, recevoir chacun une récompense de 3000 francs (sauf La Chabeaussière, qui n'obtenait que 2500 francs). Dix-neuf autres ouvrages recevaient une récompense variant de 1500 à 2000 francs, mais n'étaient pas jugés dignes des honneurs de l'impression aux frais de l'Etat. Enfin seize autres n'obtenaient qu'une simple mention.

Les sept ouvrages couronnés étaient :

1° Les Eléments de grammaire française, par Lhomond ;

2° La Grammaire élémentaire et mécanique, par Panckoucke (C'est par une erreur matérielle, rectifiée plus tard dans le rapport de Barbé-Marbois aux Anciens, que le rapport de Lakanal, au lieu de ce titre, donne celui de Grammaire raisonnée à l'usage d'une jeune personne, qui appartient à un autre ouvrage de Panckoucke) ;

3° Des Eléments d'arithmétique avec des observations pour les instituteurs, dont l'auteur n'est pas indiqué (nous verrons tout à l'heure quel débat devait s'élever au sujet de la propriété de cet ouvrage) ;

4° Les Eléments d'histoire naturelle, par Millin ;

5° Les Principes de la morale républicaine, par La Chabeaussière ;

6° Le Portefeuille des enfants, par Duchesne et Le Blond ;

7° L'Art de la natation, par Turquin et Deligny.

Le petit traité dont le jury proposait la publication dans le Journal des Ecoles normales était intitulé Idées sur une nouvelle manière d'enseigner la géographie dans les écoles primaires, par Michel, principal du collège de Douai.

Le rapport de Lakanal fut favorablement accueilli, et, le 28 pluviôse an IV, les Cinq-Cents votèrent une résolution en trois articles, portant que les ouvrages qui, au jugement du jury, devaient servir de livres élémentaires dans les écoles de la République, seraient imprimés à ses frais, distribués aux membres des deux Conseils, et envoyés aux administrations départementales ; que les auteurs des ouvrages couronnés, ou de ceux qui avaient le plus approché du but du concours, recevraient l'indemnité pécuniaire déterminée dans le jugement du jury ; et enfin qu'il serait payé à chaque membre du jury, par le trésor public, une indemnité de mille livres.

Le Conseil des Anciens nomma, pour examiner la résolution des Cinq-Cents, une commission composée de Barbé-Marbois, Baudin, Courtois, Lacuée et Malle-ville. Cette commission, qui présenta son rapport le 30 ventôse par l'organe de Barbé-Marbois, s'était livrée à un nouvel examen des ouvrages distingués par le jury ; et tout en reconnaissant le mérite de plusieurs de ces livres, elle ne jugeait dignes de l'impression aux frais de l'Etat que trois d'entre eux : la Grammaire de Lhomond, les Principes de la morale républicaine par La Chabeaussière, et les Eléments d'arithmétique, que la commission, mal renseignée, attribuait à Condorcet. La constitution ne permettant pas au Conseil des Anciens d'amender les résolutions prises par le Conseil des Cinq-Cents, et lui prescrivant de les adopter ou de les rejeter en bloc, la commission concluait au rejet. Ces conclusions furent combattues, le 11 germinal, par Fourcroy. « N'y aurait-il pas à craindre, dit-il, qu'un refus d'adopter la première résolution qui renferme des encouragements pour les hommes dévoués à l'enseignement, et pour l'enseignement lui-même, ne portât quelque atteinte funeste au succès des écoles dont le besoin est si pressant et la prompte organisation si nécessaire? » La majorité du Conseil des Anciens jugea cette considération déterminante, et, contrairement à l'avis de la commission, elle donna sa sanction à la résolution des Cinq-Cents et la transforma en loi.

V

Nous croyons qu'il n'est pas sans intérêt de décrire brièvement les sept ouvrages qu'un acte législatif venait de revêtir du caractère de livres élémentaires officiellement adoptés pour les écoles primaires de la République. Nous ferons connaître en même temps, pour chacun d'eux, l'appréciation des rapporteurs des deux Conseils.

I. — Les Eléments de grammaire française de Lhomond avaient paru pour la première fois en 1780, et étaient devenus promptement classiques. En leur accordant son suffrage, le jury n'avait fait que confirmer le jugement favorable de l'opinion publique. Lakanal avait dit : « A la tête de tous les ouvrages de cette classe envoyés au concours, le jury a mis les Eléments de grammaire de Lhomond, ouvrage qu'il a jugé singulièrement propre aux écoles primaires ». Barbé-Marbois de son côté disait : « Ce petit ouvrage se recommande assez par lui-même aux yeux des gens qui ont réfléchi sur l'enseignement pratique. Simple dans sa marche et dans son style, l'auteur ne dit que ce qu'il faut pour les enfants, et il le dit ainsi qu'il faut le dire pour leur âge. Ses Eléments ont le cachet précieux d'une longue expérience. Les éditions successives dont ils ont obtenu les honneurs annoncent qu'ils n'ont pas été composés pour le concours, comme le petit nombre de bons ouvrages qu'on y a présentés. Il est difficile en effet, dans un cercle de jours et de mois déterminé, de tracer un bon traité élémentaire, qui doit être le résultat d'une infinité de combinaisons et d'essais sur l'intelligence variée et progressive des différents âges ; il faut avoir le temps d'être court, d'être clair, de s'appuyer sur des faits. » On trouvera à l'article Lhomond une analyse détaillée de ce petit livre. Lhomond avait cédé à l'éditeur Colas, par un traité en date du 2 janvier 1793, 1a propriété de sa Grammaire latine, de sa Grammaire française, du De Viris et de l'Epitome ; le libraire ne jugea pas à propos d'user de la faculté qui lui était accordée de faire réimprimer les Eléments de gram maire française aux frais de l'Etat ; il continua de les publier pour son compte propre. La première édition que nous ayons rencontrée de cet ouvrage après le vote de la loi du 11 germinal an IV est celle qui porte la date de l'an V. En voici le titre : « Elémens de la grammaire françoise, par le citoyen Lhomond, pro fesseur émérite en la ci-devant université de Paris. Dixième édition. Ouvrage qui a mérité le suffrage du Jury des livres élémentaires, et approuvé par le Corps législatif. Prix, dix-huit sols, relié en parchemin. A Paris, chez Colas, libraire, place Sorbonne, n° 412. Année Ve de la République françoise, une et indivisible (1797, vieux style) »: un volume in-12 de 96 pages.

II. — La Grammaire de Panckoucke, couronnée concurremment avec celle de Lhomond, fut imprimée en l'an IV. Le tire de la première édition porte : «Grain-maire élémentaire et mécanique, à l'usage des enfants de 10 à 14 ans, et des écoles primaires, par le citoyen Charles Panckoucke, éditeur de l'Encyclopédie méthodique. A Paris, chez Pougin, imprimeur-libraire, rue des Pères, n° 9 ; chez Plassan, imprimeur-libraire, rue du Cimetière-André-des-Arts ; et chez Gide, libraire, Palais Egalité, galerie des Pierres, n°13 et 14 ; 1795, an 4e » ; un volume in-18 de 68 pages. En tête se lit un extrait du rapport de Lakanal, avec cette note : « On s'est trompé dans le rapport en substituant le titre de Grammaire raisonnée à l'usage d'une jeune personne : cette grammaire n'a pas été envoyée au jury pour le concours. Elle n'est point destinée à l'enfance, aux écoles primaires. » L'originalité du livre de Panckoucke, c'est de faire débuter l'élève par la conjugaison des verbes. « J'ai rédigé cette grammaire, dit l'auteur, sur un plan entièrement neuf. Je la commence par les verbes, parce que je me suis assuré, par l'expérience, qu'il est infiniment plus facile de donner à un enfant des idées vraies et justes du verbe, que des noms substantifs par lesquels on commence ordinairement toutes les grammaires. » Dans une lettre à Lakanal, imprimée à la fin du volume, Panckoucke s'étonne que la grammaire de Lhomond ait été placée, en même temps que la sienne, parmi les livres couronnés, et fait de cet ouvrage une critique qui paraît judicieuse. « Je ne puis concevoir, dit-il, comment le jury des livres élémentaires a jugé les éléments de la grammaire de Lhomond singulièrement propres aux écoles primaires Celle grammaire, dont je ne prétends point aire de mal, est très utile aux jeunes gens qui se destinent à apprendre le latin ; mais elle ne peut être entendue des enfants de la campagne, et serait plus propre à les rebuter qu'à les encourager. Dans la grammaire de Lhomond, je vois sans cesse des principes, des règles de la langue latine mêlés et confondus avec ceux de la langue française. C'est l'abrégé d'une grammaire savante, ce n'est nullement une grammaire élémentaire. » Aux Anciens, Barbé-Marbois, qui tenait pour Lhomond et les éludes classiques, s'exprima assez dédaigneusement au sujet de l'ouvrage de Panckoucke : « Tous les changements qu'a faits l'auteur dans sa nouvelle méthode se réduisent à avoir placé le verbe avant les autres éléments du discours, ou parties d'oraison. Nous ne voyons pas que cette découverte serve beaucoup au développement de l'art de parler et d'écrire. I, auteur appelle mécaniques les Eléments dont il s'agit, mais il n'emploie pour ses démonstrations le secours d'aucune machine. En général l'analyse grammaticale est une métaphysique très déliée et très difficile à saisir. On ne commence à se douter du système du langage humain qu'en comparant la langue que l'on parle naturellement avec une langue ancienne que l'on étudie méthodiquement. Les langues modernes sont trop calquées les unes sur les autres, et par là trop faciles : les différences qui se trouvent dans les anciennes comparées avec la nôtre forcent l'esprit de remonter à des principes généraux applicables à toutes. » L'épithète de mécanique, qui ne paraissait pas justifiée à Barbé-Marbois, paraît avoir été adoptée par l'auteur tout simplement pour l'opposer à la qualification de raisonnée qu'il donnait à son second ouvrage, la Grammaire à l'usage d'une jeune personne.

III. — Les Eléments d'arithmétique couronnés par le jury devinrent, après le vote du Corps législatif, l’objet d'un débat retentissant où le nom de Condorcet se trouva mêlé. L'auteur, J.-B. Sarret, fut accusé de plagiat, et le ministre de l'intérieur porta la question devant l'Institut. Il vaut la peine de s'arrêter un instant sur cet épisode intéressant de notre histoire littéraire.

Le manuscrit de l'ouvrage intitulé Eléments d'arithmétique avec des observations pour les instituteurs avait été remis au jury, le 1er messidor an II, par Marcoz, député à la Convention. L'auteur avait gardé l'anonyme, comme l'ordonnait le décret du 9 pluviôse. Le jury, après avoir rendu son verdict, ne paraît pas avoir cherché à connaître la provenance du manuscrit, et Lakanal, dans son rapport, semblait ne pas soupçonner encore que Condorcet pût être pour quelque chose dans la composition de ce petit traité. Voici en quels termes il s'était exprimé : « La première partie de cet ouvrage contient de simples éléments d'arithmétique en plusieurs leçons. Ces éléments sont très méthodiques, très clairs, et très propres à être enseignés aux enfants ; mais ils ne comprennent que les quatre premières règles de l'arithmétique appliquées aux entiers et aux décimales : de sorte qu'à cet égard on peut le regarder comme incomplet. Il parait que l'auteur avait dessein de le continuer, mais quelque circonstance l'en a empêché. La seconde partie renferme des observations sur chaque leçon, destinées aux instituteurs, pour leur faire remarquer les points essentiels sur lesquels ils doivent principalement insister dans l'enseignement. Cette seconde partie est en quelque manière unique dans son genre et donne à l'ouvrage un mérite particulier. »

Sur ces entrefaites, on apprit que Condorcet, durant le temps qu'il avait vécu caché dans la maison de Mme Vernet, s'était occupé de rédiger un traité élémentaire d'arithmétique ; et comme le conventionnel Marcoz avait habité à cette époque la même maison que Mme Vernet, la commission des Anciens ne douta pas que le manuscrit remis par lui au jury ne fût une copie du travail de Condorcet, Lacuée, qui rédigea la partie du rapport de Barbé-Marbois où la commission rendait compte de cet ouvrage, s'exprima à ce sujet avec la plus parfaite assurance ; après avoir donné de grands éloges à une oeuvre qu'il déclarait « écrite avec la pureté et la précision qui caractérisent les ouvrages faits par une main très exercée et un esprit supérieur à la matière qu'il traite », il ajoutait : « Peut-être paraîtra-t-il d'abord inutile d'en nommer l'auteur, car aujourd'hui les noms n'ajoutent ni au mérite des actions, ni à celui des ouvrages : cependant votre commission a voulu que je vous le fisse connaître: elle a jugé que cet écrivain, en fournissant un grand modèle à tous les gens de lettres, et une leçon sublime à tous les républicains, a acquis le doit d'être cité avec louange à la tribune nationale ; elle a jugé que vous n'apprendriez pas sans un vif intérêt que c'est à Condorcet que nous devons les Eléments d'arithmétique, et qu'il les a composés dans l'intervalle qui s'écoula entre sa proscription et sa mort. »

Le Conseil des Anciens crut donc, en sanctionnant les décisions du jury, couronner un ouvrage de Condorcet. Mais une fois la loi votée, le véritable auteur du manuscrit envoyé au jury se fit soudain connaître. Il se nommait J.-B. Sarret. C'était un géomètre, membre de la Société des sciences et arts de Grenoble ; il vivait avec Mme Vernet, qu'on regardait comme sa femme légitime ; c'était donc chez lui que Condorcet s'était réfugié. Sarret se rendit auprès du rapporteur de la commission des Anciens, et raconta l'histoire de son manuscrit. Condorcet, dit-il, s'était proposé d'écrire des Eléments d'arithmétique pour le concours ouvert par la Convention, mais il n'eut pas le temps d'exécuter son projet. Le jour où il quitta sa retraite pour échapper à une perquisition dont on l'avait prévenu, le 5 germinal an II, il remit à Sarret un petit sac de toile renfermant des papiers, en lui disant d'en faire ce qu'il voudrait. Parmi ces papiers se trouvaient trois ou quatre feuillets sur l'arithmétique, contenant quelques vues générales et une exposition du plan qu'il s'était proposé de suivre dans la rédaction d'un traité élémentaire. Le sort tragique de Condorcet resta ignoré de ses amis pendant plusieurs mois ; ce ne fut qu'après le 9 thermidor qu'on apprit qu'il s'était donné la mort dans la prison de Bourg-.la-Reine. Sarret, dans l'intervalle, s'était cru autorisé à achever l'ouvrage commencé par son hôte ; utilisant les notes de Condorcet, il avait rempli le cadre tracé par celui-ci. Son travail, commencé le 15 germinal, ne fut terminé que le 30 prairial ; et, sur sa demande, son voisin le député Marcoz remit le lendemain lé manuscrit au jury. « Avant de faire usage des feuilles rédigées par Condorcet, ajoutait Sarret, je les communiquai à deux personnes, que je consultai sur mon projet, en leur exprimant ma répugnance à me servir de ce travail sans en nommer l'auteur, et qui m'y encouragèrent par cette considération, que si l'ouvrage avait du succès, je pourrais toujours rendre hommage à Condorcet pour ce qui y serait de lui ; que, dans le cas contraire, il serait inutile de le nommer, surtout pour si peu. D'ailleurs, en le nommant, n'eussé-je pas enfreint la condition de l'anonyme, imposée par le décret? Et puis pouvais-je, avant le 9 thermidor, prononcer ce nom, sans exposer ma vie et celle de plusieurs autres personnes? Au surplus, si Condorcet eût vécu, il ne m'eût pas fait une semblable question. Il aurait, su, bien mieux que celui qui m'interroge, apprécier les rapports qui avaient existé entre nous dans le temps où sa tête était vouée au glaive des proscriptions, et il n'avouerait sûrement pas ceux qui se disent aujourd'hui si intéressés à tout ce qui peut influer sur sa mémoire. » (Lettre de Sarret, insérée au Moniteur du 19 thermidor an IV.)

Les membres de la commission refusèrent d'ajouter foi à ces explications. Ils ne voulurent voir dans Sarret qu'un malhonnête homme, qui avait tenté de s'approprier l'oeuvre d'autrui. Ils lui déclarèrent qu'on savait que Condorcet ne s'était pas borné à jeter sur le papier quelques notes relatives à un livre resté en projet ; qu'il en avait complètement achevé la rédaction ; que sa veuve en possédait le manuscrit, écrit tout entier de sa main ; et que le manuscrit de Sarret ne pouvait en être qu'une copie. Sarret eut beau protester de sa bonne foi, et produire son propre brouillon chargé de ratures, en affirmant qu'il avait ignoré l'existence du manuscrit dont Mme de Condorcet était dépositaire ; la commission lui répondit « qu'on connaissait bien la manière de Condorcet ». La Décade philosophique du 30 messidor an IV traita Sarret de plagiaire ; il répondit dans le Moniteur du 19 thermidor. Enfin l’on s'avisa, un peu tardivement, d'un moyen bien simple de trancher le différend : puisque Mme de Condorcet possédait le manuscrit de son mari, il suffisait de le comparer à celui de Sarret pour savoir à quoi s'en tenir. Les deux manuscrits furent remis au ministre de l'intérieur Benezech, qui invita la classe des sciences physiques et mathématiques de l'Institut à prononcer sur l'identité ou la différence des deux traités. Le verdict de l'Institut, rendu le 21 fructidor an IV, porte les signatures de Lagrange, Laplace, Legendre et Bossut. Il est ainsi conçu :

« L'un de ces traités est écrit de la main, de Condorcet ; l'autre a été envoyé par le citoyen Sarret au concours des livres élémentaires pour l'instruction publique, et a obtenu le prix. Le manuscrit de Condorcet contient les quatre règles élémentaires de l'arithmétique accompagnées de plusieurs notes instructives et assez étendues pour diriger les instituteurs dans l'enseignement. L'ouvrage couronné contient également les quatres règles de l'arithmétique ; il contient de plus la théorie des fractions ordinaires, celle des fractions décimales, et une instruction sur les nouvelles mesures. L'auteur a formé une seconde partie d'un corps de réflexions pour les instituteurs. Il y a dans ces deux ouvrages, indépendamment de la ressemblance générale nécessitée par celle des matières, d'autres ressemblances particulières, quant à la méthode et à diverses observations métaphysiques sur la science. Le citoyen Sarret, en s'attribuant l'ouvrage couronné, reconnaît lui-même qu'il doit plusieurs idées à Condorcet, en particulier la division de son traité en deux parties, l'une pour les élèves, l'autre pour les instituteurs. Mais les deux ouvrages ne sont pas exécutés de la même manière ; le style en est différent ; celui qui a été couronné est plus développé et plus complet que l'autre. Enfin, pour répondre avec précision à la question proposée, nous ne croyons pas qu'ils puissent être regardés comme le même ouvrage. »

Cette décision mit fin au débat, et il fallut bien reconnaître que l'ouvrage couronné par le jury n'était pas celui que Condorcet avait composé pour le concours, et que la rédaction en appartenait réellement à Sarret.

Celui-ci ne publia son traité qu'en l'an VII, en deux volumes. Le premier est intitulé : « Elémens d'arithmétique à l'usage des écoles primaires ; contenant la théorie de la numération, les quatre premières règles sur les nombres entiers ; la théorie des fractions tant décimales que non décimales, le calcul décimal abstrait ; plus une instruction sur les nouvelles mesures et monnaies, et le calcul des nombres concrets. Ouvrage qui a obtenu le suffrage du jury des livres élémentaires, et qui a été jugé digne d'être imprimé par une loi du 11 germinal an IV. Par J.-B. Sarret. A Paris, chez Firmin Didot, libraire, rue Thionville, et Deterville, libraire, rue du Battoir, n° 16. An VII ; » in-8° de 328 pages.— Le second volume a pour titre: « Observations pour les instituteurs, sur les Elémens d'arithmétique à l'usage des écoles primaires ; précédées d'une notice sur la vie de Condorcet pendant sa proscription. Ouvrage qui a obtenu le suffrage du jury, etc. Par J.-B. Sarret. A Paris, chez Firrnin Didot, etc. An VII ; » in-8° de XLVIII-192 pages.

La notice sur Condorcet placée en tête de ce second volume contient beaucoup de détails intéressants. Sarret ne parle de son hôte qu'avec la plus vive admiration, et cite de lui un mot bien caractéristique. « Condorcet n'a jamais témoigné d'humeur contre ses ennemis, ses calomniateurs, ses persécuteurs. Que leur feriez-vous, lui demandait un jour sa gardienne, s'il arrivait que leur sort fût entre vos mains ? Tout le bien que je pourrais, répondit-il sans hésiter, et avec cet air de bonté qui lui était naturel. Il le pensait. » Ce qui appartient à Condorcet dans le traité de Sarret, au témoignage de ce dernier, c'est « la division de l'ouvrage en leçons ; la division du même ouvrage en deux parties, l'une pour les élèves, l'autre pour les instituteurs ; une partie de l'espèce d'introduction qui devait servir de préface ; plus un fragment de la première leçon dans chaque partie». Sarret a eu soin de placer entre guillemets les quelques morceaux rédigés par Condorcet. Voici le passage essentiel du fragment de préface dû à la plume de l'illustre géomètre :

« Il m'a paru qu'en général on ne devait rien enseigner aux enfants, sans leur en avoir expliqué et fait sentir les motifs. Ce principe me semble très essentiel dans l'instruction, mais je le crois surtout fort avantageux en arithmétique et en géométrie. Ainsi des éléments de ces sciences ne doivent pas seulement avoir pour but de mettre les enfants en état d'exécuter sûrement et facilement par la suite les calculs dont ils peuvent avoir besoin, mais doivent encore leur tenir lieu d'éléments de logique, et servir à développer en eux la faculté d'analyser leurs idées, de suspendre ou fixer leur jugement, de raisonner avec justesse. Dans un enseignement public où l'instituteur a beaucoup d'élèves, il faut un livre aux enfants ; c'est le seul moyen d'établir quelque égalité d'instruction entre ceux qui ont reçu de la nature des facultés différentes. Mais on doit, dans ce livre, éviter à la fois une trop grande rapidité et une trop grande lenteur. »

C'est à Condorcet que Sarret doit l'idée d'un changement dans les noms de quelques nombres, changement destiné à rendre notre numération plus régulière : onze, douze, treize, quatorze, quinze, seize sont remplacés par dix-un, dix-deux, dix-trois, dix-quatre, dix-cinq, dix-six ; vingt par duante ; soixante-dix, quatre-vingts, quatre-vingt-dix par septante, huilante, nouante ; milliard par dillion. Mme de Condorcet publia de son côté le manuscrit de son mari, sous ce titre : « Moyens d'apprendre à compter sûrement et avec facilité, ouvrage posthume de Condorcet. Prix, 1 fr. 50 centimes. A Paris, chez Moutardier, libraire, au coin de la rue Gît-le-Coeur, n°28. An VII de la République ; » in-18 de 132 pages. Ce volume a été souvent réimprimé depuis. D'une étendue moindre que le traité de Sarret, l'ouvrage de Condorcet offre un intérêt considérable : c'est une tentative remarquable pour associer l'enseignement de la logique à celui des opérations du calcul ; mais la méthode employée, exclusivement abstraite, s'adressant au raisonnement et non à l'intuition, n'est pas celle que la pédagogie moderne eût préférée dans un ouvrage élémentaire.

IV.— Les Eléments d'histoire naturelle, de Millin, furent en France le premier essai d'un livre élémentaire sur la zoologie, la botanique et la minéralogie. Millin, enfermé comme suspect pendant la Terreur, avait consacré ses loisirs forcés à la composition de ce traité, et l'avait fait parvenir au Comité d'instruction publique ; puis, remis en liberté après le 9 thermidor, et croyant que le concours pour les livres élémentaires avait été abandonné, il publia son ouvrage à ses frais. « Ces éléments, dit-il dans la préface de la première édition, ont été composés pendant la longue captivité où j'ai gémi avec tant d'hommes vertueux et instruits, dont j'ai été à la veille de partager le sort. Je l'avais destiné au concours ; . je l'achevai au terme prescrit.

Je pensais que l'importance des ouvrages élémentaires pour l'éducation engagerait le jury à hâter ses discussions. Depuis cette époque les membres du jury ont presque tous été dispersés sans rendre aucun jugement ; j'ai repris mon ouvrage pour le porter au grand tribunal de l'opinion publique. » Le jury, reconstitué, acheva son travail peu de temps après, et prononça que le traité de Millin était le seul, parmi les ouvrages envoyés au concours et appartenant à cette classe, qui méritât d'être distingué. Voici comment s'exprime Lakanal : « Le plan et la rédaction de cet ouvrage annoncent que l'auteur a eu une juste idée de ce que doit être un livre élémentaire également éloigné de la marche vague et incertaine de l'empirisme, si opposé au but de l'instruction, et des formes sèches et rebutantes qui en écartent le premier âge. Il a réussi à rendre l'instruction exacte et solide ; il s'est surtout appliqué à donner à son style beaucoup de clarté et de précision. Après avoir défini l'histoire naturelle, et donné une idée de la méthode qui sert à différencier et à classer les êtres, il examine ces êtres eux-mêmes, qu'il divise en corps célestes et en corps terrestres. Il ne parle des premiers qu'en naturaliste, laissant les détails plus circonstanciés à l'astronomie. Il établit deux grandes divisions entre les corps terrestres : celle des substances inorganiques ou privées des organes nécessaires à la vie, et celle des substances organiques qui en sont pourvues. Il range les substances inorganiques d'après la méthode de Daubenton. Il partage les substances organiques en deux divisions : celles qui ne peuvent pas changer de place à volonté, les végétaux, et celles qui peuvent changer de place à volonté, les animaux. Les préliminaires de la division des végétaux offrent des éléments de botanique très abrégés, mais suffisants pour les premières leçons convenables à l'enfance. Il a adopté pour la distribution des végétaux la méthode de Jussieu. — Il distribue les animaux en six classes, d'après la méthode de Linné ; chacune de ces classes est précédée d'observations générales, semblables à celles qu'il a placées à la partie de son ouvrage où il traite des végétaux. Ainsi, cet ouvrage renferme les principes vraiment élémentaires de toutes les parties de l'histoire naturelle, et le jury a pensé qu'il peut être admis avec avantage dans les écoles nationales. »

La commission des Anciens, par l'organe de Baudin, qui s'était chargé de la partie du rapport relative aux sciences naturelles, fit au livre de Millin un reproche assez inattendu. « En prenant pour base le système de botanique de Jussieu, disait Baudin, il en a nécessairement aussi adopté les imperfections, et il paraît universellement reçu que, malgré l'immensité des recherches de cet habile homme, malgré la prodigieuse étendue de ses connaissances en ce genre, sa méthode de diviser et de classer les végétaux n'a pas été heureuse, en sorte que celle de Linné a partout prévalu. » Et il concluait par ce motif au rejet de l'ouvrage : « Les Eléments d'histoire naturelle ne pourraient devenir la base de l'enseignement, quant au système de botanique, puisqu'il est abandonné. » Fourcroy, dans le discours qu'il fit en réponse au rapport de la commission, releva en ces termes l'hérésie scientifique de Baudin : « Je me permettrai d'être d'un avis différent de celui de votre commission sur la méthode botanique de Jussieu, adoptée par Millin. Quoique cette méthode ne soit pas généralement suivie comme l'est le système de Linneus, on ne peut pas ; dire qu'elle est trop difficile, qu'elle est abandonnée: ceux qui étudient la botanique savent que cette méthode, moins brillante, moins séduisante que l'ingénieux système sexuel de Linneus, conduit, par la distinction des familles naturelles, à une connaissance plus parfaite, plus exacte des plantes. Cette méthode naturelle, le voeu le plus ardent des vrais naturalistes, est suivie au Muséum d'histoire naturelle de Paris, et y détermine l'arrangement des plantes au jardin de cette illustre école. » Fourcroy jugeait que l'ouvrage de Millin, dans son ensemble, était « un extrait bien fait et aussi clair que précis des meilleures méthodes dans chaque partie de l'histoire naturelle ».

Millin donna une nouvelle édition de son livre deux ans plus tard. Il annonce, dans la préface de cette seconde édition, qu'il l'a retravaillé et grossi d'un tiers. En voici le titre : « Elémens d'histoire naturelle. Ouvrage couronné par le jury des livres élémentaires et adopté par le Corps législatif pour les écoles nationales. Par A.-L. Millin, conservateur du Muséum des antiques à la Bibliothèque nationale, professeur d'histoire et d'antiquités, des Sociétés d'histoire naturelle et philomatique de Paris, de l'Académie des curieux de la Nature à Erlang, de l'Académie de Dublin, de la Société Linnéenne de Londres, de celle de Médecine de Bruxelles, et de celle des Sciences physiques de Zurich. Seconde édition, augmentée et corrigée. Prix, 5 francs. A Paris, chez l'au teur, à la Bibliothèque nationale, rue Neuve-des-Petits-Champs, n° 11 ; au bureau du Magazin encyclopédique, rue Saint-Honoré, vis-à-vis Saint-Roch, n° 94 ; et chez François-George Levrault, à Strasbourg. L'an cinquième, 1797 ; » in-8° de 564 pages.V. — Les Principes de la morale républicaine, de La Chabeaussière, sont un recueil de 55 quatrains dans le genre de ceux de Pibrac. L'auteur, homme de lettres et plus tard administrateur de l'Opéra, les avait composés en prison. Lakanal, dans son rapport, en parle assez brièvement : « Cet écrit, dit-il, plein de solidité, de goût et d'esprit, brille encore par les images, le coloris poétique et l'harmonie ; les quatrains de Pibrac, admirés, non sans raison, par nos pères, sont effacés. Le jury propose de mettre cette intéressante production entre les mains des élèves des écoles primaires. » Courtois, qui a rédigé la partie du rapport de la commission des Anciens relative aux ouvrages de morale, décerne à La Chabeaussière des éloges emphatiques : « Qu'il est grand au milieu de ses fers, aux portes du tombeau que lui ouvraient sans cesse nos derniers tyrans, cet auteur qui consacrait ce qu'il pouvait alors appeler ses dernières pensées au bonheur de ses semblables ! Chacun de ses quatrains est presque un traité sublime par sa simplicité, qui le met à la portée de tous : c'est ce livre surtout qui, plein de goût et de solidité, brillant par les images, frappera davantage nos jeunes citoyens et, à l'aide de l'harmonie, se gravera plus facilement dans leur mémoire. »

Une première édition du petit livre de La Chabeaussière avait été publiée, selon Quérard, en l'an III. Celle que nous avons pu consulter à la Bibliothèque nationale est de l'an VI. L'ouvrage est intitulé : « Catéchisme républicain, ou Principes de philosophie, de morale et de politique républicaine, à l'usage des écoles primaires, par La Chabeaussière. A Paris, chez Dupont, imprimeur-libraire, rue de la Loi, n° 1231. L'an VI de la République ; » petit in-12 carré de 16 pages. La préface indique que la loi du 6 germinal (erreur de date ; la date véritable est le 11 germinal) a placé ce catéchisme au nombre des livres d'éducation à l'usage des écoles primaires. Chaque quatrain est précédé d'une question, à laquelle il sert de réponse. Il faut le dire, malgré l'admiration qu'ils ont excitée, les vers de La Chabeaussière sont fort médiocres ; voici quelques-uns des moins mauvais ; ils permettront de juger en même temps des doctrines de l'auteur :

1. Qui êtes-vous?

Homme libre, Français, républicain par choix ;

Né pour aimer mon frère et servir ma patrie,

Vivre de mon travail ou de mon industrie,

Abhorrer l'esclavage et me soumettre aux loix.

4. Comment faut-il honorer Dieu?

L'ordre de l'univers atteste sa puissance ; Tout est, pour les humains, ou merveille, ou bienfait.

Son culte est le respect et la reconnaissance :

L'hommage qu'il préfère est le bien que l'on fait.

9. Quel est le sort qui nous attend après la mort?

Des prix pour la vertu ! des peines pour le crime !

C'est le frein du méchant, l'espoir du malheureux,

La consolation du juste qu'on opprime.

Espérons dans le doute, et soyons vertueux.

44. Quel est le résumé des devoirs généraux de l'homme en société?

Crains Dieu, sers ton pays et chéris ton semblable ;

Respecte le malheur, honore les vieillards ;

Admire les talents et rends hommage aux arts.

Sans l'outrager surtout, plains un frère coupable.

VI. — Le Portefeuille des Enfants était un recueil périodique destiné à la jeunesse, et fondé en 1783 par Duchesne, naturaliste, plus tard professeur à l'école centrale de Seine-et-Oise, et Le Blond, professeur de mathématiques et membre du Lycée des arts, plus tard employé au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Il en avait paru 18 numéros seulement, et la publication en était interrompue depuis plusieurs années au moment où le jury le plaça sur la liste des ouvrages couronnés. On lit dans le prospectus, en date du 7 octobre 1783 : « Les parents. possèdent déjà l'Ami des enfants, le Livre, la Bibliothèque, le Magasin, l'Encyclopédie des Enfants ; on leur présente aujourd'hui le Portefeuille des Enfants ». Après le vote de la loi du 11 germinal, une nouvelle édition de ce recueil fut entreprise : les numéros déjà parus furent réimprimés, et des numéros nouveaux furent publiés. Quérard parle d'un chiffre total de 25 numéros ; la collection que possède la Bibliothèque nationale ne comprend que 20 numéros, réunis en un volume sous ce titre : « Le Portefeuille des Enfants : mélange intéressant d'animaux, fruits, fleurs, habillements, plans, cartes, et autres objets, dessinés suivant des réductions comparatives, et commencés à graver en 1783, sous la direction de Cochin. Accompagné de courtes explications et de divers Tableaux élémentaires. Rédigé par Ant. Nic. Duchesne et Aug. Sav. Le Blond. Nos 1-20. A Paris, chez Merigot jeune, quai des Augustins, et Merlin, rue du Hurepoix, près le pont Saint-Michel. Le bureau des rédacteurs est rue Neuve-des-Petits-Champs, n° 20. »

Nous reproduisons ci-dessous l'appréciation de Baudin, qui donne une idée très exacte du caractère de ce recueil :

« Le meilleur moyen de réussir auprès de l'enfance est de lui montrer une image et de lui conter une histoire. Voilà ce qu'ont fait les auteurs du Portefeuille, — car il est l'ouvrage d'une société ; mais, au lieu des rêves de la féerie, c'est le choix de ce que la nature offre de plus intéressant qu'on emploie pour exciter leur attention. Il se compose jusqu'à présent de dix-huit cahiers détachés, de format in-4°. Chaque cahier contient ordinairement cinq ou six planches gravées, dont l'exécution paraît très soignée et dont le sujet est développé dans un texte imprimé auquel elles sont jointes. Très rarement arrive-t-il que la même matière se trouve traitée dans deux feuillets consécutifs ; on a eu soin de varier continuellement les tableaux, ainsi que leur description. Une planche contient-elle sept ou huit quadrupèdes domestiques, la suivante ne présentera point des animaux sauvages : ce seront des costumes français ou romains, dont on devine que l'auteur se sert pour y rattacher quelques traits de l'histoire des temps auxquels ils appartiennent. Plus loin viendront des plantes ou des arbres fruitiers, auxquels succèderont, tantôt les premiers aperçus de l'architecture, et plus souvent des essais de géographie. En commençant par tracer, comme on l'a fait, le plan des Tuileries dans lesquelles on suppose que l'enfant s'est promené, on l'accoutume à concevoir comment on peut de même figurer sur une feuille de papier un terrain plus étendu qu'il ne connaît pas, tel que celui d'un département ou de la France, qui se trouve aussi dessinée, mais fort loin de ce premier croquis, et après que les yeux et l'attention ont été promenés sur beaucoup d'autres objets. A ces gravures se trouvent entremêlées tantôt des conjugaisons des différents verbes, tantôt des tableaux des poids et mesures, des tables de multiplication, des nomenclatures des planètes, de la division du temps, une infinité d'autres notions de toute espèce, mais toujours élémentaires ; il n'est pas jusqu'à la géométrie qui n'y trouve sa place : un cercle, un triangle, un cône, un cube, y sont offerts aux yeux de l'enfance pour lui en apprendre la dénomination et même quelques propriétés. »

Malgré l'éloge qu'on vient de lire, la commission des Anciens se prononçait contre l'admission de l'ouvrage au nombre des livres élémentaires, parce que « le Portefeuille des Enfants suppose quelque loisir et quelque aisance dans les familles auxquelles il peut devenir utile, et des maîtres beaucoup plus habiles qu'on n'a droit de l'exiger de ceux qui remplissent même avec succès cette honorable profession ».

Un reproche qui nous semble pouvoir être plus justement adressé au Portefeuille des enfants, c'est que le texte est d'une lecture aride, et plus propre à rebuter qu'à intéresser les écoliers ; que les gravures sont en général mal exécutées ; et qu'un grand nombre des notions qu'on y offre aux jeunes lecteurs n'appartiennent pas aux connaissances vraiment utiles.

VII. — Le septième et dernier des livres élémentaires couronnés, l'Art de la natation, attribué par Lakanal à Turquin, par la commission des Anciens à Deligny, par Fourcroy à Turquin et Deligny réunis, n'existe pas à la Bibliothèque nationale. Nous ne pouvons donc le décrire, et devons nous contenter de reproduire les jugements formulés au sein des deux Conseils :

« Il est un art trop négligé parmi nous, — dit Lakanal, — et dont le citoyen Turquin a présenté la théorie : c'est celui de la natation. Son ouvrage, destiné au jury des livres élémentaires, est écrit avec candeur. Cet estimable citoyen mérite d'être puissamment encouragé. Combien la santé des citoyens gagnerait à l'exercice gymnique qu'il décrit ! Qu'il est favorable au développement de nos facultés physiques ! Que la fraîcheur d'une eau pure passe aisément de nos corps dans nos âmes, et ramène avec elle le contentement, la sérénité, la joie! Que d'occasions où cette habitude peut nous sauver! Et puis est-il impossible que les Français, devenus aussi habiles nageurs qu'ils sont intrépides soldats, s'approchent sur une flotte victorieuse des côtes de la perfide Albion, et, pour y aborder, franchissent le reste des flots à la nage? »

« Cet ouvrage — disait à son tour Lacuée aux Anciens — est l'Art de nager, rédigé par le citoyen Deligny, instituteur de l'école de natation. La méthode suivie par l'auteur a cet avantage appréciable, que l'élève ne court pas le risque de se noyer au moment où il apprend à ne pas se noyer un jour : en effet, dès le premier moment où il entre dans l'eau, il s'est assez perfectionné dans la théorie, et, si l'on peut parler ainsi, dans la pratique de la natation, pour pouvoir se passer de maître. »

Fourcroy enfin avait dit : « l'Art de la natation, par les citoyens Turquin et Deligny, est un traité absolument neuf par la forme donnée aux préceptes, et par la liaison intime et désormais indissoluble que les auteurs ont su mettre entre la théorie et la pratique de cet art de première nécessité chez un peuple actif, industrieux et commerçant ».

Quant aux Idées sur une nouvelle manière d'enseigner la géographie dans les écoles primaires, de Michel, elles ne furent pas, malgré le vote des Conseils, publiées à la suite des séances et débats de l'Ecole normale. Nous ne croyons même pas que ce petit ouvrage ait été jamais livré à l'impression : du moins ne nous a-t-il pas été possible de le découvrir.

Il nous reste maintenant à dire l'usage qui fut fait des livres élémentaires auxquels le pouvoir législatif venait d'accorder sa sanction, à parler des débats qui eurent lieu sur la question des livres dans le Conseil des Cinq-Cents, et à indiquer les actes du ministre François de Neufchâteau en l'an VII.

VI

Fourcroy avait proposé que l'impression des ouvrages élémentaires lût confiée aux presses de l'imprimerie nationale. « La République, disait-il, possède un établissement typographique, le seul peut-être et certainement le plus beau de l'Europe dans ce genre. Les ouvrages élémentaires imprimés dans cet établissement seront donc corrects et bien imprimés, et vous soutiendrez ainsi la gloire et les succès d'une institution qui fait pour les imprimeries particulières un objet d'émulation. » Il ne fut pas donné suite à l'idée de Fourcroy. Plusieurs des auteurs des livres élémentaires avaient déjà fait imprimer leur ouvrage avant la décision du jury, quelques-uns les avaient vendus à des libraires et en avaient reçu le prix : ils demandaient qu'il n'en fût point fait de nouvelles éditions, s'offrant à en fournir le nombre qui serait jugé nécessaire ; d'autres encore avaient déjà redemandé leurs manuscrits, satisfaits de l'approbation qu'ils avaient obtenue et se disposant à les perfectionner encore avant l'impression. Outre ces considérations particulières, il s'en présentait une autre, celle de la dépense très forte à laquelle devait donner lieu l'impression, et cela sans aucune utilité réelle pour la République, comme le fit remarquer le Directoire dans un message adressé le 30 floréal an IV au Conseil des Cinq-Cents. « Ce ne sera point, disait le message, par une distribution faite aux membres des deux Conseils et aux administrations départementales que les livres élémentaires pourront produire le fruit que vous en avez attendu : c'est par l'usage qui en sera fait dans les écoles, où la loi ne dit point qu'ils doivent être distribués aux frais de la République. Pour qu'ils puissent atteindre ce but, il faudra donc toujours que les auteurs ou propriétaires en fassent des éditions nombreuses. N'est-il pas beaucoup plus simple et plus économique de leur acheter mille exemplaires de chaque ouvrage, qui suffiront pour la destination prescrite par la loi"? »

Ces considérations déterminèrent le Conseil des Cinq-Cents à revenir sur la loi du 11 germinal et à voter la proposition de loi suivante, qui fut sanctionnée le 9 fructidor par le Conseil des Anciens :

« Considérant que par la loi du 11 germinal dernier, relative à l'impression des ouvrages qui doivent servir de livres élémentaires, il n'a point été dérogé à la loi du 19 juillet 1793, qui assure aux auteurs d'écrits et à leurs héritiers ou cessionnaires le droit exclusif de les faire imprimer, vendre et distribuer, et qu'il est instant de lever les obstacles qui pourraient retarder l'impression des livres élémentaires :

« ARTICLE PREMIER. — Les auteurs des ouvrages adoptés comme livres élémentaires, et leurs héritiers ou cessionnaires, sont maintenus dans le droit exclusif de les faire imprimer, vendre, distribuer, conformément aux dispositions de la loi du 19 juillet 1793.

« ART. 2. — Le Directoire exécutif est autorisé à traiter, pour le nombre de mille exemplaires, avec les-dits auteurs, leurs héritiers ou cessionnaires, qui auront l'ait imprimer leurs ouvrages.

« ART. 3. — Les ouvrages élémentaires dont les auteurs ou leurs cessionnaires auront déclaré qu'ils ne veulent ou ne peuvent en faire l'édition, seront imprimés aux frais et à l'imprimerie de la République. »

En conséquence, le gouvernement se borna à acheter des exemplaires d'un certain nombre de livres élémentaires. Nous sommes imparfaitement renseignés sur la manière dont se fit cette opération. Nous trouvons seulement, dans un compte-rendu financier de la seconde année de l'administration de Benezech (qui fut ministre de l'intérieur du 24 brumaire an IV au 30 messidor an V), l'indication des dépenses suivantes, sous la rubrique Livres élémentaires :

fr. c.

Abécédaire 75 »

Grammaire française 1400 »

Grammaire, mécanique 750 »

Eléments d'arithmétique 127 50

Instruction sur l'arithmétique, la géométrie pratique et les nouveaux poids et mesures 741 75

Géographie élémentaire. . . 90 »

Instructions tirées de l'exemple des animaux 300 »

Eléments d'histoire naturelle 5000 »

Introduction à l'étude des médailles 300 »

Nous voyons par cette liste que le ministre ne se croyait pas tenu de réserver exclusivement ses faveurs aux livres couronnés par le jury.

Benezech fut remplacé par François de Neufchâteau. Le nouveau ministre se montra très zélé pour l'instruction publique, et sa première circulaire aux administrateurs de département, en date du 17 thermidor an V, eut précisément pour objet les livres élémentaires. François de Neufchâteau annonçait l'envoi du Portefeuille des enfants, en rappelant des instructions déjà données par son prédécesseur pour faciliter la vente des ouvrages destinés à l'enseignement. Voici le passage essentiel de cette circulaire :

« Je vous adresse, citoyens administrateurs, onze cahiers de la partie d'histoire naturelle comprise dans le Portefeuille des enfants, ouvrage couronné par le jury des livres élémentaires, dont le jugement a été sanctionné par le Corps législatif ; ne pouvant accorder à ce recueil toute la faveur de la loi, et forcé de choisir parmi les divers sujets qu'il embrasse, celui qui vous est présenté vous donnera également l'idée de l'exécution et du mérite des autres. Je vous invite à répandre parmi vos administrés les annonces qui vous sont adressées par les auteurs, et, soit pour étendre la publicité de l'ouvrage, soit pour en faciliter l'acquisition, à vous conformer aux instructions données dans les circulaires qui ont accompagné les précédents envois des autres livres élémentaires, savoir : Grammaire de Lhomond, celle de Panckoucke. Catéchisme français, Eléments d'histoire naturelle, Abécédaire et Géographie. (Cette liste ne concorde pas tout à fait avec celle du compte-rendu de Benezech.)

« Ces livres, comme il vous a été dit, doivent être déposés dans votre bibliothèque centrale, ou, si elle n'est point organisée, dans vos archives, afin qu'ils soient toujours à la connaissance des instituteurs ou des élèves qui voudront s'en procurer. Je rappellerai aussi à votre souvenir le moyen simple qui vous a été proposé pour favoriser le débit de ces livres, en en formant un ou plusieurs dépôts dans votre arrondissement et en indiquant aux auteurs ou à leurs libraires les personnes qui auront obtenu votre confiance. » [Recueil des lettres circulaires, instructions, programmes, discours, et autres actes publics, émanés du citoyen François de Neufchâteau pendant ses deux exercices du ministère de l'intérieur.)

Le premier ministère de François de Neufchâteau fut de courte durée : un mois après l'expédition de cette circulaire, il fut élu membre du Directoire en remplacement de Carnot. Son successeur à l'intérieur, Letourneux, paraît s'être occupé médiocrement de l'instruction publique ; rappelons toutefois que ce fut durant son administration que parut l'arrêté du 17 pluviôse an VF par lequel le Directoire prescrivait des mesures de surveillance à l'égard des maisons particulières d'éducation ; on y lisait que les administrations municipales de canton seraient tenues de visiter au moins une fois par mois les pensionnats et maisons d'éducation situés dans leur ressort, à l'effet de constater, entre autres choses, « si les maîtres particuliers ont soin de mettre entre les mains de leurs élèves, comme base de la première instruction, les droits de l'homme, la constitution, et les livres élémentaires qui ont été adoptés par la Convention ». L'arrêté du Directoire emploie ici une formule inexacte, puisque c'est par les Conseils de l'an IV, et non par la Convention, que les livres élémentaires avaient été adoptés : mais, comme la Convention avait institué le concours et nommé le jury, c'était à elle qu'on rapportait les résultats de ce concours, et l'on avait pris l'habitude de dire « les livres élémentaires de la Convention », ou même « les livres élémentaires adoptés par la Convention ». Nous en verrons d'autres exemples tout à l'heure.

François de Neufchâteau, ayant été éliminé du Directoire par le sort en prairial an VI, redevint peu de temps après ministre de l'intérieur : il garda ces fonctions onze mois, du 2 thermidor an VI au 6 messidor an VII.

L'acte le plus important de François de Neufchâteau pendant son second ministère, au point de vue scolaire, fut la création d'un Conseil d'instruction publique, composé de huit membres de l'Institut, et chargé, entre autres attributions, de l'examen des livres élémentaires.

Par un message en date du 19 prairial an VI, le Conseil des Cinq-Cents avait invité le Directoire à lui faire connaître au vrai l'état de l'instruction publique, et les obstacles qui en retardaient les progrès. Le Directoire répondit par un message daté du 3 brumaire an VII, qui fut lu aux Cinq-Cents dans la séance du 6 brumaire (Procès-verbaux du Conseil des Cinq-Cents, brumaire an VII, p. 113). Ce message contient un passage relatif aux livres élémentaires et au Conseil d'instruction publique :

« Il s'agirait maintenant, dit le Directoire, de fixer d'une manière moins indéterminée renseignement qui doit être suivi dans les écoles primaires, en désignant les livres qui doivent être mis entre les mains des élèves.

« La loi du 3 brumaire porte, titre Ier, article V, que dans chaque école primaire on enseignera à lire, à écrire, à calculer, et les éléments de la morale républicaine.

« Un des grands obstacles qu'ait rencontrés l'exécution de cet article est le défaut de méthodes élémentaires. Plusieurs livres ont été décrétés par la Convention nationale, mais ils supposent que tous les enfants savent déjà lire, et ce premier pas est celui qui a souffert et qui souffre encore plus de difficultés.

« La plupart des instituteurs, hors d'état de sortir des sentiers de l'ancienne routine, ne connaissent d'autre méthode pour apprendre à lire à leurs élèves que de les faire épeler. A cette méthode, vicieuse en elle-même, est attaché un grand inconvénient, c'est de ne point avoir de syllabaire propre aux principes d'après lesquels l'instruction doit être dirigée. Il est donc nécessaire, en attendant que les instituteurs, plus instruits, puissent suivre un meilleur système d'enseignement, de faire composer des syllabaires ou abécédaires dégagés des formes superstitieuses, et adaptés aux principes de la raison et de la morale républicaine : ce qui ne doit pas empêcher qu'on invite les hommes qui auraient imaginé des méthodes pour apprendre à lire et à écrire, plus simples, et plus favorables pour l'enfance, de les faire connaître, afin d'en répandre l'usage dans toute la République. Il en doit être de même des principes du calcul, pour lesquels il est essentiel de composer des livres élémentaires, afin de familiariser les instituteurs avec le calcul décimal et le système nouveau des poids et mesures, et de les mettre à portée de former des élèves. Les livres plus élevés ne manquent pas. Plusieurs ont été décrétés par la Convention nationale. II en existe d'autres encore qui peuvent être très utiles ; il ne s'agit que d'en faire un choix. Le ministre de l'intérieur en a reçu un très grand nombre, fruit du travail qu'il a provoqué l'année dernière de la part des professeurs des écoles centrales. Il a choisi, parmi les membres de l'Institut national, un conseil composé de plusieurs hommes distingués et qu'il a chargés d'examiner, soit les livres élémentaires, soit les méthodes qui seraient dans le cas d'être proposées. Cet établissement provisoire est si utile et si nécessaire, qu'il est à désirer que la loi consacre et assure son existence. »

Sur ces entrefaites, Heurtaut-Lamerville présenta aux Cinq-Cents, au nom de la Commission d'instruction publique, un projet relatif à la réorganisation des écoles primaires. On y lisait, à l'article 8 du titre II : « Le Directoire désignera aux instituteurs primaires les méthodes et les livres dont ils devront faire usage dans leurs leçons. Le Directoire en fera rédiger de nouveaux, s'il le juge nécessaire, et nuls, hors ceux-là, ne seront admis dans les écoles sous peine de destitution de l'instituteur. » (Séance du 22 brumaire an VIF)

La discussion de ce projet dura plusieurs mois, et n'aboutit pas. Dans un discours prononcé les 1er et 2 floréal par Andrieux, qui combattit la plupart des vues de la commission, on trouve quelques détails relatifs à la question des livres. Andrieux veut bien charger le Directoire de désigner les livres destinés à l'enseignement scientifique ; mais il estime que le Corps législatif doit se réserver le choix des livres d'enseignement moral. « Qu'y a-t-il de plus législatif que de fixer, de déterminer les préceptes d'après lesquels les enfants doivent être élevés et formés dans l'amour de la constitution et le respect des lois ?. On dira que si le Corps législatif, avec tant d'autres occupations et les immenses travaux qui le pressent, veut encore se charger de l'examen et de la promulgation de ces livres élémentaires de morale, ils en seront moins bien faits, peut-être, et surtout, ils le seront avec moins de facilite et de promptitude. Mais, répondrai-je, le Corps législatif peut, comme le Directoire, faire faire ces livres, les juger, les choisir ; le Directoire ne les composera pas lui-même ; il les fera composer comme ii fait le Bulletin décadaire, qui devrait être aussi un livre élémentaire de morale, et que, sans y mettre d'humeur, on peut accuser d'être un ouvrage assez médiocre et de remplir bien imparfaitement sa destination. La Convention nationale, dont, malgré ses erreurs et ses fautes et les maux qui en ont été la suite, on ne peut cependant prononcer le nom sans un sentiment d'admiration et de respect, la Convention nationale ouvrit un concours pour les livres élémentaires ; les livres furent composés, jugés par un jury ; et ce fut le Corps législatif qui, après des rapports faits dans les deux Conseils, adopta, par une loi du 11 germinal an IV, les livres que le jury avait distingués pour l’usage des écoles primaires, et en ordonna l'impression aux frais de la République. Ce qui s'est fait peut encore se faire ; je dirai plus, ce qui est l'ait n'a pas besoin d'être recommencé ; que n'emploie-t-on ces livres élémentaires qui ont été composés, jugés et imprimés à grands frais et qui ont reçu l'approbation respectable d'une loi expresse ? au moins, avant de parler d'en faire de nouveaux, notre Commission d'instruction publique aurait dû nous dire si elle rejette ceux existants, et pourquoi elle les rejette. »

Ce langage d'Andrieux confirme ce qu'il était aisé d'ailleurs de deviner : c'est que l'usage des livres élémentaires de l'an IV ne s'était guère répandu, et que, d'autre part, les hommes les plus éminents du parti républicain, ceux qui poussaient de toutes leurs forces à une réorganisation de l’école primaire, jugeaient ces livres insuffisants et souhaitaient qu'il en fût composé d'autres. Andrieux, qui appartenait à l'opposition, avait vu de mauvais oeil la création du Conseil d'instruction publique, et l'accuse nettement, dans une note de son discours, d'usurpation de pouvoirs :

« On assure, dit-il, que ces mêmes livres ont été soumis à la revision d'un Conseil d'instruction publique, lequel a exigé des changements dans plusieurs de ces livres, notamment dans un Catéchisme républicain et moral, en vers, par le citoyen La Chabeaussiére. Qui donc a donné à ce Conseil, dont aucune loi ne reconnaît l'existence, qui lui a donné le droit de défaire ce que la loi a fait? »

Il serait assez intéressant de savoir de quelle nature étaient les changements introduits par le Conseil d'instruction publique dans le texte du Catéchisme de La Chabeaussière ; mais nous n'avons pu nous procurer d'exemplaire de l'édition revisée.

Dans un autre endroit de son discours, Andrieux nous apprend que le ministre de l'intérieur avait fait afficher dans les écoles primaires des préceptes extraits du Catéchisme universel de Saint-Lambert ; et il reproche à François de Neufchâteau ces emprunts faits à un livre qu'il ne trouve pas « approprié au génie d'une république ». Andrieux ne se montra pas toujours si zélé républicain.

Nous sommes malheureusement fort peu renseignés sur les délibérations du Conseil d'instruction publique au sujet des ouvrages anciens ou nouveaux qui lui furent soumis ; elles n'ont pas été publiées ; et François de Neufchâteau, qui a fait imprimer en deux gros volumes le recueil de ses circulaires, discours et autres actes publics, n'a pas jugé à propos d'y joindre la liste de ses décisions relatives aux livres élémentaires ; nous n'avons trouvé à ce sujet, dans le Recueil des lettres circulaires, instructions, programmes, etc., que la note ci-dessous concernant l'action du Conseil d'instruction publique : « Il a examiné tous les livres qui lui ont été présentés comme élémentaires, et en a rendu compte au ministre, qui, sur le rapport de ce Conseil, les a ou rejetés, ou adoptés pour les écoles nationales. » (Tome II, p. 31 de lu table des matières, note.)

Nous savons, par la préface des Moyens d'apprendre à compter de Condorcet, que cet ouvrage fut soumis au Conseil et placé par lui sur la liste des livres élémentaires autorisés. Nous savons de plus que la Méthode pratique de lecture composée en l'an VII par François de Neufchâteau lui-même (Voir Lecture, p. 1002) reçut également l'approbation du Conseil ; la formule d'approbation placée en tête de l'ouvrage est ainsi conçue :

« Le Conseil d'instruction publique établi près du ministère de l'intérieur a jugé que celle Méthode pratique pour apprendre à tire peut être utile dans l'enseignement des écoles primaires: en conséquence cet ouvrage est compris dans la liste générale des livres élémentaires, parmi lesquels doivent choisir les instituteurs et les institutrices tant des écoles nationales que des écoles particulières. A ce titre, chaque exemplaire sera marqué de l'estampille destinée à prouver l'identité de l'ouvrage. »

Cette estampille a pour légende, à l'entour, les mots République française, Ministère de l'intérieur, et au centre : Instruction nationale, Livres classiques.

C'est dans un appendice à cette Méthode intitulé : « Epilogue adressé aux pères de famille et aux instituteurs », qu'il faut aller chercher des indications sur les actes et les projets de François de Neufchâteau pour l'amélioration des méthodes d'enseignement primaire et la publication de bons livres scolaires. Le ministre y raconte en langage familier ce qu'il a fait et ce qu'il se propose de faire encore. Il y explique d'abord la manière dont les instituteurs devront se servir de la Méthode pratique pour apprendre à lire ; puis il parle de l'utilité qu'il y aurait à pouvoir mettre entre les mains des élèves, une fois que ceux-ci savent lire, un livre où ils puiseraient les premières notions des sciences. Un instituteur de Strasbourg, dit-il, lui a signalé un ouvrage de l'Allemand Wolke, intitulé : Livre pour apprendre à lire et à penser, publié à Pétersbourg en 1785, et dont il existe une mauvaise traduction française : mais « c'est plutôt le canevas d'un bon ouvrage à faire, qu'un ouvrage fait et qu'on puisse employer ». — « Il serait fort à désirer, ajoute-t-il, que nous puissions avoir un recueil de ce genre qui fût à bon marché, pour le répandre dans toutes les écoles primaires. Une suite de tableaux des objets naturels et des objets d'art serait très intéressante à faire passer successivement sous les yeux des élèves ; ce serait une espèce de lanterne magique dans laquelle on pourrait leur faire voir comme un abrégé du monde ; et les explications que vous y joindriez leur inculqueraient une multitude de connaissant es presque sans qu'ils s'en aperçussent. J'ai fort à coeur de procurer ce secours puissant aux écoles primaires. Les procédés de la gravure en taille-douce seraient trop compliqués et top dispendieux pour fournir le grand nombre d'exemplaires de ces tableaux qu'exigerait celui de nos écoles. Peut-être l'invention du stéréotypage me donnera-t-elle à cet égard des procédés moins coûteux ; c'est ce que je fais examiner. » Un peu plus loin, François de Neufchâteau revient sur ce sujet à propos de l'Orbis pictus de Coménius, et annonce la prochaine publication d'un ouvrage français fait sur le plan de celui du grand éducateur morave. « C'est Coménius qui le premier a fait sentir que le fondement de toutes nos connaissances doit être une collection méthodique et suivie de tous les mots des langues que nous voulons apprendre ; en conséquence, il a rédigé son Janua linguarum, où il a recueilli et rangé dans cent chapitres environ dix mille mots les plus usuels, présentés d'abord dans un ordre méthodique et dont la table forme ensuite une espèce de dictionnaire. Celte introduction à la connaissance des langues n'est pas accompagnée de figures. On trouve de mauvaises estampes en bois dans un autre recueil du même genre, publié à Nuremberg sous le titre d'Orbis pictus ou Le monde en peinture : l'exécution en est faible à tous égards, et Coménius a vieilli. Ces premiers essais ne peuvent nous servir que d'indications. J'ai chargé un homme d'un grand mérite, l'auteur de la découverte importante de la pasigraphie (J. de Maimieux), de remplir dans un meilleur esprit le plan de Coménius. Il prépare en conséquence un recueil de définitions claires et simples sur toutes les matières qui peuvent dessiner les premiers linéaments des connaissances humaines et présenter dans notre langue le Monde peint par la parole. Cet ouvrage, purgé de toute idée superstitieuse et de tout préjugé, sera d'un grand secours aux maîtres lorsqu'il pourra être mis dans leurs mains. » L'ouvrage que François de Neufchâteau annonçait en ces termes est sans doute le recueil périodique entrepris par Maimieux en 1798 sous ce litre : « Les Trois Musées de L'enfance, contenant le spectacle de la société humaine, et le spectacle des sciences et des arts » : il ne parut que le premier numéro (Paris, Hennelle, in-4°). La « pasigraphie », dont il est question plus liant, est un « nouvel art-science d'écrire et d'imprimer en une langue de manière à être lu et entendu dans toute autre langue sans traduction » ; Maimieux avait exposé ce système dans un volume publié en 1797.

« On parle avec beaucoup d'éloges, continue François de Neufchâteau, des dialogues de Baretti, qui comprennent dix à douze mille mots d'usage, dans une suite d'entretiens d'un maître de langues avec son élève. Cet ouvrage jouit d'une grande célébrité en Angleterre, où il a paru d'abord en anglais et en italien. La citoyenne Colleville vient de le traduire en français, et j'ai encouragé ce travail, qui doit bientôt paraître : mais j'ignore encore si cet ouvrage sera de nature à être recommandé totalement aux instituteurs républicains ; c'est ce qui résultera seulement de son examen par le Conseil d'instruction publique.

« Ce Conseil fera connaître incessamment quels sont les éléments de grammaire et d'arithmétique que vous pouvez vous procurer pour vous-mêmes ou mettre dans la main de vos élèves. »

Le ministre a décidé la publication d'une série de volumes qui porteront le titre de Manuel républicain, et qui seront, dit-il, d'un grand secours aux instituteurs pour l'enseignement moral et civique. « La première partie du Manuel républicain va être stéréotypée, et vous présentera, avec le texte pur de notre loi fondamentale, des instructions nécessaires sur les poids et mesures, sur les monnaies, etc. Vous trouverez à la tête de ce petit recueil une lettre aux commissaires du Directoire exécutif qui vous expliquera l'usage que vous en devez faire dans l'éducation. J'ai fait terminer ce volume par des tables en forme de questions : avec le secours de ces tables, vous pourrez interroger vos élèves et partager en leçons successives tout ce que renferme ce volume, trésor inestimable pour l'instruction républicaine si vous vous attachez à le bien comprendre vous-mêmes pour le bien expliquer aux autres.

« Les volumes suivants du Manuel républicain seront également appropriés à l’usage de vos écoles. La seconde partie est sous presse : c'est un excellent abrégé de l'histoire de France, destiné à faire connaître les abus de la monarchie, ses erreurs et ses crimes, et à les rapprocher des principes régénérateurs de notre révolution. Cette instruction précieuse vous sera livrée dans peu : je ne doute pas du bon effet qu'elle doit produire dans l'enseignement des hommes libres. Philipon de la Madelaine, l'auteur des Vues patriotiques sur l'éducation du peuple, voulait que, dans un ouvrage intitulé la Philosophie du peuple, on lui expliquât ce que renferment d'intéressant ces proverbes qu'il a si fréquemment à la bouche. Celte idée m'a paru lumineuse, et j'en désirais depuis longtemps l'exécution : on la trouve ébauchée dans la Science du bonhomme Richard, du célèbre Franklin : mais on peut pousser beaucoup plus loin la récolte à faire des maximes et des adages utiles. Je me suis occupé autrefois de cette collection, et elle trouvera place dans les suites du Manuel républicain. » (Voir Manuel républicain.)

Il a formé bien d'autres projets encore. « Pour graver la morale dans le coeur des enfants et dans l'esprit même des hommes, il faut le secours du chant et de la poésie ; on retient mieux le discours mesuré. D'ailleurs il entre dans les vues de l'instruction républicaine de faire apprendre à tous les enfants un peu de musique et de les initier au rythme des hymnes patriotiques et des cantiques nationaux. A cet égard on jouira bientôt de deux recueils intéressants. L'un est celui des hymnes composés pour nos fêtes nationales depuis leur institution. Le citoyen Sarrette, commissaire du gouvernement pour l'organisation du Conservatoire de musique, suit avec ardeur l'exécution de cette idée. Les airs de ces hymnes seront notés sur des cylindres, et pourront être joués uniformément à peu de frais dans tous les cantons où l'on voudra se procurer les orgues mécaniques préparés à cet effet. En même temps je fais dépouiller exactement la masse immense des procès-verbaux de la célébration des fêtes nationales qui se trouvent dans les cartons du ministère de l'intérieur : on a soin d'en extraire les meilleurs discours qui ont été prononcés dans ces occasions solennelles, les morceaux de poésie les mieux faits, les chants les plus patriotiques et les plus poétiques à la fois auxquels ces fêtes ont donné lieu. Du triage de toutes ces pièces on composera un volume exquis qui pourra être le manuel des fêtes nationales dans tous les cantons de la République : vous pourrez aussi vous servir utilement de cet ouvrage et du précédent pour orner la mémoire de vos élèves de strophes et de vers qui forment en même temps leur esprit et leur coeur.

« Nous n'avons pas en ce moment un seul recueil de poésies qu'on puisse mettre dans la main des élèves de nos écoles. Nos auteurs classiques français ont écrit sous la monarchie, et il n'en est pas un où l'on ne trouve des traces de préjugés qu'il est impossible d'admettre dans l'éducation républicaine. J'ai chargé un homme de goût, élégant poète lui-même et ami de la liberté, d'élaguer avec soin tout ce qui peut choquer la sévérité des principes dans les ouvrages de nos poètes, et d'en former un recueil vraiment élémentaire. Le premier volume de celle collection épurée et vraiment classique ne lardera pas à être mis sous presse.

« J'ai conçu l'idée de beaucoup d'autres recueils destinés à l'instruction :

« Celui des meilleurs éloges de nos grands hommes ; « Celui de nos meilleurs discours de morale ;

« Celui des formules de tous les actes, etc. »

En terminant cet intéressant « Epilogue », François de Neufchâteau offre aux instituteurs et aux pères de famille quatre pièces de vers de sa composition, propres à être apprises par coeur par les enfants : une invocation à la liberté, une invocation à la patrie, des maximes républicaines, et l'examen de soi-même, imité d'Ausone.

Tous ces beaux projets dont le ministre de l'intérieur de l'an VII faisait complaisamment l'énumération restèrent inexécutés. Il n'eut pas même le temps de faire paraître une Méthode d'écriture qu'il voulait donner comme complément à sa Méthode de lecture. « La publication en fut retardée, nous dit-il, par la fonte des caractères à employer dans cet ouvrage. L'art des Didot devait créer des types élégants et corrects, pour donner à l'impression des modèles parfaits d'écriture ordinaire. Alors les exemplaires de la Méthode d'écriture auraient été ou imprimés, ou même stéréotypés, au lieu d'être gravés. Par ce moyen, le livre aurait été d'un prix à la portée de tout le monde. Cette idée a subi le sort de toutes celles du ministre : elle a été abandonnée. » (Recueil des lettres circulaires, instructions, programmes, etc., tome II, p. 73 de la table des matières.)

Ce fut le coup d'Etat du 30 prairial qui fit sortir François de Neufchâteau du ministère : il y fut remplacé par Quinette. Celui-ci, comme François s'en plaint, abandonna la plupart des projets de son prédécesseur. On a de lui quatre circulaires aux professeur des écoles centrales, en date du cinquième jour complémentaire de l'an VII, dans lesquelles il recommande l'emploi de divers ouvrages pour l'enseignement de l'histoire et des langues anciennes ; mais il ne se préoccupa point des livres destinés aux écoles primaires. C'était l'influence de Sieyès qui dominait dans le Directoire depuis le 30 prairial ; et d'ailleurs la gravité de la situation extérieure avait détourné l'attention du gouvernement et des Conseils vers d'autres questions.

Après le renversement de la constitution républicaine en brumaire an VIII, les écoles primaires, que le Conseil des Cinq-Cents avait voulu réorganiser et améliorer, et pour lesquelles François de Neufchâteau avait rêvé la publication de toute une bibliothèque de livres utiles, furent livrées complètement à l'incurie des ad ministrations communales ; les ignorantins redevinrent les instituteurs attitrés du peuple français (décret du 17 mars 1808, art. 109), et le seul livre élémentaire dont la sollicitude de Napoléon pour l'éducation de la jeunesse prescrivit l'usage fut le catéchisme impérial.

[J. GUILLAUME.]

2. De la loi du 11 floréal an X à la loi du 15 mars 1850.

Lorsque la loi du 11 floréal an X eut institué les lycées et les écoles secondaires (collèges), le gouvernement chargea deux commissions de choisir les livres classiques destinés à l'enseignement dans les lycées : Fontanes, Champagne et Domairon arrêtèrent la liste de la série littéraire (25 floréal an XI) ; Laplace, Monge et Lacroix celle de la série mathématique (20 germinal an XI). Le gouvernement consulaire ne faisait, du reste, que suivre une pratique déjà consacrée : sous le Directoire, les écoles tant privées que publiques ne pouvaient employer que les livres autorisés par le Conseil d'instruction publique.

Le décret impérial du 17 mars 1808 remit le choix ides livres au Conseil de l'Université : « Le Conseil admettra ou rejettera les ouvrages qui auront été ou devront être mis entre les mains des élèves, ou placés dans les bibliothèques des lycées ou des collèges. Il examinera les ouvrages nouveaux qui seront proposés pour l'enseignement des mêmes écoles. » (Art. 80.) C'est ce texte qui a fait loi dans la question des livres scolaires sous tous les régimes qui se sont succédés de 1808 jusqu'à la loi de 1850. Bien que cet article soit particulièrement applicable à l'enseignement secondaire, le gouvernement n'a jamais hésité à l'appliquer aux écoles primaires, en le rapprochant de l'article 76 et des autres dispositions du décret de 1808 qui conféraient au Conseil de l'Université le droit de discuter les règlements d'études et les méthodes pour tout ordre d'enseignement.

En vertu des pouvoirs que lui conférait le décret organique de l'Université, le Conseil publia en date du 19 septembre 1809 un règlement sur l'enseignement dans les lycées. Le titre IV de ce règlement est consacré aux livres classiques, et porte ce qui suit: « Les leçons de tout genre se feront d'après les livres classiques ou élémentaires imprimés, suivant l'état annexé au présent règlement. Le grand-maître se réserve d'en faire composer, pour les genres d'études où l'on n'en possède point encore de convenables. Les professeurs annonceront, par un programme publié et affiché avant la rentrée des classes, ceux des ouvrages adoptés dont ils se proposent de faire usage pour les leçons de l'année. »

Deux ans plus tard, le Conseil, revenant sur la question, prit, en date du 17 septembre 1811, l'arrêté suivant : « Les livres déclarés classiques par le Conseil de l'Université feront le texte de l'enseignement dans toutes les classes des établissements d'instruction publique, sous la responsabilité des chefs et fonctionnaires de ces établissements. — Sont réputés classiques les livres qui auront été prescrits pour l'enseignement dans les écoles des divers degrés. —. La liste de ces livres sera arrêtée, chaque année, pour l'année suivante, en Conseil de l'Université. — La liste de ces ouvrages, pour les lycées et collèges, pendant l'année classique 1811-1812, est arrêtée ainsi qu'il suit. » (Suit la liste.)

Le statut portant règlement sur la discipline et les éludes des lycées et des collèges, du 28 septembre 1814, maintint cette disposition. On y lit, art. 131 : « Les leçons de tout genre se feront d'après des livres classiques choisis dans une liste publiée, chaque année, par le Conseil de l'Université. »

Sous l'empire, l'autorité universitaire ne s'était pas préoccupée des livres à l'usage des écoles primaires, le catéchisme impérial excepté. C'est dans l'ordonnance du 29 février 1816 qu'on trouve, pour la première fois, au dix-neuvième siècle, des dispositions relatives à cette catégorie d'ouvrages. L'article 30 porte que la Commission d'instruction publique (qui exerçait à cette époque les pouvoirs du grand-maître) « fera les règlements généraux sur l'instruction primaire, et indiquera les méthodes à suivre dans cette instruction, et les ouvrages dont les maîtres devront faire usage ». Et l'article 35 ajoute: « Il sera fait annuellement par notre trésor royal, un fonds de cinquante mille francs pour être employé par la Commission d'instruction publique, soit à faire composer ou imprimer des ouvrages propres à l'instruction populaire, soit à établir temporairement des écoles-modèles, etc. »

La Commission d'instruction publique demanda aux recteurs de lui faire savoir si l’on employait dans les écoles de leur académie « quelques ouvrages plus propres que d'autres à former le coeur des jeunes gens et à leur imprimer d'une manière durable le sentiment de leurs devoirs envers Dieu, le roi et leurs semblables », et, le cas échéant, de lui en adresser un exemplaire. L'année suivante, elle publia (8 février 1817) une liste de livres destinés aux écoles primaires, « en attendant que les ouvrages élémentaires qu'elle fait composer aient pu être portés au degré de perfection désirable ». Les ouvrages dont la composition était ainsi annoncée ne virent jamais le jour, croyons-nous ; nous ne savons à quoi fut employé le fonds de 50 000 francs dont parle l'ordonnance du 29 février 1816, mais il paraît douteux qu'aucune somme ait été appliquée par le gouvernement de la Restauration à la publication de livres « propres à l'instruction populaire ».

Ce qui nous confirme dans cette opinion, ce sont les considérants d'un arrêté par lequel M. de Vatimesnil, en avril 1829, à une époque où l'opinion libérale avait enfin conquis la majorité, à la Chambre, mit au concours la composition d'un livre de lecture courante à l'usage des écoles primaires. Le ministre disait : « L'enseignement primaire manque de plusieurs ouvrages, pour la composition desquels il convient de faire un appel aux talents et à l'expérience. C'est dans cette vue que l'Université, chargée par son institution même et par les ordonnances royales de faire composer ou imprimer des ouvrages propres à l'instruction populaire, met au concours la composition d'un livre destiné à être placé dans les mains des élèves des écoles primaires, immédiatement après le syllabaire. » Le terme du concours était fixé au 1er mai 1830 ; lorsque cette date arriva, un nouveau ministre était aux affaires. M. de Guernon-Ranville, s'il en avait eu le temps, aurait sans doute donné suite aux intentions de son prédécesseur: l'ordonnance du 14 février 1830, rendue sur sa proposition, portait, aux articles 12 et 13, qu'une somme annuelle serait inscrite au budget pour encourager l'instruction primaire, et qu'une partie de cette somme serait employée « à faire composer, imprimer et distribuer des livres élémentaires ». Mais quelques mois plus tard, la révolution de Juillet emportait le concours, l'ordonnance, et le gouvernement.

Le nouveau régime conserva l'Université telle qu'il l'avait reçue. Rien ne fut changé, pour l'enseignement secondaire, aux règlements existants concernant les livres classiques ; mais une impulsion nouvelle fut donnée à l'instruction primaire, et le gouvernement de Juillet tint à honneur de réaliser ce que la Restauration s'était bornée à promettre sans l'accomplir. Une décision royale du 12 août 1831 institua une commission chargée de choisir les livres pour les écoles-primaires et de dresser le catalogue d'une bibliothèque centrale de ces ouvrages qui devait être établie à Paris. Le 2 novembre 1831, M. de Montalivet écrivait ce qui suit dans une circulaire aux recteurs :

« Les livres de lecture manquent de toutes parts dans les écoles primaires, surtout pour les enfants pauvres ; le dénuement qui m'a été signalé à cet égara est une des causes principales qui ont retardé jusqu'ici les progrès de l'instruction. Une des premières pensées du gouvernement devait être d'y remédier, en faisant composer, imprimer et distribuer clans les écoles des ouvrages destinés à communiquer et à répandre les premières connaissances. Je viens de prendre des mesures afin de satisfaire promptement à ce qu'exigent, sur ce point capital, les plus pressants besoins de l'instruction élémentaire. » Le ministre explique qu'il a adopté un ouvrage intitulé Alphabet et premier livre de lecture, composé de telle façon qu'il pourra être employé dans toutes les écoles primaires, catholiques, protestantes ou israélites : « 500 000 exemplaires de cet alphabet seront répartis sur tous les points de la France, dans la proportion de la population et des besoins, entre les écoles communales, qui sont en ce moment au nombre d'environ vingt-cinq mille. Des dépôts seront formés à cet effet dans tous les chefs-lieux d'arrondissement et dans les principales villes de chaque ressort. Les comités recevront de la sous-préfecture le nombre d'exemplaires attribués à leur ressort respectif, et ils feront parvenir à chaque maire les exemplaires destinés à l'école communale. Arrivés dans chaque commune, le maire les frappera du timbre municipal, et ils seront la propriété de l'école publique. L'instituteur chargé de ces livres les conservera avec soin ; il les distribuera, selon les besoins, aux enfants indigents, dont la liste lui aura été remise par le maire. De leur côté, les élèves qui appartiennent à des parents plus aisés auront toute facilité de se procurer d'autres exemplaires du même alphabet à des prix très modérés, dont il leur sera donné connaissance dans chaque commune. » Outre cet alphabet, trois ouvrages destinés à l'instruction morale et religieuse avaient été choisis par le ministre: le petit catéchisme historique de Fleury, pour les écoles catholiques ; un ouvrage récent sur la Bible (Histoire de la Bible par Boissard), pour les écoles protestantes ; et un livre approprié que devait désigner le consistoire central, pour les écoles israélites. Ces ouvrages, ajoute la circulaire, seront prochainement envoyés et devront être distribués de la même manière que l'alphabet. D'autres livres encore pourront être imprimés par les soins de l'Université à l'usage des écoles primaires.

Après le vote de la loi du 18 juin 1833, Guizot s'occupa à son tour de fournir aux écoles les ouvrages nécessaires à l'enseignement. « J'ai fait composer, dit-il dans une circulaire aux recteurs (13 décembre 1833), sur chacune des connaissances que doit comprendre l'enseignement dans les écoles primaires des deux degrés, des manuels où elles seront présentées sous la forme et dans les limites correspondantes aux besoins que le législateur s'est proposé de satisfaire. Parmi ces ouvrages, qui ne tarderont pas à être publiés tous, l'un est consacré à l'instruction morale et religieuse, et particulièrement destiné aux écoles primaires élémentaires ; il vient de paraître sous le titre de Livre d'instruction morale et religieuse à l'usage des écoles primaires élémentaires [par Victor Cousin, le philosophe]. C'est aux enfants catholiques qu'il s'adresse. Il pourra en être publié un autre pour les écoles protestantes. Ce livre a été autorisé par le Conseil royal de l'instruction publique ; il ne dispense point d'ailleurs du catéchisme diocésain. »

Voici, d'après un document daté du 2 juin 1834, le relevé des envois de livres élémentaires destinés à être distribués dans les écoles, faits par le ministère de l'instruction publique à partir de 1831 :

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Guizot, en communiquant ce relevé aux recteurs, leur annonçait son intention de continuer à affecter une partie du crédit ouvert pour l'encouragement de l'instruction primaire a l'achat de livres élémentaires.

La loi de 1833 ne contenait aucune disposition nouvelle concernant les livres. Le statut portant règlement pour les écoles primaires élémentaires communales, du 25 avril 1834, consacra l'état de choses établi, en disant (art. 9) : « Les livres dont l'usage aura été autorisé pour les écoles primaires seront seuls admis dans ces écoles ». Le règlement relatif aux inspections des écoles primaires, du 27 février 1835, porte à l'article 3 : « L'inspecteur primaire s'assurera qu'il n'est fait usage dans les écoles publiques que des ouvrages autorisés par le Conseil royal, et que les livres employés dans les écoles privées ne contiennent rien de contraire à la morale ».

Enfin un arrêté du 30 décembre 1836 ordonna la publication d'une liste quinquennale des ouvrages autorisés pour les écoles primaires, et étendit aux classes d'adultes et aux écoles normales les autorisations accordées. « La liste des ouvrages anciens et nouveaux, dit l'arrêté, dont l'usage a été et demeure autorisé dans les établissements d'instruction primaire, depuis le décret du 17 mars 1808, sera immédiatement publiée.— Tous les cinq ans. le Conseil royal fera publier une liste générale dés ouvrages qu'il aura successivement autorisés. — Le choix entre les méthodes et les livres est laissé aux instituteurs sous la direction des comités et des inspecteurs primaires, sauf, en cas de difficultés, recours au recteur de l'académie, et, s'il y a lieu, au Conseil royal de l'instruction publique.— Tous les ouvrages autorisés pour les écoles primaires élémentaires ou supérieures pourront être employés dans les classes d'adultes, selon qu'il s'agira d'y donner les premières instructions ou de compléter et de perfectionner les connaissances acquises. — Tous les livres autorisés pour les écoles primaires pourront être placés dans les bibliothèques des écoles normales. Pourront aussi être placés dans ces bibliothèques, d'après des propositions soumises au Conseil, les ouvrages de littérature française, d'histoire et de science, qui auront été autorisés pour l'instruction secondaire. »

Cousin, par un arrêté en date du 5 septembre 1840, réorganisa la commission chargée de l'examen des livres destinés à l'enseignement primaire, qu'avait instituée la décision royale du 12 août 1831 : elle fut composée de douze membres, répartis en cinq sections ; les rapports sur les ouvrages examinés devaient être rédigés par écrit, et transmis au Conseil royal, auquel appartenait la décision définitive.

L'arrêté du 30 décembre 1836 était resté inexécuté. Guizot avait bien fait publier, le lendemain même, la liste des ouvrages autorisés depuis 1808 ; mais ses successeurs avaient négligé de faire dresser les listes quinquennales. En 1845, M. de Salvandy, reprenant la question, décida la publication d'une liste annuelle, comprenant les ouvrages de tous les ordres d'enseignement. Voici les termes de son arrêté, qui clôt la série des actes administratifs se rapportant aux livres scolaires, durant cette période :

« La liste des ouvrages officiellement autorisés par l'Université sera arrêtée, chaque année, à l'époque des vacances, et publiée au mois de septembre, dans le Journal de l'instruction publique, un mois avant la rentrée des classes.

« Cette liste distinguera les ouvrages plus spécialement destinés aux divers degrés d'instruction primaire, secondaire et supérieure.

« La disposition ci-dessus sera exécutée immédiatement pour la présente année.

« La liste officielle comprendra, pour l'instruction primaire, tous les ouvrages revêtus de l'autorisation de l'Université, depuis la publication de la dernière liste (31 décembre 1836) ; elle comprendra, pour l'instruction secondaire et supérieure, ceux qui ont reçu cette autorisation depuis 1er janvier de la présente année.

« A l'avenir, la liste annuelle comprendra, avec la distinction ci-dessus établie, tous les ouvrages autorises dans le cours de l'année scolaire. Ces ouvrages seront les seuls dont il puisse être fait usage dans les établissements placés sous l'autorité ou la surveillance de l'Université. »

Mentionnons encore, avant de clore ce chapitre, le projet formé par M. de Salvandy, vers la fin de 1847, de faire composer un livre de lecture courante à l'usage des écoles primaires. Comme l'avait fait M. de Vatimesnil, il ouvrit un concours : « Un concours au jugement du Conseil royal, sur le rapport de la section des études, est ouvert pour la composition d'un livre de lecture courante et d'exercice grammatical contenant les notions usuelles de toute nature les plus propres à détruire les préjugés et les mauvaises traditions, à propager les connaissances les plus utiles dans toutes les conditions de la vie, à inspirer l'amour du devoir et le respect des lois, à former les bons citoyens, en un mot à améliorer les moeurs publiques. » (Arrêté du 24 septembre 1847.) Une récompense de 6000 francs était promise à l'auteur du livre qui serait couronné. Mais il en fut de ce concours comme de celui de la Restauration : une révolution l'empêcha d'aboutir.

3. De la loi du 15 mars 1850 à la troisième République.

Par une circulaire en date du 14 mars 1848, Hippolyte Carnot, ministre de l'instruction publique, invita les recteurs à répandre autour d'eux « toutes les assurances nécessaires au rétablissement de l'activité de la librairie universitaire ». Ces changements à introduire dans le système général des lycées et collèges, ajoutait le ministre, « ne sauraient porter sur les auteurs qui ont été consacrés, par une si longue et si respectable expérience, pour servir de base à l'enseignement. En principe, vous êtes autorisés à faire savoir que mon intention est qu'aucun des livres d'études rangés dans le catalogue de l'année 1847-1848 n'en soit éliminé. »

Non moins conservateurs se montrèrent, sur cette question des livres, les projets de loi de Barthélémy Saint-Hilaire et de Jules Simon.

La loi du 15 mars 1850 n'apporta qu'une modification de pure forme à l'état de choses existant. Tandis que l'art. 80 du décret du 17 mars 1808 investissait le Conseil de l'Université du droit d'admettre ou de rejeter les ouvrages destinés à l'enseignement, la loi de 1850 réservait la décision définitive au ministre, et n'accordait au Conseil supérieur créé par elle que le droit d'avis ; mais comme la décision du ministre devait nécessairement être précédée d'une délibération du Conseil, dans la pratique cela revenait au même. Il y avait toutefois, sur un point, une innovation assez considérable : jusqu'alors, l'enseignement primaire avait seul possédé des établissements libres, jouissant du droit de choisir eux-mêmes leurs livres d'enseignement, sous la simple réserve que ces livres ne continssent rien de contraire à la morale ; la loi nouvelle étendit ce droit aux établissements libres d'enseignement secondaire.

Voici le texte de la loi de 1850 : « Le Conseil supérieur est nécessairement appelé à donner son avis. sur les livres qui peuvent être introduits dans les écoles publiques et sur ceux qui doivent être défendus dans les écoles libres comme contraires à la morale, à la constitution et aux lois. » (Art. 5, § 6.)

L'application de ces dispositions donna lieu, dans la pratique, à des hésitations et à des difficultés que les divers ministres qui se succédèrent jusqu'à 1870 cherchèrent à résoudre de différentes façons. Bien que le droit du ministre à prononcer sur le choix des ouvrages fût incontestable, le gouvernement préféra tout d'abord ne pas en user. La dernière liste de livres autorisés avait été publiée en 1849 ; et pendant dix années, jusqu'en 1859, le ministère de l'instruction publique s'abstint d'en publier de nouvelle : il se contenta, à l'occasion de la rédaction du programme des lycées, de déterminer les ouvrages qui seraient suivis dans chaque classe. Ce n'est pas qu'on ne se préoccupât de la question. Fortoul crut avoir trouvé, dans le système de l'essai préalable, le meilleur mode d'examen des livres scolaires, et il en prescrivit l'application par son arrêté du 24 décembre 1855.

« Considérant, dit l'arrêté, qu'il importe de pourvoir à l'exécution de l'art. 5 de la loi du 15 mars 1850, d'après lequel le Conseil impérial de l'instruction publique donne nécessairement son avis sur les livres qui peuvent être introduits dans les écoles publiques, et sur ceux qui doivent être défendus dans les écoles libres comme contraires à la morale, à la constitution et aux lois ;

« Considérant qu'un des moyens de préparer l'accomplissement des devoirs du Conseil, en ce qui concerne les livres à introduire dans les établissements publics, est de soumettre à une épreuve préalable ceux de ces livres qui en paraîtraient dignes ;

« Le Conseil impérial de l'instruction publique entendu,

« Le ministre arrête :

« ARTICLE PREMIER. — Le ministre, sur l'avis du Comité des inspecteurs généraux, peut introduire provisoirement et à titre d'essai, pendant un temps déterminé, comme livres de classe, dans un ou plusieurs établissements publics expressément désignés, des livres non encore soumis à l'examen du Conseil impérial.

« ART. 2. — Les recteurs, sur l'avis des Conseils académiques, proposent au ministre les livres qu'ils jugent pouvoir être mis provisoirement et à titre d'essai entre les mains des élèves, indépendamment des livres de classe, ou leur être donnés en prix.

« ART. 3. — La liste des livres introduits dans l'enseignement public, en vertu des deux articles précédents, est communiquée aux membres du Conseil à la fin de la session qui précède immédiatement l'époque où ils seront placés entre les mains des élèves.

« ART. 4. — Les chefs des établissements où ces livres sont mis à l'essai adressent, chaque année, au recteur, un rapport détaillé sur les résultats de l'épreuve ordonnée. Ce rapport est transmis au ministre par le recteur, qui y joint son avis.

« ART. 5. — Lorsqu'il résulte des épreuves faites qu'il y a lieu de soumettre les livres qui en ont été l'objet à l'examen du Conseil impérial de l'instruction publique, le Conseil est saisi par le ministre.

« Le Conseil, après examen, émet l'avis, suivant les cas, que ces livres peuvent ou ne peuvent pas être définitivement introduits dans les établissements publics d'instruction. »

En 1858, Rouland, successeur de Fortoul, remit la question à l'étude, et se décida pour la création d'une commission d'examen des livres. Voici les principaux passages de l'exposé des motifs qui fut présenté au Conseil impérial de l'instruction publique, on y trouvera des renseignements intéressants sur la nature des difficultés que paraissait offrir à l'administration impériale l'interprétation de l'art. 5 de la loi de 1850 : « L'art. 5 de la loi du 15 mars 1850 a déféré au Conseil impérial de l'instruction publique le jugement des livres qui doivent être introduits dans les écoles publiques et de ceux qui doivent être défendus dans les écoles libres comme contraires à la morale, à la constitution et aux lois ».

« Les livres à introduire dans les écoles publiques se partagent en deux catégories : les uns sont les livres de classe proprement dits, ceux qui servent de texte obligatoire pour l'enseignement et qui, par conséquent, doivent être mis entre les mains de tous les élèves ; les autres sont des ouvrages jugés utiles pour la jeunesse, mais dont l'emploi est laissé à la libre appréciation des maîtres, et que les chefs des établissements sont autorisés, soit à placer dans la bibliothèque de l'école ou du lycée, soit à donner en prix, soit même à laisser entre les mains des élèves, lorsqu'ils le demandent.

« En préparant les programmes et règlements pour l'exécution du plan d'études des lycées, le Conseil impérial a fixé la liste des ouvrages qui seraient suivis dans chaque classe, depuis la classe de huitième jusqu'à celle de logique. Sous ce rapport, les intentions du législateur ont été remplies ; nous pouvons même ajouter, en nous fondant sur l'expérience des dernières années, qu'elles l'ont été de la manière la plus conforme aux véritables intérêts de l'enseignement public.

« Mais, depuis longtemps, il reste à statuer sur le mode d'approbation des ouvrages qui, sans être prescrits, pourront cependant circuler, pour ainsi dire, en libre franchise dans les établissements.

« Le règlement du 24 décembre 1855, élaboré par le Conseil impérial, après plusieurs projets infructueux, confia aux Conseils académiques l'examen préalable et l'indication des ouvrages qui pouvaient être mis provisoirement, et à litre d'essai, entre les mains des élèves, indépendamment des livres de classe, ou leur être donnés en prix. Mais cette disposition a présenté dans la pratique d'insurmontables difficultés. Parmi les Conseils académiques, les uns ont décliné la mission qui leur était attribuée ; les autres ne l'ont remplie que partiellement ; l'administration centrale a hésité elle-même avant de donner suite aux propositions qui lui étaient faites ; le règlement de 1855 est complètement resté une lettre morte.

« Serait-ce donc que l'art. 5 de la loi du 15 mars 1850 est inexécutable, et la seule solution des difficultés qui se sont élevées est-elle d'en appeler au législateur pour qu'il amende lui-même son oeuvre? C'est une règle de bon sens qu'avant de modifier les lois établies, il faut s'être assuré qu'elles ne sont pas susceptibles d'une interprétation qui permette de les appliquer utilement ; mais, dans le cas particulier dont il s'agit, une sage réserve est d'autant plus nécessaire, que I examen des livres classiques est une matière essentiellement administrative, dans laquelle le législateur doit intervenir le moins possible. Il a donc paru que, sans écarter d'une manière absolue l'idée de recourir à la législature, on devait considérer ce recours comme un moyen extrême qui ne pouvait être adopté qu'après l'épuisement de toutes les autres voies.

« Or, que dit l'art. 5 de la loi du 15 mars 1850? Que le Conseil de l'instruction publique sera nécessairement consulté sur les livres qui peuvent être introduits dans les écoles publiques et sur ceux qui doivent être défendus dans les écoles libres comme contraires à la morale, à la constitution et aux lois ». Le législateur n'a pas entendu par là qu'aucun ouvrage ne serait admis à circuler librement dans les établissements publics d'instruction, sans l'avis spécial et motivé du Conseil impérial ; car, dans ce cas, il aurait imposé au Conseil la tâche impossible d'examiner un à un ces milliers d'ouvrages en faveur desquels les auteurs et les éditeurs sollicitent l'autorisation ministérielle. Il semble que la pensée de la loi serait pleinement et loyalement remplie si, les ouvrages présentés au ministre ayant été par ses soins, en dehors des sessions, l'objet d'un examen sérieux, la liste de ceux dont l'introduction dans les écoles publiques aurait été provisoirement permise était communiquée au Conseil qui, en général, n'aurait pas à les examiner de nouveau, mais qui conserverait son droit de délibération pour le cas où l'un de ces ouvrages donnerait lieu à des réclamations et à des plaintes. Telle est la combinaison à laquelle on s'est arrêté, après mûre réflexion, et qui se trouve formulée dans le projet qu'on a l'honneur de soumettre au Conseil impérial.

« Une commission composée des inspecteurs généraux de l'enseignement supérieur, de l'enseignement secondaire et de l'enseignement primaire, et de sept membres nommés par le ministre, serait chargée de l'examen de tous les ouvrages destinés aux écoles publiques dont trois exemplaires auraient été déposés au ministère. Chaque ouvrage serait l'objet d'un rapport écrit et signé sur lequel, après délibération, la commission voterait. Il pourra se présenter des cas où il serait avantageux que ces rapports fussent de -mandés à des rapporteurs spéciaux, à des professeurs de nos grands établissements scientifiques et littéraires ou à des membres de l'Institut. Mais on a pensé que ces cas seraient bien rares, et qu'une commission dans laquelle les trois ordres d'enseignement se trouveraient représentés par l'inspection générale, et qui se compléterait par l'adjonction de sept membres à la nomination du ministre, offrirait les garanties les plus certaines et les plus constantes de savoir, de dévouement et d'impartialité.

« Lorsque la commission a terminé l'examen d'un ouvrage et qu'elle a proposé d'en autoriser l'introduction dans les écoles publiques, le ministre, aux termes du nouveau projet, peut accorder temporairement l'autorisation demandée, sans attendre la prochaine réunion du Conseil. Il n'est pas à craindre que l'exercice de cette faculté dégénère jamais en abus, ni que les dépositaires de la puissance publique s'en servent pour répandre parmi la jeunesse des ouvrages dont la religion, la science ou le goût pourraient s'alarmer. Mais si la conscience du ministre avait été trompée, son erreur serait bientôt réparée, puisque, selon le projet, le Conseil doit être saisi tous les ans de la liste des ouvrages autorisés. Cette liste sera insérée au procès-verbal de la séance où la communication aura en lieu. Si des objections s'élèvent, il en sera délibéré ; les ouvrages qui seraient trouvés défectueux cesseront de jouir du bénéfice de l'autorisation temporaire qui leur avait été accordée.

« La loi du 15 mars 1850 sera ainsi exécutée dans son esprit d'une manière utile pour tout le monde, sous la responsabilité du ministre qui aura l'initiative de l'examen et de l'introduction des ouvrages ; sous celle aussi du Conseil, qui conservera son droit de délibération et de remontrance avec la juste part d'autorité qui s'attache à tous ses avis.

« Si le Conseil impérial adoptait la proposition qu'on a l'honneur de lui soumettre, il aurait enfin résolu d'une manière simple et vraie, nous le croyons, la dernière et non pas la moins délicate des questions administratives que suscitait la loi du 15 mars 1850.»

Un arrêté conforme à cet exposé des motifs fut pris par Rouland, le Conseil impérial entendu, en date du 26 décembre 1858. La commission d'examen des livres, constituée sous la présidence de J.-B. Dumas se mit à l'oeuvre. Elle fit de son mieux pour suffire à la tâche difficile qui lui était imposée ; mais elle ne paraît y avoir réussi ni au gré des éditeurs, ni à celui de l'administration.

« La commission de 1858, lit-on dans un historique de la question qui nous occupe présenté en 1874 au Conseil supérieur de l'instruction publique par M. de Montesquiou, n'était peut-être pas assez nombreuse : la tâche était lourde ; 800 ouvrages lui avaient été adressés le jour même de son installation. Chaque année, 250 a 300 nouveaux volumes venaient s'ajouter à l'arriéré, qui restait toujours à peu près au même chiffre. Quant à l'examen du Conseil, il etait, paraît-il, assez sommaire en raison peut-être de ce que la loi n'avait pas donné la faculté de charger des commissions d'étudier les questions dans l'intervalle des sessions. Aussi fut-ce sans rencontrer grande résistance que six ans plus tard, en novembre 1864, un nouveau ministre, dans une note qui contient une vive critique des derniers essais, vint proposer au Conseil un mode de procéder tout différent, qu'il définit lui-même le système du veto. »

Voici la note que Duruy fit présenter au Conseil impérial :

« La loi du 15 mars 1850 a investi le ministre du droit de décider, le Conseil impérial entendu, quels livres peuvent être introduits dans les écoles publiques, quels doivent être interdits dans les écoles libres. En fait, c'est une commission qui, depuis 1859, exerce cette prérogative. Avant cette époque, il n'y avait eu, depuis 1849, c'est-à-dire pendant dix années, ni examen ni autorisation.

« Dès le premier jour de son installation, la commission reçut huit cents ouvrages. Le nombre de ceux qui sont annuellement déposés sur son bureau varie de deux cent cinquante à trois cents. Or, malgré l'activité de ses travaux, elle peut tout au plus égaler le nombre de ses rapports annuels avec celui des ouvrages qui lui sont annuellement adressés, et se voit indéfiniment surchargée d'un arriéré considérable. De là, si l'on suit l'ordre de l'inscription, des retards qui condamnent l'auteur à attendre un jugement pendant deux, trois et quatre ans, ou, si on l'intervertit, un véritable déni de justice, puisqu'il y aura préjudice effectif pour les uns ou privilège pour les autres. L'administration est, dans ce système, imparfaitement éclairée ; car elle n'est mise que très tardivement au courant de la valeur des publications classiques, et elle est obligée, contre sa propre règle, de tolérer l'introduction dans les établissements publics d'ouvrages utiles et bien faits, mais non revêtus de la sanction officielle. La loi est ainsi fréquemment violée, et l'autorité morale de la commission se trouve affaiblie par cette indifférence à solliciter son approbation. Enfin cette intervention de l'Etat, avec les retards que l'examen entraîne, est une gêne pour un commerce considérable, celui de la librairie ; et le privilège que l'autorisation accordée par le ministre constitue en faveur des livres approuvés entrave la production, diminue la concurrence et prive la littérature classique d'un élément d'amélioration.

« Une raison plus grave de renoncer à ce système, lors même que l'on viendrait à bout de supprimer les lenteurs administratives, c'est la solidarité établie par l'autorisation entre l'Université qui approuve et l'ouvrage qui est approuvé. Malgré les progrès de la science, qui font vieillir si rapidement certains ouvrages, le livre autorisé conserve à toujours l'autorisation une fois donnée, et l'Université devient responsable des erreurs d'aujourd'hui, qui avaient paru des vérités hier.

« Le gouvernement a cessé, dans l'ordre matériel, de donner sa garantie aux inventeurs ; pourquoi continuerait-il, dans l'ordre pédagogique, à la donner aux écrivains ?

« Il serait accordé complète satisfaction au commerce, qui demande plus de liberté ; à l'opinion publique, qui n'aime pas ces entraves établies au nom de l'Etat ; à l'administration, qui a le devoir de surveiller et, au besoin, de réprimer, mais non celui de diriger comme par la main toutes choses et toutes personnes, si, comme le veut la loi pour les écoles libres, l'autorisation était remplacée par le veto.

« Tout livre non frappé d'interdiction aurait la liberté de pénétrer dans les maisons d'éducation. Cette modification, qui est le sens général de la législation actuelle, n'exposerait pas les écoles publiques au péril d'être envahies par les livres médiocres : car l'administration universitaire, qui est comme substituée à l'autorité des pères de famille, a sur ces écoles un droit d'inspection sans réserve, et un livre insuffisant n'y pourrait rester longtemps, s'il en existait un meilleur. Les membres de l'Université seront d'autant plus scrupuleux dans le choix qu'ils auront la liberté de faire, qu'ils seront responsables, chacun vis-à-vis de son chef immédiat, et tous vis-à-vis du ministre, de ce qu'ils auront eux-mêmes choisi.

« Il y a donc lieu d'organiser une juridiction régulière et comme une première instance pour l'appréciation des cas d'interdiction. Le Conseil départemental, saisi par l'inspecteur d'académie, prononcerait en premier ressort sur les livres relatifs aux écoles primaires ; et le Conseil académique, saisi par le recteur, sur ceux qui intéressent les établissements d'enseignement secondaire, chacun selon sa compétence naturelle. La délégation que le Conseil impérial a faite à la commission irresponsable qui fonctionne en ce moment, serait donnée à deux conseils que la loi a constitués, et la justice se trouverait placée plus près du justiciable. Le Conseil impérial, établi juge de la décision rendue par le Conseil départemental ou par le Conseil académique, rentrerait ainsi dans la vérité du rôle que la loi lui a dévolu. »

Un arrêté en date du 11 janvier 1865 prit les mesures nécessaires pour le fonctionnement du nouveau système :

« ARTICLE PREMIER. — Le recteur et les inspecteurs d'académie, les premiers pour les livres d'enseignement secondaire, les seconds pour les livres d'enseignement primaire, doivent, sous leur responsabilité, déférer soit au Conseil académique, soit au Conseil départemental, les ouvrages publiés ou circulant dans leur académie ou dans leur ressort d'inspection, qui leur paraissent contraires à la morale, à la constitution et aux lois.

« ART. 2. — Si le Conseil académique ou le Conseil départemental est d'avis qu'il y a lieu d'interdire les ouvrages ainsi déférés, il le déclare par une délibération motivée.

« ART. 3. — Les délibérations intervenues en vertu des articles ci-dessus sont, dans tous les cas, soumises à l'approbation du Conseil impérial de l'instruction publique.

« ART. 4. — Le ministre présente, chaque année, au Conseil impérial, qui donne son avis, la liste des ouvrages nouveaux qui peuvent être introduits dans les écoles publiques. »

La commission d'examen des livres, qu'avait instituée l'arrêté du 26 décembre 1858, se trouva en conséquence supprimée.

Le régime nouveau introduit par Duruy resta en vigueur jusqu'à la fin de l'empire, et se maintint encore après 1870, pendant les trois années qui précédèrent la réorganisation du Conseil supérieur en 1873.

4. De 1870 à l'heure actuelle.

Nous venons de rappeler qu'après la chute de l'empire en 1870, le système de la libre admission des livres, sous réserve du veto ministériel, continua d'exister pendant trois années. En 1873, l'Assemblée nationale eut à discuter le projet de loi portant réorganisation du Conseil supérieur de l'instruction publique ; ce projet contenait un article 4 qui était la reproduction exacte de l'article 5 de la loi de 1850. Jules Simon, alors ministre de l'instruction publique, se déclara partisan du système de la libre admission avec veto, et proposa l'amendement suivant, qui aurait consacré définitivement ce système en en faisant passer les dispositions dans la loi : « Le Conseil supérieur délibérera sur les livres qui doivent être interdits dans les écoles publiques ou libres. » Mais cet amendement ne fut pas adopté et le texte du projet fut maintenu.

Dès sa première session, le Conseil supérieur s'occupa de la question et nomma une commission qui se prononça contre le système de la libre entrée et demanda le retour au régime de l'arrêté du 26 décembre 1858. Le ministre qui avait remplacé Jules Simon, Balbie, se rangea à cette opinion ; par un arrêté du 22 juillet 1873, il reconstitua l'ancienne commission des livres sous le nom de Commission d'examen des (ivres classiques, et rétablit le système de l'autorisation préalable.

Mais ce retour à un ordre de choses dont les inconvénients avaient été si nettement signalés par Duruy ne fut pas de longue durée. En 1875 un nouveau ministre, Wallon, rapporta l'arrêté du 22 juillet 1873 et le remplaça par un règlement (2 juillet 1875) qui revenait, avec quelques modifications, au système de 1865. En voici le texte:

« ARTICLE PREMIER. — Il est dressé chaque année une liste des livres en usage :

« 1° Dans les lycées et collèges ;

« 2° Dans les écoles normales primaires ;

« 3° Dans les écoles primaires publiques.

« ART. 2. — A cet effet, les professeurs de chaque lycée, collège et école normale primaire se réunissent dans la première quinzaine du mois d'avril, sous la présidence du proviseur, principal ou directeur. Ils dressent la liste des livres qui ont été en usage durant la dernière année et arrêtent, de concert, la liste de ceux qu'ils se proposent de mettre entre les mains des élèves dans la prochaine année scolaire.

« Les instituteurs communaux transmettent aux inspecteurs de l'enseignement primaire la liste des livres en usage dans leurs écoles respectives.

« ART. 3, — Avant le 1er mai, les listes mentionnées dans l'article précédent sont, à la diligence des proviseurs, principaux et inspecteurs, envoyées au recteur de l'académie.

« Le recteur en dresse un tableau récapitulatif qu'il transmet, avant le 15 juillet, au ministre, avec ses observations, après avoir pris l'avis du Conseil académique en ce qui concerne l'instruction secondaire, et l'avis du Conseil départemental en ce qui concerne l'enseignement primaire. « ART. 4. — La liste générale des livres en usage dans les établissements d'instruction publique est soumise à une commission composée des inspecteurs généraux et de membres désignés par le ministre. Cette commission est chargée de l'examen préparatoire desdits livres. Elle dresse la liste de ceux qu'elle juge ne pas pouvoir être introduits dans les établissements publics, et de ceux dont il y a lieu de prononcer l'interdiction dans les écoles libres.

« ART. 5. — Le Conseil supérieur, dans sa seconde session annuelle, est saisi par le ministre :

« 1° De la liste générale des livres en usage dans les écoles publiques ;

« 2e Des propositions de la commission d'examen.

« ART. 6. — Si, dans le cours d'une année, un ouvrage qui n'avait pas été primitivement porté sur la liste des livres en usage vient à être introduit dans un établissement, il en est donné avis par le chef de l'établissement au recteur, qui avise à son tour le ministre.

« ART. 7. — Sont rapportées, en ce qu'elles ont de contraire au présent règlement, les dispositions des arrêtés du 22 juillet 1873. »

Une circulaire explicative aux recteurs (16 juillet 1875) commentait en ces termes les dispositions de ce règlement:

« J'ai l'honneur de vous adresser l'arrêté que je viens de prendre, après avis du Conseil supérieur de l'instruction publique, pour régler la question trop longtemps controversée des livres classiques.

« J'appelle votre attention sur le caractère de l'examen auquel le Conseil académique et les Conseils départementaux auront à se livrer. Il ne s'agit pas d'accorder à certains ouvrages jugés meilleurs que d'autres une approbation qui serait refusée à ceux-ci, ni par conséquent de dresser une liste de livres officiellement garantis et privilégiés, qui seraient seuls admis dans les établissements publics, Le système de' l'approbation préalable a été soumis au Conseil supérieur, et il a été écarté par des votes réitérés comme étant d'une pratique difficile et compromettante pour le gouvernement. Il s'agit seulement, aujourd'hui, d'éliminer deux classes d'ouvrages, les ouvrages insuffisants et les ouvrages dangereux, les premiers qui ne doivent pas être introduits dans les établissements publics, les seconds qui doivent être interdits dans les établissements publics et dans les établissements libres. C'est la tâche même qui incombe à la commission administrative mentionnée dans l'art. 5 de l'arrêté que je vous transmets. Cette commission, instituée par l'un de mes prédécesseurs, n'est plus appelée désormais qu'à signaler les ouvrages qu'elle juge ne pas devoir être mis entre les mains de la jeunesse ; elle ne propose pas des approbations, mais des éliminations. Elle prépare l'index des livres défendus, non une table de livres approuvés. Tout livre qui n'est pas explicitement défendu est implicitement permis, ou du moins toléré, pourvu qu'il ait figuré sur une des listes soumises par les chefs des établissements et par vous-même, après avis du Conseil académique et des Conseils départementaux, à l'appréciation de l'autorité ministérielle. Les dispositions contraires de l'arrêté du 22 juillet 1873 sont rapportées. »

L'administration de Jules Ferry devait créer une organisation plus complète, plus régulière, plus efficace que le système du simple veto, et assurant une large part d'initiative au personnel enseignant.

Tout d'abord, la Commission d'examen des livres classiques, instituée en 1873, fut réunie à la Commission consultative des livres destinés à être donnés en prix dans les lycées et collèges, et placés dans les bibliothèques de quartier, instituée par arrêté du janvier 1862: il n'y eut plus qu'une commission unique, « chargée d'examiner les ouvrages destinés à être introduits dans les écoles publiques, dans les bibliothèques de quartiers, et à être décernés en prix dans les lycées, collèges et écoles » (Arrêté du mars 1879).

La réforme, dans le sens libéral que nous venons d'indiquer, s'accomplit d'abord dans le domaine de l'enseignement primaire. Une circulaire aux recteurs, du 10 juin. 1879, les invita à faire connaître leurs vues « sur les moyens qui leur paraîtraient propres à concilier, sans perturbation, la liberté du choix des livres destinés aux écoles primaires avec l'unité de direction pédagogique et avec toutes les améliorations d'ordre scolaire qu'il serait possible de réaliser ». Les recteurs se prononcèrent presque unanimement contre le système de l'approbation préalable, et se déclarèrent favorables à la solution qui laisserait une certaine liberté de choix aux instituteurs, sous le contrôle des inspecteurs primaires et des inspecteurs d'académie.

Un rapport du directeur de l'enseignement primaire au ministre (6 novembre 1879), rédigé à la suite de cette enquête, formula en ces termes la solution projetée :

« Quelque désirable que soit l'uniformité des méthodes, il ne paraît pas possible d'acheter cet avantage au prix de tous les inconvénients que présenterait aujourd'hui la résurrection des « listes officielles « de livres approuvés» par le ministre ou par le Conseil supérieur. L'idée d'un • manuel unique, ou d'un petit nombre de manuels adoptés par l'Etat pour chaque enseignement, a pu séduire en d'autres temps des intelligences d'élite : c'est de nos jours une chimère. L'incessante, l'intarissable production des livres classiques suffirait, à défaut d'autres motifs, et il y en a de plus graves, pour faire définitivement abandonner le régime de l'autorisation préalable. D'ailleurs, il n'y a pas de livre, en aucun genre d'études, qui puisse convenir à toutes les écoles primaires, à toutes les régions de la France, à tous les degrés de culture intellectuelle. Celui même qui aurait été sans conteste adopté hier comme le meilleur serait dépassé demain par un plus parfait encore, et le privilège dont il aurait joui un instant à bon droit deviendrait, en se prolongeant, un obstacle au progrès.

« D'autre part, réduire le rôle de l'administration à un simple veto contre les ouvrages absolument ineptes ou immoraux, ce n'est pas opposer une digue assez résistante à l'envahissement des livres médiocres, lancés dans la circulation par des spéculations de librairie plutôt que par la concurrence sérieuse des méthodes et des procédés pédagogiques.

« On échapperait aux reproches opposés qu'encourent ces deux systèmes si, au lieu de maintenir dans les attributions de l'administration centrale ces examens de livres en nombre indéfini, on en laissait la charge à ceux précisément qui, devant se servir de ces livres, sont le plus intéressés à n'en admettre que de très bons.

« Aujourd'hui que les instituteurs ne sont plus isolés, que l'inspection les stimule et les soutient de plus près, que l'institution du certificat d'études, bien qu'à peine à ses débuts, agit déjà puissamment sur l'école à tous ses degrés, qu'enfin les conférences pédagogiques vont faire renaître dans notre personnel enseignant cet esprit de corps, cette liberté de discussion, cette émulation de bon aloi, ce sentiment de solidarité professionnelle qui donne à tous la conscience de leur force et à chacun la conscience de sa responsabilité, il y aurait de graves inconvénients à vouloir imposer aux maîtres leurs instruments d'étude, et il n'y en a aucun à leur laisser librement indiquer ceux qu'ils préfèrent ; il faut seulement que cette manifestation de leurs préférences raisonnées soit entourée de toutes les garanties d'examen sérieux et, pour cela, qu'elle ait lieu dans les conférences ou réunions générales des instituteurs publics de chaque canton.

« Là, assemblés pour mettre en commun le meilleur de leur expérience individuelle et collective, s'adressant à des collègues qui ne se rendront qu'à de bonnes raisons, ils seront prémunis également contre l'inertie routinière et contre les facilités excessives qui pourraient leur être offertes pour changer leurs livres classiques avec des avantages plus apparents que réels : ils exerceront ainsi, sur des matières que nul ne connaît mieux qu'eux, leur esprit d'examen, de comparaison, de critique, de réforme ; ils ne pourront se décider dans leurs choix que par des motifs tirés de la supériorité pédagogique et généralement reconnue de telle ou telle méthode. Ils ' dresseront donc, dans les meilleures conditions possibles, la liste provisoire des livres scolaires qu'ils demandent à s'imposer à eux-mêmes.

« En possession de ces listes cantonales, l'inspecteur d'académie conservera son droit de contrôle et de revision ; il les soumettra à l'examen d'une commission départementale composée des inspecteurs primaires, des directeur, directrice et professeurs d'école normale : il recueillera, s'il y a lieu, les réclamations et, après ce second examen, proposera au recteur l'approbation et la publication d'une liste de livres adoptés pour l'année dans le département.

« La liste ainsi formée pourrait, d'année en année, s'augmenter de livres nouveaux, se décharger au contraire de ceux que l'expérience aurait condamnés. La limite à ces modifications sera tout naturellement fixée par une préoccupation que l'instituteur, en contact journalier avec les familles, ne risquera pas de perdre de vue : celle d'éviter des changements de ivres onéreux aux parents et préjudiciables à la continuité des études. »

L'année suivante, un arrêté ministériel conforme aux conclusions du rapport ci-dessus, et daté du 16 juin 1880, réglait ainsi la question :

« ARTICLE PREMIER. — Il est dressé, chaque année et dans chaque département, une liste des livres reconnus propres à être mis en usage dans les écoles primaires publiques élémentaires et supérieures.

« ART. 2. — A cet effet, les instituteurs et institutrices titulaires de chaque canton, munis du brevet, réunis en conférence spéciale, établissent, au plus tard dans la première quinzaine du mois de juillet, une liste des livres qu'ils jugent propres à être mis en usage dans les écoles primaires publiques.

« ART. 3. — Toutes les listes ainsi dressées sont transmises à l'inspecteur d'académie. Une commission siégeant au chef-lieu du département et composée des inspecteurs primaires, du directeur et de la directrice des écoles normales et des maîtres-adjoints de ces établissements, réunis sous la présidence de l'inspecteur d'académie, revise les listes cantonales et arrête le catalogue pour le département.

« ART. 4. — Sont rapportés, en ce qu'ils ont de contraire au présent règlement, les arrêtés du 27 juillet 1873 et du 2 juillet 1875. »

Une circulaire de Jules Ferry, du 7 octobre suivant, exposa aux recteurs les principes du système libéral qui allait désormais être en vigueur, et précisa leur rôle en pareille matière, ainsi que celui des commissions départementales :

« Il y a — dit la circulaire — deux manières d'arriver, en ce qui concerne les livres scolaires, à l'unité de règle : la voie de l'autorité et la voie de la liberté.

« Un seul manuel officiel pour chaque matière, ou un petit nombre d'ouvrages choisis, approuvés par l'autorité centrale et distribués d'office, à l'exclusion de tous les autres, dans les écoles publiques : voilà le premier système, qui semble de beaucoup le plus simple et le plus rapide.

« Le second système est plus libéral : c'est au personnel enseignant lui-même que l'on confie l'examen et le choix des livres que la libre concurrence des éditeurs met au jour incessamment, le laissant libre de modifier, de reviser le catalogue, selon les progrès de la librairie scolaire. C'est à cette seconde solution que, d'accord avec mon administration, le Conseil supérieur a, sans hésiter, donné la préférence.

« Plusieurs raisons l'y ont déterminé. Mais celle qui sans doute a été prépondérante, c'est la certitude que cet examen en commun des livres, des méthodes, des appareils d'enseignement, deviendrait un des moyens les plus efficaces pour former l'esprit pédagogique de nos maîtres, pour développer leur jugement, pour les façonner à la discussion sérieuse, pour les accoutumer surtout à prendre eux-mêmes l'initiative, la responsabilité et la direction pratique des réformes dont leur enseignement est susceptible.

« Pour arriver plus sûrement à ce but, j'appelle, monsieur le recteur, toute votre sollicitude sur les conférences spéciales d'instituteurs, qui vont être chargées d'un travail à la fois si grave et si délicat.

« Vous avez certainement remarqué que l'arrêté du 16 juin ne vous demande pas d'intervenir directement dans les opérations des commissions : le rapport présenté au Conseil supérieur s'est clairement expliqué sur ce point. Si le recteur avait été chargé de la revision et, par conséquent, de la rédaction finale des listes d'ouvrages classiques, ni la conférence cantonale, ni la commission départementale n'auraient voulu prendre l'entière responsabilité des choix ; elles seraient certainement l'une et l'autre moins sévères dans leurs propositions si elles pouvaient s'en remettre à la haute compétence du chef de l'académie, pour arrêter en dernier ressort la liste définitive. Le Conseil supérieur a cru que les attributions devaient être rigoureusement définies ; il a voulu donner à la conférence cantonale la responsabilité du contrôle, et à vous, monsieur le recteur, la haute direction de ce mouvement pédagogique dans toute l'étendue de l'académie.

« Les instituteurs et institutrices titulaires de chaque canton dressent la liste des livres dont ils désirent se servir. Toutes ces listes cantonales sont centralisées au chef-lieu du département, où une commission présidée par l'inspecteur d'académie les examine et les revise. J'entends par là que, si certains choix lui semblaient malheureux, si des omissions graves ou systématiques paraissaient s'être produites, la commission renverrait la question à l'examen de la conférence cantonale, avec ses observations, avant de donner son visa.

« Chaque année, monsieur le recteur, vous vous ferez adresser les listes ainsi constituées avec les appréciations des comités départementaux, et c'est alors que je vous demanderai, non plus de vous enfermer dans l'examen de quelques cas litigieux, pour casser telle ou telle décision des commissions locales, mais de faire une large application des pouvoirs dont vous investit l'article 21 du décret du 22 août 1854.

« Cette publication annuelle des listes de livres scolaires en usage sera pour vous un des meilleurs moyens d'enquête sur l'état et sur la marche de l'enseignement ; vous saurez par là, mieux peut-être que par bien des rapports, ce que pense et ce que désire le corps enseignant ; ses choix mêmes vous le montreront ici trop lent ou trop indifférent au progrès, là trop prompt au changement ; dans les premiers temps surtout, vous assisterez sans doute à des tâtonnements, à des contradictions, à des jugements témoignant l'inexpérience et le défaut de doctrine pédagogique.

« Il vous appartiendra, monsieur le recteur, de rechercher, comme le veut le décret que je citais tout à l'heure, « les mesures propres à améliorer les méthodes», d'adresser, par exemple, au personnel placé sous vos ordres, d'après les observations que vous aura suggérées cette lecture, quelques-unes de ces importantes circulaires rectorales qui, bien mieux que les miennes, peuvent entrer dans le vif des questions scolaires et didactiques, les traiter au point de vue spécial de la région, comparer entre eux et stimuler l'un par l'autre les départements voisins, rapprocher avec précision les méthodes suivies et les résultats obtenus, imprimer à toute une académie une direction pédagogique d'autant plus efficace qu'elle se fait sentir de plus près.

« Vous voyez, par cette rapide indication, quel est votre rôle et quels services attend de vous l'instruction publique : vous inspirez, vous guidez l'inspection et l'enseignement, vous fixez les principes à suivre, vous prévenez les écarts, et finalement, sans avoir fait inscrire ni rayer d'autorité aucun nom, vous parvenez peu à peu à faire abandonner volontairement par les intéressés les deux sortes de mauvais livres dont il faut que nos écoles se défassent : d'une part, le livre vieilli, hérissé d'abstractions et de termes techniques, celui qui faisait de la grammaire un formulaire inextricable, de la géographie une nomenclature, de l'histoire un résumé sans vie et sans patriotisme, de la lecture même, de cette lecture courante qui devrait être l'âme de la classe, un insipide exercice mécanique ; et d'autre part, le livre trop commode, où le maître trouve sa leçon toute faite, questions et réponses, devoirs et exercices, le livre qui dispense le maître d'expliquer et l'élève de comprendre, en substituant à l'imprévu de la classe parlée et vivante les recettes de l'enseignement automatique. La loi ne vous confère pas, elle ne reconnaît pas même au ministre, le droit d'interdire un livre, mais elle ne vous défend pas d'inculquer à vos subordonnés une telle connaissance et un tel amour des méthodes intelligentes, de les rendre si exigeants p<>ur eux-mêmes, si sévères dans leurs choix, si jaloux enfin des progrès de leurs élèves, qu'ils se refusent désormais à prendre pour leurs clisses d'autres instruments de travail que le meilleur et le plus parfait en chaque genre.

« J'aborde maintenant les questions de détail qui m'ont été posées à propos de l'application de l'arrêté du 16 juin ; un mot d'explication suffira pour chacune d'elles.

« Les conférences chargées de l'examen des livres peuvent-elles se confondre avec les conférences pédagogiques ordinaires? — Non, puisque les membres dont se composent ces deux assemblées ne sont pas absolument les mêmes ; mais l'administration académique s'efforcera toujours de combiner les jours et heures de réunion de façon à ne pas multiplier inutilement les déplacements.

« Comment seront présidées les conférences d'examen? — Evidemment, comme les autres, par l'inspecteur primaire ou, à son défaut, par un vice-président, qui peut être celui de la conférence ordinaire. « Quels sont les livres qui devront être examinés les premiers? — Il est naturel de commencer par ceux qui sont actuellement en usage et que les instituteurs désirent garder.

« Qu'auront à faire les inspecteurs primaires, au sein du comité de chaque canton, et particulièrement dans le cas d'une proposition qu'ils jugent mauvaise? — Vous leur demanderez avant tout, monsieur le recteur, de provoquer la libre discussion ; de ne jamais se dérober si un appel est fait à leur compétence, d'être toujours prêts à donner leur appréciation personnelle, mais de ne jamais chercher à l'imposer. Pour que l'entretien ne s'égare pas, tout ouvrage proposé devra être l'objet d'un rapport écrit. Dans le cas où quelques membres de la réunion demanderaient à s'éclairer en lisant l'ouvrage, le renvoi à une prochaine séance sera de droit.

« Enfin, quelle est la sanction des choix ainsi prononcés? Devra-t-on interdire à l'instant tous les livres autres que ceux qui viennent d'être admis? — Les instituteurs savent combien il importe d'éviter tout changement de livres, onéreux pour les familles ou pour les communes. Ils veilleront seulement à ce qu'à partir de la rentrée qui suivra la publication de la liste arrêtée par les commissions cantonales, c'est-à-dire par eux-mêmes, il ne soit plus introduit dans leurs classes que des ouvrages figurant sur cette liste. »

Le principe en vertu duquel le choix des livres classiques devait être remis aux maîtres eux-mêmes, appliqué d'abord aux seules écoles primaires, ne tarda pas à l'être aussi aux établissements d'enseignement secondaire. A l'occasion de la publication d'un « Catalogue des livres classiques pouvant être introduits dans les lycées et collèges », arrêté par la commission des livres (octobre 1880), une note fut adressée au ministre pour réclamer, en faveur du personnel enseignant secondaire, le droit qui avait été reconnu aux maîtres des écoles primaires. Cette réclamation fut jugée légitime, et une circulaire de Jules Ferry aux recteurs, du 13 octobre 1881, rétablissant les réunions mensuelles des professeurs des lycées et collèges, leur confia, entre autres attributions, le choix des livres classiques. Une circulaire spéciale, du même jour, indiqua la façon de procéder à cet égard. Après avoir déclaré que désormais les livres inscrits au catalogue officiel devaient être regardés comme simplement « recommandés », la circulaire ajoutait :

« La section permanente du Conseil supérieur a pensé qu'une grande latitude devait être laissée aux assemblées de professeurs chargées désormais du choix des livres dans chacun des établissements secondaires, et j'ai cru devoir me rendre aux observations qui ont été présentées à cet égard. La commission instituée pour l'examen des livres destinés à l'enseignement secondaire a consacré deux années à celte oeuvre. Elle recommande et n'impose pas. Mais chacun des ouvrages portés au catalogue ayant été l'objet d'une étude spéciale et d'un rapport motivé, MM. les professeurs comprendront qu'ils ne peuvent trouver un guide plus sûr dans l'examen comparatif qu'ils auront à faire pour le choix des livres de classe. C'est aux assemblées des professeurs que ce choix appartient désormais, et je leur laisse à cet égard la plus grande liberté. Elles pourront désigner des ouvrages qui ne figurent pas au catalogue. Mais il convient que, dans ce cas, les motifs de l'option puissent être appréciés. Vous aurez donc à inviter MM. les professeurs, quand ils auront désigné un livre non inscrit au catalogue, à motiver leur décision par un rapport succinct sur les mérites comparatifs de l'ouvrage adopté. Ce rapport me sera transmis. »

Deux mois plus tard (10 décembre 1881), une autre circulaire, portant la signature de Paul Bert, vint élargir encore les dispositions libérales de la circulaire précédente :

« Il m'a paru désirable, dit le ministre, de rentrer plus largement encore dans les vues exprimées par le Conseil supérieur et de laisser aux professeurs une liberté entière, non seulement en ce qui concerne les livres classiques, mais encore les ouvrages destinés à être donnés en prix ou placés dans les bibliothèques de classe ou d'étude. J'ai décidé, en conséquence, que les professeurs pourraient librement choisir ces livres et ouvrages aussi bien en dehors du catalogue récemment publié par la commission des livres que dans ce catalogue même, et qu'ils n'auraient plus à motiver leurs choix, comme l'indiquait la circulaire du 13 octobre 1881. Je désire toutefois que, dans chaque établissement, ces choix soient faits, à l'avenir, en assemblée de professeurs. Je retiens seulement le droit établi par les articles 4 et 5 de la loi du 28 février 1880, d'interdire, après avis de la section permanente pour les établissements publics, et du Conseil supérieur pour les établissements privés, les livres contraires à la morale, à la constitution et aux lois. »

Mentionnons encore une disposition relative à une catégorie particulière de livres d'enseignement, les manuels d'instruction civique et les manuels d'instruction morale. A la suite de l'agitation produite par les condamnations dont la congrégation de l'Index avait frappé plusieurs de ces manuels, Jules Ferry, dans un discours au Sénat (31 mai 1883), annonça l'intention de soumettre les ouvrages de cette nature à la formalité d'une autorisation spéciale. « Les conférences d'instituteurs, dit le ministre, discutant le choix des livres, des méthodes, sont bonnes, ont produit de bons résultats. Toutefois je n'hésite pas à dire qu'au point de vue de notre responsabilité comme de nos engagements, et, l'événement le prouve, dans l'intérêt de la paix des esprits, il faut, en ce qui concerne les manuels d'éducation morale et civique, prendre quelques précautions de plus. Je suis donc résolu à proposer au Conseil supérieur, dans sa prochaine session, une disposition complémentaire de l'arrêté du 16 juin 1880. Il sera établi que l'inscription des manuels d'instruction civique et des manuels de morale sur la liste des livres destinés aux écoles primaires publique ne sera définitive que lorsque ces manuels auront passé sous les yeux du ministre et de la section permanente du Conseil supérieur. » Conformément à cette déclaration du ministre, la section permanente fut saisie de la question: sur son avis, l'arrêté du 16 juin 1880 fut maintenu sous cette réserve que des circulaires ministérielles assureraient le complément de contrôle devenu nécessaire pour certains ouvrages par le respect de la neutralité que garantit la loi du 28 mars 1882. — Voir Morale et civique [Instruction).

Les trois premiers articles de l'arrêté du 16 juin 1880 sont devenus les articles 20, 21 et 22 de l'arrêté organique du 18 janvier 1887 ; et à la fin de l'article 22, une disposition concernant le recteur a été ajoutée ; la fin de l'article se lit ainsi : « revise les listes cantonales et arrête, pour le département, le catalogue, qui est ensuite soumis à l'approbation du recteur de l'académie».

Le règlement scolaire modèle des écoles maternelles (18 janvier 1887) dit, à l'art. 14 : « Il ne pourra être introduit dans l'école maternelle aucun livre, aucune brochure ni manuscrit étrangers à l'enseignement. »

Le règlement scolaire modèle des écoles primaires {18 janvier 1887) dit, à l'article 16 : « Aucun livre, ni brochure, aucun imprimé ni manuscrit étrangers à l'enseignement ne peuvent être introduits dans les écoles primaires publiques, sans l'autorisation écrite de l'inspecteur d'académie. »

Le règlement scolaire modèle des écoles primaires supérieures (28 décembre 1888) dit à l'art. 15: «Aucun don de livres ni d'imprimés ne peut être fait à l'école, sans l'autorisation de l'inspecteur d'académie ».

Le ministre peut interdire l'usage dans les écoles des ouvrages d'enseignement, de lecture ou de prix qui seraient contraires à la morale, à la constitution ou aux lois.

Cette interdiction ne peut être prononcée, s'il s'agit des écoles publiques, qu'après avis de la section permanente du Conseil supérieur de l'instruction publique, et, s'il s'agit des écoles privées, après avis du Conseil supérieur lui-même. (Loi du 27 février 1880, articles 4 et 5.)

Les personnes préposées par la loi à l'inspection des établissements d'instruction primaire ont le droit de se faire présenter, dans les écoles privées, les livres en usage.

Si un de ces ouvrages leur paraît devoir être interdit, il leur appartient de le signaler au ministre de l'instruction publique.

L'emploi d'un livre déjà interdit constitue une contravention. Elle est constatée, le cas échéant, par les autorités chargées de l'inspection qui en dressent procès-verbal. Le livre peut être saisi, il est joint au procès-verbal.

Pour ce qui concerne la fourniture gratuite des livres aux élèves indigents, et la vente des livres classiques par les instituteurs, voir Fournitures scolaires.